you teach me and I teach you ? (lessa 1)

« Tu reviens comme une fleur et tu voudrais qu’on accepte que tu viennes travailler à l’institut ? Tu nous as menti toutes ces années et tu… » « S’il te plait. » Je regarde une par une ma mère puis ma grand mère se disputer mon entrée à l’institut Beaumont. Il a fallu que je prenne sur moi, que je mette de côté fierté et ego pour en arriver là, à presque supplier ma famille de me donner une chance. Une seconde chance. Je sais que je les ai trahis, d’une certaine façon. Parce que partir à Paris à peine ma majeure, et ne jamais rien leur dire de min activité sur place, j’ai eu du cran. Peut-être un peu de bêtise aussi, mais je ne voulais rien leur devoir. Or je suis ici aujourd’hui, piétinant ce qu’il me reste de dignité. J’entends encore les paroles de Tatiana dans un coin de ma tête, qui me disait pas plus tard qu’hier que j’avais ma place dans cet institut, pas moins qu’une autre fille Beaumont. La différence pour ma mère, c’est que j’ai choisi de ne pas porter son nom, et je sais que ça l’a beaucoup blessée. Les deux générations en face de moi se hurlent dessus pour savoir qui aura le dernier mot, pendant que je reste silencieuse à juste les regarder. Et quand elles en ont fini, c’est grand mère qui tranche. « C’est d’accord. » Je déglutis avec difficulté. « En période d’essai. » Renchérit ma mère. Bien bien bien.

C’est mon premier jour. Je vis encore chez Violet provisoirement, mais je dois aller visiter deux appartements demain, avec bon espoir de me trouver un petit cocon rien qu’à moi. Je suis stressée. Ici, tout le monde a entendu parler de moi, ça se voit dans le regard de chaque personne que je croise et à qui je souris poliment. J’ai tenu à garder mon nom, je suis Mme Gauthier. Selon les conventions françaises, une femme qui a été mariée ne peut plus se faire appeler mademoiselle, même après divorce. Et puis, je ne suis même pas encore officiellement divorcée. Après un tour dans les vestiaires pour revêtir ma veste de cuisine et mon tablier, je remonte mes cheveux dans un chignon déconstruit et me rends dans la salle où se trouve ce matin une petite réunion de personnel. Sûrement pour annoncer mon arrivée de manière officielle, ce qui ne m’enchante pas le moins du monde. Une fois la torture passée, je suis mise en binôme avec une jeune femme, pour me former sur le tas à l’apprentissage de l’apprentissage. Quelle ironie. Moi qui ai tenu seule trois pâtisseries de renom et plusieurs équipes pendant plus de deux ans. « Salut, professeure… » Je baisse les yeux sur son badge où il est inscrit ’N. King’ « …King. » Je lui adresse un large sourire et lui tends la main de manière enjouée. « Je suis Léo. Enfin Léonie mais je préfère Léo. Gauthier. » Gauthier-Beaumont, en fait, mais ce n’est qu’un ‘détail’. « C’est toi qui va me guider aujourd’hui alors, tu es là depuis longtemps ? »

- And every time I try to fly I fall, Without my wings, I feel so small - Comme chaque matin sur les coups de 06h00, le titre de ma chanteuse préférée aka Britney Spears retentissait dans ma chambre à coucher pour me faire comprendre qu'il était grand temps de se lever afin d'affronter une nouvelle journée de boulot et mine de rien sortir des bras de Morphée au son d'Everytime était tout de suite beaucoup plus agréable... En moins de deux, ma douche était prise et mon café au lait était avalé, il n'y avait plus qu'a récupérer mon sac où se trouvait mes affaires de travail que j'avais préalablement préparé la veille... Oui ma routine matinale était comme une recette de cuisine ! Afin d'être dans les temps tout devait être minutieusement calculé. Déformation professionnelle ? Oui sans doute mais je n'aimais pas être en retard et encore moins à cette époque de l'année où le rythme était doublement soutenu.

