hang on to your ego

Les soirées aux urgences sont de celles qu’il aime et déteste le plus dans son boulot. Le fait de devoir travailler sur des individus qui sortent de sa spécialité l’oblige à mobiliser la totalité des connaissances qu’il n’utilise pas nécessairement au quotidien dans l’aile pédiatrique. C’est là que s’arrête le meilleur aspect des urgences. Le reste, c’est l’enfer. Point barre. Devoir travailler avec des infirmières qu’il ne connaît pas vraiment, devoir composer avec des chirurgiens d’autres spécialités qui se croient plus capables et qui pensent leurs spécialités plus utiles. Et puis il y a les cas inintéressants : l’hypocondriaque qui prend son rhume pour une pneumonie, sa pneumonie pour un cancer du poumon et son cancer du poumon pour une maladie nosocomiale et cherche à traîner l’hôpital en justice pour mise en danger de la vie d’autrui ; les accidents domestiques où quelqu’un s’est planté un bout de verre dans la main ; le mari esquinté après que sa femme jalouse l’a trouvé dans les bras de sa maîtresse et lui a jeté le trophée de Papa de l’année que les enfants lui ont offert pour son anniversaire à la figure. Rien qui ne retienne son attention suffisamment longtemps en somme. Alors il délègue, utilise les cas sans grand danger -une fois qu’il les a évalués- pour former les internes et résidents. Après tout, ils sont là pour ça, se perfectionner afin de devenir les médecins et chirurgiens de demain, tout en allégeant la tâche des gens qui sont passés avant eux. C’est du moins comme ça qu’il a toujours compris la hiérarchie, et que tous les hôpitaux qu’il a pu fréquenter fonctionnent aussi. Un regard sur l’écran qui indique quel patient est dans quel lit et qui s’en occupe lui indique que pour l’instant la nuit est calme. Ce qui n’est jamais un très bon signe aux urgences. C’est d’ailleurs une règle tacite que personne ne mentionne jamais le calme ambiant sous peine de déclencher une avalanche de cas catastrophiques. « Docteur Baumgartner, accident de voiture, deux ambulances en route, les victimes sont deux adolescents, frère et soeur, cinq et quinze minutes avant leur arrivée. » Qu’est-ce qu’on vous disait ? « Noté, Docteurs Wyland et Thomas, préparez deux ER pour de multiples traumas et prévenez les O.R. 2 et 4 que l’on risque d’arriver et qu’une infirmière interne soit en place dans chacune. » Son ton est calme même s’il ne laisse place à aucune discussion, les deux résidents -parmi les compétents de la promotion, il faut le leur reconnaître- détalent pour préparer le tout dans l’espoir d’assister une des opérations. « Et que quelqu’un appelle un chirurgien traumatologue, s’ils sont à plus de dix minutes de réponse, faites appel à n’importe quel autre chirurgien compétent dans le bâtiment. Je m’occuperai du premier arrivé puis du second en fonction de la gravité. » Après tout, ce sont deux adolescents, techniquement ils sont sous sa juridiction et il n’a pas encore eu l’occasion de passer de temps dans une salle d’opération depuis son arrivée il y a trois heures. Deux victimes d’un accident de voiture semblent la parfaite occasion pour se dégourdir les muscles. « Oui docteur. » Quelques instants plus tard, l’ambulance est là, le garçon de seize ans est amené directement dans la salle d’urgence. « J’écoute. » dit-il en enfilant des gants pendant que son résident s’anime. « Stephen Porter, seize ans, il a percuté un arbre à 80km/h, l’estomac est distendu, possible hémorragie interne, il est conscient et semble stable. » Il opine avant de se tourner vers le patient. « Stephen, je suis le docteur Baumgartner, nous allons t’ausculer et voir si tu as besoin d’être opéré. Tes parents ont été contactés, ils sont en route, tu es entre de bonnes mains, nous allons te faire passer deux trois examens et puis nous aviserons, ok ? » Il se veut rassurant parce qu’en dehors d’une possible hémorragie interne, qui lui semble par miracle très peu probable. Il palpe l’estomac du jeune homme et n’est pas très inquiet, son assistant du jour utilise la machine à ultrason portable sur le ventre et ça confirme ses suspicions. Il n’y a rien de critique ici. C’est l’injustice des accidents, le conducteur n’a rien alors qu’il est coupable, sa passagère est peut-être à l’article de la mort. C’est maintenant que Thaddeus doit s’absenter pour venir en aide à la soeur pour pouvoir annoncer à leurs parents que leurs deux enfants sont sains et saufs. « Stephen, le docteur Wyland va rester avec toi et contrôler ton état de santé mais pour l’instant je ne suis pas inquiet. Wyland, je suis au bout du couloir si quoi que ce soit vous inquiète, n’hésitez pas. » Il file rapidement pour rejoindre la salle où la blessée la plus grave des deux. Lorsqu’il arrive dans la pièce, la jeune fille est inconsciente, a clairement perdu pas mal de sang et le docteur Middleton a commencé son examen. « Qu’est-ce que nous avons ? » demande-t-il sans trop attendre de répondre pour se frayer un chemin vers sa patiente et tant pis si le docteur Thomas était content d’être aux premières loges. C’est pas qu’il ne fait pas confiance à Middleton pour gérer, mais il est chirurgien plastique, il n’a pas souvent l’occasion de réparer des viscères endommagées par autre chose que son scalpel quand il fait une résection ou un truc du genre. Disons que c’est juste l’ordre des choses que Thaddeus soit en charge, non ?

