A blessing in disguise (nelloa 6)

 « C’est pas le moment de faire demi-tour, maintenant t’y vas ! » Je fusille mon frère des yeux. Il était pas censé être là, il était pas censé venir ce soir, mais bien sûr, il arrive toujours au meilleur moment cet emmerdeur. Il faut bien que je l’aime. « C’est pas une bonne idée, je peux encore annuler, je suis sûre qu’une baby sitter ça s’annule au dernier moment. » Finalement, je suis plus certaine que cette soirée prévue avec mon ex soit la meilleure idée que j’ai eue. C’est tellement compliqué dans ma tête, j’ai du mal à y voir clair. Je sais que je vais apprécier ce moment avec elle, mais pour quoi au final ? On ne peut pas se remettre ensemble parce que son fils sera toujours là, et ça, c’est la variable qui devient invariable. Elle sera toujours mère. Et moi je veux pas d’enfants. C’est le serpent qui se mord la queue. Pourtant, j’ai vraiment envie de passer du temps avec elle, la retrouver. C’est l’enfer, j’ai beau peser les pour et les contre, y’a rien de très constructif qui en ressort. « Vas y j’te dis. Au pire tu rentre seule, au mieux vous prenez du bon temps et tu verras bien ! » « Mais gros malin, c’est facile pour toi t’as jamais eu à te poser ce genre de question ! » Il m’énerve, et en même temps il a de la bonne volonté, je le vois bien. Il veut m’aider et moi je m’énerve. Je soupire et lui fais une petite moue désolée. « Pardon, mais je suis paumée tu vois… » Il hoche la tête et se lève pour me prendre dans ses bras. C’est pas dans ses habitudes. « Maintenant que tu t’es faite toute jolie, tu vas pas rebrousser chemin. Crois moi, il faut que tu y ailles. » Je soupire à nouveau et finis par capituler. Je récupère ma veste en cuir que j’enfile par dessus mon pull, et je suis fin prête. On doit se retrouver directement devant le bowling, on va d’abord dîner et ensuite faire une partie pour qu’elle me mette la pâtée. Pour ça, y’a pas vraiment de suspense. C’est pour le reste que j’ai des doutes. Quand j’arrive, Ainhoa est déjà devant, et ça m’étonne pas vraiment d’elle. Je m’approche et lui offre un sourire quand elle me repère. Aucune hésitation, je fonds sur elle pour lui offrir une tendre accolade. « Ça me fait plaisir de te voir. Ça va, ça a pas été trop dur de quitter Mateo ? » Oui, je connais son prénom et je l’utilise. Ça me coûte un peu, mais je fais un effort, c’est le moins que je puisse faire si je veux que la soirée se passe bien. Autant mettre toutes les chances de mon côté.

Cette soirée, je l’attends depuis la semaine dernière. C’était beaucoup trop long, j’ai eu le temps de m’imaginer une multitude de scénarios, allant du plus agréable au plus compliqué. Si je veux être réaliste, il y a plus de fortes chances pour que ce soit cette seconde option qui se passe. J’ai envie d’y croire, à nous, de me dire que nous avons une chance, mais est-ce vraiment ce qu’il va se passer ? Nell va bientôt repartir et je ne ferais plus partie de sa vie, plus comme avant. Les premiers jours, elle pensera peut-être à moi, à tout ce qu’il s’est passé, mais après, plus rien. Elle va devoir se concentrer sur son travail, pour son bien, alors est-ce que je peux vraiment lui reprocher de me mettre de côté ? De nous deux, je suis la première arrivée sur place. Je pense que mon stress y est pour beaucoup, je ne tenais plus en place à l’appartement et la baby-sitter étant arrivée en avance, je n’avais aucune raison de rester. La jeune femme ne tarde pas à arriver, elle se rapproche de moi et m’offre une accolade. Dans ses bras, je me sens bien, je me sens enfin revivre. Avant d’une certaine distance se remette entre nous, je remplis mes poumons de son odeur. « Ça me fait plaisir de te voir. Ça va, ça a pas été trop dur de quitter Mateo ? » Un sourire se dessine sur mes lèvres, à ses premiers mots, puis à l’évocation du petit garçon. « Ça va, il dormait quand je suis partie. La baby-sitter devrait passer une soirée tranquille. » Le contexte de mon départ a forcément joué, habituellement, il est difficile pour moi de le laisser comme ça, surtout à des inconnus, mais là, en face, il y a Nell. Celle que je considère comme l’amour de ma vie. « Tu es très jolie ! » Dis-je, alors que mon regard parcourt son corps. « Prête à perdre avant ton départ ? » Ces deux mots et mon coeur rate un battement. Depuis l’annonce qu’elle m’a faite la dernière fois, je pensais que j’avais accepté la chose, mais non. Néanmoins, face à elle, je dois garder la tête haute. « Je tâcherai d’être gentille, je ne voudrais pas que tu regrettes d’être venue. » Au contraire, si cette soirée pouvait lui donner envie de me revoir avant le jour de son départ, je prends. « On va manger ? Je t’invite. » J’avais parlé de cela la dernière fois où nous nous sommes vues, c'était plutôt dans l'autre sens, mais j'ai envie de l'inviter. Sur le parking de bowling, il y a une pizzeria et une sorte de brasserie. Je prends la direction de ce second restaurant, suivie de près par Nell. Il y aura plus de choix et ce soir, je ne dirais pas non à un hamburger.

