weightless | taylor & alix

J'ai un peu l'impression que ma vie stagne en ce moment. Et le truc c'est que c'est à la fois positif et négatif. Genre d'un côté c'est d'un ennui mortel, il se passe rien, j'ai l'impression que je pourrais ne pas être là que ça changerait absolument rien, que je sers à rien. Et bon, se sentir de trop ou inutile ou quoi c'est pas le meilleur des sentiments quoi. Puis même côté love c'est un peu le néant. Disons que façon j'ai pas fait les meilleurs choix ces derniers temps… entre le prof de fac de ma soeur toujours amoureux de son ex, suivi de notre (ancien) coloc avec qui je m'entendais pas… Bref non pas les meilleurs choix, et puis au final j'ai fait fuir tout le monde et je me retrouve seul. Donc ça craint un max. Et pour être honnête j'ai pas non plus forcément envie de me choper une tendinite quoi ! Après justement, le point positif, c'est que comme il se passe rien, ça me laisse pas trop de marge pour tout foirer et briser tout autour de moi. Non que les tendances tornade destructrice c'est cool - surtout au lit - mais devoir réparer les dégâts, ramasser tous les petits bouts brisés... c'est difficile, affligeant, triste, lassant. Donc au moins j'ai plus ça à faire. C'est peut-être aussi bien que je me concentre sur le boulot du coup...

Ma pote Taylor m'a obtenu un poste d'assistant dans la maison d'édition où elle bosse. Alors certes je suis techniquement son sous-fifre, mais en vrai c'est mieux qu'être réceptionniste dans un cabinet d'avocats… Au moins la littérature, ça me parle ! J'ai toujours aimé ça depuis… non, je ne peux pas penser à lui. Peine perdue. Mirage du passé. Souvenir. Je me concentre sur le boulot. Je lis quelques manuscrits, je fais des corrections, j'apporte des cafés, je fais des photocopies, je passe des appels, bref je fais un peu tout et rien, c'est cool. Et ça occupe bien mes journées pour sûr !

Je glisse les trois manuscrits que j'avais pris pour le week-end et je les glisse dans ma sacoche. Je ne sais pas où est Felix, tant pis, je lui laisse simplement un mot comme quoi je suis pas sûr de pouvoir rentrer ce midi pour manger avec elle. Je laisse le post-it sur le pot de nutella (le seul endroit que je sais pour sûr qu'elle vérifie TOUS les jours), et puis je sors de chez moi, direction le boulot. Va falloir que je pense à passer mon permis d'ailleurs parce que prendre le bus c'est assez chiant. Vérifier les horaires, devoir attendre… perte de temps. D'un autre côté, je peux profiter du trajet pour finir de feuilleter les manuscrits et mes notes, et pour revoir la liste de tous les trucs que j'ai à faire aujourd'hui, et puis de vérifier mes mails. Le bus s'arrête à deux rues de mon lieu de travail. Je descend, je passe par un Starbucks, et c'est avec plusieurs gobelets en main que j'arrive au boulot pour trouver Taylor, un coussin sous le tee-shirt. « Euh... salut ? » je lâche, confus, après m'être raclé la gorge. « Je peux savoir ce que tu fais exactement ? »

Les jours passent, et le secret devient de plus en plus lourd. Je ne l'ai encore dit à personne. Parce que je n'arrive tout simplement pas à me faire à l'idée que ce bébé soit bien réel. Et pourtant, il est là. Tous les tests se sont avérés positifs. Deux petites barres affichées sur ces foutus écrans. Je ne sais même pas combien de temps ça fait, combien de temps il me reste pour prendre une décision sur mon avenir. Tout est un peu confus dans ma tête en ce moment. Et je ne trouve rien d'autre de mieux à faire que de faire comme si de rien n'était justement. Me concentrer sur le boulot, sur Kali beaucoup, comme je le fais depuis des mois. Il n'y a rien d'autre qui compte à mes yeux. Et c'est bien ce que Liam me reproche. Mais je ne peux pas lui balancer la bombe. Pas sans prendre le risque de lui briser le coeur, et je ne suis pas prête pour ça. Est-ce que ça fait de moi une lâche ? Peut-être bien. Mais il ne peut en être autrement. Pas maintenant. Je débarque au bureau très tôt ce matin, pour ne pas avoir à prendre le petit déjeuner avec Liam. Pour éviter à tout prix de croiser son regard. Je suis un véritable courant d'air à la