Cela faisait maintenant un peu plus de trois mois qu'Anton était officiellement de retour à Los Angeles ! Ce qui avait motivé son retour ? Plusieurs choses à commencer par le décès de son petit-ami ! N'ayant que lui à Wellington, il ne se voyait pas continuer à vivre dans cet appartement remplis de souvenirs et même si leur histoire semblait terminée avant qu'il ne rejoigne les cieux c'était tout de même compliqué de faire comme si de rien était....  Mais ce qui avait acté son retour une bonne fois pour toute c'était bien évidemment l'accident de sa sœur jumelle dont il ne cessait de se sentir reponsable...  Après tout c'est lui qui était au volant ce soir là et bien qu'il n'ait consommé que très peu d'alcool, Anton n'avait pas eu la chance de pouvoir éviter le drame.....  Certes, sa jumelle était toujours en vie mais elle avait tout de même perdue la mémoire et puis quand bien même elle n'aurait que des égratignures, Anton ne supportait pas de faire du mal aux gens qu'ils aimaient....

Un pari risqué que de revenir s'installer dans cette ville sachant que tout fonctionnait très bien pour lui ? Pas nécessairement ! Middleton avait la chance d'exercer la profession de chirurgien plastique dans une clinique on ne peut plus réputée de Wellington. Demander sa mutation au G.S Hospital ne fût qu'une simple formalité ! Pourquoi ? Pour la simple bonne raison que tout comme les urologues, les chirurgiens plastiques n'étaient pas les plus nombreux sur le marché alors forcément les postes vacants étaient nombreux ! En règle générale quand on exerce un tel métier, on apprécie d'avoir son propre cabinet et c'était d'ailleurs un des projets d'Anton si sa vie n'avait pas été autant chamboulée ces derniers mois.

Ce soir, Anton était de garde et dieu sait que les soirées et/ou les nuits aux urgences pouvaient réserver leurs lots de surprises. C'était un peu comme avec les applications de rencontre où on ne savait jamais à l'avance sur quoi on allait tomber et dieu sait que parfois le résultat pouvait être flippant voir même désespérant.

''Docteur Middleton, vous êtes attendu au Box 3 ! Accident de la route.''   lui lança Emilia, une infirmière présente ce soir là. ''Baumgartner & Thomas vont vous rejoindre d'ici quelques minutes'' précisa t'elle. ''Super ! Merci Emilia.'' Bosser en équipe ne lui posait aucun problème en soit mais certains médecins avaient malheureusement un égo démesuré et Anton savait très bien que sa spécialité était la plupart du temps considérée comme secondaire.