Voiture garée sur le parking de l'institut, je ne cessais de réfléchir à comment sortir la plus belle buche de Noël 2020 ! A l'institut Beaumont, le dessert des fêtes de fin d'année était un événement on ne peut plus important dans le milieu culinaire et chacun des chefs se battait pour sortir le plus beau de desserts. Bien évidemment, nous n'étions pas seul, c'était un travail d'équipe, les groupes étaient cette année composés de deux chefs et de quatre élèves de première année... Ce qu'il y avait à gagner ? Un article dans l'un des journaux les plus populaires du milieu et même si je n'étais pas là pour écraser les autres se voir attribuer le plus beau dessert était tout de même gratifiant. Reste à savoir avec qui je mènerai a bien ce défis.

Après avoir noué mes cheveux et enfilé ma blouse de travail où était inscris en lettre bleu mon nom de famille ainsi que mon prénom, je me dirige vers la salle Richelieu, la salle reversée aux réunions. Cette petite séance d'information à pour but de nous informer de l'arrivé d'une nouvelle professeure qui accessoirement sera celle avec qui je vais bosser sur cette fameuse épreuve.

Nous nous retrouvons quelques minutes plus tard au milieu de la cuisine. Les élèves avec qui nous allons travaillé eux ne sont pas encore arrivés. ''Allons-y pour Léo alors...'' Je sers cette main tendue en guise de salutation.  ''Tu peux m’appeler Nessa.'' Mon ton se veut accueillant même si je reste méfiante. Après tout elle n'est pas n'importe alors autant prendre quelques précautions. ''Euh ouai... Je pensais que ta famille t'aurais briefé sur le sujet mais pas de soucis. Si tu veux chaque groupe doit présenter une buche de Noël et la plus originale sera sélectionnée pour le repas qu'organise l'institut... Du coup toi & moi faut qu'on trouve la bonne idée que ce soit sur la présentation, le goût, le choix des mélanges..'' Je laisse pour le moment ma folie douce au vestiaire ne sachant pas vraiment quel genre de personne se tient devant moi. ''J'ai déjà pensé à deux trois petits trucs mais tes idées sont les bienvenues.''

« Tu peux m’appeler Nessa. » m’affirme-t-elle sur un ton que je peine à distinguer. Il y a un peu de méfiance dans son regard j’ai l’impression. En même temps, je suis une Beaumont, et tout le monde le sait, même si je me présente comme étant une Gauthier. C’est ce que je suis, une Beaumont-Gauthier, mais je n’ai pas pour habitude de me présenter comme la fille de cette cuisinière française si connue ici à L.A. « Euh ouai... Je pensais que ta famille t'aurais briefé sur le sujet mais pas de soucis. Si tu veux chaque groupe doit présenter une buche de Noël et la plus originale sera sélectionnée pour le repas qu'organise l'institut... Du coup toi & moi faut qu'on trouve la bonne idée que ce soit sur la présentation, le goût, le choix des mélanges.. » Je bois ses paroles, elle est professionnelle, ça se sent tout de suite, on est pas là pour rigoler. Je hoche la tête comme pour lui signifier que j’ai compris ce qu’elle vient de me dire, et mieux, j’ai assimilé. Maintenant, il nous reste qu’à passer au travail. « J'ai déjà pensé à deux trois petits trucs mais tes idées sont les bienvenues. » Des bûches de Noël, j’en ai fait un paquet, entre les années où j’ai travaillé pour d’autres, et celle où j’ai eu ma propre pâtisserie, je suis rôdée sur le sujet. Mais je sais que dans ce métier - comme dans beaucoup d’autres - on a toujours à apprendre, et je ne suis pas du genre miss-je-sais-tout. L’humilité fait partie de mes qualités, et je ne compte pas me montrer sous un jour désagréable, surtout pas mon premier jour de boulot. « Tu peux peut-être commencer par me dire ce à quoi tu as pensé, et si j’ai des idées, je rajouterai ma touche. Enfin, on en parle quoi. » On travaille en équipe, c’est le but que d’apporter sa petite touche perso.
Je prends le temps de détailler la jeune femme, son attitude, sa manière de parler, de se mouvoir. Son petit air à la fois assuré et un peu espiègle me charme complètement, et l’espace d’un instant, j’oublie toute mon histoire et ce pour quoi je suis là. Finalement, ça pourrait ne pas être si désagréable, si on oublie que je dois me tenir à carreaux et ne pas faire un pas de travers. Je vais faire de mon mieux.
Les élèves avec qui nous allons travailler ne sont pas encore arrivés et je profite de ce temps seule avec mon nouveau binôme. Je la laisse dessiner pour me montrer ce qu’elle a pensé, tout en m’expliquant chaque matière, chaque goût,, chacun de ses choix. Je reste silencieuse, j’acquiesce. « Et si à la place ici on mettait quelque chose de plus croquant, peut-être un peu de nougatine. » Je sais, ce n’est pas tellement quelque chose qu’on utilise pour les bûches de Noël habituellement, mais j’aime l’originalité. « On a tous besoin d’un peu plus de croquant dans la vie… » Est-ce que je me suis montrée très légèrement plus charmeuse en disant ça ? PEut-être bien, il faut croire que c’est un talent naturel.