maison en ce moment, et je crois que ce n'est pas prêt de s'arrêter. Il est tôt, et je suis seule dans le bâtiment. J'évite de me ruer sur le café depuis que je sais qu'il y a ce petit quelque chose dans mon ventre mais ça me fout encore plus sur les nerfs. Autant que je me focalise sur la pile de dossiers qui trône sur mon bureau. Si je suis là, autant être efficace le plus vite possible. Ou pas. Voilà que mes pensées dérivent encore et que je me retrouve à récupérer un coussin pour me le foutre sous mon haut. Mon dieu, c'est tellement bizarre. Mais au moins je me rends un peu plus compte de la place que cet enfant prendra dans quelques temps. Est-ce que je suis prête à devenir maman ? La situation est compliquée, je ne suis pas heureuse dans mon couple et je pense que fonder une famille n'est malheureusement pas une bonne idée. Pas dans ces conditions. Je reste quelques longues secondes comme ça avec le coussin, touchant à plusieurs reprises mon ventre arrondi. J'ai vraiment du mal à me faire à l'idée. Je sursaute lorsque j'entends la porte de mon bureau s'ouvrir, tombant nez à nez avec Alix. Merde, putain. Je me débarrasse en un éclair du coussin, paniquée. « Euh... salut ? » Vu la tête qu'il tire, je crois qu'il n'a pas loupé une miette de la scène. « Je peux savoir ce que tu fais exactement ? » Moi ? Rien du tout. Un léger rire nerveux s'échappe d'entre mes lèvres alors que je sais plus où me mettre. « On t'a jamais dit de frapper avant d'entrer ? » Ça nous aurait évité ce genre de malaise. « Je... rien, je m'amusais juste avec ce truc. » Je jette un œil au coussin comme si de rien n'était. C'est vrai que c'est super crédible comme explication. Alix ne tend finalement le café qu'il a ramené pour moi, et une nouvelle grimace se fige au coin de mes lèvres. « Merci, mais j'en ai déjà trop abusé pour ce matin. » D'habitude je ne refuse jamais un Starbucks, même si je m'en suis déjà enfilée deux ou trois avant. Alix n'est pas bête, et je pense malheureusement qu'il a capté ce qui se tramait réellement. Fais chier.

« On t'a jamais dit de frapper avant d'entrer ? » Ok, malaise. « J'y penserais pour la prochaine fois... » je marmonne dans ma barbe. Même pas sûr qu'elle m'ait entendu. Façon vaut peut-être mieux pas pour le coup. Je suis pas tout à fait certain de ce que j'ai vu ni de comment je dois l'interpréter. Mais bon, je suis pas non plus né de la dernière pluie. Je me doute que c'était pas pour vérifier la qualité du tissu de son haut qu'elle s'est foutu un coussin sur le bide. Puis franchement son explication est carrément louche. Elle est si peu douée pour mentir que c'en est presque triste. J'ai même envie de faire semblant de la croire, tellement. Mais j'hésite toujours à faire un commentaire. Enfin j'hésite pas longtemps. Au lieu de ça, je préfère lui tendre son café sans faire d'autre commentaire. « Merci, mais j'en ai déjà trop abusé pour ce matin. » Ok, ça ne fait que confirmer ce que j'avais déjà compris. Mais je sais toujours pas si je dois faire un commentaire ou pas. Bon et puis merde, c'est pas mon genre de faire l'autruche ! Ok, je sais tenir ma langue ou faire comme si j'avais rien vu quand il le faut, mais bon... là ça va je risque pas ma vie en sachant ce que je sais (ou crois savoir). Alors bon... autant mettre les pieds dans le plat. « Donc j'imagine qu'on doit pas se réjouir et que c'est pas une bonne nouvelle, si je comprends bien ? » je demande alors en déposant le café bonus sur mon bureau. Façon j'ai pas beaucoup dormi cette nuit alors un peu de caféine en plus me fera pas de mal. « Désolé mais je vais pas faire semblant de pas avoir vu ce que j'ai vu, j'ai pas envie de marcher sur des œufs et tout, pas mon genre. » J'aime pas ce genre de situations gênantes ou on se regarde en chien de faïence, on sait plus quoi dire, c'est invivable. Alors je préfère être franc. Façon c'est pas comme si j'allais le crier sur tous les toits non plus... « Mais t'inquiètes, je suis une tombe.  » Ça n'a jamais été mon genre de colporter des ragots. Et puis la prison n'encourage pas tellement les balances. Bref, je sais garder les secrets.