En voyant l'adolescente aux cheveux blond allongée sur le lit inconsciente, il ne peut s’empêcher de penser à Saskia. La demoiselle en question a perdu énormément de sang, d'après les informations reçues, sa tête à violemment heurté le pare brise sans pour autant passer à travers. ''Ok septum dévié et paupières droite arrachée..'' Parler à voix haute c'est son truc même si personne n'est présent. Clairement ce n'est pas très beau à voir même s'il a déjà assisté à bien pire. Ses collègues ne tardent pas à arriver.  ''Déjà là ?!'' Il n'a même pas terminé son examen qu'on risque encore de lui passer devant.

D’ordinaire il aimerait être accueilli par une réponse détaillée de l’état de sa patiente, mais aujourd’hui on s’étonne qu’il soit arrivé rapidement et personne ne semble sauter sur l’opportunité de lui faire le topo des blessures potentielles de la jeune femme, alors il va devoir s’en charger. Pas que ça le dérange, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. « Comme vous le voyez. » répond-il à Middleton avec un sourire, tout en s’installant de l’autre côté de la patiente et en commençant son examen. « Est-ce que quelqu’un a pensé à alerter neuro ? Docteur Middleton, les pupilles sont-elles réactives ? » La question n’est pas innocente, mais personne ne peut lui en vouloir de faire son travail. Si ? Le Docteur Middleton est un artiste, c’est à n’en pas douter, mais réussir à rendre à la jeune fille sa beauté et une respiration nasale correcte ne sera pas très utile si elle perd ses capacités cognitives. Et ce n’est pas que Thaddeus doute des capacités médicales du chirurgien plastique, il a déjà entendu beaucoup de bien de son travail, mais ça ne coûte pas grand chose de vérifier que personne n’a sauté d’étapes dans la prise en charge de sa patiente. Il ne veut pas avoir à s’inquiéter d’un possible traumatisme crânien pendant qu’il a les mains dans les organes vitaux de la jeune femme. Et vue la couleur de son estomac, il va avoir à passer un moment à bosser sur ses viscères. Un temps qui ne sera pas justement dépensé si la patiente est victime d’une mort cérébrale avant même d’entrer dans la salle d’opération. « Ultra-son. Merci. » Le ton est un peu cassant et il voit le docteur Thomas se recroqueviller légèrement. Ça le déprime presque de voir un résident compétent perdre totalement la face quand on lui laisse une once d’indépendance et qu’on se rend compte que deux ans de pratique de la médecine n’ont finalement appris que trop peu. Les images ne sont guère encourageantes et viennent confirmer ses craintes. Une hémorragie interne qui est inquiétante et la rate a été explosée par l’impact. « Thomas, prévenez O.R 2 que nous arrivons pour une splénectomie d’urgence, une hémorragie interne et probablement davantage. » C’est décrété sans vraiment faire attention au monde qui l’entoure, parce qu’il est absorbé par les images que la machine à ultra-son (qu’ils utilisent parfois pour les rendez-vous obstétriques) lui montre. C’est pas aussi précis que d’autres examens d’imagerie mais c’est de loin le plus rapide et vu que la jeune femme est inconsciente, ils n’ont pas de temps à perdre. « Docteur Middleton vous joindrez-vous à nous pour réparer le visage de cette jeune fille ? » Thaddeus comprend l’urgence des blessures internes, il sait aussi que l’oeil de sa patiente n’est pas vraiment en danger mais que s’il arrive à stopper l’hémorragie, elle aura a vivre avec son reflet dans le miroir au quotidien et qu'il serait mieux pour elle que sa paupière ait été recousue par un maître en la matière. Cependant, si Middleton a mieux à faire, Thomas suffira. Tant pis si la gamine ressemble à la créature de Frankenstein, elle sera en vie, c’est déjà pas mal. Non ? En attendant, ils se mettent tous en route pour le bloc opératoire, y’a pas de temps à perdre. C'est horrible à dire, mais Thad sent la montée d'adrénaline qui vient toujours quand il est sur le point d'opérer qui se répand dans son corps. Ce soir il va sauver une vie, il le sent.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser se faire une place en tant que médecin n'est pas chose évidente.... C'est un peu comme lorsqu'on arrive dans une équipe sportive ou vos moindres faits et gestes sont épiés par vos coéquipiers... Oui, Anton ne soigne pas les cancers et s'avère être incapable de réaliser une transplantation cardiaque et pourtant son travail est tout aussi important que celui des ses collègues.... Honnêtement après un accident domestique tel qu'une maison qui prend feu qui n'aurait pas envie de retrouver un visage ou un corps sans cicatrices et sans brulures  ? Encore une fois la chirurgie esthétique ne se limite pas à l'augmentation de la poitrine de ces dames et à l'allongement du pénis pour ces messieurs.... Heureusement pour lui et malheureusement pour les autres, Middleton n'était pas le genre de mec à se laisser marcher sur les pieds ! Ça n'avait pas toujours été comme ça mais maintenant il en fallait beaucoup pour le vexer... Disons qu'il savait facilement comment trouver la faiblesse de ces adversaires tout comme trouver les bons mots histoire de faire fermer le clapet de ses détracteurs.