Je ne prends pas le temps de réfléchir et mes bras s’enroulent autour de son corps pour la serrer doucement contre moi. Un accolade qui pourrait sembler la plus normale possible pour deux amies qui se retrouvent après un moment. Des amies. Je ne sais pas si je peux considérer Ainhoa comme tel, et encore moins si ce sera possible un jour. Elle restera toujours cette femme que j’ai aimée du plus profond de mon être. Mais qu’en est-il de l’avenir ? Je l’ignore. Je lui demande si ça a été, de laisser son fils. Je ne sais pas à qui elle l’a confié, mais j’imagine quelqu’un en qui elle a suffisamment confiance pour ne pas être trop perturbée par l’absence de son petit garçon ce soir. « Ça va, il dormait quand je suis partie. La baby-sitter devrait passer une soirée tranquille. » Je lui offre un large sourire, heureuse de voir qu’elle ne semble pas si stressée que j’aurai pu l’imaginer. Sans attendre, elle me gratifie d’un compliment qui me fait sourire à nouveau, mais d’une manière différente. Je baisse les yeux sur ma tenue que je trouve plutôt banale, même si j’ai mis du temps à trouver quoi porter. Pas le temps de la remercier qu’elle enchérit. « Prête à perdre avant ton départ ? » Cette fois, mon regard retrouve le sien. « Prête oui, même si je vais tout tenter pour garder un semblant d’honneur. » Je ne suis pas douée au bowling, je ne sais pas exactement ce qui coince dans ma posture, la manière de lancer cette foutue boule. Peu importe le poids ou les conseils qu’on m’a donné, ça finit la moitié du temps dans la rigole, et quand j’arrive à toucher les quilles, c’est plus par chance qu’autre chose. « Je tâcherai d’être gentille, je ne voudrais pas que tu regrettes d’être venue. » Je la regarde du coin de l’oeil. « Tu sais que je ne supporte pas qu’on me laisse gagner volontairement. » Une question de fierté. Et je sais qu’Ainhoa me connaît assez pour ça, elle ne se risquera pas à feinter une inaptitude, je le vivrai mal. Si je dois gagner, je veux que ce soit parce que je me suis bien débrouillée, non pas parce qu’on m’a offert la victoire. Celle-ci n’aurait aucune saveur.
La jeune femme me propose d’aller dîner. Elle m’invite. Je hoche la tête vivement et nous nous dirigeons du côté du restaurant, demandant une table pour deux. Il n’y a pas trop de monde pour le moment, et le brouhaha ambiant n’est pas trop désagréable. Je m’installe face à elle, retire ma veste et la regarde pendant qu’elle se déshabille. Pourquoi est-elle si belle ? « Tu es très belle toi aussi. » lui dis-je comme un écho à son compliment lancé un peu plus tôt. Je jette un regard sur la carte, je ne vais pas partir dans l’originalité, ni dans quelque chose de trop lourd. J’ai toujours fait attention à mon alimentation, pour tenir une condition physique convenable. Même si je sais me faire plaisir parfois quand j’en ai envie. « Ça me fait plaisir que tu aies accepté mon invitation. Je pensais pas que tu laisserais ton fils aussi petit… » Je ne pensais pas non plus qu’elle me choisirait moi, cette fois. Même si ce n’est que pour une soirée.

