Laissez moi vous présenter, votre dîner (leïrah#2)

Là, j’ai la pression. Je regarde mes achats étalés sur l’ilot central de ma cuisine. Tous ces ingrédients pour la recette que j’ai choisit de préparer pour le diner de ce soir, autant d’invités imprévus dont je ne sais que faire. En théorie si, je sais, c’est écrit noir sur blanc sur ma tablette, mais dans les faits c’est différent. C’est bien la première fois qu’autre chose que des plats préparés se retrouvent dans ma cuisine. J’exagère à peine, je suis une catastrophe sur cet aspect de ma vie, ce n’est pas pour rien si mes amis m’ont offert des cours de cuisine. Je relève mes manches, sors la planche à découper et un couteau « Règle numéro un Leïka, on ne se coupe pas. ». Je me lance, me mettant à l’œuvre, la découpe des différents ingrédients étant de loin l’étape la plus simple de l’opération. Je suis pas à pas la recette, m’interroge un nombres incalculable de fois sur la bonne réalisation des étape et me prends la tête sur le dosage et l’assaisonnement. Certains trouvent vraiment ça relaxant de cuisiner ? J’ai plutôt l’impression d’être encore plus stressée qu’au boulot ! Shirah ne m’en voudra pas si je foire ma préparation, je le sais. Cependant je sais aussi qu’elle ne manquera pas de se moquer gentiment de moi. Je ne peux m’en prendre qu’à moi, j’ai décidé de relever le défi. Nous y voilà ! Tout semble en ordre, à peu près, même si c’est clairement le bordel dans toute ma cuisine. Coup d’œil sur l’heure, il est temps de ranger et faire un peu de nettoyage. Mon timing est bien calculé, je finis de rendre ma cuisine présentable dans les temps. Ne me reste plus qu’à lancer la cuisson et filer à la douche avant l’arrivée de mon invitée.
Je suis prête, aucune odeur de brûlée à signaler. Je prépare la table, confiante et détendue, ça va être une bonne soirée j’en suis convaincue. On sonne à la porte, aucun suspens, je sais de qui il s’agit. Je vais ouvrir et accueille Shirah avec un large sourire, ravie de la voir « Bonsoir. ». Je m’écarte pour l’inviter à entrer, laissant mon regard glisser sur elle « Tu es très jolie. » je ne suis pas avare de compliments, elle le sait peut importe le nombres d’années écoulées. « Je t’en prie, installe toi. » dis-je en désignant le canapé tout en allant vers la cuisine « Un verre de vin ? Ou tu préfères autre chose ? J’ai de la bière aussi. » évidemment, elle connaît mon amour pour cette boisson. Je la rejoins et fais le service, lui tendant son verre « Nous allons pouvoir trinquer à nos retrouvailles. » mon regard se fixe dans le sien, cette lueur complice que je chérissais tant n’est pas éteinte elle ne demande qu’à être ravivée.

Je me sens excitée comme une adolescente à son premier rancard. C’est dingue quand même ! Pourtant, ce n’est pas comme si j’avais quinze ans, ni que c’était mon premier rendez-vous avec Leïka. Mais il a un sentiment agréable, c’est grisant. Nous ne nous sommes pas vues depuis si longtemps, que la retrouver la dans la plus grand des hasards me donnerait presque le tournis. Je ne crois pas au hasard, j’ai plutôt tendance à penser que tous les évènements ne sont que des rendez-vous, à nous de les saisir. Je prends un temps assez correct pour me préparer. Je n’ai pas une infinité de choix concernant mes tenues. Je choisis cette petite robe que je me suis acheté sur le marché il y a quelques jours, et une paire de basket en toile pour un côté féminin et décontracté. Je discipline mes boucles et souligne mon regard d’un trait d’elle liner. C’est parfait.

