I have nothing to do in this place, but I'm here (Minca#7)

Peut-être m’étais-je un peu surestimée. Je me pensais capable d’avoir ce rendez-vous avec Mika, de la découvrir sous son vrai jour, sans que cela ne me remue trop. Il m’a fallut quelques jours pour digérer notre discussion, je m’étais préparée à ce que l’on parle de son frère, cependant je n’avais pas anticipé me sentir si touchée par la jeune femme. Elle s’est livrée, sans masque, comme je le lui avais demandé. Au fond de moi j’avais un petit apriori, pensant qu’elle jouerait encore une fois un rôle, telle une mythomane pathologique. Mais ce n’est pas ce qu’elle est. J’aurais peut-être préféré, les choses seraient probablement plus simples. Je redoutais un peu de retourner au refuge, risquant potentiellement de la voir. Et puis finalement nous ne nous sommes pas croisés. Si j’ai d’abord cru à un hasard d’emploi du temps, je me suis ensuite surprise à penser que la blonde m’évitait peut-être. Sachant combien s’occuper des animaux compte pour elle, je me sentais un peu mal face à ce constat. Il y a assez de place pour nous deux et puis rien ne m’empêche de trouver un autre refuge où faire du bénévolat, ou même une autre activité pour accomplir l’exercice donné par la psy. Mais là où les choses devenaient inquiétantes c’est que personne n’avait de nouvelles ou ne l’avait vu depuis plusieurs jours. Et si il n’y avait pas que le mensonge que Mika ai pu avoir en commun avec son jumeau ? Mon sang c’était glacé à cette pensée et je décidais de me rendre au garage où elle travaille afin de me rassurer s’il ne s’agissait que d’un sorte de fuite et  avoir une nouvelle conversation, trouver un arrangement ou que sais-je qui faciliterait un peu la situation pour l’une comme pour l’autre. Je tombais sur son patron, visiblement de sale humeur. Je le sollicitais avec précaution, et un peu d’appréhension aussi, pour pouvoir parler à son employée et il m’apprit avec contrariété qu’elle était en arrêt pour encore au moins trois semaines parce que je cite : “Cette andouille s’est pétée le pied.“. A cet instant je ressentis un énorme soulagement, même si le fait qu’elle ai eu un accident n’avait rien de joyeux, mais au moins elle n’avait pas fait de connerie.
J’aurais pu m’en tenir là, simplement rassurée que Mika soit toujours en vie, juste en convalescence mais mon empathie a fini par prendre le dessus. C’est comme ça qu’après avoir trouvé son adresse dans les fiches d’inscriptions des bénévoles du refuge, je me retrouve en bas de chez elle, un peu stressée, ne sachant pas vraiment ce que je fous là. Après ce qu’elle m’a fait, ses mensonges, qu’est-ce que ça peut me faire qu’elle aille bien ou pas ? Néanmoins, si je suis là ce c’est pour une raison, elle m’échappe ou alors je fais tout pour ne pas la regarder en face, mais elle existe. Premier effort, j’entre dans l’immeuble, monte a l’étage correspondant au numéro de son appartement et me plante devant la porte. Je prends une profonde inspiration, expire lentement et mon index appuie sur le bouton de la sonnette. J’en entends l’intonation à l’intérieur. Je ne peux plus reculer. J’attends, j’ignore si elle va ouvrir, j’entends de l’agitation puis un aboiement. Finalement la porte s’ouvre et le chien se précipite vers moi, visiblement très enthousiaste de ma présence, lui qui est normalement plutôt méfiant. Je souris de cet accueil puis relève le regard vers Mika, elle a l’air surprise et ça masque un peu ses traits fatigués « Salut. », forcément elle ne devait pas du tout s’attendre à me voir. « On m’a dit que t’avais eu un accident. Je voulais prendre des nouvelles. » j’aurais pu le faire par téléphone, mais à vrai dire ça ne m’a même pas effleuré l’esprit.

Je suis pas du genre ignorante. Je sais que faire de la moto comporte des risques, et j’ai joué au con, j’ai perdu. C’est pas grand chose, ça aurait pu être pire, petite glissade à cause de graviers, et mon pied est resté coincé entre le macadam et le poids considérable de ma moto. Pas de bol, plus de peur que de mal au final, je ne m’en tire qu’avec un pied pété. Enfin ça c’est dans les faits. Le pire, c’est surtout que je vais devoir rester chez moi pendant au minimum un mois. Je déteste ce plâtre, je déteste ces béquilles, je déteste devoir promener mon chien à cloche pied et plus pouvoir aller bosser. Je vais devenir dingue, un mois c’est beaucoup trop long. Et le pire c’est qu’après ça, je vais encore devoir attendre pour refaire de la moto. Ça me gonfle, je suis d’une humeur de chacal. Je loque sur mon canapé, mon appartement ne ressemble plus à rien, et j’ai capitulé face au regard de biche d’Aïko pour qu’il monte sur le canapé. Je suis une loque, je fais rien d’autre que bouffer et regarder des séries sur Netflix. Joli.
