no judgement | ainhoa & rafael

Qu'est-ce qui serait pire: aller chez ma soeur pour me plaindre de mes problèmes OU allez chez ma soeur pour écouter ses problèmes et oublier les miens ? Je crois bien que les deux se valent. C'est pas bien glorieux. Et j'admet que je ne sais pas trop où j'en suis non plus de manière générale. Entre Gaby qui m'échappe de plus en plus, qui s'éloigne, qui creuse un gouffre entre nous, et puis Luka... je ne saurais même pas expliquer ce que c'est tout ça, dans quel merdier je me suis mis. Non, je ne saurais le dire. Et c'est sans parler de ma rééducation que j'ai complètement abandonnée (mais qui m'a été rappelée par une ancienne amie), et maintenant je dois rajouter des perspectives possibles d'avenir dans tout ce qui m'encombre l'esprit. Parce que non, être dans la restauration, dans le service qui plus est, ça ne me passionne pas; loin de là. Mais c'est encore quelque chose que j'essaie d'occulter. J'ai déjà essayé en faisant un shopping en ligne certainement trop poussé. Principalement pour le fils de ma soeur, mon neveu. J'ai acheté des fringues qui seront certainement trop grandes, et des jouets à tous les coups trop dangereux pour un gamin de son âge. Bref, c'est chargé comme un mulet que j'arrive chez ma soeur. J'ai trois grands sacs pleins de petites trouvailles, ouais je me suis ruiné, mais après tout c'pas comme si j'avais d'autres neveux et nièces à gâter dans le coin. Puis si je l'avais pas fait, la madre m'aurait tué. « Holà ! Soy yo ! » je m'exclame après avoir toqué. Oui, je suis entré sans l'attendre, et alors ? Maman serait rentrée sans frapper, elle ! Dans le genre intrusif on fait pas mieux. Je me rappelle d'une fois où j'avais quinze ans et... non ce n'est pas intéressant. « Ainhoa ? Donde estas ? Ah, te voilà. Ça va ? Tu m'en veux pas, j'ai pris la liberté d'entrer, hein. » je lâche l'air de rien. « J'te met ça où ? » je demande alors en levant les sacs débordants de cadeaux divers. Bon, j'avoue c'est aussi pour me faire pardonner d'être venu si tard. Ça fait quoi trois, quatre mois qu'elle a accouché ? Il était grand temps que je lui rende visite !

Doucement, je remonte la pente. Ce nouveau rôle de mère, célibataire qui plus est, n'a pas été facile. Mais après maintenant quatre mois, nous arrivons enfin à prendre notre rythme avec Mateo. Mieux vaux tard que jamais, non ? La reprise de mon travail a sûrement aidé, la visite de Nell aussi. Revoir la jeune femme m'a donné un regain d'énergie et après ça, j'ai essayé d'améliorer un peu ce que je faisais, la routine que l'on avait commencée doucement à avoir avec Mateo. Aujourd'hui, je ne travaille pas, alors ce sera une journée rien que tous les deux. Même si nos débuts ont été difficiles, je n'ai jamais douté de l'amour que j'éprouvais pour mon fils et nos moments ensemble sont les plus beaux que je passe. L'heure de la sieste approchant, je monte à l'étage pour le déposer dans sa chambre. « Holà ! Soy yo ! » En entendant ces mots, je m’empresse de refermer la porte derrière moi : il serait dommage de réveiller le petit garçon, alors qu’il commence tout juste à dormir. « Ainhoa ? Donde estas ? Ah, te voilà. Ça va ? Tu m'en veux pas, j'ai pris la liberté d'entrer, hein. » « Ce n’est pas très grave, j’étais partie coucher le petit. » « J'te met ça où ? » Je n’avais pas fait attention à ce qu’il avait dans les bras, pourtant, c’est très peu discret vu la quantité d’objets qu’il a. Je soupire légèrement avant de commencer à lui répondre. « Vraiment ? Tu sais, tu n’étais pas obligé. » Bientôt, cet appartement ressemblera à une halte garderie. « Tu peux poser ça là. » Dis-je, tout en indiquant un coin de la pièce encore vide. Lorsque Rafael a posé les affaires et qu’il a les mains libres, je viens le prendre dans mes bras. « Tout va bien ? Tu passais dans le coin ? » J’espère au fond de moi qu’il n’y a rien de grave. La dernière fois où nous nous sommes vus, les choses n’allaient pas forcément dans son couple. Mais il n’est jamais venu ici pour une ou plusieurs nuits, je suppose qu’il est toujours dans leur appartement, ou alors il a trouvé un autre endroit où loger en attendant une meilleure solution.

