Une voile sous le soleil [Nina]

L’ambiance est bon enfant. Votre complicité est palpable. Vos regards, vos sourires et vos titillements vous feraient presque passer pour un couple. Peut-être que le plaisancier l’envisage. L’idée n’est si saugrenue que cela. Évidemment, en un coup d’œil, il est facile de déterminer que vous ne vivez pas dans la même dizaine. Tu revêts encore les traits juvéniles pré vingtaine quand Renée affiche un visage plus mûr annonçant son passage à la trentaine. Tu ne la considère pas vieille malgré tout. L’âge n’a pas d’importance à tes yeux de toute façon. Ton jugement dépasse le cadre d’un chiffre. Tu t’en moques éperdument tout comme l’apparence. Le plus important est invisible pour les yeux. « Tu les déstabilises déjà j’en suis certaine. » Tu lui souris. Renée possède une aura, un charisme qui ne peut laisser indifférent. Elle transpire l’assurance. Tu plains ses adversaires à la barre. Si elle se montre douce et délicate avec toi, tu supposes qu’elle est plus sauvage dans son boulot. Les piques sont sans doute plus cinglantes, dans le respect de l’opposant malgré tout. Sans être considérée comme un ténor du barreau, tu présumes que son nom en fait trembler plus d’un.e quand même. Et tu ne tiens pas compte de sa beauté dans l’équation. Il ne doit pas être facile de rester concentré face à une telle femme. Tu aurais du mal à l’être pour sûr. Il faut dire que ton manque de confiance en toi a vite fait de te faire perdre tes moyens. En un regard, tu te retrouverais enfoncée dans le fond de chaise, impressionnée par ce qu’elle dégage.

Tu ne l’as jamais vue au tribunal. Enfin si, une seule fois. Le temps de gérer le litige avec ton père. Le moment n’était pas agréable. Tu te refuses d’y retourner même si cela te permettrait de voir ton amie plus souvent. La douleur serait trop forte. Il serait stupide de rouvrir les blessures qu’elle a si méticuleusement soignées. Tu te contenteras de vos maigres entrevues. D’un côté, leur rareté les rende encore plus précieuses. Précieuse comme elle l’est pour ton être. Tu ne la remercieras jamais assez pour tout ce qu’elle a fait. Une vie n’est pas suffisante. « Certes mais je t’ai connue plus radieuse. » Son teint vire au pâle. Elle ne semble clairement pas à l’aise. Tu notes pourtant qu’elle ne le formule pas. Une fois de plus, elle se sacrifie pour ta personne. Enième preuve de votre forte amitié. Sa réponse te fait sourire. Renée n’est pas avocate pour rien. Elle est incapable de répondre simplement oui ou non. Elle est comme obligée de formuler un argumentaire. Déformation professionnelle sans doute. « Je ne suis pas d’accord avec toi. », lui rétorques-tu souriante. « Nous sommes libres de descendre en marche. Si je le voulais, je pourrai sauter dans l’océan du ponton. » L’eau t’accueillerait à vagues ouvertes. Votre vitesse est lente, tu ne risques pas de te blesser à cette allure. Puis tu restes persuadée que Dame Nature ne te ferait aucun mal.

La suite de son interrogation est légitime. Juste retour des choses. Silencieuse, tenant toujours sa main, tu l’entraînes à la proue du voilier. Tu te places devant elle. Tu rabats ses bras autour de ton corps. Malgré la présence de ton gilet de sauvetage, elle peut sentir ton cœur pulser dans ta cage thoracique. Ses battements, rythmés et cadencés sur la mélodie de la mer, témoignent de ton appréciation de l’instant. « Je crois ne jamais avoir été aussi heureuse. » En prononçant tes mots, des larmes s’échappent de tes yeux. Les perles salées roulent sur tes joues. La légère brise les fait s’envoler et s’échouer dans l’étendue bleutée. Tes doigts serrent fort ceux de Renée. Tes opales continuent de scruter les alentours. Tu recherches ton coin de paradis rêvé, cette fameuse île déserte uniquement peuplée de fleurs. Elle ne semble pas se trouver dans les parages. Par contre, tu remarques cet aileron pointant le bout de son cartilage sur votre droite. Loin d’en être apeurée, tu pointes la direction du requin. « Nous avons de la visite. Je ne vais pas sauter en marche aujourd’hui. J’attendrai notre retour à la plage pour me baigner. » Tu pouffes légèrement. La présence du squale ne t’intrigue pas plus que cela. Il vient juste dire bonjour en enfant de Mère Nature bien élevé qu’il est. Les Hommes devraient prendre exemple.