Lorsque mon regard se pose sur la jeune femme, mon cœur rate un battement. Les années sont passées et nous ne sommes plus un couple aujourd'hui et pourtant, je ne cesse de ressentir des choses pour elle. Ça ne peut pas changer comme ça, pas après cinq ans. « Prête oui, même si je vais tout tenter pour garder un semblant d'honneur. » Je n'ai aucun doute là-dessus. Malgré ses différentes défaites, la jeune femme ne baisse jamais les bras. Pour le bowling, mais pas que, pour tout le reste aussi. « Tu sais que je ne supporte pas qu'on me laisse gagner volontairement. » Elle veut avoir une victoire par elle-même, qui serais-je pour lui reprocher cela ? Et loin de moi de vouloir lui laisser la victoire sans même tout donner, j'ai un statut à tenir, il ne faut pas l'oublier. Sans attendre plus longtemps, je lui propose d'aller manger : il faut prendre des forces avant de livrer une bataille. À en voir la fréquentation du restaurant, les personnes viennent sûrement plus après avoir joué qu'avant. Nous sommes amenées à une table et lorsque je retire ma veste, Nell me complimente. « Tu es très belle toi aussi. » Un large sourire se dessine sur mes lèvres. « Merci. » Il ne faut pas qu'elle aille sur cette pente, il va être très difficile de la laisser partir sinon. Installée, mon regard parcourt le menu. « Ça me fait plaisir que tu aies accepté mon invitation. Je pensais pas que tu laisserais ton fils aussi petit… » Il est vrai qu’il est encore petit, mais il est important que l’on passe des moments séparés. Pour m’éviter de devenir folle et lui, pour qu’il puisse compter sur d’autres personnes. Trop le protéger, ce n’est pas la meilleure des idées. « Si je ne le fais pas là, je ne le ferais jamais. » Surtout pour elle. « Et puis.. je ne voulais pas te rater avant ton départ. C’est sûrement l’une des dernières occasions que j’aurais pour te dire au revoir. » Ou même adieu, mais ne parlons pas de cela tout de suite, n’en parlons même jamais. Rapidement, nous commandons à manger. Pour moi, ce sera hamburger et frite. C’est un peu un soir de fête, alors autant déroger un peu à une alimentation saine. La commande passée, mon attention se reporte sur la brune. « Tu es prête ? » Il est vrai que dit comme ça, ça reste un peu flou. Alors je poursuis. « Tu as retrouvé ton physique d’antan ? Tu as pu reprendre l’entraînement avec les autres ? » Si elle repart dans quelques jours, c’est sûrement le cas, mais je préfère l’entendre d’elle. Je m’intéresse à elle, je m’inquiète pour elle. « Je suis désolée. Ça ne me concerne plus, mais je ne peux pas m’empêcher de me faire du soucis pour toi. » Dis-je, tout en grimaçant légèrement. Je ne sais pas vraiment si j’ai le droit de lui dire cela, je n’ai sûrement plus la place pour ça.

