come alive (ft. swan)

Les projets fous, finalement, ce n’est pas vraiment ton truc. Tu as certes vécu des choses peu communes dans ta vie, mais elles n’étaient jamais un résultat d’un choix conscient de ta part. Tu as du mal à sortir de ta zone de confort, trop timide pour être audacieuse, trop originale pour avoir une quelconque idée de la normalité. Alors il n’est pas question pour toi de te lancer dans cette nouvelle aventure sans filet. Tu as fait tes recherches, tu as étudié le marché – ou plutôt on l’a étudié pour toi – mais il te manque une dernière chose. Ou plutôt quelqu’un. Comme une évidence, c’est à Swan que tu passes un coup de fil, cette sexologue que tu n’avoueras jamais être allée voir, et qui a rapidement jugé, bien qu’à demi-mot, que tu étais un cas désespéré. Elle rirait bien si elle te voyait aujourd’hui. Tu ne lui as pas dit grand-chose au téléphone, juste que tu voulais lui parler d’un projet et que non, tu n’étais pas décidée à parler à Jack. Il ne manquerait plus que ça. Surtout pas maintenant.

« Yes ? » Portant le combiné à ton oreille, tu réponds à ton assistante qui t’annonce la présence d’une visiteuse. « Oh ! Right. Thank you, let her in ! » Tu prends soin d’enregistrer le plan de communication que tu retravaillais avant de mettre ton ordinateur en veille pour accueillir ton hôte. Alors que la porte s’entrouvre, tu te lèves de ton fauteuil juste à temps pour discerner la silhouette de ton ancienne thérapeute qui pénètre dans ton antre. « Hi ! » La nervosité qui t’habite est masquée par une pointe d’enthousiasme et de chaleur dans ta voix. « This time, in my office ! Welcome ! Please, » D’un geste de la main, tu l’invites à s’installer dans un des sièges te faisant face. Il n’y a pas photo, tu es bien plus à l’aise dans ton environnement. Tu te réinstalles à ton tour quand ton regard se pose sur la dizaine d’ouvrages, aux noms plus équivoques les uns que les autres, qui jonchent ton bureau. Si tu comptais faire dans la subtilité, c’est raté. Ta distraction t’a encore joué des tours, trop occupée par tes tâches professionnelles pour penser à ranger. Au moins, tu ne vas pas avoir besoin de passer par quatre chemins, c’est déjà ça. Tes yeux croisent ceux de Swan qui n’a pas pu manquer les romans érotiques de la concurrence, et tu finis par te justifier : « Right… They SUCK. The stories are deeply unoriginal, and don’t get me started on the writing. It’s lazy at best. I don’t know how anyone could get off on these.  »