« Comment ça j'étais pas obligé ? Bien sûr que j'étais obligé ! C'est mon seul neveu sur le continent, si je le gâtais pas Maman m'aurait trucidé ! Et ni toi ni moi avons envie de la voir débarquer ici pour qu'elle fourre son nez dans nos affaires et tout, n'est-ce pas ? » je réplique en souriant. La Madre est géniale, je l'adore et on est super proches. Mais elle a tendance à vouloir tout savoir, tout contrôler, trop protéger, trop aider et au final étouffer un peu. Même si ça part d'un bon sentiment. C'est une mère hispanique, elle est très protectrice et très passionnée, très... "trop". Je pose donc mes trouvailles là où Ainhoa me l'indique. Puis, une fois les mains libres, je l'enlace en guise de salut. « Tout va bien ? Tu passais dans le coin ? » Je la regarde, un peu étonné. « Pourquoi ? Je peux pas juste venir voir ma petite soeur et mon petit neveu adoré sans raison ? » Oui, fine façon de gagner du temps. Même si j'ai pas vraiment de raison de faire ça en réalité. Tout ne va quand même pas si mal dans ma vie actuelle. Enfin, ok, c'est un peu confus, étrange, bizarre, compliqué... mais c'est pas... désastreux. Ou peut-être bien que si après tout. « Ouais ça va. Enfin, pour ne rien te cacher c'est peut-être un peu compliqué en ce moment. Disons que je ne sais plus trop où j'en suis exactement. » Je ne veux pas l'alarmer, je ne veux pas qu'elle s'inquiète pour moi non plus. Et puis j'ai pas envie de l'accabler avec mes problèmes, elle doit déjà en avoir assez avec les siens, je veux pas en rajouter une couche. Ouais, j'ai hérité du côté protecteur portoricain, je surprotège toujours ma petite soeur, c'est une habitude. « T'en fais pas pour moi, d'accord ? Par contre, je boirais bien un coup. Tu m'offres un verre ? » Je lui demande avec un grand sourire.

Rafael est venu les bras chargés aujourd’hui, tout comme il l’était venu à la maternité. Ça fait toujours plaisir, il ne faut pas le nier, mais quand je vois tout ce que Mateo a, je me sens un peu égoïste. Il a une multitude de jouets avec lesquels il ne joue pas et ne jouera sûrement pas. Avoir mes proches à ses côtés, c’est ça qui compte pour moi, le reste c’est simplement matériel. « Pourquoi ? Je peux pas juste venir voir ma petite sœur et mon petit neveu adoré sans raison ? » Je penche légèrement ma tête sur le côté et le regarde, un sourire sur les lèvres. Il n’a pas tort. La porte ici lui sera toujours ouverte, qu’il y ait quelque chose dans sa vie ou non. D’ailleurs, c’est même mieux qu’il vienne ici sans raison, c’est de l’inquiétude supplémentaire sinon. « Ouais ça va. Enfin, pour ne rien te cacher c'est peut-être un peu compliqué en ce moment. Disons que je ne sais plus trop où j'en suis exactement. » Le sourire disparaît doucement de mon visage, alors que je fronce légèrement les sourcils. Je visais finalement juste. Mais ce n'était pas très compliqué avec la discussion que l'on a eue lors du jour de la naissance de mon fils. « T'en fais pas pour moi, d'accord ? Par contre, je boirais bien un coup. Tu m'offres un verre ? » « Oui, bien sûr ! Installe-toi. » Je prends les devants et me dirige vers la cuisine. Je l'invite alors à s'asseoir sur l'un des tabourets hauts du bar. « Qu'est-ce que tu veux ? » Je n'ai pas été une hôte exemplaire, j'aurais dû lui proposer à boire bien avant. Son choix fait, je lui donne sa boisson et me sers un jus de fruit. « Et si tu me laissais juger par moi-même de si je dois m'inquiéter ou pas ? Qu'est-ce qu'il se passe ? » Rafael a toujours pris à coeur son rôle de grand-frère, mais je ne suis plus une enfant, je suis capable d'encaisser certaines informations, surtout si cela peut aider mon frère d'en parler.

