you suck (falloane #6)

Le soleil tape sur mon visage, les volets n'ont pas été fermés la veille. Et pour cause, je ne me réveille pas dans mon lit et hier, nous avions autre chose à faire que de nous assurer que nous étions bien dans l'obscurité. Où est-ce que je suis ? Dans la chambre de ma colocataire, mais pas celle Wylona, celle de Fallon. Ce qui s'est passé avec ce jeu d'alcool est complètement dingue, je n'arrive toujours pas à me dire que c'est vraiment arrivé. Je me retourne dans le lit, espérant bien trouver la blonde à mes côtés, pour la regarder dormir, ou simplement pour profiter du temps qu'il me reste à ses côtés. Mais non. Elle est déjà partie, elle n'a pas perdu de temps pour ça.

Cinq jours se sont passés depuis la fameuse nuit, depuis que Fallon et moi avons dérapé. Dans l'histoire, nous étions deux ce soir-là, mais je suis la seule qui semble s'en souvenir. C'est à peine si j'ai pu la croiser depuis. Est-ce que c'est volontaire ? Très certainement, mais au fond de moi, j'aimerais juste que ce soit un coup du hasard : une semaine chargée à son boulot, des sorties avec des amis prévues à l'avance. J'essaye de me convaincre comme je peux, mais ça devient difficile. Pour en avoir le cœur net, je dois la confronter, je dois la forcer à me parler. C'est décidé, je le ferais en rentrant du boulot.
La journée a été longue. L'idée de parler à Fallon a transformé les minutes en heures. Mais le moment est enfin arrivé. La jeune femme est bien là, ses affaires sont posées dans l'entrée. Elle ne pourra donc pas y échapper. Sans réfléchir plus longtemps, je passe rapidement dans ma chambre pour y laisser mon ordinateur, puis je file dans la sienne. Je frappe à la porte et sans même attendre une réponse de sa part, car cela aurait clairement été un non, je pénètre dans la pièce. Mais j'aurais mieux fait d'attendre dans le couloir. Fallon est bien là, mais elle n'est pas seule. Un homme est avec elle. Un homme qui se trouve à ma place, ma place d'il y a cinq jours. À cette vue, mon coeur se brise littéralement, encore. J'ai été tellement bête. Pendant un moment, je me suis dit que la scène ne se reproduirait pas, mais non. Fallon est destinée à me faire du mal, encore et encore. « Merde. » Je me retrouve bloquée. Pourtant, je dois partir. Je dois m'enfuir au plus vite. Après quelques secondes, un temps suffisant pour nous revoir toutes les deux et pour garder en mémoire cette image d'eux, je tourne les talons, claque la porte derrière moi et retourne dans la pièce de vie. Mon coeur tambourine dans ma cage thoracique. Je dois me calmer, ça ferait trop plaisir à la blonde de me voir dans cet état. Je marche, je tourne en rond. J'ai juste envie d'hurler. J'ai été conne, tellement conne. Je dois me calmer et je dois essayer d'oublier ce que je viens de voir. Seule solution à cela, seule solution que je vois : l'alcool. En me brûlant la gorge, je penserais peut-être à autre chose. J'ouvre les placards, à peu près tous, sous l'effet de la colère j'en oublie la place des choses. Je prends un verre, puis la bouteille de vodka. Je me prépare un shot et aussitôt, je le bois cul-sec. Si seulement Wylona était là, elle aurait pu me calmer. Je vais malheureusement devoir gérer seule et ne surtout pas tuer Fallon. Ce n'est pourtant pas l'envie qui me manque.