les journées sont calmes ces derniers temps. le fait de ne pas prendre de nouveaux patients y est pour beaucoup il faut bien l’avouer. mais ce n’est pas pour me déplaire. je commence à comprendre l’importance de prendre du temps pour soi et je dois avouer que ça fait du bien. ma fille avait raison, pour ne pas changer. et oui, je commence aussi à le reconnaître. beaucoup de choses qui se passent ces derniers temps et qui me permettront, je l’espère, d’aller mieux. mes rendez vous avec ma psy s’espacent de plus en plus ce qui est bon signe. elle sait que je le sais lorsqu’elle m’annonce qu’on ne se reverra pas avant tant de temps. elle sait que je sais ce que ça signifie oui. donc forcément, ça me fait plaisir et surtout ça me donne espoir pour la suite. quoiqu’il en soit, si les journées sont calmes, le téléphone l’est aussi. peu ou pas de sonnerie alors quand il vient à se réveiller ça me surprend toujours. et là c’est le cas. je souris car je connais mon interlocutrice. jules vaughn. pas un de mes dossiers les plus faciles, loin de là. mais je me suis attachée à elle et à son histoire. je suis d’ailleurs surprise qu’elle m’appelle ainsi mais je suis également curieuse de savoir ce qu’elle veut. un rendez vous, dans son bureau à elle. pourquoi pas. en soi je me doute que ce n’est pas pour une thérapie mais ça ne rend la chose que plus intrigante. après m’être préparée poru sortir de la maison, je me rends à l’adresse à laquelle elle se trouve. premier arrêt avec celle qui semble être son assistante. elle m’annonce, je l’entends. et j’attends. jusqu’à ce qu’on me dise d’y aller et jusqu’à ce que je vois le visage de jules qui m’accueille chez elle cette fois ci. ” hi ! this time, in my office ! welcome ! please. “ elle me présente l’une des chaises et après l’avoir salué à mon tour, je prends place. ” how are you ? “ formule de politesse assez banale alors que mon regard se pose sur tout ce qui se trouve sur son bureau. disons que ça attire le regard, surtout le mien. certains titres me parlent, d’autres non mais je me doute assez vite qu’ils sont de la même trempe. ” what… “ mais pas le temps de poser ma question qu’elle se doute de ce que je vais dire au vu de ce qui sort de sa bouche. ” right… they suck. the stories are deeply unoriginal, and don’t get me started on the writing. it’s lazy at best. i don’t know how anyone could get off on these. “ je me mets à rire à la fois surprise et totalement d’accord avec ça. ” yes and yes. then... why do you have all this on your desk ? “ parce que du coup ça me questionne quand même. même si son analyse est correcte… enfin elle a du les lire. moi je sais pourquoi j’ai du en lire certains mais je ne comprends pas son intérêt à elle.

” how are you ? “ Du bout de lèvres souriantes, tu réponds simplement : « Good, good ! » Tu ne sais pas vraiment si c’est vrai. La dernière fois qu’elle t’a vue, tu étais au trente-sixième dessous, alors si c’est ton référentiel, on peut considérer que tu ne mens pas. Ce serait en revanche faux d’affirmer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Plus que jamais tu es totalement perdue dans ta vie, et tu sembles avoir décidé de te jeter corps et âme dans ton travail pour compenser, comme tu l’as si souvent fait par le passé. Tu t’apprêtes à lui retourner la question, politesse primaire, mais tu es interrompue. ” what… “ Tu n’avais pas conscience d’avoir fixé ton attention sur la pile de bouquins, mais tu es bien obligée de t’expliquer. Tu balbuties quelques mots, luttant contre ton embarras chronique, et trouves un certain soulagement dans le rire de la thérapeute. ” yes and yes. then... why do you have all this on your desk ? “ Au moins elle est d’accord avec toi. Aussitôt, tu lui réponds, comme si c’était une évidence : « Research ! » Dans un mouvement de la main, tu te corriges assez rapidement : « I should rather say benchmarking. » C’est un terme plus correct. Tu ne fais pas de simples recherches, tu t’es lancée dans une véritable étude de marché, et scannes la concurrence.

« It’s actually why I wanted to talk to you today. » Tu pensais que le sujet ne ferait surface qu’un peu plus tard, après une séance d’échange de mondanités, mais finalement ce n’est pas plus mal. A quoi bon s’infliger cela, alors que vous savez toutes les deux que tu avais quelque chose derrière la tête en l’invitant. « I’m thinking of branching out and creating a sister collection to Capulet. I want to publish erotic literature. » Tu te rends compte, en prononçant ces mots, que tu n’avais jamais formulé l’idée à voix haute. Tu peux désormais dire que c’est encore plus étrange de t’entendre le dire que ce que tu pensais. Le chemin risque d’être long, avant que tu ne sois totalement à l’aise avec tout ça. « But I can’t do it alone. » S’il y a bien une personne sur terre qui comprendra pourquoi tu affirmes cela, c’est bien Swan. Elle n’était pas loin de te traiter de cas désespéré en consultation, et se doutera que tu n’as pas changé du tout au tout en quelques mois. Mais tu progresses, n’est-ce pas ?