Toujours est-il que le Docteur Middleton n'était pas infaillible et avait-lui aussi ses propres démons dont on pouvait se servir pour le déstabiliser... ''Pas vraiment..'' Perfectionniste et parfois ''trop'' concentré  dans sa prise en charge, il lui arrive d'en oublier les principes de bases comme de faire un topo sur la situation au moment ''M''. Faut dire qu'il a autre chose à faire et il s'avère déplorable qu'une infirmière ne soit pas disponible pour faire un petit briefing à chaque nouvelle arrivée d'un d'un des membres du corps médical.

''T'oses vraiment me poser la question ?! C'est aussi MA patiente... Personne d'autre ne touchera à son visage...'' Lui aussi aime marquer son territoire et si il est là depuis le début ce n'est pas pour faire de la figuration  et surement pas pour laisser sa place à quelqu'un d'autre ! Plutôt crever...

Tous partent en direction du bloc opératoire, la soirée s'annonce longue et compliqué mais chacun à son rôle à jouer dans cette affaire et il est important de laisser la place à tout le monde si on souhaite donner toutes les chances à cette jeune fille de s'en tirer sans séquelles. Le respect du travail de l'autre s'invite autour de la table d'opération et même si à certains moments on peut entendre des noms d'oiseaux, la prise en charge de la patiente se déroulera dans le calme. Quelques heures plus tard et après avoir essuyé quelques frayeurs, l'adolescente est sortie d'affaire et aura la chance de pouvoir se regarder dans le miroir de la salle de bain sans hurler une fois l'étape de la cicatrisation terminée...

Gants et masques retirés, ils se retrouvent dans les vestiaires afin de retirer leurs tenues souillées. ''Bravo à tous.'' Ouai, Anton a beau être un sale con à certains moment, il part aussi du principe qu'il est important de souligner quand les choses se passent bien... ''C'était pas gagné d'avance.''

Rythme saccadé, souffle maîtrisé, ils poussent d’un commun accord tacite le brancard des urgences sur lequel le corps à moitié sans vie de la patiente git. La cadence soutenue apaise son palpitant d’ordinaire mesuré. La tension et l’excitation se mêlent alors qu’il laisse infirmières urgentistes et résidents entrer dans le bloc opératoire et qu’il part de désinfecter les mains, rituel nécessaire à la sécurité des malades, moyen pour les médecins de se plonger dans l’ambiance si particulière du théâtre. L’eau coule sur ses avants-bras, il frotte avec une frénésie qui trahit son anxiété, le savon liquide (dont il connaît la composition par coeur pour en avoir lu l’étiquette à de multiples reprises) moussant de manière satisfaisante. Thaddeus n’essaie même pas d’être désagréable, il est juste trop concentré pour faire la conversation à son voisin de lavabo. Pour toute personne dans le bloc, ils doivent ressembler à des danseurs répétant une chorégraphie comme on voit des musiciens pianoter leur jambe dans les transports en commun. Une fois sûr qu’aucune infection n’est possible, il entre dans le bloc à la suite de son collègue, enfile sa blouse stérile. Le corps de la patiente a été préparé en quatrième vitesse, chacun s’installe à son poste, lui sera le maître de cérémonie, le chef d’orchestre. Il prend une profonde inspiration, trace une croix sur la peau de la gamine sous anesthésie générale, tend la main et lâche un : « Ten blade. » impérieux, avant de se mettre au travail, la vision se resserrant sur la tâche à accomplir, oubliant le monde autour ou presque.