Je ne sais pas ce qui m'a pris de faire ça ici. En même temps je pensais pas qu'il y aurait quelqu'un d'autre au bureau à cette heure-là. Mais ça c'était sans compter sur Alix. Ce n'est pas mon assistant pour rien celui-là. A croire qu'il prend le même chemin que moi. On va finir par prendre racine tous ici avec nos conneries. A enchainer les heures sans compter. Se donner corps et âme pour le travail laissant volontairement - ou non - sa vie privée de côté. Ah non, ça, c'est peut-être que moi. Grillée. Comme ce foutu coussin sous mon t-shirt. Est-ce qu'il va faire semblant de rien ? En réalité je ne suis pas convaincue d'avoir réellement envie d'en parler. Pour lui dire quoi exactement ? Que cette grossesse n'est qu'une vulgaire connerie. C'est pas pour rien si j'en ai encore parlé à personne. « Donc j'imagine qu'on doit pas se réjouir et que c'est pas une bonne nouvelle, si je comprends bien ? » Et merde. Une grimace vient déformer mon visage alors que je ne peux m'empêcher de soupirer. Si j'avais espéré qu'on en parle pas, c'est raté. « Désolé mais je vais pas faire semblant de pas avoir vu ce que j'ai vu, j'ai pas envie de marcher sur des œufs et tout, pas mon genre. » Je finis par hausser un peu les épaules. De toute évidence, c'est trop tard maintenant. « Mais t'inquiètes, je suis une tombe.  » Je lui fais confiance, et je sais que ce n'est pas son genre de colporter des ragots à droite à gauche. Ça me gênerait franchement que Kali l'apprenne de quelqu'un d'autre... pourquoi c'est à elle que je pense instinctivement ? Je ne pense pas à Liam, et pourtant il est le principal concerné dans cette histoire. Mais c'est justement ça le problème je crois. Je ne suis pas prête à fonder une famille avec lui. « C'est la merde Alix. » Je m'écroule sur la chaise de mon bureau, comme si ce poids sur mes épaules devenait insupportable. « Ce n'était pas vraiment dans mes plans. » Ni dans nos plans de couple non plus. Il n'a encore jamais été question d'avoir un enfant. Et même si j'imagine que Liam serait sans doute le plus heureux des hommes s'il apprenait la nouvelle, le problème est ailleurs. Le problème, c'est moi. « J'ai dévalisé tout le rayon de la pharmacie... je n'arrivais pas à croire que le résultat pouvait être positif. » Mais tous les tests se sont révélés positifs. Une erreur, ça peut arriver. Mais 10 erreurs en même temps, beaucoup moins. « Qu'est-ce que je vais devenir sérieusement ? » J'ai même pas le temps de m'occuper de mon couple, alors de là à m'occuper d'un gosse... Ouais non impossible.

Peut-être que pour le coup j'aurais du faire semblant d'avoir rien vu, parce que la pauvre a l'air complètement paniquée. J'aurais du faire comme si de rien n'était, me mettre à bosser et la laisser venir me parler si elle le voulait. Enfin, je l'ai pas forcée à parler ou à s'expliquer là non plus mais bon... De toute façon c'est pas nouveau que j'ai du mal à être socialement acceptable. Enfin, j'suis un mec plutôt charismatique, qui n'a pas de mal à parler aux gens et tout, sauf que bah je me prends pas la tête, je dis ce que je veux quand je le veux et je m'en fous un peu du reste. Pas envie de jouer à des petits jeux débiles en mode faut cacher le secret de untel ou untel, enfin bref. Je m'égare un peu. Mais au final on peut compter sur moi quand même, j'suis relativement fiable. Relativement. « C'est la merde Alix. Ce n'était pas vraiment dans mes plans. » La pauvre a l'air au bout de sa vie. J'ai bien envie de lui dire que les accidents du genre c'est relativement compliqué de nos jours avec toutes les contraceptions qui existent et tout. Mais inutile de mettre de l'huile sur le feu en lui balançant un "tu l'as bien cherché". Ouais, j'ai des réflexions cons aussi, ça arrive. « C'est comme l'amour, ça te tombe dessus au moment où tu t'y attends le moins. » je réplique en sirotant mon café alors qu'elle me parle de tous les tests qu'elle a fait. C'est vrai que ça fait beaucoup de tests, difficile d'y avoir un doute. « Est-ce que t'as fait une prise de sang ou vu un gynéco ? Parce que les tests c'est pas fiable, même si t'en fais dix. Ça se base sur ton taux de HCG mais ce taux peut être altéré par plein de trucs, alors si ça se trouve tu t'inquiètes pour rien. » je réponds alors en haussant les épaules, comme si de rien n'était. Y a des fois je me demande si je suis pas un peu autiste sur les bords, ou je ne sais quel autre truc du genre. « J'ai toujours été fort en sciences. » C'était mon cours préféré (après la littérature pour des raisons évidentes...) et à la base je comptais même me lancer dans un parcours scientifique. « Et t'inquiètes t'es pas toute seule ! Tu seras jamais toute seule. Et puis au pire... y a des solutions qui me paraissent relativement évidentes si tu... n'en veux pas. » Avortement, accouchement sous X, adoption... Bordel ce que je suis heureux de ne pas pouvoir tomber enceinte ! Quel bordel sérieusement...

