Ton mal de tête dépend du rosé de la veille [Jamaé #2]

Ma fille a fêté son anniversaire hier soir, avec ses amis. Garçons comme filles, bien évidemment. Ma fille a beaucoup d’amis, et principalement des garçons qui lui tournent autour. Pas que ça me plaise mais qu’y puis-je après tout ? Elle a l’âge de fréquenter, et de vivre ses premiers amours. Ses premiers déboires, je dirais que c’est fait. Merci Rayan et surtout merci Eden. Sa mère, elle se souviendra souvent de ce coup pendable, mais ça me fait marquer des points alors… je n’en dirais rien. Je n’ai rien pu dire non plus quant à l’autorisation qu’elle a pu lui donner de faire la fête chez elle, avec autant de monde qu’elle voulait et sans doute en mettant les petits plats dans les grands. C’est de bonne guerre, et puis tant que c’est ma fille qui en profite… J’étais juste un peu plus frileux sur la drogue qui pouvait y circuler, et l’alcool. C’est justement parce que j’étais un de ces petits cons de branleurs qui ramenait sa propre bouteille de vodka et ses dealers à une soirée que je suis inquiète pour celles que fait ma fille.
Mais je me suis efforcé de ne même pas lui faire une réflexion, juste de lui souhaiter une bonne soirée quand je l’ai déposée hier, en début d’après-midi, pour lui laisser le temps de se préparer avec ses copines. Toujours est-il que j’ai passé la soirée à ruminer et il me semble que si j’avais eu de la compagnie, ça se serait vu, alors je me suis contenté d’aller travailler, de passer la soirée au bar, sur la compta. Rien de palpitant, mais au moins ça fait passer le temps, et il était vraiment grand temps que quelqu’un ne mette le nez là-dedans. Moi en l’occurrence.
Mais il est plus de 17h et je dois aller chercher ma fille, c’est le meilleur moment de la journée. Hormis les quelques textos de Laurel, je dois l’avouer. J’attends dans la rue, je lui ai fais signe de par un texto qui devrait sonner différemment des autres étant donné qu’elle m’eut attribué une sonnerie particulière, rien que pour moi. J’attends au moins 10 minutes qu’elle n’arrive. Ce soir, c’est soir de match. Les Lakers jouent contre les Bulls de Chicago. Je sais qu’elle attend ce match comme elle en attend peu d’autre. Sa place en tribune est assurée à l’année, elle aime beaucoup trop ça pour que je ne l’en prive, et que je ne m’en prive par la même occasion. J’ai toujours quelques paris qui trainent ça et là. Même si ma prédilection se pose sur les courses hippiques. « Bonjour joli cœur. » Je me penche pour l’embrasser sur la joue. Ses cernes sont camouflés, du grand art, je dois le reconnaître, mais le mal de tête qui semble la transpercer de part en part n’est pas feint, lui, et j’arque un sourire. « Mal aux cheveux ma chérie ? » Je me retiens d’en rire et reprends la route. « Juste du champomy et quelques pizzas, ma vrai ? » Je suis moqueur, je le reconnais volontiers. Je n’ai jamais été épargnée de quelque gueule de bois que ce soit. Je pourrais lui en raconter mais je n’y tiens pas forcément. « Tu n’as pas oublié le match au moins ? » Coup d’œil en sa direction de temps à autres.

C'était le feu. Ma soirée d'anniversaire avec mes potes était vraiment cool. Ça y est, j'ai quinze ans et l'âge de faire de vraies soirées. Fini les petits goûters plan-plan entre amis, j'ai passé l'âge. On a bien profité de la piscine, de la musique, et ma mère a été agréablement clémente avec moi. Je sais pas si c'est son envie de se faire pardonner qui la pousse à me dire plus ou moins oui à tout mais pour le coup ça m'arrange. Elle est sortie hier, pour nous laisser seuls à la maison et finalement on a pu largement dépasser le couvre-feu imposé. Oh ça va hein. Quelques copines sont restées dormir à la maison après la soirée, et nous avons pas dormi de la nuit. Nuit blanche, c'était notre objectif. J'ai beaucoup bu, plus que d'habitude. En réalité je suis plutôt habituée à la bière, mais là, j'ai fait pas mal de mélanges. Et certains potes avaient amené de l'alcool fort. Ouais fallait bien qu'on marque le coup. La vodka, mon dieu, c'est tellement bon. C'est un peu mon sang russe qui ressort, j'y peux rien. Merci papa. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui c'est pas la même histoire. J'ai réussi à somnoler quelques heures dans la journée, mais je suis loin d'avoir rattrapé le retard de sommeil accumulé. Et puis... je suis tellement brassée que j'ai l'impression d'être une loque humaine. Je vous jure, je me traine comme une vieille carcasse, c'est dur. Bon ok, j'ai la gueule de bois. Ma première. Pas au point de vomir mes tripes toute la journée mais suffisamment pour avoir le pivert niché dans un coin de ma tête. Que personne ne parle trop fort aujourd'hui, par pitié. Vivement que je me couche. Je fais acte de présence, erre dans la maison sans réel but précis, lorsque mon père arrive en fin d'après-midi pour me récupérer. Faut que je la joue discrète, si je ne veux pas avoir le droit à son interrogatoire. Je le rejoins dans la voiture, faisant mine de rien. « Bonjour joli cœur. » Il m'embrasse et je souris légèrement. « Bonjour papa. » Mais mon manque d'énergie comparé à la pile électrique que je suis d'habitude est flagrant. Trop flagrant. « Mal aux cheveux ma chérie ? » Grillée. Et d'ailleurs qui utilise encore cette expression de vieux à l'heure actuelle ? Je secoue un peu la tête pour ne pas assumer. Tout va bien. « Juste du champomy et quelques pizzas, pas vrai ? » Il me taquine, et je ne peux m'empêcher d'en rire. Il n'est pas dans le reproche, et ça, c'est agréable. « Mais il était périmé ce vieux champomy dégueulasse, ça m'a brassé. » Bien sur. « Tu n’as pas oublié le match au moins ? » Comment ça ? « Attends, quoi ? » Oh putain... j'avais complètement zappé que ce soir c'était le match des Lakers contre les Chicago Bulls. Malgré tout mon amour pour mon équipe de coeur, là, ça va pas être possible. « Ah non mais là j'suis pas en état. » Ma tête me fait un mal de chien, et j'ai toujours autant l'impression que le sol tangue dangereusement. Je peux pas aller au stade comme ça. Je n'ai jamais manqué aucun match, et mon excitation est toujours au rendez-vous. Mais bizarrement pas ce soir. « On peut le regarder tranquille à la télé non ? » C'est pas si grave si on en loupe un quand même.