Les jambes lourdes, le sang qui pulse dans les tempes, Thaddeus se laisse tomber dans un des fauteuils de la loge qui sert de vestiaires aux chirurgiens. Un regard à l’horloge lui indique qu’ils y ont passé plus de trois heures. Quand la nuit commence ainsi, il sait que la garde ne vas pas être de tout repos. C’est aussi ça qui fait l’intérêt du métier et qui les empêche tous de sombrer dans la routine et la complaisance, mais un moment de calme est toujours apprécié. Alors, quand Middleton brise le silence qui règne d’un « Bravo à tous. » et le ramène à la réalité, Thaddeus lui en veut un peu. Ne peut-on donc pas respirer tranquille avant de retourner au front ? Le sourire sur les lèvres de son résident qui n’a rien fait d’autres que tenir des rétracteurs et observer et qui, donc, n’a quasiment aucun mérite car il n’a pas contribué à l’effort de guerre, finit d’agacer Thaddeus. « C'était pas gagné d’avance. » ajoute Middleton pour enfoncer le clou. Parce que c’est bien connu que réparer une fracture de la cloison nasale et recoudre une paupière c’est une chirurgie terriblement risquée… Thad ne veut pas minimiser l’importance du travail qu’a fourni le chirurgien plastique aujourd’hui, mais que lui ait réussi à éviter à la gamine de faire ses besoins dans un sac jusqu’à la fin de ses jours (dans le meilleur des cas) en trois heures pendant que Middleton a réparé des dégâts esthétiques le laisse dubitatif. « Thomas, la famille de la patiente doit se faire un sang d’encre, je suis sûr qu’ils apprécieraient de savoir que l’opération a été un succès et qu’elle va s’en tirer. Et il faut vérifier que la police a été appelée pour prendre le témoignage du frère. » Le message n’a pas l’air d’être très clair parce que son résident opine mais reste assis sur sa chaise, apparemment épuisé de n’avoir rien foutu pendant trois heures. « Maintenant. » intime-t-il finalement d’un ton plus sec ce qui fait disparaître le jeune médecin. « Combien on parie qu’il ne pas va appeler la police pour laisser le gamin se remettre de ses émotions au lieu d’assumer les conséquences de sa bêtise ? » demande Thaddeus, pas sûr de vouloir qu’on lui réponde, parce que ça viendrait à nouveau briser le silence. Un coup d’oeil à son téléphone lui indique que Dr. Wyland n’a pas essayé de le contacter ce qui indique qu’il n’a pas rencontré de problème (ou du moins rien de difficile à gérer) avec Stephen. Ce qui veut aussi dire que Thad peut prendre cinq minutes de pause avant de retourner sur le terrain. Amen.

Que ce soit dans la vie privée ou dans la vie professionnelle, Middleton trouvait important de débriefer sur un échec afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs et le chirurgien plastique partait aussi du principe que lorsque que tout se passe il est utile de le souligner.... Après tout le travail d'équipe n'est pas toujours évident d'où son ''bravo'' d'il y a quelques secondes. Il aurait très bien pu se déshabiller et retourner dans ses quartiers pour prendre son café en mode solo mais non quelque part il cherchait peut-être à créer une bonne ambiance avec ceux qui avaient bossés avec lui ce soir...