Alors quand la sonnerie de l’appartement retentit, mon chien est le premier à courir jusqu’à la porte. Evidemment, je peux pas le suivre. J’ai une gueule d’enterrement, et clairement envie de voir personne. Aïko jappe devant la porte comme pour me demander de m’activer. Il voit plus grand monde ces derniers temps, et heureusement, le voisin l’aime bien, et il a accepté de le promener une fois par jour pour m’éviter de marcher trop longtemps. Ça lui permet au moins de rencontrer quelques chiens en balade, plutôt que de rester coincé ici avec moi. Je sautille jusqu’à la porte et l’ouvre, le visage fermé. Lorsque mon cerveau pend conscience qu’il s’agit bien de Bianca - mon coeur l’avait compris bien avant lui vu la course folle qui agite ma cage thoracique - je panique un peu. Je suis habillée n’importe comment, et mon appart est sans dessus dessous. « Salut. On m’a dit que t’avais eu un accident. Je voulais prendre des nouvelles. » Je cligne quelques fois des yeux pour être sûre que c’est bien elle, qu’elle est bien là, que je rêve pas. Je passe ma main dans mes cheveux, nerveusement. « Euhm, salut. Ouais, j’ai… » Je baisse la tête vers mon plâtre et lève un peu le pied pour lui montrer l’état des dégâts. « Un mois d’immobilisation, et trois mois de rééducation. » On adore. Je soupire un peu et, après une courte hésitation, je lui propose quand même. « Tu veux entrer ? Boire un café ? Je suis désolée, c’est un peu le bordel, mais j’ai encore du café. ». Je sais même pas exactement pourquoi elle est là. Bien sûr ça me fait plaisir, mais je ne m’y attendais vraiment pas.

J’aurais pu me contenter des infos données par son patron. De savoir que Mika a eu un accident et que c’est la raison de son absence. Mais je suis poussée par le besoin de prendre de ses nouvelles, un peu motivée par une certaine peur aussi. Celle de son silence bien trop similaire à celui de son défunt frère. Il faut que j’en ai le cœur net, que je la vois de mes yeux. J’aurais pu me contenter de l’appeler mais je ne l’ai même pas envisagé. Ce n’est pas sans efforts, le mal qu’elle m’a fait ne s’effacera pas en si peu de temps, peut-être ne s’effacera t’il jamais et j’en garderais sans doute la cicatrice. Cependant je suis là, par choix et bien que je tremble un peu, je trouve la force d’aller jusqu’au bout et de sonner à sa porte. Lorsqu’elle ouvre, je suis accueillie par son chien dont la joie me met aussitôt plus à l’aise. Sentiment qui se dissipe un peu lorsque mon regard croise celui de la jeune femme. Je la prends de cours, j’en ai conscience et je lui adresse même un petit sourire désolé avant de lui donner la raison de ma présence. Prendre de ses nouvelles tout simplement. Je mentionne son accident, elle confirme mais son plâtre l’avait déjà fait pour elle. Elle en a pour un mois avec ensuite de la rééducation, je fais une légère grimace, la connaissant un peu ça doit être une torture pour elle de ne pas pouvoir faire ce qu’elle veut. Mais au moins elle s’en tire avec juste un pied cassé, il faut tenter de voir le positif. Est-ce que je veux entrer ? Je n’en sais rien. Ça serait bizarre que je reparte comme ça. Mika me propose un café, prévenant que c’est le bordel chez elle. Je hausse les épaules et hoche la tête à la positive « Je veux bien un café. ». J’entre dans son appartement, sans me formaliser du bordel, elle m’a prévenu et puis je me doute que le ménage et le rangement ne sont pas sa priorité ni ce qu’il y a de plus simple dans son état. Aïko a l’air déçu de devoir rentrer, il espérait sans doute pouvoir aller faire un tour. Je la suis à l’intérieur « C’est ton patron qui m’a dit pour ton accident. » dis-je pour rompre le silence et expliquer ma présence « Je ne t’ai pas vu au refuge et personne ne savait rien et… » je hausse les épaules puis avoue « Je m’inquiétais. » je n’ai aucune raison de lui mentir. « Tu t’en sors, tu as quelqu’un pour t’aider un peu ? » faire des courses, ce genre de choses.