Cette nuit avec Jihane n'a jamais réellement existé. Nous n'avons pas pu coucher ensemble, ce n'était pas vraiment réel. Et pourtant... ce matin-là, c'est bien contre son corps dénudé que je me suis réveillée. Les souvenirs de notre union ancrés dans un coin de ma tête. Je n'étais pas bourrée au point de ne plus m'en rappeler, et c'est justement ça le problème. Je crois que j'aurais peut-être préféré. Parce que là, c'est encore pire. J'étais consciente de tout, et j'ai été incapable d'y mettre un terme. Alors quoi maintenant ? Cette nuit ne doit absolument pas changer quoi que ce soit. Je suis hétéro, j'aime les hommes. Que les hommes. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour m'en persuader. Parce que c'est comme ça, et que je m'interdis formellement d'être comme mon père. C'est pas moi, je ne suis pas comme ça. Depuis cette fameuse soirée, je m'efforce d'éviter soigneusement de croiser Jihane dans l'appartement. C'est mieux pour elle, et pour moi aussi. Parce que je n'ai pas envie d'en parler. Parce que je ne suis pas prête d'assumer ce qu'il s'est passé entre nous. Pas maintenant, peut-être même jamais d'ailleurs. J'ai merdé, et je me déteste déjà suffisamment comme ça. Pourtant je ne peux m'empêcher de repenser à son corps... à tout le plaisir que j'ai pu ressentir sous ses doigts. Nos lèvres scellées ensemble, nos peaux unis l'une contre l'autre. Merde alors. Comment vais-je pouvoir m'enlever toutes ces pensées de la tête ? Je peux pas continuer de penser à tout ça, je ne m'en donne pas le droit. Alors je sors, je bois, je tente par tous les moyens de me vider l'esprit. De ne plus penser à elle, à nous. Tout oublier, comme si cette soirée n'avait jamais vraiment existé. Et aujourd'hui même, c'est dans les bras d'un homme que je tente de m'abandonner. Dans ma chambre, dans mon lit, exactement au même endroit où... ouais c'est un peu troublant. Et en fermant les yeux très fort, c'est finalement son visage qui se dessine devant mes yeux. Je me fous de ce mec, je ne me souviens même pas de son prénom. Ça n'a aucune foutue importance, tant que je peux essayer d'oublier. Mais y'a quelque chose qui bloque, je ne ressens aucun plaisir, rien du tout... c'est nul à chier. Je me surprends même à simuler, un peu, pour masquer la gêne. C'est à ce moment-là que la porte de la chambre s'ouvre, sans nous laisser le temps de réagir. Merde, putain. Je croise le regard de Jihane une infime seconde, et c'est le drame. « Merde. » C'est une blague ou quoi ? Fais chier. Elle claque violemment la porte, alors que mon partenaire décide de tout stopper, bizarrement plus très à l'aise. Il récupère ses fringues pour déguerpir dans un éclair. Ouais, c'est ça, casse-toi. Je me retrouve un peu conne, surprise de la scène qui vient d'avoir lieu. A croire que je suis condamnée à ce que Jihane continue de hanter ma vie. J'enfile un simple débardeur avec une culotte, et débarque en trombe dans la cuisine. Ouais là, je suis en colère. Je bouillonne littéralement de l'intérieur. Je crois que toute cette foutue frustration aura raison de moi. « C'est quoi exactement ton problème ? » Je la fusille du regard, la mâchoire serrée. Qu'est-ce qui lui a pris de rentrer comme ça dans ma chambre ? Je lui en veux tellement putain... mais le pire, c'est que ce n'est évidemment pas pour ce qu'il vient de se passer. Mais pour tous ces sentiments à la con que je ressens pour elle. Tout ce que je n'arrive pas à contrôler. Voilà d'où vient cette putain de frustration.

La vue qui s’offre à moi est horrible. Cela m’affecte beaucoup, beaucoup trop. Je savais que je devais tout faire pour garder mes sentiments enfouies, mais pour cela, j’aurais dû rester loin d’elle et j’en suis tout bonnement incapable. J’ai un trop plein d’émotions en moi, de la colère, de la tristesse et de la déception. Je me doutais que tout cela arriverait, qu’elle ne voudrait pas d’un "nous", mais je ne pensais pas qu’elle ramènerait un homme dans ce même lit, moins d’une semaine après le fameux événement. « C'est quoi exactement ton problème ? » Le culot. Je ne vois pas de termes plus appropriés. Je la regarde, attendant qu’une explication à cette agression arrive, mais rien. « Pardon ? » Je suis donc la seule à trouver cette situation sans-gêne. La jeune femme couche avec moi, m’ignore, puis se tape un mec et je suis celle qui a un problème ? C’est officiel, nous ne voyons pas les choses de la même façon et si c’est ainsi, je ne souhaite pas voir les choses comme elle. Au moins, j’ai un cœur. « Tu te moques de moi, là ? Mon problème à moi, mais bien sûr. On aura tout vu. » J’ai envie de lui balancer ses quatre vérités, de lui rappeler ce qu’il s’est passé entre nous l’autre nuit. Pour qu’elle n’oublie surtout pas ce qu’elle a fait, pour