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Une voile sous le soleil

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Nina a sa réponse personnelle, plonger dans l’océan au gré de ses envies. Renee a une démarche plus terre à terre, un port, du béton, du goudron, une ville. Les néons plutôt que les reflets des étoiles sur le liquide mouvant. Cela a pourtant son côté romantique, la plage, un soir, tenir la main d’une femme et l’inviter à un bain de minuit. Aujourd’hui, pour l’heure, la situation est différente. Il n’est pas question de rendez-vous galant.

« Oui, enfin... plonger dans l’océan... »

Et ensuite ? Renee imagine. Une nage interminable. L’épuisement. Les crampes. La noyade. Pas question de brosser un tel tableau à haute voix. Pas question de mettre du sombre dans le bonheur de la jeune femme. Elle le dit d’ailleurs, elle est heureuse. “Jamais aussi heureuse” ? Renee espère qu’elle aura d’autres moments de bonheur, elle n’en est qu’au début de sa vie. Une vie qu’elle souhaite riche de sensations et de rencontres positives. Si le bonheur existait en boite de conserve dans les supermarchés, à coup sûr, mieux que les pâtes et le papier toilette, c’est lui qui serait en pénurie régulièrement. Renee serait la première à stocker, mais aussi à redistribuer à ceux et celles qui méritent d’avoir leur part. Nina et sa mère seraient les premières servies.

Son amie entraine l’avocate à la proue du voilier. Elle la laisse la guider. Elle la serre contre elle. Toutes deux face à l’océan. Nina en premier, Renee derrière. Elle la serre pour l’empêcher de s’envoler, sait-on jamais. Le bonheur donne des ailes dit le proverbe. Elle pourrait rejoindre quelques oiseaux marins, infatigables voyageurs. Mais Nina signal tout autre chose. Quelque chose qui lui fait renoncer à plonger dans les flots. Renee cherche par dessus son épaule. Compliqué dans une si grande étendue de tomber directement sur le point précis qui apparemment n’est pas un gentil dauphin.

« Où ça ? »

Malgré la question, elle continue de scruter la nappe bleue, jusqu’à tomber sur un aileron grisâtre.

« Oh ! Je vois. Mieux vaut être à bord, en effet, que barboter dans l’eau. Je crois que je m’abstiendrai aussi à notre retour. Une journée idyllique ne doit pas finir en film catastrophe. »

Cette fois, elle prend le risque d’ajouter une note négative, même si les requins ne font pas autant de morts que les films, avides de sang et d'angoisse, le prétendent. Quoiqu’il en soit, elle ne s’offrira pas comme cobaye pour le vérifier. D'ailleurs, elle aurait bien aimé l'avis du plaisancier sur le sujet, supposant qu'il connait davantage le sujet qu'elle.

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Votre rapport à la nature est bien différent. Renée ne partage pas ton enthousiasme quant à l’idée de piquer une tête dans l’océan. Une énième divergence entre vous. Il y en a tellement qu’il est à se demander comment vous pouvez être amies. Sans doute car vous êtes capables de regarder au-delà de ces détails. Le plus important est invisible pour les yeux de toute façon. Seul le cœur voit l’essentiel. Et si le tien bat toujours à l’heure actuelle, l’avocate n’y est pas pour rien. Tout comme elle n’est pas pour rien à ton bonheur. Avec tout le respect que tu as pour Dame nature, si tu apprécies autant cet instant, ce n’est pas tant à cause de la beauté de l’étendue bleutée. Disons qu’elle encadre magnifiquement ce moment mais sans Renée, il manquerait quelque chose. Sans Renée, tu ne pourrais prétendre à l’heureuseté. Tu es dépendante d’elle. Pourtant tu n’en es pas amoureuse. Tu n’as jamais ressenti de sentiments à son égard. Sa place reste particulière. Elle trône au somment de l’amitié. Et personne ne pourra l’en chasser.