Je ne m’attendais à voir personne, et encore moins Bianca. Je ne saurai dire ce que ça provoque en moi, un mélange de plusieurs émotions ça c’est certain. Je suis un peu mal à l’aise de l’accueillir comme ça, enfin franchement c’est pas le meilleur accoutrement pour ouvrir la porte, un jogging et un vieux t-shirt à l’effigie de Star Wars. Pour le sex appeal on repassera. Je lui explique que j’en ai encore pour un moment, et vu ma patience, c’est déjà en train de m’énerver. Mais maintenant qu’elle est là, je ne me vois pas lui refermer la porte au nez, et lui propose un café, même si c’est le bordel. Elle accepte, et mon coeur s’emballe. C’est la première fois qu’elle met les pieds ici, on avait plutôt tendance à aller chez elle quand on était ‘ensemble’. Cette simple pensée me vrille le cerveau et le coeur. Combo gagnant. « C’est ton patron qui m’a dit pour ton accident. Je ne t’ai pas vu au refuge et personne ne savait rien et… Je m’inquiétais. » finit-elle par avouer. Mon coeur se serre un peu encore, bien sûr que ça me fait plaisir de savoir qu’elle s’inquiète pour moi. « Fallait pas. J’suis pas morte tu vois ! » Je tente un rictus, même si c’est peut-être un peu déplacé de parler de cette manière quand on sait ce qu’a fait mon frère jumeau. Malgré tout, même si elle l’a vécu de manière moins importante que moi, elle a été impactée elle aussi par le suicide de mon frère. « Tu t’en sors, tu as quelqu’un pour t’aider un peu ? » me demande-t-elle alors que je lui pose son café sur le petit bar qui sépare très vaguement la cuisine du salon. « Mon voisin est gentil, il promène Aïko quand il peut, le pauvre il se fait chier… » En entendant son nom, le jeune chien approche et je lui gratte la tête avec tendresse. « Sinon, j’me fais livrer les courses, et j’me laisse aller un peu niveau rangement. » Je ricane légèrement, parce que j’ai un peu honte quand même de l’accueillir là dedans. Mais bon, c’est pas comme si c’était dégueulasse non plus, encore heureux. « J’drevrai peut-être prévenir le refuge, j’y ai même pas pensé… » Parce que j’ai préféré rester là à déprimer, et puis je sais même pas où est mon téléphone. Je pensais sûrement que personne en aurait rien à foutre de savoir où j’étais passée. J’ai juste prévenu le boulot pour pas me faire virer, mais même ma famille ne sait pas que je me suis pété le pied en moto. « Ça va toi ? » Parce que au final, mon état, on s’en fout un peu. Je retiens juste qu’elle s’inquiète pour moi, et ça me fait du bien, après tout ce qu’on a vécu, et tout le mal que j’ai pu lui faire, nous faire…

Fallait pas que je m’inquiète selon Mika, la preuve elle n’est pas morte. Mais ça je ne pouvais pas le savoir puisqu’elle n’a pas donné de nouvelle. Elle sourit et je sais que c’est plus un moyen de défense qu’une vraie plaisanterie, cependant je ne trouve pas ça super drôle. Je passe outre cette petite indélicatesse de sa part et lui demande si elle a un peu d’aide, vu qu’elle semble s’être complètement isolée et coupée du monde… La blonde me serre un café tout en m’expliquant que son voisin se charge de sortir Aïko. Pour le reste, la livraison est son amie et le rangement attendra. Je hoche la tête avec un léger sourire après avoir baladé mon regard dans la pièce, c’est vrai que c’est un peu le bordel. A vrai dire je m’en fous, elle va bien, c’est ce qui compte. Enfin si on exclu sa blessure au pied et sa probable tendance à tourner en rond. Ma présence fait office de déclic je crois, elle songe à prévenir le refuge, mieux vaut tard que jamais. Je hoche la tête, l’encourageant dans cette voie « Je crois que ça serait bien, oui. » je ne suis pas la seule à m’être questionnée sur son absence, juste la plus déterminée à obtenir une réponse. J’allais enchainer, mais Mika me demande comme je vais avec spontanéité et sincérité. Je le vois à ce regard qu’elle pose sur moi, s’il y a une chose qui ne peut mentir se sont ses yeux. Je hoche la tête « Oui ça va. » je lui adresse un léger sourire « Mieux que toi. Tu as voulu t’improviser cascadeuse ? » demandé-je, curieuse de savoir comment elle a fait son compte, un peu soucieuse aussi. « Des imprudences ? » ajouté-je en la regardant avec un petit air faussement accusateur, faisant appel à notre confiance passée dont les vestiges ne sont finalement pas si loin. J’ai eu du temps pour digérer notre dernière conversation, le temps de prendre du recul et d’être au clair avec ce que cela provoquait en moi. Peut-être aurais-je préférée que Mika soit la mythomane que j’imaginais… Mais j’ai bien été forcé de voir qu’il y avait eu du vrai dans nos moments partagés. Que faire ? La condamner pour le mal qu’elle m’a fait ou lui laisser le bénéfice du doute ? Je crois que ma présence ici, chez elle, est un élément de réponse. Il y a quelques mois en arrière je ne me serai probablement pas soucié de son sort. « A part ton voisin et les livreurs, tu ne vois personne ? » se refermer sur elle en attendant que ça passe, je pense que ça lui ressemble bien. Comme quoi, j’ai un peu le sentiment de la connaître malgré tout.