J'essaie de rassurer Ainhoa. Elle a assez de soucis comme ça pour en plus devoir s'encombrer des miens ! Je ne serais pas un bon grand-frère si je l'assaillais de mes problèmes. Surtout que je ne vois pas très bien comment elle pourrait aider. Enfin, j'en sais trop rien. Peut-être que c'est simplement ma fierté de mâle macho portoricain, le genre de fierté particulièrement exacerbée chez nos frères, qui finalement m'atteint également ? Après tout, la génétique ne ment pas, pas vrai ? Je finis par détourner la conversation et demander à boire. Je sais bien que cette diversion ne durera pas. Parce que si les hommes portoricains sont trop fiers, les femmes portoricains ont la fâcheuse tendance à être têtues et ne jamais lâcher le morceau. Finalement, elles gagnent toujours. Et après on vient dire que c'est nous le sexe fort, ahah la plus grande arnaque, le plus gros mensonge, de l'histoire de l'humanité ! « Qu'est-ce que tu veux ? » Je prends plus de secondes qu'il n'est nécessaire avant de répondre: « T'as un soda ? N'importe lequel. » J'aimais pas tellement ça quand j'étais gamin. Mais en tant que joueur de baseball j'ai souvent vu passer des marques de soda comme sponsors (pour moi, ou pour l'équipe s'entends). Alors j'ai fini par y prendre goût. C'est bête mais ça me rends nostalgique. « Et si tu me laissais juger par moi-même de si je dois m'inquiéter ou pas ? Qu'est-ce qu'il se passe ? » Et voilà, je m'y attendais ! J'ai à peine pu repousser la conversation de deux minutes ! Pas grand chose, n'est-ce pas ? Je soupire, et puis je rends les armes. « C'est rien, c'est... un assortiment de petits trucs. » Mais je vois bien dans ses yeux qu'elle ne me laissera pas m'en sortir rien qu'avec ça, alors je prends une gorgée de soda, je soupire de nouveau, et je me lance. Façon, je n'ai pas le choix, elle ne lâchera jamais l'affaire. « J'ai essayé de parler avec Gaby. De parler de notre futur. Je lui ai dit que je voulais simplement qu'on en parle, même si ce ne sont que de vagues projets, comme se marier ou avoir des enfants. Mais que ça reste seulement en projet, pour pas la faire complètement fuir de suite quoi. Et même ça... ça a été compliqué. » Peut-être que c'est moi qui me suis mal exprimé et qu'elle l'a mal pris, j'en sais trop rien, la conversation que j'ai eue avec Gaby est un peu floue je reconnais. Pourtant je me la suis repasser en boucle, encore et encore. Ce n'était pas si horrible, enfin ça aurait pu être mieux, comme ça aurait pu être pire mais... mais ça n'a pas été comme j'imaginais. « Le truc c'est que... si on a déjà du mal à parler de notre futur ensemble, je me demande si justement on peut en avoir un. Tu vois ce que je veux dire ? » Et voilà d'où toutes mes embrouilles du moment partent. De ce doute initial. Et puis à ça s'ajoute tout le reste. Mais je sais pas si je devrais lui en parler, je sais pas si je suis prêt à ça, ou même si ça devrait être abordé... On verra au fil de la conversation. Une chose à la fois.