Lorsque mon restaurant a fermé, je n'ai pas hésité très longtemps avant de trouver une nouvelle façon de gagner ma vie... Avec du recul, je peux même dire que cette épreuve m'aura rendu service. En effet, rebondir n'a pas été un problème dans le sens où l'apprentissage a toujours été très important pour moi.. Honnêtement, il n'y a pas meilleure satisfaction que de voir quelqu'un s'émerveiller lorsqu'une pâtisserie s’avère réussie ou encore voir cette petite étincelle dans l’œil de la personne qui se trouve derrière les fourneaux. C'est un spectacle dont je ne me lasse pas et dont je ne me lasserai sans doute jamais...

Enseigner oui mais pas n'importe où.... La famille Beaumont et l'institut en lui même m'ont toujours fasciné... Étant une adepte de la cuisine Française de qualité je ne me voyais pas travailler ailleurs que dans prestigieuse école et puis l'avantage c'est qu'ici on apprends certes mais on continuer à cuisiner lors des challenges organisés par Madame la Directrice. Tout ça pour dire que j'en connais un rayon sur les divers membres de cette famille. Toujours est-il que je préfère me faire mon propre avis sur la demoiselle qui vient tout juste d'arriver...  Malheureusement beaucoup parlent sans savoir en se contentant de se fier à d'éventuelles rumeurs mais je ne suis pas comme ça ! Comme dirait Saint-Thomas : Je ne crois que ce que je vois !

Sa réponse concernant notre future organisation me satisfait. Léonie n'est pas là pour imposer ses idées sous prétexte que c'est une Beaumont... Politesse ou pure gentillesse ? Je ne tarderai pas à le découvrir... Toujours est-il qu'elle vient de marquer un bon point...  ''Ok parfait.'' Un sourire apparaît sur mon visage. Autant je suis douée pour raconter des bobards autant quand on me regarde on lit en moi comme dans un livre ouverts, mes yeux et mon sourire parlent très souvent à ma place.

''Du coup, je garderai bien la forme rectangulaire de la buche tout en la présentant comme un mille feuille. On resterait dans le thème tout en étant originale. Pour les biscuits j'avais pensé à l'amande et pour la mousse du premier étage partir sur du chocolat blanc... Mais après je suis un peu perdue..'' Faut dire que ce dessert me trotte dans la tête depuis déjà un petit moment et j'ai vraiment envie que tout soit parfait ! Ouai j'ai envie de gagner pour une fois !  Afin d'illustrer mes explications, je gribouille sur une feuille de papier le croquis de cette proposition, c'est un peu grossier mais on se rend compte de ce à quoi j'ai pensé... Mon binôme ne tarde pas à intervenir.  ''Ben pourquoi pas ouai.... Ça coute rien d'essayer.'' Bien que très sérieuse, je ne peux m’empêcher de rire lorsque qu'elle parle de croquant dans la vie.  ''Et je suis d'accord...  Ca me ferrait du bien d'avoir quelque chose à croquer en ce moment..'' . Euh ouai voilà que mon naturel revient un peu trop rapidement au galop. Je rigole à nouveau tout en prenant conscience de ma connerie ''Enfin je veux dire que ca me ferrait du bien de me changer les idées.'' Je risque vraiment de passer pour une cruche mais tant pis le mal est fait et puis ça fait du bien de vider un peu son sac même si dans le fond je n'ai pas raconté grand chose. Parait-il qu'il est toujours plus facile de parler à des ''inconnus''. ''Bon nougatine on a dit ?'' J'essaye de me reconcentrer tant bien que mal mais clairement cette légèreté est la bienvenue.