C’est à l’heure que j’arrive à l’adresse donnée par mon ex petite-amie, et je frappe quelques coups contre la porte, attendant qu’elle vienne m’ouvrir. Une fois fait, mon sourire s’élargit en voyant le sien. Elle me gratifie d’un compliment et je lui réponds sans tarder. « Parle pour toi. » Elle est magnifique, elle l’a toujours été. Elle m’invite à faire comme chez moi, et je prends place sur le canapé, croisant ma jambe droite par dessus la gauche, avant de tirer légèrement sur ma robe, évitant de dévoiler un peu trop de centimètres de peau. Pas comme si elle ne m’avait jamais vu moins habillée que ça, mais tout de même. « Un verre de vin ? Ou tu préfères autre chose ? J’ai de la bière aussi. » Je tourne la tête pour la regarder, alors qu’elle me montre les deux bouteilles, dans chacune de ses mains. « Une bière avec toi, ce sera parfait. » J’adore le vin, mais je suis presque sûre qu’elle choisira la bière, alors autant l’accompagner. Elle revient avec nos bouteilles et je la remercie, avant de trinquer avec elle à nos retrouvailles. Mon regard parcourt l’intérieur de son appartement, j’aime ce qu’on y ressent, je me sens bien. Et puis, tel un petit chien, je me mets à renifler, sourire aux lèvres. « Ça sent super bon. Et tu n’as rien fait brûler, je le sentirai. Tu avais une bonne étoile au-dessus de ta tête ou tu as commandé et réchauffé mais tu veux pas me le dire ? » Je la regarde fixement, plissant légèrement les paupières pour tenter de sonder son âme. Même si elle me mentait je ne suis pas sûre que je serai en mesure de le déceler. Et à contrario si elle m’avouait avoir craqué pour un traiteur, je ne pense pas que je lui en voudrai. Tant qu’elle a essayé. Et puis, je ne suis pas là pour sa cuisine, ce n’était qu’un prétexte. Je suis là pour passer du temps avec elle.

Shirah est une belle femme, je ne ratais jamais une occasion de le lui dire à l’époque où nous étions ensemble et je ne manque pas de le faire à nouveau ce soir. La jolie brune me renvoie le compliment, mon sourire s’élargit et je lui propose de s’installer avant d’aller nous chercher à boire. Elle choisit de m’accompagner avec une bière, j’aurais pourtant misé sur le verre de vin. Je la rejoins et m’assois à ses côtés lui donnant sa boisson, nous trinquons dans la foulée. Je bois une bonne gorgée, cuisiner demande des effort puis du réconfort et la bière est parfaite pour ça. Mon invitée souligne la bonne odeur qui règne dans mon appartement, sans rien de brûlé et ça c’est une petite fierté personnelle. Evidemment cette réussite paraît un peu louche quand on connaît mon niveau déplorable en cuisine, pourtant il semblerait que je ne sois finalement pas une cause désespérée. « Aucun tricherie. J’ai tout fait, des courses jusqu’à la préparation. » répondis-je avec fierté « Tu as de quoi te sentir privilégiée. » ajouté-je dans un sourire complice. Au moins mes amis pourront se féliciter d’avoir eu cette idée des cours de cuisine. Il n’est pas encore question de retourner quotidiennement derrière les fourneaux, mais j’admets ressentir une certaine satisfaction pour avoir préparé moi-même se dîner. D’une geste de la tête je désigne le bol de chips « Ça par contre, j’avoue ce n’est pas fait maison. » j’ai quand même pris les plus saines, si tant est que des chips puissent l’être. Mais c’est beaucoup trop bon pour s’en passer. « Tu n’as pas peur d’être empoisonnée ? Parce que ça sent bon, mais c’est potentiellement horrible. » je hausse les épaules « Au pire on pourra toujours commandé quelque chose. Je ne te laisserai pas repartir la faim au ventre. » je ponctue ma remarque d’un regard entendu puis bois à nouveau. « Alors, comment ça se passe chez le père de ton fils ? » ça a le mérite d’être une situation originale. Probablement pas toujours simple à gérer, mais au moins elle voit Sacha, peut créer un lien avec lui. « Comment est-ce qu’il est ? » face à son regard interloqué je précise « Ton fils. Pas ton ex. ».