qu’elle se mette en tête qu’elle n’est pas la jeune femme parfaite qu’elle pense. « Je voulais juste te parler, je ne pouvais pas savoir que tu étais en train de te taper un abruti. » Je dois avouer que rentrer avant d’avoir son accord, c’était un peu déplacé. Mais au moins, j’ai cogné. J’aurais très bien pu me retenir de faire cela aussi. « Si au moins tu avais été bruyante. À croire que.. » À croire qu’elle n’éprouvait rien avec lui. Qu’il ne lui procurait aucun plaisir. À l’inverse de moi, l’autre fois. Ou alors, elle est très bonne en simulation, mais je n’y crois pas. Fallon n’arrive juste pas à se voir comme je la vois moi, elle n’arrive pas à se voir telle qu’elle est vraiment. Je ne peux pas lui vouloir, pas vraiment, l’homosexualité de son père, découverte un peu tard, a gâché sa vie. Mais cela ne doit pas l’empêcher d’être ce qu’elle est vraiment. Elle veut faire quoi ? Se cacher toute sa vie, être malheureuse. Je ne la laisserais pas faire ça, je compte bien lui ouvrir les yeux, même si je perds quelques plumes au passage. « Tu joues à quoi là ? » En terme de niveau de connasse, la blonde est passée de minime à maximum en cinq jours. Mais pourquoi ? Se déteste-t-elle à ce point pour ne simplement pas accepter la vérité ? Elle doit ouvrir les yeux et se rendre compte qu’agir ainsi ne fera qu’empirer les choses. « On était deux ce soir-là. » Fallon semble vouloir éviter ce sujet, mais si je venais dans sa chambre, c’était pour cela à la base et je ne compte pas lui laisser l’occasion de s’échapper. Nous devons en parler, même si cette conversation ne sera pas agréable.

Lutter contre mes propres démons s'avère finalement beaucoup plus difficile que prévu. Je me retrouve directement confrontée à mon problème ; et ce problème porte le nom de Jihane. Parce que si elle n'avait pas refait surface dans ma vie, nous en serions très certainement pas là aujourd'hui. C'est quand même dingue que je sois incapable de me contrôler quand je suis avec elle... pourquoi ne l'ai-je pas repoussé quand il en était encore temps cette nuit-là ? Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Elle ne m'a pas forcée, loin de là. Et c'est ça qui me rend dingue. Je suis en colère contre moi-même, contre ce que je suis, contre elle aussi, et cette putain de frustration qui me bouffe de l'intérieur. J'ai été conne, faible aussi surtout. Et j'ai dérapé. « Pardon ? » Quoi, elle a pas bien compris peut-être ? « Tu te moques de moi, là ? Mon problème à moi, mais bien sûr. On aura tout vu. » Je croise mes bras sur ma poitrine, ne la lâchant pas du regard. « Je voulais juste te parler, je ne pouvais pas savoir que tu étais en train de te taper un abruti. » Je lève instantanément les yeux au ciel, encore plus folle de rage. Qui est elle exactement pour juger le mec avec qui je couche ? Alors ok, il n'a sans doute pas inventé l'eau chaude celui-là, mais on s'en fout. Par principe. « Qui te dit que c'est un abruti ? » La meilleure défense, c'est l'attaque. Et même si je suis potentiellement en tord - ça reste encore à prouver, plutôt crever que de l'admettre. « Quoi, t'es jalouse ? » Un petit sourire mesquin s'affiche sur le coin de mes lèvres. Entre nous, ça me fait quand même plaisir de la voir réagir comme ça. C'est complètement paradoxal, je sais. « Si au moins tu avais été bruyante. À croire que.. » Pour être bruyante, encore faut-il prendre un minimum de plaisir. Avec lui, ce n'était clairement pas le cas... mais passons. Je me garde bien de lui avouer qu'elle a raison. « Tu joues à quoi là ? » Ça y est, c'est maintenant. Le moment tant redouté, celui que j'avais réussi à esquiver jusqu'à présent. Mais cette fois, je ne peux plus fuir. « On était deux ce soir-là. » Ok, elle veut parler ? On va parler. Mais je ne suis pas certaine que ce que je vais dire soit vraiment bon à entendre. « Et alors quoi ? » Oui, on était deux. Oui, on a couché ensemble. Mais c'est pas comme si ça voulait dire quelque chose à mes yeux. Non, absolument pas. Enfin... si seulement c'était aussi simple. « J'ai pas le droit de coucher avec lui ? » Elle, elle a bien couché avec notre colocataire la veille de notre nuit ensemble. Je dois le prendre comment ? « C'était des conneries nous deux. » Je secoue un peu la tête avant d'ajouter. « J'avais bu, je m'en souviens même pas. » C'était une erreur, et ça n'aurait jamais dû se produire. Il n'y a rien d'autre à dire, voilà tout. « Ça ne voulait absolument rien dire. » Je balaye le vide d'un geste de la main et hausse légèrement les épaules. Je sens dans son regard que derrière sa colère, la brune est vraiment blessée. Et ça me fait quand même mal de savoir que j'en suis l'entière responsable. Mais qu'est-ce que je peux bien lui dire d'autre ? Je ne peux tout simplement pas assumer.