Je la gratifie d’un compliment. Parce que je le pense sincèrement, et même si j’aurai pu m’abstenir, ça me fait plaisir de pouvoir partager avec elle ma pensée. Bien sûr que je la trouve belle, je l’ai toujours trouvée belle. Je lui avoue également être heureuse qu’elle ait accepté de faire garder son fils pour pouvoir partager cette soirée avec moi. Elle a raison sur une chose, si elle ne le fait pas maintenant, ça risquera d’être d’autant plus difficile avec le temps qui défile. Et puis, je pense que ce n’est ni bon pour elle, ni bon pour lui. « Et puis.. je ne voulais pas te rater avant ton départ. C’est sûrement l’une des dernières occasions que j’aurais pour te dire au revoir. » Je relève les yeux pour plonger mon regard dans le sien, avec une certaine intensité. Je ne sais pas si ça me fait du bien ou du mal, ce qu’elle vient de dire. Je sens l’émotion dans sa voix, je la connais si bien. « Tu es prête ? » me demande-t-elle finalement, presque de but en blanc. Je la regarde, un peu déboussolée par sa question soudaine. « Tu as retrouvé ton physique d’antan ? Tu as pu reprendre l’entraînement avec les autres ? » Ah. Prête à partir, donc. Je hoche un peu la tête, posant mes coudes sur la table, et approchant mes mains jointes de mon visage. « Oui, j’ai repris l’entraînement, ça se passe bien. C’est pas encore tout à fait comme avant, mais ça reviendra, j’ai bon espoir. Et puis je peux pas rester indéfiniment là à attendre que ça revienne. » Elle me connaît, elle sait que j’ai besoin de bouger, d’agir. « Je suis désolée. Ça ne me concerne plus, mais je ne peux pas m’empêcher de me faire du soucis pour toi. » Sa petite grimace tout à fait adorable me fait sourire. C’est plus fort que moi. « Tu sais, en dépit de ce qu’il s’est passé, s’il t ‘était arrivé quoi que ce soit, un accident ou quelque chose comme ça, moi aussi je m’inquièterai pour toi. C’est normal, avec tout ce qu’on a partagé. » Les bonnes et les mauvaises choses, d’ailleurs. Le mariage dit ‘unis pour le meilleur et pour le pire’. Je ne sais pas si les choses auraient été différentes si nous avions été mariées, mais la question ne se pose pas. « Ça me touche que tu t’inquiètes, mais je vais bien. Et je ferai attention, comme à chaque fois. » Même si je pourrai donner ma vie pour mon métier, c’est aussi pour ça que je me suis engagée dans l’armée. « Juste pour voir ta tête à mon retour. » Je ne peux réprimer un petit sourire narquois. Parce que je sais que si je rentre - je ne peux pas me permettre de dire ‘quand’ je rentrerai - elle sera l’une des premières personnes que je verrai. Mais j’ai besoin de repartir, pour ne pas rester sur cette tâche inachevée de ma dernière mission écourtée par ma blessure. J’ai besoin de finir ce que j’ai commencé. « Et toi, tu as repris le boulot ? » Je ne l’ai pas croisée sur la base ces derniers temps, j’imagine qu’elle est encore en congé maternité.

Inéluctablement, la conversation s’oriente sur le départ de la brune. En couple ou non, ça reste un sujet compliqué, car d’un côté ça lui tient à coeur et de l’autre, ça brise le mien. Selon moi, il est encore un peu tôt pour qu’elle retourne sur un champ-de-bataille, mais est-ce vraiment l’infirmière qui parle ou la femme qui éprouve toujours des sentiments pour elle ? « Oui, j’ai repris l’entraînement, ça se passe bien. C’est pas encore tout à fait comme avant, mais ça reviendra, j’ai bon espoir. Et puis je peux pas rester indéfiniment là à attendre que ça revienne. » L’idée qu’elle puisse partir sans être au top de sa forme m’effraie. Je sais qu’elle est forte et qu’elle s’en sortira très bien, mais déjà en tant normal, sans parler de blessure, je ne peux m’empêcher de me faire du soucis pour elle. Alors là.. Et si ses réflexes ne sont plus les mêmes ? Malheureusement, toutes ces craintes, je dois les garder pour moi, surtout que la jeune femme semble confiante face à tout cela. Ça n’apporterait rien de bon de l’inquiéter elle aussi. « Tu sais, en dépit de ce qu’il s’est passé, s’il t’était arrivé quoi que ce soit, un accident ou quelque chose comme ça, moi aussi je m’inquiéterai pour toi. C’est normal, avec tout ce qu’on a partagé. » Il est vrai que nous ne pouvons pas effacer cinq ans de notre vie comme ça, malgré tout ce qu’il s’est passé récemment. J’étais profondément amoureuse d’elle, je le suis toujours et ça ne disparaîtra pas en un claquement de doigts. « Ça me touche que tu t’inquiètes, mais je vais bien. Et je ferai