« Aucun tricherie. J’ai tout fait, des courses jusqu’à la préparation. » J’arque un sourcil, accompagnant ma mimique d’un sourire charmeur. « Tu as de quoi te sentir privilégiée. » « C’est tout à fait vrai, je me sens privilégiée. » Et c’est une sensation très agréable. Je ne vais pas le cacher. Elle m’avoue quand même ne pas avoir été jusqu’à faire elle-même les chips qui se trouvent dans le bol devant nous. Je lâche un rire amusé et en pique une avant de la mettre dans ma bouche. « Ça va, je te pardonne. C’est vraiment difficile à faire les chips maison. » Je hausse un peu les épaules et en pique une autre. Elle me demande si je n’ai pas peur d’être empoisonnée. L’odeur annonce quelque chose de très bon, si je me concentrais un peu mieux je pourrai même arriver à savoir avec quasi exactitude ce qu’elle a utilisé pour sa recette, que ce soient les ingrédients de base ou même les herbes et/ou les épices. Mais je garde ce plaisir pour tout à l’heure quand je goûterai son plat. « Au pire on pourra toujours commander quelque chose. Je ne te laisserai pas repartir la faim au ventre. » Je ris un peu et secoue la tête. « Mais non je suis sûre que c’est très bien. Tu as goûté non ? Un cuisinier goûte toujours son plat avant de le servir à qui que ce soit. Si c’était vraiment horrible, tu ne me le servirais pas, n’est-ce pas ? » J’ose espérer que ce soit le cas. J’ai bon espoir vu l’odeur qui se dégage de la cuisine.
« Alors, comment ça se passe chez le père de ton fils ? » Ça c’est une question intéressante. Ça me fait même un peu bizarre qu’elle soit si naturelle, alors qu’elle est pour ainsi dire la seule à être au courant de cette histoire, en dehors de Juan, évidemment. Je soupire un peu et hausse les épaules. C’est pas facile, forcément. Il préfèrerait me voir loin, et j’aurai préféré ne pas avoir à lui faire de chantage. Mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour renouer avec mon fils. « Comment est-ce qu’il est ? » me demande-t-elle sans réponse de ma part. Et je suis un peu surprise, pensant évidemment qu’elle parle de Juan puisque c’est de lui dont était question sa précédente interrogation. « Ton fils. Pas ton ex. » Je lâche un rire un peu soulagé. « Je me demandais si j’allais devoir te décrire mon ex, c’était lunaire ! » Je bois une gorgée de ma bière et soupire un peu en laissant mes pensées divaguer vers Sacha. « Il est.. beau. Mon dieu qu’il est beau. » Je souris cette fois, le regard qui divague légèrement. « J’arrive à bien parler avec lui, contrairement à sa mère adoptive, qui semble un peu dépassée. » Un haussement d’épaules me ramène à la réalité. « Mais ça fait du bien de le retrouver oui. Je suis encore assez indécise sur la manière de faire pour qu’il comprenne qui je suis, mais ça viendra, je ne veux pas précipiter les choses. » Je continue de me livrer à elle si naturellement que j’ai la sensation que nous ne nous sommes jamais séparées, et la sensation est très agréable.

Il y a peu de gens pour qui je sois capable de me dépasser comme ça. Mes amis, au nombre assez restreint et puis Shirah, même après toutes ces années durant lesquelles je ne pensais jamais la revoir. Tout a toujours été facile avec elle, pourtant le contexte de l’époque ne l’était pas vraiment. Peut-être de savoir notre temps ensemble limité, a contribué à ce que nous profitions sans nous prendre la tête. Aujourd’hui les circonstances sont un peu différentes, mais elle m’a mise au défi, elle connaît ma compétitivité, et c’était un bon prétexte pour passer du temps en sa compagnie. Je me suis donc pliée à l’exercice périlleux de préparer un dîner complet. Pas totalement confiante du résultat, je suis prête à lui offrir un plan B si ça s’avère nécessaire. La jolie brune est plus confiante que moi. Goûter ? Merde… J’étais tellement concentrée sur tout le reste que je n’y ai même pas pensé. J’esquisse un sourire et hoche la tête « Oui, bien sûr. » rétorqué-je avant de boire une gorgée d’alcool. Quelle conne ! Evidemment que j’aurais dû goûter. Nous aurons le verdict dans quelques minutes, la surprise sera totale pour nous deux comme ça. Je change de sujet, questionnant Shirah sur sa nouvelle vie, les retrouvailles avec son ex, la vie sous le même toit mais surtout comment ça se passe avec son fils. C’est un secret bien gardé, peu de gens savent qu’elle est mère et cette fois c’est moi qui me sens privilégiée d’avoir eu accès à cette information. Un réel témoignage de confiance à mon égard, et la preuve que ce que nous avons vécu était bel et bien authentique, sincère.
Petit quiproquo quant à ma question initiale, la brunette à cru que je m’intéressais à son ex, je ris et lève les yeux « Je ne doute pas qu’il soit un homme charmant, mais… » je fais une légère moue, elle comprend tout de suite ce que je veux dire. Son attitude change légèrement quand elle pense à son fils, l’amour maternel est quelque chose de particulier et j’en sens la portée en observant Shirah. Son sourire, la lueur dans son regard même sa manière de parler de lui et de leur relation naissante. Bien sûr elle a des doutes, la situation est complexe, et lui avouer qui elle est vraiment ne sera pas simple. Je lui souris et pose une main sur son genou « Je suis sûre que ça se passera bien. Tu veux son bonheur. Tes intentions sont bonnes et il le sentira. » parce qu’ils sont liés malgré tout, c’est indéfectible. « Sa mère adoptive est sympa ? Tu ne la “déteste“ pas trop ? » demandé-je, curieuse de savoir comment cette étonnante cohabitation se passe, ce qu’elle pense de cette femme qui finalement pourrait faire figure de rivale.