Le problème, c'est moi. Et tous les doutes qui envahissent mon coeur depuis déjà quelques temps. Je pensais que Liam était l'homme de ma vie, mais pourtant je n'ai jamais réussi à imaginer un avenir avec lui. Six ans de relation, et le constat reste le même. Lorsqu'il a fait sa demande en mariage il y a deux ans, épisode volontairement passé sous silence que je n'ai pas pris au sérieux. Ce n'était pas le bon moment. Mais... s'il n'y a jamais de bon moment ? Le temps passe, les années avec, et je ressens comme un vide immense. Comme un manque. Je ne suis pas entièrement heureuse, je le sens, je le sais au plus profond de moi-même, mais j'ai du mal à l'assumer et à en prendre véritablement conscience. Ce bébé est un nouveau tournant dans ma vie, et je ne ressens toujours rien. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour moi. Et dans un couple, c'est censé en être une. Il y a bien un problème quelque part. « C'est comme l'amour, ça te tombe dessus au moment où tu t'y attends le moins. » Une grimace se fige au coin de mes lèvres. « Est-ce que t'as fait une prise de sang ou vu un gynéco ? Parce que les tests c'est pas fiable, même si t'en fais dix. Ça se base sur ton taux de HCG mais ce taux peut être altéré par plein de trucs, alors si ça se trouve tu t'inquiètes pour rien. » Je rêve ou il s'y connait plus que moi ? En vrai il vient de me parler chinois, et mon incompréhension se lit sans aucun doute sur mon visage. « J'ai toujours été fort en sciences. » Je ris un peu, et ça fait du bien. Il a le don de réussir à me faire sourire même dans les moments les plus dramatiques. « Non, pas encore. Je... je sais pas, je crois que j'ai peur que tout ça soit vraiment réel. » Faire une prise de sang, avoir le résultat définitif. L'annoncer à Liam, tant de choses qui rendrait ma grossesse beaucoup plus concrète. C'est trop tôt, trop frais encore. Je ne suis pas prête à tout ça. « Et t'inquiètes t'es pas toute seule ! Tu seras jamais toute seule. Et puis au pire... y a des solutions qui me paraissent relativement évidentes si tu... n'en veux pas. » Mais je ne suis pas la seule concernée dans cette histoire. En réalité, je n'ai même pas encore réfléchi aux solutions qui pourraient s'offrir à nous, je pense en premier lieu à Liam et à sa réaction quand il apprendra que je suis enceinte. « Je ne l'ai même pas encore dit à Liam... » C'est ça qui me fait le plus peur en fait. C'est pas réellement d'être enceinte je crois, parce que j'ai forcément déjà pensé à l'idée de devenir maman par le passé, mais... fonder une famille avec Liam, non, jamais. C'est bizarre quand même. « C'est pas vraiment la joie avec lui ces derniers temps. » Je ne lui en ai jamais vraiment trop parlé, mais il me connait, il sait que je passe beaucoup plus de temps ici au travail qu'à la maison chez moi. Rien que ça, c'est déjà révélateur en soit.