attention, comme à chaque fois. » Un petit sourire se dessine sur mon visage. À chacun de ses départs, c’est toujours la même chose et même si mon corps tout entier est tétanisé à l’idée de la perdre, ses mots arrivent à me calmer, au moins le temps qu’elle parte. « Juste pour voir ta tête à mon retour. » Je suis surprise de l'entendre dire cela et je pense que ça se lit facilement sur mon visage. « À ton retour ? » Mon sourire s'élargit à mesure que j'assimile ses mots. Ma question n'est sûrement pas la bonne, mais elle m'a pris de court. Une fois partie, je ne pensais pas qu'elle souhaiterait me revoir. Je pensais que c'était le point d'arrêt de notre relation, quelle qu'elle soit aujourd'hui. « Et toi, tu as repris le boulot ? » « C'est pour bientôt, je profite de mes derniers jours. » Ou alors de ceux de Nell, c'est une question de point de vue. Une fois qu'elle sera repartie, il n'y aura plus que Mateo et moi, dans une routine que nous devrons trouver. « Mais.. je crois que ça me manque. » C'est une certitude même. Je voulais être mère c'est vrai, mais pas pour fuir mon boulot. Cette partie de ma vie est aussi quelque chose que j'aime beaucoup, c'est d'ailleurs là que j'ai rencontré mon ancienne petite amie. « Je ne suis pas faite pour être mère au foyer. » Au bout de quelques jours, je pense que je tournerais en rond et je finirais sûrement par devenir folle. J'applaudis les femmes qui décident de le faire, car on ne dirait pas comme ça, mais ce n'est pas de tout repos. « Néanmoins, ce n'est pas parce que je vais de nouveau être à l'hôpital, qu'il faudra que tu reviennes sur une civière. » Je prononce ces mots, comme dans l'attente d'une promesse de sa part. Je sais bien que ce n'est pas possible, elle n'est pas complètement maître de ce qui se passe là-bas, mais c'est comme ça que ça fonctionnait entre nous avant. Elle me faisait la promesse de me revenir en entière et je promettais de ne pas trop m'inquiéter. « Je te préfère sur pied. » C'est à ce moment-là que la serveuse revient avec nos plats. « On mange ? Bon appétit ! » Il ne faut pas oublier qu'après ça, une partie de bowling nous attend, nous n'avons pas de temps à perdre.

Je la rassure, je sens qu’elle en a besoin, et c’est ce que j’ai toujours fait jusque là. D’accord, nous ne sommes plus ensemble, mais je sais qu’elle tient à moi, et la réciproque est vraie. Je vois à son sourire que ça lui fait du bien, ce que je lui dis. Au moins, mes paroles ne sont pas vaines, c’est toujours ça. Et quand je parle de retour, je vois la surprise sur son visage. Evidemment que je vais rentrer. Enfin, s’il ne m’arrive rien. Mais je ne pense pas à ça, je ne le dois pas, si je ne veux pas m’attirer des ennuis. A mon tour de lui poser la question concernant son boulot. Son congé maternité devrait bientôt toucher à sa fin, et je crois que ça ne lui fera pas de mal de revenir sur la base, ne serait-ce que pour changer d’air et voir un peu plus de monde. Rester enfermée avec son fils, elle doit avoir les idées floues. Elle dit profiter des derniers jours avant la reprise. Je lui souris en hochant la tête. « Mais.. je crois que ça me manque. » affirme-t-elle sans tarder. Je m’en doutais. « Je ne suis pas faite pour être mère au foyer. » Je lâche un petit rire amusé. « Je ne sais pas quelle mère l’est vraiment. Même par choix, ça doit être tellement fatigant… » Je ne sais pas comment elles font. « Néanmoins, ce n'est pas parce que je vais de nouveau être à l'hôpital, qu'il faudra que tu reviennes sur une civière. »[/color] Mon sourire s’étire légèrement. C’est vrai que la dernière fois que je suis revenue de cette manière, ça a été pour le moins étrange. J’ai envie de lui répondre avec humour que si c’est le cas, je préfèrerai qu’elle ne soit pas enceinte à nouveau, mais je vais m’abstenir. Et puis, elle ne me doit plus rien. Plus de fidélité, puisque nous ne sommes pas en couple. Plus. « J’espère pas. » Elle sait pourtant que je ne peux faire aucune promesse à ce sujet. Parce que même si je fais attention, mon métier reste dangereux, et je ne peux rivaliser avec la vie. La serveuse revient avec nos plats, juste après qu’Ainhoa ait prononcé une phrase, simple mais qui me fait autant de bien que de mal. Je sens qu’elle est encore amoureuse de moi, et je le suis encore aussi, mais tout ça est si compliqué. A moins que ce ne soit moi qui rende les choses compliquées ? Est-ce que l’amour ne suffit pas, malgré les erreurs ? Je l’ignore.