Ce requin a beau essayé de capter ton attention, il n’a aucune chance de te faire oublier l’avocate. Tu admires sa nage malgré tout. Tu ne peux nier que son ballet est gracieux. A le voir ainsi, il est loin de la mauvaise image renvoyée par les films. Le squale mangeur d’Hommes est une bêtise. Lorsqu’il s’attaque à un être humain, il le fait par erreur. Ou pour se défendre. Malheureusement, il est traqué pour ses ailerons. Soi-disant qu’ils sont utiles à des produits cosmétiques. Jamais tu ne cautionneras un tel massacre au prix de la beauté. Le naturel est bien plus joli. N’en es-tu pas une preuve vivante ? Tu seras moins introvertie, tu t’engagerais dans la protection animale. Tu rejoindrais une association. « Hey, ne crois pas échapper à la baignade si facilement. Il te faudra un meilleur argument. Et ne me sort pas non plus que tu as oublié ton maillot de bain. » Tu souris. Renée ne pas voir le radieux sourire qui orne ton visage. Tu as prévu de faire trempette en sa compagnie. Pas forcément de flotter dans la nappe océanique. Au pire, tu l’arroseras. Mais elle ne rentrera pas sèche de votre escapade. Tu t’en fais la promesse.

Le plaisancier refait son apparition. Son rire rauque résonne lorsqu’il aperçoit le poisson. « Il est l’heure de manger on dirait. Mais ne vous inquiétez pas, il ne mange pas les jeunes filles. » Se croit-il drôle ? Tu lui jettes un coup d’œil et soupire. Tu es naïve mais pas stupide. « T'as envie de piloter, p’tite ? » Tes lèvres montent jusqu’à tes oreilles. Ton expression est à l’opposé de celle affichée il y a quelques secondes. Tu hoches frénétiquement la tête de bas en haut pour lui signifier ta volonté. Tu te dégages de Renée. Tu suis le propriétaire jusqu’à un mécanisme. Tu écoutes à moitié ses explications. Tu es trop pressée de prendre les commandes. Il finit par te donner son autorisation. Tu tires involontairement. La voile se tend et vous tourner brusquement vers la droite. Une fois stabilisée, tu vérifies que Renée est toujours là. C’est bon, elle n’est passée par-dessus bord. Sinon, tu aurais plongé sans hésiter pour la sauver. Tu te concentres. L’embarcation suit tes directives malgré tes gestes maladroits. « Tu veux aller où ? », demandes-tu à Renée, souriante. Tu l’emmènes où bon lui semble. Rien n’est trop loin pour ton amie.

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Une voile sous le soleil

nina & renee

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Baignées dans l’azur au son des claquements de voiles qui indiquent que l’embarcation cherche le vent pour se sauver vers l’horizon. Baignées dans l’azur et le partager avec un requin dont c’est le domaine de prédilection. Au final, l’escapade est agréable. Elle permet de se détacher de tous les tracas amoureux, familiaux, ainsi que eux du travail. Ici, il n’y a rien de tout cela. A ce niveau, Nina n’a pas tord, elles baignent dans une sorte de paradis. Au final, Renee apprécie cette parenthèse. La compagnie de sa jeune amie gomme les contorsions que son existence prend ces derniers temps. Jongler avec les rencontres, les possibles séparations, les combats quotidiens. Le retour se fera par étape et au programme la jeune fille a prévu une baignade.

« Ah mais tout à fait ! Je n’ai pas de maillot de bain. Tu m’as saisie à l’improviste. Je n’ai pas calculé autre chose qu’une glace. »