La voir avec cet homme, ça me met hors de moi. J'ai eu ce même rapport d'intimité avec elle, il y a cinq jours. Mais moi, elle m'évite. Qu'est-ce qu'elle va faire avec lui ? C'est un homme, elle va pouvoir s'afficher à son bras, même si cela ne fera que me blesser davantage. « Qui te dit que c'est un abruti ? » A vrai dire, qu'il en soit un ou non, je m'en fiche un peu. Je n'aurais jamais à faire à lui, alors le connaître plus ne m'intéresse pas vraiment. « Quoi, t'es jalouse ? » Aucune réponse n'est attendu, enfin je crois. Et pourtant, cela saute aux yeux. C'est évident que je suis jalouse. Avec lui, elle n'a aucune honte, alors qu'avec moi, c'est une autre histoire. D'ailleurs, ce qui s'est passé entre nous, elle semble l'avoir oublié. Ou du moins, elle semblait vouloir éviter le sujet. Mais ça, c'est mal me connaître. Contrairement à elle, j'ai besoin d'en parler, de mettre des mots sur ce qui s'est passé. « Et alors quoi ? » Même moi, je n'ai pas de réponse à lui donner. Je pensais que cela allait être fluide, que ça allait sortir naturellement de ma bouche. Mais non. Je me pose trop de questions. Ou alors, je ne m'attendais tellement pas à ce que cette nuit se produise que je n'ai pas anticipé la suite. « J'ai pas le droit de coucher avec lui ? » Elle peut bien faire ce qu'elle veut, je n'ai pas de conseils à lui donner et même si je le faisais, je suis sûre qu'elle ne le prendrait pas en considération. « C'était des conneries nous deux. » Cette phrase là, elle me blesse. Bien plus qu'il ne le faudrait. Pourtant, elle était prévisible. Fallon ne m'a rien promis cette nuit-là, j'ai même toujours su que son rapport avec les personnes bisexuelles ou homosexuelles était compliqué. Alors pourquoi est-ce que ça changerait aujourd'hui ? Je ne suis pas si exceptionnelle au point de la faire changer. « J'avais bu, je m'en souviens même pas. » Je pouffe légèrement. Pour raconter des conneries, la blonde est clairement championne du monde. « Ça ne voulait absolument rien dire. » S'en est trop. « La seule connerie, ça a été de t'accepter ici. » Au final, le problème vient de là. Si elle n'avait jamais rejoint la colocation, il n'y aurait pas eu de retrouvailles, pas de rapprochement, pas de nuit ensemble. Nous n'en serions pas là. « Si tu arrives à te convaincre que tu ne voulais pas de cette nuit, c'est super. Mais ce n'est pas la vérité. » Avec les derniers événements, les vérités qu'elle a dites durant le jeu, j'ai l'impression de viser juste. Mais tant qu'elle n'ouvrira pas les yeux là-dessus, elle continuera de me contredire, de me rejeter. « Ça sera toujours pareil avec toi Fallon. » Les choses se reproduisent encore et encore. Je savais pourtant que je ne devais pas rentrer dans ce jeu. Mais mon coeur en a décidé autrement. Face à elle, il est complètement faible. « Mais putain, ouvres les yeux ! » Je hausse légèrement la voix, cela exprime ma colère. Je ne veux pourtant pas m'emporter, ça ne serait que lui faire plaisir. « Et s'il te plaît, ne mens pas. Tu te souviens très bien de cette nuit là. L'autre jour, quand tu t'es réveillée dans mon lit, tu étais paniquée car tu n'avais aucun souvenir, tu voulais des explications. Mais là, rien ? Tu t'es levée comme une grande, tu t'es habillée et tu m'as totalement ignoré. Tu n'avais pas besoin d'être rassurée, car tu savais exactement ce qu'il s'était passé. » Je secoue la tête de gauche à droite. J'espère, je continue d'espérer un futur entre nous, mais je ne fais que me voiler la face. « Il est où exactement le problème ? Tu ressens des choses pour les femmes et alors. Ce n'est pas un putain de crime. » Aux dernières nouvelles, je n'ai jamais été en prison pour avoir ressenti des choses pour elle.