Malheureusement pour lui son souhait d'échanger sur cette ''réussite'' ne semble pas du tout partagé par le Docteur Baumgartner IV qui insiste sur le fait de prévenir les services de police pour prendre la déposition du conducteur.... Drôle de façon de relâcher la pression d'autant plus qu'il se montre on ne peut plus insistant auprès de Thomas. ''Ca va laisse lui 5 minutes pour se changer... Dunham s'en est probablement occupée... Tu sais comment elle est avec les procédures...'' Clairement le résident n'a rien foutu pendant toute la prise en charge et Anton aurait sans doute pût réagir de la même façon s'il avait été directement sous ses ordres.... Finalement peut-être que lui et Thaddeus avaient le même caractère d'où le fait que leurs échanges puissent être plus ou moins électriques... Ce qui allait d'ailleurs se confirmer dans les secondes suivantes... ''Attends tu te fous de moi!!'' Peut-être qu'Anton se trompait mais il prenait la dernière intervention de Baumgartner comme une trahison ! Oui ce qu'il venait de dire renvoyait Anton dans un passé qu'il préférerait oublier à savoir l'accident de sa sœur jumelle dont il se sentait les responsables. Pourquoi ?! Tout simplement parce que les circonstances de l'accident était similaire... Lui aussi avait été au volant ce soir là et contrairement à Saskia qui souffrait d'amnésie lui s'en était sortis avec seulement quelques égratignures. Ca lui semblait en tout cas ''trop gros'' pour qu'il n'ait cherché à faire aucun rapport entre les deux histoires. Et malheureusement quand on appuyait sur un point aussi sensible, Middleton avait tendance à partir au quart de tour...

''C'est vraiment pas malin...'' Sans savoir comment et avant qu'il ne soit totalement rhabillé, il attrapa son collègue par les épaules avant de le pousser contre l'un des murs des vestiaires. ''Tu crois qu'à l'époque j'ai fais exprès ?! J'étais pas bourré ! Le rapport de police est là pour le confirmer ! Je n'ai juste pas réussi à éviter ce putain de chauffard et sa voiture de merde alors arrete de dire des conneries sans savoir ce qui s'est vraiment passé... '' Il n'en manquait pas beaucoup pour qu'il lui foute son poing dans la figure. ''Je pensais pas qu'un mec aussi droit que toi se contente d'écouter des bruits de couloirs.... Tu me déçois énormément...'' ajouta t'il sur un ton dès plus provocateur.