Je suis sous l’eau, complètement sous l’eau. J’ai pas l’habitude de rien pouvoir faire comme ça, et je crois que ça me rend con. Je pense pas aux choses essentielles, je tourne en rond, et ça me rend dingue. Bianca appuie sur le fait que ce serait bien de prévenir le refuge. C’est vrai, je le note dans un coin de ma tête pour quand je serai seule. Si j’oublie pas. J’ai pas tellement envie de m’apitoyer sur mon sort, c’est pas mon genre. Alors à la place, je lui demande si elle va bien. C’est pas juste pour faire la conversation, c’est une vraie question, et j’aimerai une vraie réponse, si elle pense que je suis digne d’en avoir une. « Tu as voulu t’improviser cascadeuse ? » me demande-t-elle avec une pointe d’ironie dans la voix. « Des imprudences ? » Je hausse les épaules. « Quand on fait de la moto, on sait qu’il peut arriver un peu tout et n’importe quoi. Et si souvent c’est la faute des autres, là j’ai juste jouer les abruties… » Je lève les yeux au ciel. J’aurai pu inventer n’importe quoi, mais elle me voulait sincère, je le suis. « Enfin, rien de grave au final, juste un pied pété, j’ai hâte de pouvoir remonter sur ma moto. » Parce qu’entre tout autre chose, c’est sans doute ce qui me manque le plus. Cette situation est un peu étrange. J’aurai pu être celle qui allait frapper chez elle pour prendre de ses nouvelles, avec inquiétude. Mais c’est elle qui le fait, et je sais même pas quoi en penser. Evidemment que ça me fait plaisir, mais j’ai pas envie de me faire de faux espoirs non plus. Et c’est difficile. « A part ton voisin et les livreurs, tu ne vois personne ? » Nouveau haussement d’épaules, geste dont j’ai le secret. « Voilà c’est ça. On a fait le tour. » Et comme ma famille n’est pas au courant, ce n’est pas eux qui viendront me voir. De toute manière, ils ont mieux à faire que de venir me tenir compagnie. « Heureusement qu’il est là lui. Bon même si franchement, il aimerait être ailleurs j’te le dis. » Je ris un peu, mais ça me fait mal au coeur pour lui de ne pas pouvoir le sortir comme on le faisait avant. C’est un chien qui a besoin de nature, de se dépenser. Et nos balades dans la forêt lui manquent, c’est certain. « Et puis tu vois, j’ai même des visites auquelles je m’attendais pas. » Je plonge mon regard dans le sien et lui offre un sourire sincère. « Agréable visite… » que je marmonne un peu dans ma non barbe, juste pour moi, ou presque. Je bois mon café d’une traite et pose mon regard sur l’étendue des dégâts de mon appartement. Un désastre. « Bon, ben j’ai l’honneur de te dire que ça y est, tu as vue les pires parties de moi. » Je soupire un peu, dépitée. Au moins, elle aura plus de mauvaise surprise à l’avenir. S’il y a un avenir, cela dit…

Est-ce que je vois Mika comme une tête brûlée ? Pas particulièrement, mais une rebelle sans aucun doute. Et peut-être qu’elle est allée un peu loin en repoussant ses limites. La moto n’est pas sans risque, au contraire, elle en a conscience et si une tierce personne aurait pu être à l’origine de son accident ce n’est pas le cas, elle a chuté seule. J’apprécie sa sincérité « Tu as eu de la chance que ça ne soit pas pire. » elle s’en sort bien et peut-être que ça suffira à lui servir de leçon. Elle ne semble mal vivre son immobilisation et ne voit personne. Je ressens à nouveau ce sentiment ambivalent, la compassion d’une part et le souvenir de la souffrance infligée de l’autre. Je ne suis plus vraiment dans la rancœur, plutôt dans la prudence. « Ta famille ne prend pas de tes nouvelles ? » m’étonné-je, mais je me rends compte que je ne sais même pas s’ils habitent dans le coin ou non. Finalement Aïko est la seule présence constante qu’ai Mika. Quel ami plus fidèle qu’un chien ? Et pourtant la jeune femme en arrive à penser qu’il préfèrerait être ailleurs, je secoue la tête « Il aimerait sortir plus, mais sans toi il serait mal. T’es son repère. » dis-je dans un haussement d’épaules en posant un regard un peu attendri sur le chien et son regard si plein de bienveillance et d’amour. Finalement la blonde fait référence à ma visite imprévue, j’esquisse un léger sourire, son regard se fixe dans le mien et je crois que mon cœur a un petit raté alors qu’elle évoque le caractère agréable de ma venue. « Tant mieux. » lâché-je un peu gênée avant de boire une gorgée de café, mon regard suit ensuit celui de Mika, elle m’avoue s’afficher sous son plus mauvais jour, ainsi j’ai vu les pires parties d’elle. Est-ce vrai ? Je la sens sincère, c’est ça le plus fou dans toute cette histoire. Même lorsqu’elle me mentait je la sentais vraie, de quoi tomber d’encore plus haut lorsqu’elle m’a avoué la supercherie. Alors talent de manipulation, ou ce que Mika m’a raconté est bien vrai ? Elle était elle tout en se faisant passer pour son frère, prisonnière d’un mensonge. Ça ne change rien. Ou peut-être que ça change tout. Je ne sais plus, je suis perdue et encore une fois je me surestime sans doute. Pourtant je sens une sorte de force me pousser vers elle, l’affronter. Pour terrasser ce démon ? Pour me tester ? Si j’avais su tout de suite qu’elle est une femme je ne serais jamais tombée dans ses bras. Elle m’a dupé. Est-ce que je dois retenir alors que dans mon esprit j’ai toujours le souvenir des sensations ressenties lorsque nous étions ensemble. « Le pire reste toujours le mensonge. Le pire c’est que tu sois une femme. » dis-je finalement en baissant le regard « On aurait pu être amies je crois. Le peut-on encore, je n’en sais rien. » moi aussi j’ai à cœur d’être sincère. Je relève les yeux vers elle « Pardon, je veux pas être blessante. T’as déjà assez à gérer, je ne suis pas venue pour ça… Des reproches. S’en est pas je… » c’est confus dans ma tête, je crois que ça se sent « Je suis un peu perdue. » avoué-je finalement.