C'était une erreur. Je le répète en boucle dans ma tête, encore et encore, jusqu'à arriver à m'en convaincre moi-même. Et finalement ça fonctionne. Une partie de moi refoule complètement les sentiments que je peux avoir pour elle. Ils n'existent pas, et n'ont jamais existé. Rien, je ne ressens absolument rien pour elle. Elle veut des explications ? Alors qu'elle soit prête à encaisser. Parce que je ne vais pas y aller de main morte. C'est plus fort que moi, j'ai besoin de lui faire du mal. D'appuyer exactement là où ça fait mal. De la faire souffrir tout autant que je suis en train de me faire souffrir moi-même. C'est justement ça le truc. Il faut bien que j'évacue ma colère quelque part. Et sur quelqu'un en l’occurrence. C'est elle qui est venue me confronter, qu'elle en assume les conséquences. Qu'elle me déteste toute entière, si seulement ça pouvait rendre les choses plus faciles. Je mens en lui disant que je m'en souviens pas. Bien sur que je m'en souviens. Les images de cette nuit ne cessent de hanter mon esprit. Les courbes de son corps qui se dessinent encore sous mes yeux, sous mes doigts. Comme si je les avais appris par cœur pour ne jamais avoir à les oublier. Comme si j'étais consciente que cette nuit avec elle serait la seule. La première et la dernière. Parce que je ne peux pas me permettre d'être faible à nouveau. « La seule connerie, ça a été de t'accepter ici. » Pour être une connerie, ça en était une belle effectivement. Je n'aurais jamais dû rester dans cette foutue colocation dès le départ. Je savais que c'était dangereux de vivre sous le même toit qu'elle. Je savais que mes vieux démons allaient finir par ressortir. Alors, putain, pourquoi j'ai été incapable de partir ? « Si tu arrives à te convaincre que tu ne voulais pas de cette nuit, c'est super. Mais ce n'est pas la vérité. » Je secoue la tête, exaspérée. Elle n'est pas dans ma tête, elle ne sait pas un dixième de tout ce qui se passe chez moi. « Ça sera toujours pareil avec toi Fallon. » Alors pourquoi s'évertue-t-elle à continuer d'espérer que je change ? Elle ne peut pas abandonner une bonne fois pour toute qu'on en finisse. « Mais putain, ouvres les yeux ! » Elle hausse un peu le ton, et mon cœur se serre violemment dans ma poitrine. Oui, c'est vrai. Je sais exactement ce qu'il s'est passé cette nuit-là, et c'est pour ça que j'ai fuis. Parce que c'est tout ce que je sais faire. Je suis lâche, je l'ai toujours été. Mais je ne sais pas faire autrement. « Il est où exactement le problème ? Tu ressens des choses pour les femmes et alors. Ce n'est pas un putain de crime. » Cette fois, c'est trop. Je ne peux pas la laisser dire ce genre de choses. C'est des conneries ! « Arrête, putain. Je n'ai absolument rien ressenti, rien du tout. » Je la défie du regard, sans cligner des yeux, pour lui prouver que je ne suis pas en train de lui mentir. Et je crois que c'est la chose la plus difficile qu'il m'est possible de faire. « C'était purement mécanique, rien de plus. » Je hausse légèrement les épaules en lâchant un petit rire nerveux. « C'est arrivé une fois, ok, c'était une erreur et ça ne se reproduira plus. Plus jamais t'entends ? » Je suis ferme, catégorique. « Je ne ressens rien pour toi, je n'ai jamais rien ressenti. » Je la fixe toujours du regard, alors que je suis en train de lui enfoncer un coup de couteau dans le cœur. Une deuxième fois. « Tu me dégoûtes. » C'est les mots de trop, et j'en suis parfaitement consciente. Les trois petits mots déjà employés il y a cinq ans lors de l'enterrement de ma mère. Et ce n'est pas pour rien si c'est exactement ces mots là que je réutilise aujourd'hui. Je veux nous faire mal, continuer de nous détruire. Parce que c'est tout ce que je sais faire de mieux. Parce que c'est le seul moyen de réussir à me sauver de mes démons.