C’est agréable de pouvoir parler ouvertement avec quelqu’un sans choisir mes mots pour être sûre de ne pas dire de connerie qui pourrait me trahir. Avec Leïka, je ne réfléchis pas, et c’est extrêmement rafraîchissant. Je lâche même un soupir avant de répondre à ses questions. Pouvoir parler de toute cette histoire avec quelqu’un c’est revigorant. Je réponds donc à sa question, avec le plus d’exactitude possible. Je me sens quand même un peu perdue sur un point, et je lui en fais part sans m’en cacher. Je sais me montrer vulnérable face à certaines personnes, bien choisies. La main de la brunette se pose sur mon genou, et ce simple geste me donne une impression de déjà vu, tout en me provoquant un long frisson. « Je suis sûre que ça se passera bien. Tu veux son bonheur. Tes intentions sont bonnes et il le sentira. » J’aimerai qu’elle ait raison, mais c’est un peu plus compliqué que ça n’y paraît, même si elle connaît le plus gros de l’histoire. Mais je sens bien que Sacha ressent lui aussi ce lien qui nous lie, même s’il ne le comprend pas. Pas encore. Il m’a parlé de ce rêve qu’il fait souvent, de cette berceuse dans une langue inconnue qu’il entend parfois dans ses rêves. C’est ce que je lui chantais quand il était tout bébé. Mais ça, je ne lui en ai pas encore parlé, c’est trop tôt, et peut-être aussi que j’ai encore trop peur de tout ce que ça pourrait provoquer dans la famille. Juan l’a bien cherché, mais Eliza et Sacha eux, n’ont rien demandé. « Sa mère adoptive est sympa ? Tu ne la “déteste“ pas trop ? » Si elle savait… Je secoue un peu la tête en souriant, plus amusée qu’autre chose. « Non, elle est vraiment gentille, la pauvre, elle se doute vraiment de rien, elle n’imagine pas à quel point l’homme à qui elle est mariée est une ordure… » Je hausse un peu les épaules et poursuis. « Je me suis toujours bien entendue avec elle, et c’est toujours le cas, étrangement. Je sais qu’elle s’est bien occupée de Sacha, c’est le plus important. Et ça me fait mal au coeur de me dire qu’un jour, bientôt, je vais presque lui ‘enlever’ son fils, même si c’est pas vraiment comme ça que ça se passera, mais je vais un peu briser sa vie. Je vois pas comment je pourrai lui en vouloir… » C’est plutôt à moi que j’en veux, à moi qu’elle en voudra - et à ce connard de Juan aussi. Un nouveau soupir fait remonter mes épaules et je secoue la tête. « Mais ne parlons pas du bordel que ça va faire, j’ai pas envie de plomber la soirée. Et ce merveilleux repas que tu m’as préparé avec amour. » Après ce terme très précis, je lui adresse un sourire et pose ma main sur la sienne. « J’ai faim ! »