Nous dévorons nos plats tout en discutant un peu de tout et de rien. Parfois je la regarde avec un peu plus d’insistance, quand elle ne me regarde pas. Je la trouve toujours aussi magnifique, et ça me brise le coeur d’être là en face d’elle sans pouvoir ne serait-ce que caresser sa main, assumer de la dévorer des yeux… Nos plats terminés, nous nous dirigeons vers les pistes de bowling. Je me sens lourde après ce bon repas, ça va pas m’aider à gagner ça. Enfin, même si j’ai pas besoin de cette excuse. « Bon, t’es prête à ce que je te mette la pâtée du siècle ? » Quoi ? On peut garder espoir non ?

« Je ne sais pas quelle mère l'est vraiment. Même par choix, ça doit être tellement fatigant... » Elle n'a pas tort. Peu importe l'amour que tu portes à ton ou tes enfants, faire une pause de temps en temps est important. Pour certaines femmes, c'est compliqué. Il faut dire que certaines coutumes persistes encore, mais heureusement, le monde change et évolue. Mon retour au travail me fait forcément penser au retour de la jeune femme, lorsque j'étais encore enceinte. C'est à l'hôpital que nous nous sommes rencontrées pour la première fois et c'est toujours là que j'ai la hantise de la croiser. Que l'on soit ensemble ou non, je ne lui souhaite pas de se retrouver là-bas. « J'espère pas. » Pour son métier, ça serait contraignant et même si elle ne le dit pas, chaque passage à l'hôpital impacte Nell. On ne parle pas de petites blessures liées à de banals accidents, c'est bien plus que ça, ce sont des traumatismes qui s'accumulent. Mais nous ne sommes pas là pour cela et je n'ai pas envie de la jeune femme y pense juste avant son départ. Alors une fois nos assiettes récupérées, nous parlons de toute autre chose, comme si finalement, il n'y avait pas toute cette histoire de bébé entre nous.

Le repas terminé, nous ne tardons pas à nous rendre au bowling. Nous chaussons de charmants souliers et nous gagnons la piste qui nous est assignée. « Bon, t'es prête à ce que je te mette la pâtée du siècle ? » Je la regarde, surprise de l'entendre dire cela. « C'est beau de rêver comme ça ! » Je la taquine. C'est comme ça entre nous, surtout au bowling. Ayant été la première à donner mon prénom, c'est à moi de commencer. Je saisis une boule et la lance. Six quilles tombent. C'est un début timide, mais avec un peu de chances, les lancers vont finir par s'améliorer. Enfin peut-être.. ce n'est pas le cas de ma deuxième qui file à toute vitesse dans la gouttière. « Je te laisse juste une chance de me battre. » Je peux bien me trouver une excuse, non ? Je suis peut-être arrivée ici un peu trop confiante. Mon tour passé, c'est maintenant à Nell. Je reste au loin, attentive à chacun de ses lancers. Très vite, c'est de nouveau à moi. Je récupère une boule et la lance, mais une nouvelle fois, celle-ci finit dans la gouttière. « Quoi ? Tu m'as lancé une malédiction, c'est ça ? » Dis-je, alors que je me tourne vers mon ancienne petite amie. Depuis que nous avons parlé de cette soirée, elle plante des aiguilles dans une poupée vaudou à mon image, c'est ça ? Je la regarde tout en plissant légèrement les yeux, suspicieuse. Pour mettre ces ratés derrière moi, je m'empresse de lancer une nouvelle boule. Ouf. Cette fois-ci, elle fait tomber quelques quilles, ça m'évitera le zéro pointé, mais ce n'est que cinq quilles, rien de bien fou. « J'ai peut-être perdu la main. » Dis-je, en haussant légèrement les épaules. Je ne viens ici qu'avec elle, alors forcément, je manque un peu d'entraînement aussi.