Je reconnais que je suis un peu dépassé par la situation. Faut dire que j'aurais du mal à mettre quelqu'un enceinte quoi... Donc cette situation m'est particulièrement inconnue. En plus avec mes sept ans à l'ombre j'ai même pas pu être obligé par ma soeur à regarder des séries débiles totalement full dramatique avec des filles qui tombent enceintes en veux tu en voilà. Bon, depuis ma sortie, Felix s'est bien rattrapée. On est partis en bingewatching des trucs les plus importants que j'ai raté: films, séries, DISNEY. Je m'écarte un peu du sujet, oups. « Je ne l'ai même pas encore dit à Liam... » Je vois bien qu'elle est pas bien, à la limite de la panique totale. Oui si elle ne l'a pas encore dit au père du bébé c'est qu'en effet doit y avoir un problème... Surtout que ça fait un moment qu'ils sont ensemble. « C'est pas vraiment la joie avec lui ces derniers temps. » « Oh. » C'est tout ce que je trouve à dire dans un premier temps. Pas très malin, j'en ai bien conscience. Mais j'ai peur de ne pas dire ce qu'il faut, de donner de mauvais conseils, et surtout de manquer de tact, comme je viens de le faire à l'instant. « Et tu crois que ce bébé permettrait de tout arranger ? » Après tout pourquoi pas, peut-être que pour certains ça marche comme ça, qu'un bébé renforce les liens et rapproche le couple. Mais personnellement je considère que les enfants sont pas des pansements, ils ne devraient pas l'être. « Ecoute je peux pas te dire quoi faire parce que chaque situation est unique mais sache que c'est ton corps, tu en fais ce que tu veux, personne n'a le droit de venir te dire quoi en faire. Tu peux en parler à qui tu veux, garder le bébé ou pas, tu peux avorter sans en parler à personne, et je serais là pour te soutenir. C'est toi qui décide. Mais faut pas que tu pense à ce que diraient les gens. Il faut que tu réfléchisses à ce qui est le mieux pour toi, mais aussi ce qui est le mieux pour ce bébé. » Ok, je m'attendais pas à faire ce genre de tirade ambiance monologue. Mais je suis plutôt satisfait de moi. Je crois que je vais lui éviter la terrible et larmoyante histoire de ma vie et de mes parents indignes. Je crois que c'est mieux comme ça, je vais la faire paniquer sinon je pense !

Je ne suis pas du genre à trop parler de moi, ni à me plaindre de mes problèmes de couple. Au contraire. Je prends plutôt sur moi, encaisse, et finalement, ce n'est peut-être pas la meilleure des options. Ça me fait quand même bizarre d'admettre à quelqu'un d'autre à haute voix que ce n'est pas la joie dans mon couple en ce moment. Mais c'est la triste réalité. J'ai longtemps essayé de le nier, de penser que ce n'était qu'une mauvaise passe, mais je crois que j'ai besoin de me rendre à l'évidence. Je ne suis pas totalement heureuse avec Liam. Comme s'il me manquait quelque chose. Et pourtant j'ai tout pour l'être. Alors pourquoi ? « Oh. » En apparence, on a tout du couple parfait. Notre histoire est belle, parce qu'il s'agit là d'un premier amour. Mais ce n'est plus suffisant. « Et tu crois que ce bébé permettrait de tout arranger ? » C'est une bonne question, à laquelle je suis incapable de répondre. « J'en sais rien. » Je ne sais pas si c'est vraiment ce que je veux. En réalité je suis perdue, et ce bébé n'arrange rien à la situation. « Ecoute je peux pas te dire quoi faire parce que chaque situation est unique mais sache que c'est ton corps, tu en fais ce que tu veux, personne n'a le droit de venir te dire quoi en faire. Tu peux en parler à qui tu veux, garder le bébé ou pas, tu peux avorter sans en parler à personne, et je serais là pour te soutenir. C'est toi qui décide. Mais faut pas que tu pense à ce que diraient les gens. Il faut que tu réfléchisses à ce qui est le mieux pour toi, mais aussi ce qui est le mieux pour ce bébé. » Je hoche un peu la tête à la suite de ses mots. Il a raison, quoi que je décide, il faut que je pense à moi. Au bébé aussi. A ce qu'il serait mieux pour tout le monde. Mais le problème c'est que dans ma tête, je n'en suis pas encore là. J'ai encore du mal à réaliser le truc, à me dire que tout ça puisse vraiment être réel. Alors de là à faire un choix aussi important... ouais c'est la merde. « Merci Alix. » De réussir à trouver les mots justes, et surtout d'être là pour moi, maintenant et pour le futur. Je passe devant mon bureau pour venir l'enlacer de mes bras dans une étreinte qui me fait du bien. « Tu crois qu'il faut que j'en parle à Kali ? » C'est notre patronne, et forcément, même si je ne sais pas encore ce qu'il adviendra de ce bébé, c'est un évènement qui peut causer du trouble dans mon travail. Et puis c'est Kali quoi... elle est spéciale à mes yeux. Surtout depuis plusieurs mois et ce qui lui est arrivé. Alix n'est pas au courant, mais je pense qu'il se doute de quelque chose. « Elle a pas forcément besoin de ça en ce moment... » De s'inquiéter pour moi, j'entends, ou pour le travail aussi. Parce que dans la tête d'une patronne elle pensera forcément à mon arrêt maternité et tout ce qui s'en suivra. Il y a pas que ça d'ailleurs. Il y a aussi notre proximité étrange, ce sentiment que je ressens depuis quelques temps en pensant à elle. « Enfin je ne veux pas en rajouter une couche. » Je grimace légèrement, laissant inconsciemment planer le doute sur les problèmes personnels de Kali en disant ça.