Je ne suis pas là pour me faire des ennemis, clairement pas. Alors quand on m’assigne un binôme pour ma première mission, je fais en sorte que ça se passe bien. Cette Nessa est tout à fit agréable pour le moment - autant qu’elle l’est à regarder - et je me sens à l’aise pour être plus naturelle, et moins crispée comme je l’ai été pendant la ‘réunion’ de présentation. Je m’en serai bien passée. Je propose alors à la jeune femme de m’expliquer ses idées, avant de potentiellement proposer les miennes. Je n’importe rien, je ne suis là que depuis une heure à tout casser, je n’ai pas la prétention de faire comme si j’étais chez moi, même si dans un sens, ça devrait être un peu le cas, puisque c’est l’institut que dirige les femmes de ma famille.
Lorsque la jeune femme m’explique ses idées, je la sens passionnée. Je bois presque ses paroles, c’est agréable. Elle a pensé à ce dessert pendant longtemps, ça se sent. Je la dévore des yeux pendant qu’elle est concentrée sur le dessin de sa bûche, et lorsqu’elle se tourne vers moi pour me demander son avis, je le lui donne volontiers, sans pour autant imposer quoi que ce soit. J’ai de l’expérience, j’ignore si elle connaît mon parcours, j’en doute. Parce que même ma famille n’en sait pas grand chose. Et cette jolie Nessa n’aurait pas eu le temps de se renseigner sur moi puisque je ne suis là que depuis peu de temps.
Ma proposition ne lui déplait pas, visiblement. Elle ne m’envoie pas bouler, et c’est tant mieux. Je me montre un peu taquine, presque charmeuse quand j’appuie sur le croquant de la vie. J’ai vécu assez de déceptions pour savoir qu’il faut la croquer à pleines dents, cette vie. « Et je suis d'accord...  Ca me ferait du bien d'avoir quelque chose à croquer en ce moment.. » Je penche légèrement la tête sur le côté, un sourire mutin étirant le coin de mes lèvres. Voyez-vous cela. Je n’aurai pas imaginé qu’elle plonge aussi facilement dans ce petit jeu de joutes verbales. Elle rit. Ce son mélodieux me ravit les tympans. J’aime ce que je vois, elle n’est pas si fermée qu’elle a voulu laisser sembler. « Enfin je veux dire que ca me ferait du bien de me changer les idées. » Je hoche alors la tête sans me défaire de ce sourire amusé. « C’est important, de se changer les idées. » Et je pourrai même l’y aider, mais il est encore un peu tôt pour lui proposer d’aller boire un verre, ou que sais-je. Après tout, on ne se côtoie que depuis quelques dizaines de minutes à peine. Mais ce début de discussion est très agréable. « Bon nougatine on a dit ? » Je hoche un peu la tête. « Ça vaut le coup d’essayer, je pense. Après tout, si on n’essaie pas, on ne sait pas si ça peut fonctionner ou pas. » Je suis probablement en train de faire des sous-entendus l’air de rien. J’aime jouer avec les mots, ils ont un pouvoir infini. Je m’appuie sur la table dos à cette dernière, mes fesses simplement appuyées et mes mains à plat près de ces dernières. Je demande alors à la jeune femme. « Ça fait longtemps que tu bosses ici ? »

Je plaisante de bon cœur et cela me fait du bien mais au fond suis-je prête à me lancer dans une nouvelle histoire même si cette dernière doit être légère ? Très bonne question ! Depuis ma séparation avec cet imbécile qui n'a pas trouvé meilleure idée que de remplacer ma pilule par des bonbons à la menthe je n'ai jamais eu l'occasion de sortir dans le but de dragouiller et de mettre quelqu'un dans mon lit.... Et ça ne me manque pas spécialement ! Je pense aussi que cette supercherie dont j'ai été victime m'a fait beaucoup de mal et a crée une sorte de frayeur vis à vis de mes relations avec les hommes.... Vous savez quand on se retrouve enceinte sans s'y attendre forcément ça laisse des marques... Ce qui me fait penser que je n'en ai encore jamais parlé à personne sauf à mon médecin bien évidemment.... Je ne sais même pas si je vais le garder vu que de base je n'en voulais pas forcément.... Tout se mélange dans ma tête....