''Ca va laisse lui 5 minutes pour se changer...  Dunham s'en est probablement occupée... Tu sais comment elle est avec les procédures…’’ Le commentaire est tellement déplacé que Thaddeus est obligé de lancer un regard désabusé à son collègue. « Te mêle pas de comment je gère mes résidents. » lâche Thad agacé. Chacun sa méthode et si Anton veut chouchouter les résidents quand ils sont sous ses ordres, c’est pas Thad qui va s’en mêler. Ceci dit, qu’il vienne foutre son nez dans sa pédagogie et qu’Anton donne des ordres contraires au sien à ses résidents, ça va rapidement lui casser les couilles. Ça devrait pas le surprendre, la chirurgie plastique est une spécialité bien moins dure que la pédiatrie, ça se reflète sûrement dans la façon dont ils ont été formés et dans la façon dont ils formeront les prochaines générations. Après un commentaire fait à la légère sur les responsabilités du gamin qui a percuté un arbre à 80km/h en ville. ’’Attends tu te fous de moi!!’’ s’exclame son collègue, apparemment très affecté par la situation. « Pardon ? » demande-t-il en arquant un sourcil. Il n’obtient guère de réponse et retourne à ses contemplations, son attention se détache de son collègue parce qu’il sait que dans dix minutes il va devoir retourner au front et qu’il a mieux à faire que de se prendre le bec avec Anton Middleton. Quelques secondes plus tard, ce même Anton Middleton reprend la parole. ’’C’est vraiment pas malin…’’ avant qu’il ne comprenne ce qu’il se passe, sans aucun signe avant coureur, l’autre médecin le plaque contre un mur. Ça envoie un frisson le long de sa colonne vertébrale et il peut presque sentir son cerveau balancer toutes les hormones nécessaires pour qu’il garde son calme dans une situation d’urgence. « What the ?! » Il peut sentir ses défenses psychiques s’ériger, rémanence d’une enfance par toujours tendre, d’un père qui le bousculait un peu trop fort et qu’il ne fallait pas mettre en colère. Middleton lui rappelle un peu son père à cet instant, incapable de se contrôler et de raisonner. Par réflexe, Thaddeus baisse les yeux, détourne le regard ; il ne faut pas énerver la bête furieuse davantage, ne pas lui donner de raison de continuer dans cette voie. ’’Tu crois qu'à l'époque j'ai fait exprès ?! J'étais pas bourré ! Le rapport de police est là pour le confirmer ! Je n'ai juste pas réussi à éviter ce putain de chauffard et sa voiture de merde alors arrête de dire des conneries sans savoir ce qu’il s'est vraiment passé... ‘’ Thaddeus ne comprend pas trop les détails, pour être honnête, il ne réfléchit pas trop, son corps est tétanisé, son système nerveux est en alerte maximale, prêt à bondir sur la moindre opportunité pour se défaire des mains d’Anton Middleton et fuir. ''Je pensais pas qu'un mec aussi droit que toi se contente d'écouter des bruits de couloirs.... Tu me déçois énormément…'' À ces mots Thaddeus rigole doucement. Ils ne sont pas potes, il ne sait pas comment Middleton peut juger de sa droiture et surtout, dans la situation actuelle. Alors que l’autre vient de l’agresser physiquement sur leur lieu de travail, Thad ne sait pas comment Anton peut se sentir en droit d’émettre un quelconque jugement sur lui. Oh il est déçu ? Ça lui fait une belle jambe. Thad est au moins aussi déçu de voir qu’une éducation universitaire de dix ans n’a pas réussi à éliminer les instincts grégaires du système d’un gars qui est perçu comme un chirurgien de renom. « Docteur Middleton, si vous tenez à vos mains et à votre job je suggère que vous me lâchiez. Maintenant. » Le ton est apathique, dénué de toute émotion, suffisamment froid pour ramener le mec à la réalité. Sentant la tension dans les mains qui le maintiennent contre le mur flancher un peu, Thaddeus pousse Anton et s’éloigne de lui aussi vite que possible. Une fois qu’il a mis quelques mètres entre eux, qu’une table les sépare et qu’il se sent à peu près en sécurité, Thaddeus retrouve peu à peu une respiration normale. « Je ne sais pas ce qui cloche chez toi, mais je te conseille vivement d’aller voir un psy avant qu’une autre réaction de ce genre ne te coûte ta carrière. » Parce qu’il faut que ce soit clair. Thaddeus n’hésitera pas à ruiner sa carrière et à porter plainte si Anton l’agresse une deuxième fois.

Clairement Anton s'était sentis persécuté et il ne lui avait pas fallu très longtemps avant de rebondir ! Sa colère, la violence de ses propos mais aussi de ses gestes c'était son moyen de défense et cette technique aussi bancale soit-elle n'avait fait que s'intensifier suite à tout ce qui s'était passé dans sa vie privée ces derniers mois....

En évoquant cet accident, son collègue venait donc de toucher un point sensible et pas n'importe lequel à savoir celui qui le mettait dans une colère noire et qui avait tendance à lui faire perdre tout contrôle... Avec Saskia, les choses avaient changés et dieu sait si les jumeaux arriveraient à retrouver leur lien d'antan.... Est-ce que tout ça l'excusait ?! Certainement pas ! Ca permettait juste de comprendre dans quel état psychologique il se trouve à l'instant T.