Je reconnais que c'est une situation difficile. Et c'est peut-être mal de penser ça mais je suis content de pas être à sa place. Mais je sais ce que c'est que de se sentir dos au mur, d'avoir l'impression d'être complètement paumé, de se sentir démuni, vulnérable, d'avoir peur d'avoir tout foutu en l'air, de ne plus savoir où on en est. Je connais ces sentiments. Et je sais, qu'à peu de choses près, c'est ce qu'elle ressent. Alors j'essaie de l'aider comme je peux, je lui donne les conseils que je peux, en espérant qu'ils ne soient pas trop mauvais et qu'ils puissent l'aider à traverser tout ça. Visiblement ça marche puisqu'elle me remercie. On ne peut pas dire qu'elle sourie, mais j'ai l'impression qu'elle a l'air un peu plus détendue. Mais peut-être que je ne vois que ce que je veux bien voir. « Tu crois qu'il faut que j'en parle à Kali ? » Sur le coup je ne sais pas très bien si j'écarquille les yeux ou si je fronce les sourcils. J'avoue que je ne vois pas très bien en quoi ça concernerait Kali pour le coup, je suis pas sûr de suivre. Je n'ai pas le temps de me questionner plus que ça qu'elle reprends. « Elle a pas forcément besoin de ça en ce moment... Enfin je ne veux pas en rajouter une couche. » Est-ce que y a un truc que je ne sais pas ? J'essaie de vite fait passer en revue les derniers évènements mais rien de particulier ne me reviens. Enfin, je sais que Kali a pas eu la vie facile, mais j'ai pas vraiment plus de détails en fait. « Oui j'imagine... » je réponds alors sobrement. Une manière de pas trop m'engager sur une pente glissante. « Après façon... je vois pas trop pourquoi tu lui en parlerais. Enfin, pour l'instant c'est pas nécessaire. Attends plutôt d'être sûre de ce que tu veux faire avant non ? » je propose en haussant les épaules. Autant qu'elle s'évite un stress supplémentaire non ? « Enfin, je veux juste dire que... avant de mettre tout le monde au courant de ta grossesse, autant déjà être sûre à 100% que t'es enceinte, et puis que tu le gardes. » Visiblement elle n'est absolument sûre de rien, et j'imagine que c'est normal, ça doit être hyper troublant. « Est-ce que ça t'aide ? J'me suis jamais considéré super doué pour donner des conseils alors... Je fais comme je peux. Mais faut dire qu'au vu de ma vie sentimentale, ou en fait ma vie tout court... fin disons que c'est relativement chaotique et que j'ai rarement eu les bonnes façons de réagir. Alors pas sûr d'être tout à fait qualifié pour donner des conseils. « En tout cas je fais comme je peux et puis quoi qu'il arrive tu peux compter sur moi ! » Mieux que rien pas vrai ?

Je pense directement à Kali, et ce n'est pas pour rien. Pas seulement dans son rôle de patronne. Mais bien en tant que personne, et amie. Enfin... je sais, c'est bizarre. Et pourtant pas aussi surprenant que ça quand on y pense. Nous sommes très proches toutes les deux, peut-être un peu trop d'ailleurs. Je ne sais pas ce qu'il en est exactement de son côté, mais pour moi, c'est troublant. Notre proximité est étrange même, mais pas désagréable pour autant. Au contraire. C'est même plutôt grisant. Même si du point de vue d'Alix c'est encore différent. « Après façon... je vois pas trop pourquoi tu lui en parlerais. Enfin, pour l'instant c'est pas nécessaire. Attends plutôt d'être sûre de ce que tu veux faire avant non ? » C'est vrai qu'il reste encore une infime chance que je ne sois pas réellement enceinte. Malgré les dizaines de tests déjà réalisés. Seule une prise de sang pourra officiellement confirmer cette nouvelle. « Enfin, je veux juste dire que... avant de mettre tout le monde au courant de ta grossesse, autant déjà être sûre à 100% que t'es enceinte, et puis que tu le gardes. » Ça, c'est encore un autre problème. Mais effectivement il faut que je fasse les choses dans l'ordre. « Ouais tu as raison, je vais déjà aller faire une prise de sang et on verra après. » Lui seul sera au courant jusqu'à ce que je sois sûre que cette grossesse soit vraiment réelle. Inutile de le crier sur tous les toits en attendant - même si de toute évidence Kali n'est pas n'importe qui à mes yeux. « Est-ce que ça t'aide ? J'me suis jamais considéré super doué pour donner des conseils alors... En tout cas je fais comme je peux et puis quoi qu'il arrive tu peux compter sur moi ! » Un sourire se dessine au coin de mes lèvres, alors que mon regard se veut reconnaissant. Bien sur que ça m'aide de le savoir à mes côtés. « C'est gentil Alix. » Il est là pour moi, et c'est appréciable d'avoir quelqu'un sur qui compter dans ce genre de moment. « Ça me fait du bien de pouvoir en parler avec toi. » Fallait que ça tombe sur lui, le pauvre. En tout cas je ne porte plus ce secret toute seule, et c'est en quelques sortes un poids en moins à avoir sur les épaules. Même si ça ne change rien en soit à la complexité de la situation. « Est-ce que ça va toi ? » Je n'ai pas forcément envie de continuer de parler de ce potentiel bébé toute la journée non plus... c'est déjà assez dur comme ça. Alors c'est naturellement que je m'inquiète pour lui, parce que nous n'avons pas réellement eu l'occasion de se parler tous les deux ces derniers temps. Nous pouvons prendre quelques minutes encore pour nous, avant que nos journées de travail respectives reprennent leurs droits.