« T'as un soda ? N'importe lequel. » Aussitôt sa requête faite, aussitôt je fouille dans le réfrigérateur afin de satisfaire son envie. Mais cela ne me détourne pas de mon objectif principal : s’il est ici, c’est pour une bonne raison et je ne peux pas le laisser repartir d’ici sans avoir réussi à lui tirer les vers du nez. « C'est rien, c'est... un assortiment de petits trucs. » Est-ce qu’il pense vraiment m’avoir comme cela ? Si c’est le cas, c’est qu’il ne me connaît pas suffisamment bien. J’ai beau avoir mes problèmes, avoir la tête un peu ailleurs, je ne le laisserai pas partir sans un peu plus d’explications. « J'ai essayé de parler avec Gaby. De parler de notre futur. Je lui ai dit que je voulais simplement qu'on en parle, même si ce ne sont que de vagues projets, comme se marier ou avoir des enfants. Mais que ça reste seulement en projet, pour pas la faire complètement fuir de suite quoi. Et même ça... ça a été compliqué. » Je ne suis pas étonnée de l’entendre me dire cela. Pas les sujets qui concernent leur futur, mais le fait que l’inquiétude de mon frère vienne de Gaby. C’est dingue ce que l’amour peut nous faire. « Le truc c'est que... si on a déjà du mal à parler de notre futur ensemble, je me demande si justement on peut en avoir un. Tu vois ce que je veux dire ? » Machinalement, je hoche la tête. « Je vois parfaitement ce que tu veux dire. On ne peut pas dire qu’avec Nell, on était vraiment sur la même longueur d’ondes. Parfois ça marche et parfois non. » Je laisse une lueur d’espoir, pour lui, mais aussi pour moi. Je suis toujours amoureuse de mon ancienne petite amie et ça ne passera pas comme ça, je ne peux pas me contenter de simplement baisser les bras. « Il y a ses sentiments à elle, mais il y a aussi ton ressenti. Tu te vois vivre avec elle, te marier, avoir des enfants ? » S’il a voulu en parler avec elle, il y a sûrement une raison, mais est-ce que c’était simplement par envie ou parce que c’était la suite logique de leur relation ? Je ne peux pas savoir à sa place, je ne sais pas ce qu’il ressent vraiment pour elle, s’il l’aime suffisamment pour pouvoir affronter toutes sortes de choses. Pour en avoir le coeur net, je dois lui demander. « Tu l’aimes pour vivre tout cela avec elle ? Si c’est le cas, alors tu vas devoir te battre pour y arriver. Que ce soit difficile ou non. » Pour lui donner des conseils, je ne suis sûrement pas la mieux placée.

« Je vois parfaitement ce que tu veux dire. On ne peut pas dire qu’avec Nell, on était vraiment sur la même longueur d’ondes. Parfois ça marche et parfois non. » Je soupire. Déjà parce que je sais que sa situation est compliquée, que sentimentalement c'est certainement dur, qu'elle a vécu pas mal de choses pas forcément agréables, et que je ne veux pas la déranger avec mes petits problèmes. Ensuite, parce que ses mots sont durs, mais surtout vrais. Parfois ça marche et parfois non. C'est aussi simple que ça. Je crois que j'ai un peu trop peur de perdre Gabriella pour faire quoi que ce soit. Ou bien c'est la culpabilité qui me fait penser ça ? Non, hors de question de penser à ce genre de choses. « Il y a ses sentiments à elle, mais il y a aussi ton ressenti. Tu te vois vivre avec elle, te marier, avoir des enfants ? » Je relève la tête. « Evidemment ! Je sais que j'ai longtemps été du genre à pas me caser et tout mais... j'ai envie de ça. Me caser, me poser, fonder une famille... » Dis comme ça ça peut paraître bizarre, je sais. Ou peut-être que c'est simplement égoïste ? J'en sais rien. Je sais simplement que je suis prêt à avoir une famille. Ou qu'en tout cas je suis ouvert à cette idée. J'ai juste pas envie de stagner dans ma vie. J'ai trop stagné ces dernières années, il est temps pour moi d'aller de l'avant. « Tu l’aimes pour vivre tout cela avec elle ? Si c’est le cas, alors tu vas devoir te battre pour y arriver. Que ce soit difficile ou non. » J'en sais rien, je suis paumé, je sais pas ce qui est le mieux ou non. « Bien sûr que je l'aime ! Je l'aime. Mais je ne peux pas la forcer à se marier ou faire des enfants si elle n'en veut pas... Alors je... j'en sais rien, j'imagine qu'il va falloir qu'on en reparle et... je sais pas. Je t'avais dit, c'est compliqué. » Je conclus, avant de prendre une gorgée de mon soda. Des fois je me dis que j'aimerais redevenir gosse. J'avais pas de soucis quand j'étais gosse. Bon, juste mes grands frères qui me martyrisaient un peu, mais bon, pas plus d'embrouilles que ça. J'étais pas si perdu. Comme je le suis maintenant. « Je crois que je vais rentrer à la maison. A Puerto Rico je veux dire. Pour une semaine ou deux. J'en profite pour te prévenir avant d'oublier. » Oui, petit éclair d'un coup, puis si ça peut me permettre de changer de sujet... « Bon et toi alors, ça en est où avec Nell ? Y a des avancée ? » Non que je suis curieux aussi quand même.