J’ai eu de la chance que ce ne soit pas pire. C’est vrai, et j’en suis consciente. Mais quand on fait de la moto, on sait qu’on se met en danger. « Ta famille ne prend pas de tes nouvelles ? » Je hausse les épaules. Ils sont bien assez occupés par la maladie de mon frère. « Ils ont autre chose à penser, je leur ai pas dit, toute manière y’a rien de grave. » C’est juste chiant. Et puis mon chien en pâtit aussi et ça ça me fait chier, clairement. Bianca essaie de me rassurer en me disant que je suis le repère d’Aïko et que même s’il ne sort pas autant, il n’est pas malheureux pour autant. J’aimerai le croire. Enfin au fond, je le sais, mais ça ne m’empêche pas de culpabiliser pour autant. Je déteste m’ennuyer, et là c’est pire que tout. Mais je la remercie d’être passée, sa visite m’est agréable, et je vois bien dans son regard que cet aveu la bouleverse un peu. Une fois mon café terminé, et avec un peu d’humour, je lui dis qu’elle aura fini par voir toutes les pires parties de moi. « Le pire reste toujours le mensonge. Le pire c’est que tu sois une femme. » Wow, je m’attendais pas à ça. Mon regard rivé sur elle, je sens mon coeur qui s’est emballé d’un coup. Elle baisse les yeux, je me sens fébrile. « On aurait pu être amies je crois. Le peut-on encore, je n’en sais rien. » Je déglutis avec difficulté, je ne pensais pas qu’elle était venue pour me dire ce genre de trucs, il me semblait la dernière fois qu’on avait fait le tour des aveux, des excuses, des blessures aussi. Mais en fait non. Je reste immobile, et elle relève les yeux vers moi. « Pardon, je veux pas être blessante. T’as déjà assez à gérer, je ne suis pas venue pour ça… Des reproches. S’en est pas je… Je suis un peu perdue. » Je hoche un peu la tête, très légèrement, et cette fois c’est moi qui baisse les yeux, me raclant un peu la gorge. « C’est rien. C’est mérité. » Elle pourra me faire des reproches toute ma vie, que ce sera toujours mérité. Ce que je lui ai fait n’est pas pardonnable, je le sais très bien, et c’est déjà beaucoup qu’elle soit venue jusqu’ici. J’en demandais pas tant, et en réalité je ne pense même pas mériter autant. « Ne t’excuse pas. » Elle a tout a fait le droit de me dire ce qu’elle ressent, même si ça me blesse, je le mérite. « Je regrette tous les jours de t’avoir menti. Mais pour être honnête, je sais pas si j’aurai pu me contenter d’une simple amitié avec toi Bianca. » J’ai son attention, son regard ancré au mien, elle attend la suite. « Je te l’ai dit, je suis tombée amoureuse de toi à la seconde où je suis rentrée dans le café. » Je hausse finalement les épaules, cherchant à paraitre un peu plus détachée. « Enfin les choses sont ce qu’elles sont. Peut-être que maintenant, une amitié serait déjà beaucoup demander. Trop même. » Mais c’est elle qui a les cartes en main, quoi qu’il advienne.

Sa famille n’est pas au courant pour son accident. Selon Mika ses proches ont autre chose à penser et sa chute étant sans réelle gravité, pas besoin de leur dire. Cette annonce me surprend, mais visiblement la rétention d’information est une habitude pour elle. Je comprends mieux pourquoi elle se sent seule, elle s’isole, se coupe du monde. Sa seule compagnie c’est celle d’Aïko, qui trouve le temps long lui aussi, mais en ami fidèle il la soutien à sa hauteur de chien. La blonde affirme que j’ai a présent fait le tour de ses mauvais côtés, le pire d’elle. Inévitablement ça vient toucher quelque chose en moi et je réplique amèrement, sans même vraiment le vouloir. C’est sorti tout seul, je n’ai pas digéré son mensonge. Parce que ce que nous avons vécu était basé sur un mensonge et pourtant ce que j’ai ressenti était réel. Je lui en veux d’avoir brisé ça. Si j’avais su tout de suite malgré son allure androgyne qu’elle est une femme, jamais je ne serais tombée sous son charme. Et puis c’est avec son frère que j’avais parlé des heures, pas elle… Même si notre connexion à nous aussi était bien réelle et sans doute établie plus rapidement qu’avec son défunt jumeau. Mika et moi aurions pu être amies, désormais rien n’est moins sûr. Cela dit je suis là, chez elle parce que je m’inquiétais qu’il lui soit arrivée quelque chose. Lorsque mes yeux croisent à nouveau les siens je vois bien que mes mots la blessent, ce n’était pas mon intention et je ne suis définitivement pas venue pour lui faire des reproches. Cependant je ne peux pas aller contre la spontanéité de mes mots, je ne veux plus de non-dits, plus de mensonge. Je lui présente des excuses pour la dureté de mes propos, mais la blonde estime l’avoir mérité. Je n’en suis pas sûre, elle se punit déjà seule avec ses regrets et le poids de ses erreurs. A son tour elle fait preuve d’honnêteté, une simple amitié n’aurait pas été envisageable de son côté. Je continue de la fixer, elle enchaine, parlant ouvertement de ses sentiments à mon égard ressentis dès notre toute première rencontre, dès les premières secondes. Mon cœur s’accélère, elle m’a déjà avoué la sincérité de ses sentiments, mais ça me perturbe plus que je ne le voudrais. A présent les cartes ont été rebattues, elle pourrait se contenter d’une amitié, sans doute même de moins que ça. Et moi, qu’est-ce que je veux ? La vraie question c’est celle-ci et je suis incapable d’y répondre. « Je voulais te rayer de ma vie tu sais. » avoué-je avec un sourire triste « Ne plus jamais entendre parler de toi, ne plus te revoir. » je soupire « Et puis tu étais au refuge. Je me suis demandée à quoi joue la vie ou ce que j’ai pu faire de mal pour avoir un tel karma. » elle encaisse sans broncher, je me sens mal de l’accabler ainsi « Mais je me suis rendue compte que je pouvais pas complètement t’ignorer. » je hausse les épaules « Je le voudrais. Parce que tu m’as fait beaucoup de mal… Sauf qu’une part de moi semble s’accrocher à je ne sais même pas quoi. ». J’échappe un petit rire nerveux « Je suis paumée Mika. Y’a rien qui va dans tout ça. » même nerveusement c’est un gros progrès pour moi que d’arriver à en rire « La preuve, je me suis inquiétée pour toi. Je suis là alors que je suis censée te détester. » je secoue la tête « Du moins je le croyais. ». Je bois plusieurs gorgées de café et repose la tasse « Tu te sens d’aller faire un tour avec ton chien ? Béquiller te fera un peu les bras. » je souris « Ils sont assez maigrichons. ».