« Bon si ça te fait du bien tant mieux ! Heureux de pouvoir rendre service. N'hésites pas si jamais t'as besoin de parler, j'suis dispo 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ! » Est-ce que c'est bizarre de penser que ça fait du bien de se sentir utile ? Même si on peut pas vraiment dire que je sois d'une grande utilité dans le cas présent, je l'ai juste écouté parler et j'ai essayé tant bien que mal de l'aiguiller un peu, rien d'exceptionnel. Mais bon. Ça fait quand même du bien. Faut dire que je me sens pas très utile ces temps-ci. Et ça commence à me monter au cerveau, je sais que je ne devrais pas y penser mais c'est plus fort que moi. Evidemment quelque chose que je ne pourrais jamais avouer à Felix. J'en ai déjà parlé avec Harrington, il me comprends, dans une certaine mesure. Il a une famille, une grande famille aimante, des parents, des frères, des sœurs, il a même créé sa propre famille, il a un fils. Enfin je crois bien que c'est un fils, faut que je sois plus attentif quand les gens me parlent, bref, il a un enfant quoi. Il a aussi de nombreux amis qui l'entourent. De bien des manières il me semble plus vivant que je ne le serait jamais. Et j'aime pas avoir ce sentiment, me sentir à part, mis de côté, rejeté par la société. Un sentiment que je ne connais que trop bien. « Est-ce que ça va toi ? » Je sursaute presque. J'étais parti si loin, si profond, dans mes réflexions que j'ai perdu pied. « Hein ? Euh, oui oui, tout va bien. » Je soupire. Puis je laisse échapper un rire. « Wow, c'était si peu convaincant... faut que tous les deux on bosse sur nos bluffs hein ! » je m'exclame, laissant échapper un nouveau rire. Je me redresse, bois environ la moitié de mon café d'une traite et puis je reprends la parole. « Tu as partagé ton secret avec moi, alors laisse moi te dire le mien. » Cette fois j'ai repris mon sérieux. Mais j'ai presque honte, parce que ce que j'ai à dire, c'est un faux-problème, ce n'est rien, une idée noire tout au plus. « En prison tu rentres dans un autre genre de société, avec d'autres règles. Tout est réglé avec précision, les heures de lever, de coucher, de repas, de salle de bain, de travail, de cours, tout est chronométré. L'argent ne compte pas. Et tu dois gagner le respect des mecs là-bas. C'est dur, mais c'est clair. » Je fais une pause. Je n'aime pas parler de ça. Mais ça me fera peut-être un poids en moins. « Ici c'est différent. C'est individualiste. Tout le monde est alimenté par sa propre avidité. Avide de pouvoir, de richesses. Tout s'achète. Mais une fois que tu as fais de la prison, ce monde t'es interdit. Quand tu sors de prison, la société qui t'avais accepté te rejette. T'es seul, perdu. La transition entre les deux mondes est difficile. C'est pas étonnant que beaucoup d'ex-détenus replongent. » Je m'en veux de penser ça, et d'embêter Taylor avec ces pensées ridicules, et pourtant, je ne peux pas m'en empêcher. « Souvent je me dis que ce serait tellement plus simple de commettre un crime, n'importe lequel, pourvu que je retourne derrière mes barreaux familiers. » Combien de fois j'ai attendu à un feu rouge, le pied caressant l'accélérateur, combien de fois ai-je imaginé appuyer sur la pédale, renverser une petite vieille, commettre un délit de fuite, laisser assez d'indices derrière moi pour être attrapé, jugé, renvoyé dix ans, vingt ans derrière les barreaux. Je sais bien que je ne devrais pas penser à ce genre de trucs, c'est abominable, j'en ai conscience. Mais une vie qui n'a pas de sens, ce n'est pas une vie, c'est un enfer. « On dirait pas que sous la surface j'suis complètement barré pas vrai ? Comme quoi, en bluff, j'me défends ! » je plaisante d'un ton léger.

