no, i'm not jealous. obviously. (falloane #4)

Les tensions semblent s’apaiser depuis quelques temps à la colocation, et c’est quand même plus agréable. J’essaye de prendre sur moi, de faire des efforts, pour que tout se passe au mieux. Disons que je commence doucement à me faire à l’idée de devoir vivre sous le même toit que Jihane. En soit, j’aurais très bien pu faire le choix de partir dès le début… ça aurait peut-être été plus simple. Mais quelque chose me pousse à vouloir rester. Comme si je voulais inconsciemment garder une espèce d’emprise sur elle. Continuer d’être présente dans sa vie d’une manière ou d’une autre. C’est peut-être con, mais c’est comme ça. Ce matin au réveil, en traversant le couloir, je tombe nez à nez sur Jihane qui sort toute juste de la chambre de Wylona. Les cheveux en bataille, vêtue simplement d’une culotte et d’un petit débardeur en guise de pyjama. Mon cerveau ne fait qu’un tour, et je sens mon cœur se serrer violemment dans ma poitrine. Il ne faut pas être bête pour comprendre ce que ça veut dire. Je baisse instinctivement le regard, sans prendre la peine de la calculer. Pas de bonjour ni rien. Je ne vais quand même pas l’accueillir la bouche en cœur et le sourire jusqu’aux oreilles. Plutôt crever. Je préfère m’engouffrer dans ma chambre le plus vite possible, claquant la porte aussi sec. Cette vision me donne étrangement un arrière-goût amer. Et sans que je puisse le contrôler, une boule de jalousie vient se loger au creux de mon ventre. Ça fait mal putain. Je ne savais pas qu’il y avait quelque chose entre elles... et honnêtement je tombe de haut. Parce que oui, ça me fait chier. Même si c’est difficile à avouer et que ça m’en retourne le cœur jusqu’aux tripes. Sur le coup, je ne pense absolument pas au fait que ça puisse être une coïncidence ou quoi que ce soit d’autre. Pour moi c’est clair ; elles ont couché ensemble. Et ce n’était peut-être pas la première fois d’ailleurs. Je me sens conne d’un coup. Des sentiments incontrôlés se bousculent dans ma tête, un mélange entre une espèce de rancœur malsaine et une colère démesurée. Je ne sais absolument pas comment le gérer, et c’est justement ça le problème. Ça me dépasse complètement. Je me précipite finalement dans la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner. Avec un peu de chance, Jihane sera encore sous la douche et je n’aurais pas forcément à la croiser. Si je peux éviter de devoir affronter son regard, ça m’arrangerait. Mais c’est raté puisqu’elle fait son apparition quelques minutes plus tard. La brune s’installe en face de moi sans rien dire, et l’ambiance devient rapidement pesante. La scène de tout à l’heure repasse en boucle dans mon esprit, et je n’arrive pas à passer outre. Je crois que c’est en train de me rendre folle. « La nuit a été bonne ? » Je romps finalement le silence, parce que c’est plus fort que moi. Les mots se délient de mes lèvres sans que je puisse réellement les contrôler. Il n’y a plus aucun filtre à présent.

La journée d’hier avait été banale. Ce n’était qu’en soirée que les choses étaient devenues intéressantes.  J’avais entendu Wylona rentrer du travail, assez tard, et ne dormant pas encore, je lui avais proposé de regarder un film ensemble dans sa chambre. Une fois terminé, le sommeil ne semblait toujours pas venir. Nous avons donc discuté de nos vies respectives, nous avons plaisanté et nous avons fini par nous rapprocher. De simples baisers au départ, puis des caresses plus ciblées et c’est finalement après ce moment intime ensemble que nous trouvons le sommeil.
Mon téléphone sonne, m’indiquant ainsi qu’il est l’heure pour moi de me lever. Ne voulant pas réveiller Wylona, je l’éteins rapidement. Je quitte son lit, récupère mes affaires sur le sol et les enfile rapidement avant de quitter la pièce. Alors que je referme doucement la porte, toujours dans l’optique de ne pas faire de bruit, je tombe nez-à-nez avec Fallon. En terme de timing, on a connu mieux. Sans même un mot, elle quitte mon champ de vision. Ce n’est peut-être pas plus mal ainsi. Devoir faire la discussion au plein milieu du couloir, alors que je suis en petite culotte, cela aurait pu être bizarre. Sans attendre plus longtemps, je passe dans ma chambre pour récupérer des affaires propres et je file à la douche. Alors que l’eau coule le long de mon corps, je ne peux m’empêcher de repenser à ce qu’il vient de se passer. Il n’y a pas mort d’homme, mais dans le fond, j’aurais préféré que cela se passe autrement. Jusque là Fallon ignorait qu’il y avait quelque chose entre Wylona et moi, et sans se mentir, c’était plutôt bien ainsi. Lorsque j'ai terminé, que je suis habillée, coiffée et maquillée, je me dirige vers la cuisine, afin de manger quelque chose avant de partir au travail. Fallon est là. Encore. À croire que mon karma n'est pas bon. Dans un grand silence, je me sers une tasse de café et fouille dans un placard pour trouver de quoi grignoter. Je m'installe ensuite à table, en face de la blonde. « La nuit a été bonne ? » Madame a retrouvé sa langue. « Très. » Question simple, réponse simple. Ce n'est peut-être pas ce qu'elle attendait et alors ? « Pourquoi ? Je ne pensais pas que ce genre de détails t'intéressait. » Elle aurait pu garder cela pour elle. Faire comme tout à l'heure et ne pas parler de cette scène. Pourtant, elle a ressenti le besoin de le faire, ce n'est pas anodin. « Je ne vais pas m'arrêter de vivre sous prétexte que tu vis dans la chambre d'à côté. » Dès le début, c'est ce que je lui ai dit. Le fait que nous vivons sous le même toit ne m'empêcherait pas de continuer à vivre. Si c'était le cas, je risquerais sûrement de finir vieille fille. « Ne sois pas jalouse comme ça. Tu sais où se trouve ma chambre si l'envie t'en dit. » Car de nous deux, c'est bien elle qui est récalcitrante. De mon côté, les jours sont passés et je suis retombée dans mes travers. Elle claque des doigts et je suis à ses pieds. Pourtant, elle m'a fait souffrir dans le passé. Mais la discussion que nous avons eue l'autre nuit a pansé certaines de mes blessures. Si elle ne me déteste pas réellement, c'est qu'il y a autre chose. Et je suis bien décidée de trouver quoi, quitte à me brûler les ailes de temps en temps.