Elle m’assène un nouveau coup. Je l’estime mérité, même si ça fait atrocement mal. Mais j’avais promis l’honnêteté depuis la dernière fois, comme une manière de me repentir, j’en sais rien. Enfin toujours est-il que je lui répète ce que je lui avais déjà avoué. Etre tombée amoureuse d’elle à la seconde même où j’ai posé mon regard sur elle. Mais les choses sont différentes aujourd’hui, et je donnerai n’importe quoi pour ne serait-ce qu’une simple amitié, même si ce serait de toute manière une punition que de me contenter de sa simple amitié. Je ne mérite pas mieux. « Je voulais te rayer de ma vie tu sais. » Je me demande de plus en plus si elle n’est pas venue ici pour me mettre plus bas que terre. Je pose ma main à plat sur le dossier de la chaise près de moi, comme pour encaisser, et être sûre de ne pas flancher. « Ne plus jamais entendre parler de toi, ne plus te revoir. » Et elle enfonce le clou, j’ai mal. Ses mots me font mal, mais je les mérite, et je la laisse poursuivre sans l’arrêter. Elle parle de karma, ce qu’elle aurait bien pu faire à la vie pour mériter une chose pareille. Plus elle parle et plus mes forces s’amenuisent. Elle avoue ne pas réussir à totalement m’ignorer. La preuve, elle est ici. Elle se sent perdue, elle ne comprend pas pourquoi elle s’accroche de cette manière, et j’ai l’impression que ça lui fait plus de mal que de bien. Ce n’est même pas une impression. Et moi, ça devrait me faire un peu plaisir de savoir qu’elle n’arrive pas à se défaire de moi, mais sachant que ça ne lui fait que plus de mal, je n’arrive même pas à m’en réjouir. « Je suis là alors que je suis censée te détester. Du moins je le croyais. » Elle ne me déteste pas. Elle devrait, sans aucun doute. Mais elle n’y arrive pas. Est-ce un début de victoire, même toute petite victoire ? J’en sais rien. Je reste toujours silencieuse, je n’ai de toute manière jamais été très douée pour parler, alors là, c’est encore pire. « Tu te sens d’aller faire un tour avec ton chien ? Béquiller te fera un peu les bras. » Je relève les yeux vers elle, surprise par sa proposition. Elle me tacle sur mes bras qu’elle trouve ‘maigrichons’, et je ne peux retenir un léger rire. « Ne l’écoutez pas, elle dit n’importe quoi. Vous êtes très bien comme ça. » que je dis en direction de mes pauvres petits biceps. « Ouais, la salle de muscu, c’est proscrit dans mon état. » Aïko est très intelligent. Trop même, et il a très bien compris qu’on parlait de lui, et d’une hypothétique promenade. Alors le voilà qui sautille, jappe, tourne autour de moi et de Bianca en attendant que quelqu’un veuille bien lui mettre son collier. « Bon. J’imagine que j’ai pas vraiment le droit de refuser… » Juste pour Aïko. Evidemment. Je montre à Bianca le placard où je range les affaires de mon chien. « Tiens, tu peux lui mettre son collier, je vais me changer. » Histoire d’enfiler un truc à peu près décent. Une fois prête, je sors de la chambre et ils m’attendent tous les deux. Je me fais même engueuler par mon chien. « Eh tu te calmes toi. Je sais que t’es au bout de ta vie que ton amoureuse ait proposé une balade mais on se calme ! » Je m’approche et hausse un peu les épaules. « Il a toujours été amoureux de toi. » mais pas autant que moi.