Stop, fini de parler de moi. Il a été là pour moi, à m'écouter et à me rassurer. C'est désormais à mon tour de lui rendre la pareille. Ça fait un moment que nous avons pas parlé ensemble - en dehors du boulot et de tous les dossiers j'entends. Parler comme des amis, se confier l'un à l'autre sur ce qui nous pèse, ou au contraire sur ce qui nous rend heureux. Parce que oui, il peut y avoir du positif aussi. Et heureusement. Sinon nos vies seraient déprimantes. Même si, suite à ma révélation, je suis un peu entre deux. Je n'arrive définitivement pas à me réjouir à 100% de cette nouvelle. « Hein ? Euh, oui oui, tout va bien. » Il est encore moins crédible que moi tout à l'heure. Je vous jure, on fait un sacré duo tous les deux quand on y pense. Je ne peux m'empêcher de le regarder d'un air interrogateur, peu convaincue. « Wow, c'était si peu convaincant... faut que tous les deux on bosse sur nos bluffs hein ! » Je mêle alors mon rire au sien. « On peut monter un club si tu veux ? » Le club des nuls. Ouais clairement on pourrait nous donner une médaille. « Tu as partagé ton secret avec moi, alors laisse moi te dire le mien. » Il redevient sérieux, et j'essaye de me montrer attentive pour le mettre en confiance. Il sait très bien qu'il peut tout me dire. Alix se confie alors sur un gros point de son histoire ; la prison. C'est un sujet dont on n'a jamais vraiment parlé ensemble, peut-être un peu par pudeur, mais je suis contente qu'il me fasse suffisamment confiance pour s'ouvrir à moi. Et même s'il faut le vivre pour savoir, je peux tout de même essayer de comprendre. Ou d'imaginer ne serait-ce qu'un minimum ce qu'il a pu vivre là-bas. Et ce qu'il fait qu'il se sent autant à l'écart. Je le vois perdu entre deux mondes, deux univers complètement différents l'un de l'autre. Et sa détresse me touche. Je ne peux pas rester indifférente à ce que je suis en train d'entendre. Je me rapproche de lui, le regard réconfortant. « Tu n'es pas seul Alix. » Même si c'est ce qu'il ressent, et je peux comprendre. Mais il a sa soeur, il a des amis. Il m'a moi aussi. « Je ne peux qu'imaginer ce que tu ressens, et à quel point c'est dur de te réadapter à cette vie. Mais j'ai confiance en toi, tu vas réussir à te relever. A te refaire confiance, à grandir aussi, encore. » C'est ce qu'il fait déjà depuis qu'il est arrivé dans ce travail. A mes yeux, il a tellement de force et de courage que tout le monde devrait le prendre pour exemple. « Souvent je me dis que ce serait tellement plus simple de commettre un crime, n'importe lequel, pourvu que je retourne derrière mes barreaux familiers. » Alors ça, c'est dur à entendre. Je m'attendais à tout sauf à ça. Mais là encore, je peux comprendre l'idée qui se cache derrière cette idée. « On dirait pas que sous la surface j'suis complètement barré pas vrai ? Comme quoi, en bluff, j'me défends ! » Je ne veux surtout pas qu'il abandonne en si bon chemin. « Si tu fais ça, je viens te chercher en taule par la peau du cul. » Je ris un peu, pour essayer de le faire rire aussi. Parce que c'est comme ça que je fonctionne. Je ne suis pas nécessairement douée avec les mots. « Ne me mets pas au défi, tu sais que j'en suis capable. » J'essaye de détendre un peu l'atmosphère, mais dans le fond, ce que je dis, je le pense. Je veux lui faire comprendre, sans doute maladroitement, que je ne l'abandonnerais pas. Jamais. « Comment je ferais sans toi moi ici ? » Je redeviens un peu plus sérieuse. « C'est déjà trop le bordel comme ça. » Bon, pas très longtemps non plus. Non mais sérieusement je ne veux pas le voir lâcher prise. Et je me promets, secrètement, d'en faire une priorité.