Ceci dit, ses sous-vêtements s’improviseront maillot, même s’ils n’ont pas les couleurs chatoyantes et la texture de leur homologue. Au moins ils cacheront c qu’il faut pour éviter qu’un parent trop pointilleux ne crie à l’atteinte au bonne moeurs. Quoiqu’une fois humides, Rene ne jurera rien concernant la transparence du tissu. Elles n’en sont pas là. Le capitaine les a rejointes. Son humour simple esquisse un faible sourire poli sur les lèvres de l’avocate. L’offre qui suit, lui fait dresser l’oreille. Nina à la barre ?! Elle a à peine le temps d’imaginer qu’il a réussi à trouver le sujet pour échanger avec elle, que ses mains la lâche et que les pieds légers s’éloignent. Nina à la barre. Renee dresse un sourcil et observe la manoeuvre de loin. Les anges volent autour de la demoiselle, alors que tout à coup, c’est une voile qui fonce sur la citadine. Elle s’écarte de justesse, agrippe une rambarde rapidement. Ouf, elle a échappé au bain en compagnie du requin. Elle serre les dents. Le plaisancier risque de l’entendre et se faire remettre à sa place de dangereux inconscient. Elle repense au passager pressé de retrouver la terre ferme tout à l’heure. A-t-il eu peur pour fuir ainsi ? Il en est de plus en plus convaincue. Mais il y a Nina et son bonheur, elle se retiendra donc pour l'instant. D'ailleurs celle-ci n’est pas affectée par l’incident à entendre sa voix joyeuse. Elle est prête à partir sous d’autres latitudes.

« Je rêve de voir Singapour. Si ce lieu qui me semble incroyable ne t’inspire pas, on peut essayer Bali, mais si tu nous emmènes à Macao, cela m’ira aussi, j’adore ce nom et je suis curieuse de savoir ce qu’il cache. »

Nina a le choix de la destination, mais d’une manière ou d’une autre, il y aura un océan à traverser. Une escale à Hawaï au passage ? Est-ce que leur route maritime passe par-là ? Un détour par l'Australie peut-être ? Et parce qu'au final son imagination a pris le large tout à coup, elle ajoute une proposition.

« Pour un tour du monde, j'accepte d'être ton moussaillon. »

Elle éclate de rire, se surprenant elle-même d'une telle idée !

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A l’improviste. Un préavis est-il nécessaire dans l’amitié ? Tu l’ignores. Renée a toujours répondu présente à tes sollicitations. Tu ne réfléchis pas lors de tes demandes. Parfois, tu l’as dérangée dans son travail. Tu as déjà vu la pile de dossier sur son bureau. Pourtant, elle t’a toujours accueillie chaleureusement. Pas forcément longtemps. Dix secondes à observer son magnifique sourire ont souvent suffit à égayer ta journée. Tu ne cacheras que plus tu partages de temps en sa compagnie et plus tu es heureuse. L’avocate est ton soleil humain. « Il y a des boutiques le long de la plage. Je t’achèterai un maillot. » Tant pis s’il coûte deux fois le prix conventionnel. Tu es prête à sacrifier un peu de tes économies. Ton rêve n’est pas à une semaine près. La brune le mérite largement. Ce geste pécuniaire est si maigre comparé à tout ce qu’elle t’a offert. Elle t’a libérée d’un tyran. Elle t’a permis de vivre. Et même si tes peurs t’empêchent encore de le faire pleinement, c’est mieux que rien. Ta reconnaissance est au-delà de l’argent. Elle se lit dans ton sourire et les battements de ton cœur.

En y repensant, un passage dans les magasins est obligatoire. Tu n’as pas anticipé un moment baignade non plus. Il t’est venu spontanément, dans l’unique but de prolonger l’instant avec ton amie. Pour une fois que tu as réussi à la sortir de chez elle, tu vas en profiter. Sous réserve que tu ne la rendes pas malade via tes manœuvres. Son amour de la mer n’est pas si puissant que le tien. Son estomac n’est pas apte à supporter autant de remous. Et malgré ton amour de sa personne, tu n’as pas envie de savoir ce qu’elle a déjeuné à midi. Du moins pas de cette façon. Si tu veux le savoir, tu lui demanderas oralement sans analyser le contenu de son vomi. Tu écoutes attentivement ses propositions. Des noms de villes que tes oreilles ont déjà entendues. Bali te parle. Ta mère rêve d’y aller. Une carte postale à son effigie est aimantée sur votre réfrigérateur. Mais de toutes ses annonces, c’est la dernière qui retient ton attention. « Va pour un tour du monde ! Qu’Éole décide de nos aventures ! », lui réponds-tu souriante. Le vent décidera de votre destination. De toute manière, tu ne sais pas où se situe les siennes.