Je suis dure avec Mika, j’en ai conscience mais elle sait aussi combien j’ai été blessé par ses mensonges. Pour je suis là, après avoir essayé de la détester, de la sortir de ma vie sans y parvenir. Mon honnêteté est peut-être un peu rude à entendre pour la jeune femme, elle encaisse, cependant je la sens de plus en plus fébrile face à mes reproches. Je me ressaisie, je ne suis pas venue pour ça. Tout est juste tellement confus dans mon esprit, j’ai dû mal à m’y retrouver. Passant totalement d’un registre à l’autre je lui propose une sortie, Aïko sera ravi de se balader et Mika a besoin de prendre l’air. Et puis se déplacer en béquilles lui musclera les bras, tout bénéf pour tout le monde. Ça la fait rire malgré tout ce que je viens de lui mettre dans la gueule juste avant, je sais qu’elle n’a pas mauvais fond, mais nous payons durement ses erreurs. Son chien a très bien compris ce qui se tramait et il s’agite, impatient de pouvoir aller dehors. Impossible pour la blonde de refuser ma proposition, je hausse les épaules « Il t’en voudrait. ». Elle m’indique où trouver le collier d’Aïko pour que je le lui mette le temps qu’elle aille se changer. « On t’attend. » lui dis-je dans un sourire tout en prenant l’objet qui fait passer le chien d’exciter à hystérique « Oui, on y va. Arrêtes de bouger autant… » il fini par comprendre et me facilite la tâche en s’asseyant, son regard fixé sur moi, plein d’espoir et d’enthousiasme. Je caresse le haut de sa tête, il est calme, jusqu’à ce que Mika réapparaisse, il l’encourage par quelques aboiements à activer le mouvement. Mon regard se fait plus interrogateur quand elle répond à son chien. Son amoureuse ? L’attention de la jeune femme se reporte sur moi, apparemment son chien a toujours été amoureux de moi. J’esquisse un sourire amusée et me laisse happer par le bleu de ses yeux, malgré sa lassitude et ses traits fatigués, son regard lui n’a pas perdu de ce petit truc si particulier auquel je ne résistais pas « C’est de famille ça aussi ? » répliqué-je à mi-voix. Je m’avance vers la sortie de l’appartement, ouvrant la porte pour laisser le champ libre à Aïko qui ne masque pas sa joie, sortant en trombe. Une fois dehors je laisse à Mika le soin de choisir la direction à emprunter « Tu as un endroit de prédilection pour vos balades ? » demandé-je en mettant les mains dans mes poches, marchant à son rythme. « Désolée d’avoir été si… tranchante avec toi, tout à l’heure. » lâché-je finalement dans un souffle, pousser par je ne sais quelle sensation étrange d’être ici avec elle. Je n’ai pas fini de me sentir perdue, je le sais, je le sens.

Maintenant qu’elle a dit le mot magique pour mon chien, c’est mort, on peut plus faire machine arrière. Je ne peux qu’accepter d’aller nous promener, tous les trois. Après ce qu’elle vient de me mettre dans les dents, j’ai forcément un peu peur qu’elle continue. Elle en a sans doute besoin, et je le mérite, aussi. Alors je ne vais pas fuir. J’ai déjà menti, si en plus je prends la fuite, qu’est-ce que ça fait de moi ? Une sous merde ? Est-ce que c’est pas déjà ce que je suis ? Non. Je vais juste m’habiller, et aller prendre l’air, en espérant que l’ambiance soit un peu meilleure. Lorsque je reviens, Aïko ne tient plus en place, et ça me fait un peu rire. Il a toujours adoré Bianca. Enfin, depuis qu’il l’a rencontrée. C’est pas souvent avec lui, mais le courant est passé de suite. Lui qui est plutôt sauvage, et fuyant avec les inconnus, là, c’était pas la même chose. C’est Bianca, quoi. « C’est de famille ça aussi ? » demande-t-elle d’une petite voix, alors que je hausse un peu les épaules. « Faut croire. » Je ne lui ai jamais caché mes sentiments, elle sait que pour ça, j’ai été sincère. Enfin en tout cas, c’est ce que j’ai dit. Qu’elle le croit ou non, c’est autre chose. Et je ne pourrai jamais la forcer à me croire. La confiance se gagne, et moi je l’ai perdue. « Tu as un endroit de prédilection pour vos balades ? » demande-t-elle une fois dans la rue. J’ai bien dressé mon chien, il sait que dans la rue, il doit se tenir tranquille. Ça n’a pas été évident au début, c’est un chien à moitié sauvage, il a besoin de grands espaces, de pouvoir courir. C’est pas vraiment l vie rêvée pour lui, mais c’est mieux que dans la rue, errant, voire mort. « Tu vas voir, il y va tout seul. » Devant tel un chef de meute, Aïko semble fier. « Désolée d’avoir été si… tranchante avec toi, tout à l’heure. » Je tourne un peu la tête vers elle, une demi seconde seulement, avant de reposer mon regard sur mon chien. « C’est mérité. » Je m’auto-flagelle pas. Je suis juste consciente de mes erreurs passés, et j’en paie le prix fort. C’est légitime. « J’peux pas t’en vouloir, après ce que j’ai fait, ce serait plutôt étonnant que tu m’en veuilles pas, et que tu ne me blesses pas en retour. » Je me pince un peu les lèvres, lui adressant un nouveau regard, un peu plus triste. Aïko fait des allers retour vers nous, visiblement impatient. Mais son parc préféré n’est pas tout près, et moi je suis lente avec mes béquilles. Mais on y arrive presque. Une fois devant le parc, je lâche Aïko, ici ça craint rien, il peut être lâché, et je lui fais confiance. « Tu crois que tu me pardonneras, un jour ? » Je suis sûre qu’elle ne sait pas. « Enfin, seulement si t’as envie d’essayer, je sais pas. Peut-être qu’après aujourd’hui t’auras plus jamais envie de me voir… » Mais bon en même temps, elle est venue jusque chez moi parce qu’elle s’inquiétait alors… n’est-ce pas un faible espoir ?