Je n'aime pas voir mon frère ainsi. L'amour, c'est quelque chose qui est difficile à gérer et qui ne dépend pas que de nous. Alors même si je veux lui venir en aide, je suis obligée de me contenter de lui donner des conseils. Et encore, je ne suis même pas certaine d'être bien placée pour cela. « Evidemment ! Je sais que j'ai longtemps été du genre à pas me caser et tout mais... j'ai envie de ça. Me caser, me poser, fonder une famille... » Parfois, il suffit d'une chose pour que tout change. Les années passent et l'envie d'avoir une famille, sa propre famille, naît chez certaine personne. Pour les Rivas, il faut croire que c'est quelque chose d'assez courant. Ça vient peut-être de notre sang. « Bien sûr que je l'aime ! Je l'aime. Mais je ne peux pas la forcer à se marier ou faire des enfants si elle n'en veut pas... Alors je... j'en sais rien, j'imagine qu'il va falloir qu'on en reparle et... je sais pas. Je t'avais dit, c'est compliqué. » Il est difficile de faire changer d'avis à ce sujet et pour le coup, je suis bien placée pour dire cela. C'est assez dingue, mais nous nous retrouvons tous les deux dans la même situation. « Je crois que je vais rentrer à la maison. A Puerto Rico je veux dire. Pour une semaine ou deux. J'en profite pour te prévenir avant d'oublier. » Là encore, nous nous ressemblons. Cette possibilité de rentrer un peu, je l’ai évoqué auprès de Nell. D’ailleurs, quand on parle du loup, Rafael l’évoque à son tour. « Bon et toi alors, ça en est où avec Nell ? Y a des avancée ? » Comme première réponse, c’est mon corps qui parle : je ne peux m’empêcher de grimacer un peu. « C’est compliqué aussi. Elle est venue l’autre jour, elle m’a laissé souffler un peu en s’occupant de Mateo. » Elle ne venait pas pour ça, mais le fait qu’elle ne reparte pas une fois ses papiers récupérés, m’a fait plaisir. « J’ai envie de croire que les choses vont s’arranger, mais je sais aussi que ça ne va pas être facile. » Le hasard fait que parfois, nous nous recroisons. Après plusieurs années ensemble, il est difficile de se séparer comme ça. Mais peut-être que ça m’aveugle justement. J’ai l’impression que les choses vont s’arranger, alors que je me voile sûrement la face. « Elle ne voulait pas d’enfant, je ne peux pas lui en vouloir de me garder loin d’elle encore. » Oui, Mateo est là maintenant et il n’est plus possible de revenir en arrière, mais son arrivée n’a pas changé la vision de Nell. « Il faut croire que finalement, les Rivas ont la fibre familiale. » Ce qui devrait réjouir nos parents, notre mère surtout.