Et si au contraire sortir et ''m'amuser'' me permettait de tirer sur trait sur cette histoire et de passer à autre chose ? Je suis mitigée.... ''Oui c'est important..'' Je crois qu'elle est en train de me convaincre et le fait qu'on ne se connaisse que depuis quelques minutes joue clairement en sa faveur.

Je ne fais pas trop attention à ce nouveau sous entendu étant vraiment ''focus'' sur cette fameuse buche de Noël. ''Je pense comme toi ! De toute façon, on ne va pas se mettre à cuisiner maintenant on verra demain.'' Les élèves n'étant pas présent ça ne sert à rien de commencer sans eux mais le fait d'avoir trouvé un semblant d'idée et déjà une première étape de franchie.


Visiblement Léonie souhaite faire plus ample connaissance ; ça ne me dérange pas partant du principe qu'on fait toujours du meilleur boulot lorsque' on s'entend bien avec son binôme. ''Trois ans dans quelques semaines.... Ça passe si vite.... Faut dire que je suis tellement fière de travailler pour l'institut que je ne vois pas le temps passer...'' On sent la sincérité de mes propos et ce n'est pas de la lèche car je suis loin d'apprécier tous les membres de cette famille. Pour l'instant, je n'ose pas lui demander ce qui l'a poussé à venir travailler ici, le sujet peut être casse gueule. ''Écoute, tu m'as convaincu avec ton changement d'idée alors si tu veux qu'on sorte c'est maintenant ou jamais....'' ajoutais-je en rigolant.

« Je pense comme toi ! De toute façon, on ne va pas se mettre à cuisiner maintenant on verra demain. » Oh, je pensais entrer rapidement dans le vif du sujet, mais visiblement , ce n’est pas ce qu’on va faire. Je ne sais pas si je suis déçue ou plutôt contente de commencer en douceur. J’en profite alors pour m’intéresser davantage à elle, savoir depuis combien de temps elle travaille ici. « Trois ans dans quelques semaines.... Ça passe si vite.... Faut dire que je suis tellement fière de travailler pour l'institut que je ne vois pas le temps passer… » Je sais combien cet institut est d’une renommée impressionnante, je n’ai sûrement pas le même engouement qu’elle à ce propos, mais je peux comprendre qu’elle soit aussi heureuse de travailler ici. Je me contente d’un léger sourire et d’un hochement de tête, simplement pour lui signifier que j’ai bien entendu - et compris - sa réponse à ma question. Je n’ai pas besoin de penser à une nouvelle question à lui poser qu’elle reprend déjà. « Écoute, tu m'as convaincu avec ton changement d'idée alors si tu veux qu'on sorte c'est maintenant ou jamais…. » Son rire m’arrive jusqu’aux tympans, et j’en ai presque un petit frisson. C’est étrange. Je ne peux réfréner un sourire conquis, et hoche vivement la tête. « Ok alors allons-y ! » Je je vais pas louper cette perche qu’elle me tend, cette occasion en or de me retrouver seule avec elle quelque part ailleurs qu’ici.

Nous quittons donc l’institut, pour nous diriger vers un café qui se trouve vraiment tout près, histoire de ne pas s’éloigner trop, et être en mesure de retourner bosse rapidement. Je m’installe en face d’elle et commande un café. Il est encore tôt, mais l’idée de partager avec elle un moment de ce type me remplit de joie. Etrangement. Je ne la connais même pas, mais elle me semble si intéressante que j’ai très envie de la découvrir. « Donc tu me disais, 3 ans à l’institut. Ça va, tu as tenu plus longtemps que d’autres… » Je ris un peu. C’est vrai que je me suis renseignée, même en restant loin d’ici. Ma mère est loin d’être une directrice facile, elle a beaucoup de caractère, comme toutes les Beaumont, de toute manière. « Tu as l’air de beaucoup t’y plaire en tout cas. Et avant ça, tu faisais quoi ? » Mon regard planté dans le sien, je ne la lâche pas des yeux, lui faisant part dans une attitude non verbale, de ma véritable attention envers elle.