J’ai dit des choses plutôt dures à Mika, parfois un peu malgré moi, pousser par une franchise exacerbée. Ma psy m’a conseillé de ne rien retenir, d’exprimer mes ressentis, c’est ce que je fais. Cependant je n’ai pas pour volonté de blesser les autres au passage et clairement j’ai été un peu loin avec la blonde. Elle m’a fait beaucoup de mal, c’est vrai, mais si je suis là, et si en premier lieu j’ai accepté de la revoir, qu’elle fasse encore partie des gens que je peux croiser et avec qui je suis susceptible de passer du temps, alors il est injuste de lui infliger ça. Proposer cette sortie, c’est aussi une proposition de trêve. La vérité c’est que je suis perdue dans un labyrinthe de sentiments contradictoires. Pendant un instant je me montre particulièrement tranchante avec la jeune femme, et celui d’après je fais une allusion à ses propres sentiments à mon égard. Est-ce que je suis en train de devenir schizophrène ? Prendre l’air va faire du bien à tout le monde, je crois. Nous sortons, Aïko en tête, ouvrant la marche en direction de leur lieu de balade habituel, tout en respectant de rester à sa place devant nous sans tirer sur sa laisse malgré son impatience. Nous marchons d’abord un peu silencieusement avant que je présente des excuses à Mika pour mon attitude un peu plus tôt. Elle m’affirme le mérité et je secoue la tête « Non. Tu as fait des erreurs, mais si j’accepte de te parler, je ne peux pas t’enfoncer comme ça. C’est pas… sain. » est-ce que ça l’est de la revoir ? J’en sais rien, mais je suis là et en dépit de tout le bordel qu’elle a foutu dans ma tête et dans mon cœur, une partie de moi apprécie sa compagnie. « Je ne suis pas là pour me venger. » je soupire « Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis là. Enfin à part que je m’inquiétais, mais sinon… » on est bien avancé comme ça. La discussion se fait un peu plus sporadique et banale durant le reste du trajet puis nous arrivons au parc, Aïko s’agite à nouveau, sachant très bien qu’à partir de là il regagne en liberté. Mika le détache et il part en trombe, heureux de pouvoir se dépenser. La blonde me pose alors une question importante, vais-je la pardonner un jour ? En ai-je envie ? Au moins d’essayer ? Que met-elle derrière ce pardon ? « Il faudrait, pour moi. » je hausse les épaules, la soulager fera partie du processus, mais si je la pardonne ça sera pour me libérer de ma rancœur « C’est pas bon de garder des trucs négatifs. » je la regarde et ajoute « Un pardon n’est pas une excuse, ça n’efface pas le mal fait. » ça veut juste dire qu’on s’en affranchit. « Mais toi et moi, c’est pas possible Mika. » je lui adresse un regard désolée « Je n’aime pas les femmes. ».

« Non. Tu as fait des erreurs, mais si j’accepte de te parler, je ne peux pas t’enfoncer comme ça. C’est pas… sain. » En réalité, je ne sais pas vraiment ce qui est sain ou ne l’est pas. La preuve en est, le mal que je lui ai fait alors que mes sentiments étaient réels. J’aurai dû lui dire la vérité plus tôt, arrêter de continuer à grappiller du temps avec elle de manière égoïste. Je savais que ça finirait mal, je me doutais bien que lorsqu’elle découvrirait la mascarade, on ne pourrait plus continuer de vivre comme on l’a fait ces quelques mois. Ça a déjà duré bien plus longtemps que ce que j’aurai pu imaginer. Et tout ce qu’elle me fait vivre aujourd’hui, j’estime le mériter. Elle dit ne pas être là pour se venger, elle s’inquiétait pour moi. C’est un premier pas l’une vers l’autre je crois, ou en tout cas elle envers moi. Même si j’ai un peu de mal à le comprendre ou à l’analyser. Un silence s’installe et lorsque je décide de reprendre la parole, je ne fais pas dans la dentelle. J’ai besoin de savoir si elle me pardonnera, un jour, ou si au moins elle en a envie. Pour elle. Si elle devait le faire, elle le ferait pour elle. Evidemment, comment ai-je pu imaginer qu’elle le ferait pour moi, bien sûr que non. Et je devrais d’ailleurs en tirer des leçons, apprendre aussi à me pardonner de mes erreurs passées. Mais quand je vois son regard, quand je vois à quel point j’ai pu la blesser, j’ai le sentiment que jamais je ne pourrai vraiment me pardonner d’avoir agi de cette manière. Même si comme elle le dit, ce n’est pas bon de garder des choses négatives en soi. Il y a pourtant beaucoup, beaucoup de gouffres que j’aimerai pouvoir tapisser d’un bleu ciel, ou sur lesquels j’aimerai faire installer un filet de trampoline. Mais est-ce que la peur ne serait pas toujours présente, celle de tomber à tout moment dans ce trou encore béant ? Je crains de ne jamais pouvoir me relever de la mort de mon frère jumeau. « Un pardon n’est pas une excuse, ça n’efface pas le mal fait. » Elle appuie juste là où ça fait mal, elle est plutôt douée pour ça, même si je ne doute pas que ce soit plutôt involontaire. Encore une fois, j’estime le mériter. « Mais toi et moi, c’est pas possible Mika. Je n’aime pas les femmes. » Je tourne alors la tête dans sa direction, le coeur serré de cet aveu qui ne m’était pourtant pas inconnu, bien au contrait. « Je… je sais, Bianca. » Ma gorge est serrée, je ne pensais pas pouvoir réagir ainsi face à une telle révélation. Ce n’est pas un secret, elle aime les hommes, ça a toujours été, et la supercherie de ma potentielle masculinité a duré bien assez longtemps. « Je sais. » Et je redresse le regard en direction de mon chien, dans le silence le plus complet. Il va nous falloir du temps. Beaucoup de temps.