Tu n’as pas connaissance des points cardinaux sur votre embarcation. Si tu sais que l’Étoile du Berger indique le nord, tu ne peux la distinguer dans ce ciel bleu. Le propriétaire du bateau éclate de rire. Son rire rauque sonne comme moqueur. Il ne semble pas partager votre enthousiasme. « Votre première escale se passe à Los Angeles, Mesdames. » Une moue rejoint ton visage. Tu comprends qu’il est l’heure de rentrer. Votre promenade océanique touche à sa fin. Il te pousse légèrement et reprend la barre en main. Malgré son sourire, tu ne lui en offres aucun en retour. Ta bouille est cadenassée par la tristesse. Tu avances tête basse, les yeux rivés sur le ponton vers ton amie. Arrivée à sa hauteur, tu cherches ses billes. Tu les fixes de tes mirettes ébène larmoyantes. Tu saisis tendrement ses deux mains. « Un jour, nous ferons un tour du monde en voilier. Je te le promets. » Capitaine et moussaillon vogueront sur les flots. Vous visiterez chacune des cités évoquées. Et vous irez à la quête de ton île uniquement peuplée de fleurs. Vous irez rêver. Ensemble. Loin de ce monde.

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Une voile sous le soleil

nina & renee

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Elle ne s’étonne nullement que son amie saisit sa proposition de tour du monde. Elle a lancé l’idée pour lui faire plaisir. A bien y réfléchir, inconsciemment, elle n’est peut-être pas si innocente cette proposition. Le grand air. Le besoin de s’éloigner des procédures qui racontent, au final, la même histoire, l’amour qui s’use et demande grâce face aux vicissitudes des habitudes et des tromperies. La vie est ainsi faite, celle qu’elle voit lors des déballages dans les tribunaux, c’est certain. Alors ce voyage, loin des piles de dossiers, elle n’est pas contre. Penser à autre chose. Rencontrer d’autres personnes. Vivre une aventure dans des lieux magiques.

Il semble que ce ne soit pas aujourd’hui. Tout naturellement, le propriétaire du voilier reprend son bien. Il a été bien généreux avec elles. Cette virée en mer, laisser la barre à Nina, de magnifiques cadeaux. Renee garde son sourire pour elle à l’annonce du retour sur la terre ferme. Elle a évité le mal de mer jusque là, inutile de tenter le diable plus longtemps. Et puis, retrouver un équilibre confortable d’un sol stable, sans tangage, sans soubresaut lors d’un vent de travers, sans risque de chavirer et de danser avec les requins. Elle fait face à la brise, ses cheveux lui confirment qu’elle a pris le bon cap. Le navire tourne en même temps qu’elle. Ce n’est pourtant pas elle qui le guide. Tout deux rentrent au port, tout simplement.

Les pas sur le pont en bois lui sont familiers. Elle se tourne pour se retrouver face à Nina. Elle l’accueille avec un sourire. Sa jeune amie lui fait une promesse.

« Nous verrons ce que le hasard nous réserve. Peut-être qu’avant de se lancer, quelques cours pour manoeuvrer un voilier serait une bonne idée. Apprendre à capturer le vent pour gonfler la voile. »

Apprendre aussi à le fuir quand il devient trop violent. Le vent et l’océan savent s’unir pour montrer aux navigateurs que leur frêle esquif ne fait pas le poids contre leur colère.

La destination n’est pas leur zone d’embarquement. Le bateau file vers le port et sa zone d'amarrage. Un ponton parmi les pontons où s’accolent une foule de voiliers. Des petits, des gros, des monocoques, des catamarans. On reconnait facilement ceux qui appartiennent à des propriétaires fortunés, ceux qui ne sortent jamais en mer, ceux qui sont bricolés, réparés inlassablement pour en faire la perle qui ravira le marin passionné dans des courses lointaines. Alors qu’ils s’approchent irrémédiablement de leur arrivée, Renee serre un peu plus les doigts de Nina dans sa main. Elle se doute que la séparation la rendra triste, elle a vu ce sentiment s’installer en elle tout à l’heure quand elle a du abandonner le poste de pilotage. La place, le long du ponton, attend son locataire, il s’y glisse avec la dextérité de l’habitude. Le choc contre la plateforme sédentaire, attendu, surprend l’avocate. Elle se retient à un cordage. Elle se tait. Elle laisse Nina profiter, jusqu’au bout, du voyage. Ce ne sera pas elle qui rompra le charme, elle n’en a pas envie. Ce sera la voix du propriétaire qui le fera, mais sait-on jamais, si elles gardent le silence peut-être les oubliera-t-il.