''Ok alors allons-y !''Je ne me souviens pas exactement de la date mais je sais que ça fait des mois que je n'ai pas eu l'occasion de sortir ''entre copine'' et c'est en partie de ma faute.... Oui, ces derniers temps suite à ce qui s'est passé avec mon ex petit-ami j'ai ressenti le besoin de me retrouver seule avec moi même et d'éviter les nouvelles rencontre.... Difficile de se remettre en selle quand on a été trahis de cette façon et bien évidemment ma grossesse n'a pas arrangé les choses.... Heureusement que pour l'instant ça ne se voit pas, je redoute de plus en plus le moment où corps va commencer à se transformer..... Je ne sais d'ailleurs toujours pas si je vais le garder..... Je suis tellement partagée que je ne sais pas sur quel pied danser et s'en est vraiment perturbant.... Bref à moi de me changer les idées une bonne fois pour toute peut-être qu'après cette sortie avec Léonie les choses seront plus claires.... J'en doute mais sait-on jamais.....

M'installant sur une des chaises du café, cette petite parenthèse s'avère déjà très appréciable. ''C'est vrai'' Je rigole. Elle ne se gêne pas pour tacler un peu sa famille, j'ai de plus en plus l'impression qu'elle ne s'entend pas trop avec le reste du clan Beaumont et qu'elle prend un malin plaisir à le faire savoir. C'est perturbant vu qu'ils sont mes employeurs et pourtant la franchise est une qualité qui m'a toujours beaucoup plus chez quelqu'un d'autre. ''Mais tu sais je ne suis pas malheureuse.... Tant qu'on fait le travail demandé ça passe et il suffit parfois de se blinder pour ne pas se laisser avoir par les réfléxion...'' Franchement, j'ai eu de la chance ! Je n'ai jamais eu à faire aux foudres de la directrice ! Je me suis déjà pris la tête avec d'autres chefs mais au niveau de l'administration ça s'est toujours plutôt bien passé.

''Et bien je n'aime pas beaucoup en parler quoi que je suis contente d'être là où je suis aujourd'hui.'' Je m’arrête quelques secondes le temps que le serveur dépose nos deux tasses et retourne à ses occupations. Je suis aussi un peu gênée par le regard de la demoiselle qui ne cesse de me fixer depuis toute à l'heure. Disons que je n'ai pas l'habitude qu'on me regarde avec insistance... Pour autant je ne le prend pas mal, j'ai l'impression qu'elle cherche vraiment à savoir qui je suis et qu'elle n'est pas juste sympa parce qu'on bosse ensemble. ''J'avais mon restaurant, je proposais des plats végétariens, des burgers surtout mais je pense que j'étais en avance sur mon temps.... Ca a marché les premiers temps et puis un centre commercial s'est installé deux rues plus loins avec leurs chaines de restaurants à deux balles et je n'ai pas survécu...'' Bien évidemment que je l'ai encore un peu en travers de la gorge mais encore une fois je ne regrette pas ce changement. ''Et toi, qu'est-ce qui a motivé ton retour à l'institut ?''