Fallon doit ouvrir les yeux, ce qu’il s’est passé entre nous n’était pas anodin, ça ne peut pas l’être. Elle devait juste m’embrasser, mais elle a été beaucoup plus loin, de sa propre initiative. Je ne lui ai jamais forcé la main. Alors maintenant, elle ne peut pas dire qu’elle ne ressent rien pour moi. Elle ne peut pas, non ? Ou alors je me trompe sur elle. « Arrête, putain. Je n'ai absolument rien ressenti, rien du tout. » Est-ce qu’elle essaye de se mentir à elle-même ? Ou est-ce que je me fais des films depuis plusieurs jours ? J’aimerais que ce soit la première des options, mais plus je la regarde et plus je me dis que j’ai sûrement imaginé des choses, beaucoup trop de choses. Comment est-ce que j’ai pu croire qu’elle éprouvait quelque chose pour moi ? « C'était purement mécanique, rien de plus. » Mécanique ? Ce n’est pourtant pas ce qu’elle laissait paraître. Mais si elle le dit, ça doit sûrement être vrai. Fallon doit certainement plus savoir ce qu’elle ressent que moi. Quoique, plus ça va, plus je commence à en douter. Mais pour lui ouvrir les yeux, ça s’annonce compliqué. Surtout quand elle est comme ça, quand elle est détestable. « C'est arrivé une fois, ok, c'était une erreur et ça ne se reproduira plus. Plus jamais t'entends ? » Je me disais exactement la même chose pour mes sentiments et pourtant.. il ne faut jamais dire jamais. Stop. Il faut que j’arrête de me dire cela. Fallon est détestable, pourquoi est-ce que je cherche toutes les excuses possibles pour expliquer ses gestes et ses paroles ? « Je ne ressens rien pour toi, je n'ai jamais rien ressenti. » C’est la phrase de trop. Je sens littéralement mon cœur se briser. Il y a des années, j’espérais qu’elle puisse me regarder différemment que comme une amie. Et comme une idiote, je l’ai encore cru, suite à notre nuit ensemble. Mais Fallon ne fait que jouer, encore et encore. Elle prend mon cœur et joue clairement au tennis avec. Le pire dans cette histoire, ce n’est pas qu’elle le fasse toujours, mais plutôt que je la laisse faire ainsi. « Tu me dégoûtes. » Cinq ans. Tout se reproduit. Mais aujourd’hui, il n’y a plus l’excuse que je lui ai toujours accordé : l’enterrement de sa mère. Aujourd’hui, elle est simplement méchante. Le tout gratuitement, comme si cela lui faisait plaisir. Sans pouvoir le contrôler, ma main part en direction de son visage et arrive violemment sur sa joue. Je ne suis pas du genre violente, mais là, c’est plus fort que moi. Elle doit être remise à sa place. Elle doit comprendre que ce qu’elle fait a des conséquences. « Va te faire voir Fallon. » C’est tout ce qu’elle mérite. Pourquoi est-ce que je ferais des efforts alors qu’elle est comme ça ? Je ne peux plus la laisser me blesser de la sorte. Je passe à côté de la blonde, enfin à côté, c’est vite dit. Volontairement, je rentre en contact avec elle. Comme pour la blesser à mon tour. Pourtant, je sais que ce geste ne vaut rien à côté de ce qu’elle m’a fait. Je récupère la bouteille de vodka avec laquelle je me suis servie un verre tout à l’heure. Je regarde la blonde une dernière fois, droit dans les yeux. « Je te déteste. » Et bizarrement, après ce qui vient de se passer, j’ai l’impression que je suis sincère. Je tourne les talons et d’un pas décidé, je me dirige vers la porte d’entrée. Je récupère mon blouson et quitte l’appartement. Je n’ai pas envie de rester ici, je n’ai plus envie d’être sous le même toit qu’elle. J’ai résisté jusque là, mais une fois le seuil de la porte franchit, les larmes coulent le long de mes jours. Je la déteste tellement et pourtant, je ne peux m’empêcher de l’aimer aussi.