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Toutes les bonnes choses ont une fin. Même si le voilier ne consomme pas de carburant, votre escapade touche à sa fin. Votre tour du monde aura tourné court. D’un côté, il a bien commencé également. Tu n’as jamais aussi loin sur l’océan. Au mieux, tu as atteint les bouées délimitant la zone de baignade sous surveillance lors de quelques moments trempette. Respectueuse des règles et un brin peureuse, tu n’as jamais osé imiter les rebelles s’aventurant au-delà de cette barrière. Et dire que tu envisages de partir à la conquête de l’étendue bleutée. C’est assez étrange en y réfléchissant. Pas tant que ça non plus. Tu fais bien plus confiance à un voilier qu’à tes bras pour t’emmener à destination. Puis après ta promesse, désormais accompagnée de Renée pour ton voyage, tu ne crains plus rien du tout. L’avocate est un bouclier humain repoussant le mal. Tu hoches la tête positivement à ses mots. La voix de la raison a encore parlé. « Il faudra aussi récupérer un voilier. » C’est quand même la base. Et tu ne comptes pas ni en dérober un ni en emprunter un au port. Tu souhaites vivre ce rêve avec ta propre embarcation. Tu économises chaque mois dans ce but. Tu n’es en rien radine. Tu as simplement choisi de dépenser ton argent autrement. Tu n’es pas de ces jeunes dispersant leur budget dans des sorties ou dans l’alcool. Peut-être aussi est-ce dû à ton introversion ? Tu n’as personne dans tes alentours pour t’entrainer dans ce genre de dépense. Ta seule amie est Renée et, même si elle n’a pas passé l’âge, elle n’est pas friande de ce style d’activité. La brune se contente d’une balade sur la plage et d’une glace. Plus qu’un manque de moyen, c’est davantage faute de temps la concernant.

Le retour se fait rapidement. Trop rapidement. Éole souffle si fort qu’il semble pressé de se débarrasser de vous. Tu as pourtant été si gentille avec lui. A moins que ce soit le propriétaire qui soit pressé. Le port grossit à vue d’œil. Les formes difformes prennent formes de bateaux au fur et à mesure de votre avancée. L’arrivée se passe sans encombre. Tu scrutes les voiliers amarrés en quête de ta future acquisition. Nulle ne ta ravit. Ton bonheur n’est pas ici. Enfin, il l’est en partie avec la présence de l’avocate. A l’immobilisation de votre véhicule, tu souffles un grand coup. Il est l’heure des séparations. Main dans la main de Renée, tu espères qu’elle te servira de mat de substitution. Sa mise en mouvement combinée à l’annonce du plaisancier t’indiquent t’être trompée. Vous quittez le ponton, retournant sur la terre ferme. Tu remercies l’homme d’un « Merci » timide prononcé de ta voix fluette sans lui sourire. Ton regard reste fixé sur l’attrape-rêve flottant. Tes pas s’en éloignent lentement. Tu finis par accepter ton sort. Tes yeux lâchent les courbes métalliques pour devant toi. Sortant du port, tu repères une boutique ambulante de maillots de bain. Il ne t’en faut pas plus pour écarter tes lèvres. Tu accélères ta marche, tirant ton amie dans ta manœuvre. Face à la commerçante, son portable se met à sonner. Tu grimaces à cette symphonie. Tu as peur que son travail la rattrape. Quand Renée décroche, tu remarques son changement de faciès. Avant la fin de son appel, tu as compris que votre promenade est terminée. Elle te le confirme à la fin de son bref échange vocal. Renée et son métier. Un mariage trop solide à ton avis. Un échange de bises et des excuses et elle s’en va, te laissant seule. Tu prends la direction de ton domicile. Tant pis pour la baignade. Mais tant mieux pour tes songes. La journée t’a donnée de quoi en faire de merveilleux.