« Mais tu sais je ne suis pas malheureuse.... Tant qu'on fait le travail demandé ça passe et il suffit parfois de se blinder pour ne pas se laisser avoir par les réfléxion… » Je me contente d’un sourire. Sa réponse ne m’ étonne pas. Ce milieu est un peu pourri, quand on y a mis les pieds. Et ma famille n’y fait pas exception, j’en ai largement assez entendu parler. Mais j’ai la sensation que la jeune femme assise près de moi a assez de caractère pour s’en sortir, et assez de douceur aussi pour s’éloigner des potentiels conflits. Ma mère peut être un vrai tyran quand elle s’y met, et elle sait à qui elle à à faire. Elle a toujours été assez bonne visionnaire quand il s’agissait de sonder les gens. En général, les innocents peuvent être tranquilles, mais il ne faut pas se mettre sur ses plates bandes, ou un jour lui tenir tête, ou il en est fini de vous. Je me demande encore comment ma grand mère a bien réussi à la convaincre de m’embaucher à l’institut.
Pour continuer sur ma lancée et faire connaissance avec la jeune femme, je lui demande d’où elle vient, ou plutôt ce qu’elle faisait avant. Sa réponse ne se fait pas attendre, elle n’aime pas en parler, et je le respecte. Je connais ça trop bien. Je hoche alors la tête, juste pour lui signifier que je comprends et je ne creuserai pas. Elle me parlera que de ce dont elle a envie de me parler. Le serveur revient avec nos commandes et j’en profite pour observer un peu la jolie brunette, discrètement. Et puis, contre toute attente, elle commence à se livrer, à parler de son ancienne activité. Je l’écoute avec attention, grimaçant un peu sur la fin de sa réplique. Je connais la faillite, moi aussi, mais pour des raisons différentes. « Et toi, qu'est-ce qui a motivé ton retour à l'institut ? » enchérit-elle sans tarder. Je fais une petite moue avant de rire. « Oulà, longue histoire… » Et je ne suis pas sûre d’avoir envie de lui en parler immédiatement, c’est long, et lourd surtout. « Disons que j’ai été forcée de changer de vie. Radicalement. » Je glisse le sucre dans mon café et y plonge ma cuillère, de manière un peu distraite. « C’est pas vraiment un choix, si tu veux tout savoir. Je m’en serai bien passée, mais c’est toujours mieux que rien, on va dire. » Je lui offre un léger sourire, un peu triste, avant de me reprendre. « Au moins, ça m’aura permis de te rencontrer, je préfère me concentrer sur le positif. Je suis sûre qu’on va bien s’entendre ! Et bien bosser. Surtout. » Surtout oui…

On ne se connait que depuis quelques heures mais quelque chose chez cette femme me pousse à raconter ce par quoi je suis passée ces dernières années..... Je peux toujours me tromper mais Léonie a l'air d'être digne de confiance et généralement mon instinct ne me trompe jamais.... Quoi que s'il avait été aussi bon que ça je me serai probablement rendu compte que mes pilules contraceptives avaient été remplacées par des bonbons à la menthe..... Peut-être que je fais confiance trop rapidement tout compte fait..... Décidément, ce connard bien qu'il ne soit plus physiquement dans ma vie est toujours là pour remettre en questions certains de mes choix et pour me prendre la tête..... Comment ait-je fait pour rester autant de temps avec lui ? Bref, il faut que j’arrête de penser à lui.....

A mon tour d'essayer d'en savoir plus à son sujet et sans surprise mon interlocutrice semble gênée par ma question..... Est-ce que ça me surprend ? Pas tant que ça ! Je me doute bien que son retour cache quelque chose d'un peu compliqué..... Elle reste quand même ''une Gauthier'' et si les choses avaient été aussi simples on aurait certainement entendu parler de son arrivée..... ''Je vois...'' Le sujet semble sensible et je n'ai pas envie de la brusquer..... Je sais ô combien certaines épreuves peuvent laisser des cicatrices. Tout ne se règle pas en deux temps trois mouvements....

''Ok, je cherche pas à en savoir plus.... Ca a l'air compliquée ton affaire et on est là pour passer un bon moment'' ajoutais-je en rigolant. J'aime adopter ce qu'on appelle la positive attitude alors quand un sujet semble sensible je fais en sorte de passer à autre chose.... Ce n'est pas que je m'en fiche loin de là mais il est important de ne pas se laisser bouffer par nos émotions alors autant utiliser l'humour pour rendre les choses un peu moins compliquées....

Un sourire se dessine sur mon visage quand elle exprime sa joie d'avoir fait connaissance. C'est un peu soudain mais ô combien agréable. ''Il n'y a pas de raison..... Et puis c'est la classe de travailler avec une Gauthier... Je suis contente...'' Je ne dis pas ça pour la flatter mais d'une certaine façon je vois ça comme un honneur... Quoi en dise c'est une famille qui reste célèbre et je suis sur que la jeune femme est aussi douée que ses ascendants.

''Et à part la cuisine, qu'est-ce qui te fais vibrer ?? Tu verras je suis du genre curieuse...'' Je rigole à nouveau. Est-ce que le fait qu'elle soit contente de bosser avec moi et qu'elle le manifeste ouvertement m'a touché ? Oui ! Évidemment.