Et comme à chaque fois, Anton se rendait compte de ses erreurs une fois que le mal était fait et qu'il était bien évidemment trop tard pour revenir en arrière... La mise en garde de Thaddeus quant à ses mains et son job venait de le faire sortir de cet état d'hypnose dont il était victime... ''Je..'' Reprenant peu a peu ses esprits, Middleton venait de relâcher son collègue. Désormais séparés de part cette table il était grand temps de clarifier ce qui venait de se passer. ''Attends...'' Bien évidemment qu'il regrettait d'avoir montré cette image de lui surtout dans un cadre professionnel. ''Je suis désolé...'' Quand il se savait en tord, le Docteur Middleton savait mettre sa fierté de coté. ''Je peux tout expliquer.'' Son interlocuteur n'en avait probablement rien à faire mais tant pis, Anton se sentait comme obligé de se justifier.

''Ma sœur a été victime d'un accident de la route il y a quelques mois.... Elle a perdue la mémoire... J'étais au volant et j'ai pris ton intervention comme de la provocation alors que ce n'était surement pas le cas....'' Quelque part ça lui coutait de poser les armes et de faire part de ce qu'il ressentait mais c'était nécessaire. ''J'ai du mal à oublier toute cette histoire et je suis conscient que ça prend de la place là où ça ne devrait pas...'' dit-il en s'asseyant totalement dépité. Non, le chirurgien plastique n'allait pas fondre en larme, ce n'était pas dans sa nature mais il était épuisé par toute cette histoire.

''Je suis désolé…'' dit Anton, comme si ça changeait quelque chose. Thaddeus ne sait même pas ce qu’il espère en disant un truc aussi dénué de sens. Un “ok c’est pas grave” ? Peut-être. Si c’est le cas, ce n’est pas son jour de chance. ''Je peux tout expliquer.’' Ça, ça tire un petit rire à Thad qui est toujours sur le qui-vive. C’est pas un rire amusé mais le genre qu’on laisse échapper malgré soi quand la situation nous semble complètement irréelle. Et avant même qu’il puisse répondre, dire qu’il se moque des explications qui ont poussé Anton à le plaquer contre un mur, celui-ci s’est déjà lancé. ’’Ma sœur a été victime d'un accident de la route il y a quelques mois.... Elle a perdue la mémoire... J'étais au volant et j'ai pris ton intervention comme de la provocation alors que ce n'était surement pas le cas....'' Thaddeus a du mal à croire ce qu’il entend, pas la véracité des propos mais que ce soit une espèce de justification pour des actes qu’il trouve invraisemblable. Et ça continue, encore et encore. ’’J’ai du mal à oublier toute cette histoire et je suis conscient que ça prend de la place là où ça ne devrait pas...'' En soi, c’est une bonne histoire, y’a du pathos et quelqu’un de moins intransigeant que Thad se laisserait sûrement attendrir. “Et ? Tu utilises vraiment l’accident de ta soeur comme excuse pour expliquer ce comportement ?” Comme si ça rendait la situation moins pire. Peut-être qu’il ne connait pas assez Anton Middleton, mais ça ressemble comme deux gouttes d’eau aux excuses que fournirait un ado pris en flagrant délit par ses parents. On détourne l’attention de l’acte en pointant sa source profonde et au passage ça sert de laisser-passer pour cette fois. Thad ne sait même pas pourquoi il est encore là. Il devrait juste retourner bosser, cette petite scène aura au moins eu le mérite de le tirer complètement de sa torpeur et de faire réveiller tout son système nerveux. “Si la réaction normale quand tu te sens provoquer c’est d’agresser les gens, peut-être que tu devrais pas être en charge de la vie d’autrui avant d’avoir fait un travail sur toi-même.” C’est probablement pas ce qu’il a envie d’entendre mais Thad pense vraiment que c’est ce qu’il besoin d’entendre. Ils peuvent faire table rase, Thaddeus peut se montrer conciliant, pas que ce soit dans ses habitudes mais qu’importe. Cependant il ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui est aussi prompt à exploser, ni dans la vie, ni dans son bloc. Il n’est même pas à l’aise alors qu’une table ronde les sépare, c’est pas le corps d’un autre ado qui suffira.