« Il faut croire en effet ! » je réponds simplement en soupirant. La fibre familiale. Oui, on l'a certainement. Même si dans son cas comme dans le mien ça ne se voit pas forcément. Après tout, nous sommes les seuls à avoir quitté Puerto Rico. Le reste de la famille, nos parents, nos frères, nos neveux et nièces, tous vivent toujours au même endroit, beaucoup trop proches les uns des autres. Ils se voient tous les jours, prennent leurs repas ensemble, travaillent ensemble, vivent ensemble. Pour moi ça a toujours été beaucoup trop, je ne me suis jamais senti attiré par ce genre de trucs. Et pourtant aujourd'hui, je me surprends à rêver de ce que ma vie aurait été si j'avais refusé de partir faire mes études aux Etats-Unis. J'aurais épousé Manuela, son père m'aurait embauché pour travailler dans son usine. On aurait une maison à nous, deux ou trois enfants... Mais je ne sais pas si j'aurais voulu de ça non plus. Je ne sais même plus de quoi rêver. J'imagine qu'il faudra que j'y pense sérieusement. Mon petit voyage à Puerto Rico m'aidera certainement à y voir plus clair. « Je suis désolé que les choses soient si compliquées entre vous deux. J'espère que tout finira par s'arranger. Je vais jouer les romantiques naïfs et utopistes et espérer pour nous deux que tout rentrera dans l'ordre et qu'on vivra heureux pour toujours, et toutes ces conneries. » Je lui lance un sourire bienveillant. Au moins je sais qu'on pourra toujours compter l'un sur l'autre. Et si ça te dit, j'peux t'obtenir une place pour Puerto Rico ! Je suis sûre que maman serait ravie de te voir ! Et puis si la présence de son 283e petit-fils peut l'empêcher de me demander qu'est-ce que j'attends.. je suis preneur ! » je lance finalement d'un ton léger. J'ai beau redouter mon retour au pays, au fond j'attends ce moment avec impatience. Et je sais que quand je reviendrais à Los Angeles je serais prêt à faire en sorte que les choses changent. Je repartirais du bon pied, je saurais ce que je veux... et avec qui je le veux...

La fibre familiale ou plutôt l’envie de fonder une famille, que ce soit loin ou non de nos racines. Quoique, loin c’est peut-être mieux. Pour nous deux en tout cas. Pour notre père, Rafael est le vilain petit canard de la famille. Et moi, même si mon histoire a fini par être acceptée, le fait que Nell soit une femme n’a pas été toujours facile. « Je suis désolé que les choses soient si compliquées entre vous deux. J'espère que tout finira par s'arranger. Je vais jouer les romantiques naïfs et utopistes et espérer pour nous deux que tout rentrera dans l'ordre et qu'on vivra heureux pour toujours, et toutes ces conneries. » Par réflexe, je hausse les épaules suite à ses premiers mots. Mon ancienne petite amie a tous les droits de me détester, je lui ai quand même fait un bébé dans le dos. Et avec son métier, avec un départ proche, je ne sais pas si les choses pourront vraiment s’arranger. Même si je ne suis pas contre cette idée, je ne le serais jamais. « Et si ça te dit, j'peux t'obtenir une place pour Puerto Rico ! Je suis sûre que maman serait ravie de te voir ! Et puis si la présence de son 283e petit-fils peut l'empêcher de me demander qu'est-ce que j'attends.. je suis preneur ! » Cette proposition tombe plutôt bien. Lorsque la jeune femme est venue me voir l’autre jour, j’ai évoqué un voyage à Puerto Rico. Avec l'arrivée de Mateo et toute cette histoire, faire un petit break ne devrait pas me faire de mal. « C'est une idée ! » Finalement, sans cette proposition, je n'aurais peut-être pas eu le courage de le faire. Là, avec Rafael, c'est l'occasion ou jamais. « Ça me fera du bien je pense et je dois en profiter, quand je reprendrais le travail, ce sera plus compliqué de prendre des jours pour partir. » Autant profiter de mon congé à fond. D'ailleurs, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les membres de ma famille me fassent une remarque si je ne viens pas les voir, leur présenter le petit garçon, alors que j'en ai l'occasion. « Et si je peux te sauver les fesses un peu. Tu me seras redevable, c'est toujours bon à prendre ! » Que ce soit Mateo ou moi, nous pourrons lui servir de bouclier pour éviter les reproches et les questions trop embarrassantes sur sa vie aux États-Unis. « On pourra planifier ça, mais pas tout de suite. Détendons-nous un peu ! Avec un peu de chance, Mateo se réveillera avant que tu ne repartes. » Parler, ne pas parler. Peu importe, passer du temps avec mon frère, c'est toujours un plaisir et là, je pense que nous en avons tous les deux besoin.