J’ai les nerfs, et je suis en train de commencer à perdre mes moyens. Imaginer Jihane dans les bras de Wylona est comme un coup de poignard reçu en plein cœur. Je ne m’attendais pas à ça… et encore moins aux émotions que ça réveillerait en moi. Trop de colère, trop de douleur. Si tout à l’heure j’ai réussi à ignorer la scène, là, c’est différent. Je ne peux m’empêcher de la confronter à ce sujet. Et elle sait très bien que c’est à ça que je fais référence avec ma question. « Très. » Mon cœur se serre dans ma poitrine alors qu’elle ne cherche même pas à nier. « Pourquoi ? Je ne pensais pas que ce genre de détails t'intéressait. » Pourquoi pas ? « Je ne vais pas m'arrêter de vivre sous prétexte que tu vis dans la chambre d'à côté. » Je ne la regarde volontairement pas, focalisant mon attention sur ma tasse de café que je serre encore un peu plus entre mes mains. Je bouillonne littéralement de l’intérieur là. « Ne sois pas jalouse comme ça. Tu sais où se trouve ma chambre si l'envie t'en dit. » Je lève les yeux au ciel comme par réflexe, exaspérée de voir qu’elle profite volontairement de la situation. Cette fois, c’est elle qui a - en quelques sortes - les cartes en main, et c’est justement ça qui me rend dingue. Je suis vulnérable, et je déteste ça. « Je ne suis pas jalouse. » Rétorquais-je aussi rapidement qu’il est possible de le faire. Évidemment que non. Il n’y aucune raison que je le sois. Leur petite coucherie ne m’intéresse absolument pas. C’est pas comme si ça me faisait quelque chose de savoir Jihane avec une autre. Pourtant… c’est pas tout à fait ce que mon cœur ressent. Et ça, je suis incapable de le contrôler. C’est ce qui m’a toujours fait peur avec elle. De sentir que je n’ai pas totalement le contrôle de moi-même et de mes sentiments. C’est dangereux. « Tu fais ce que tu veux. » Elle fait ce qu’elle veut de son cul comme on dit. J’essaye de rester la plus distante possible, légèrement détachée pour ne surtout rien montrer. Mais la tâche s’avère plus difficile que je n’aurais pu l’imaginer. « Vous auriez juste pu me dire qu’il y avait quelque chose entre vous… » Ouais parce que là j’ai l’impression d’être la dernière roue du carrosse. Je sais que mon arrivée à l’appartement a été quelque peu tumultueuse mais quand même. C’est le genre de détail important à savoir dans une colocation. Quand on doit cohabiter sous le même toit avec d’autres personnes, ce n’est quand même pas quelque chose d’anodin. Ou alors c’est moi ? Bref, on s’en fout, ça m’énerve, c’est tout. C’est comme ça. « C’est sérieux vous deux ? » Je ne sais pas pourquoi je me risque à poser cette question. Qu’est-ce que ça peut bien changer de toute façon ? Mais je crois que j’ai besoin de savoir malgré tout. Pour en avoir le cœur net, pour ne pas continuer à me poser trente six mille questions. Parce que là c’est le bordel dans ma tête. Dans mon cœur aussi surtout. Quitte à ce que sa réponse me blesse encore plus profondément. Je fuis son regard, totalement incapable de devoir affronter la vérité en face. Pourquoi ça fait autant mal putain ?

En voyant partir Fallon, je pensais que cette scène resterait enfouie, que nous n'en reparlerions jamais. Seulement, à être seules dans la cuisine, la blonde ne peut résister à l'envie de mettre cela sur le tapis. « Je ne suis pas jalouse. » C'est bien dommage, cela ne m'aurait pas déplu. Et puis, cela aurait pu me conforter dans l'idée que je me suis faite après notre discussion nocturne. Ce sera pour une prochaine fois. « Tu fais ce que tu veux. » Je hoche la tête, comme pour confirmer ses propos, même si cela est évident. Je ne lui dicte pas ce qu'elle a à faire, alors il n'y a pas de raison pour qu'elle le fasse avec moi. « Vous auriez juste pu me dire qu'il y avait quelque chose entre vous… » Alors que je buvais une gorgée de mon café, celle-ci passe de travers et je ne suis pas loin de m'étouffer. Je ne sais pas trop si sa requête est justifiée ou non. Quoique, ça l'aurait peut-être contrainte à faire ses valises plus tôt, une personne bisexuelle qui vit sous son toit, ça fait beaucoup, alors deux.. L'important là, c'est que maintenant, elle sait qu'en m'attaquant sur mon orientation sexuelle, elle le fait avec Wylona aussi et si elle veut bien se faire voir à la colocation, il est dorénavant mieux pour elle de garder son avis pour elle. Surtout que j'ai déjà prévenu la jeune femme que je viens de quitter des avis très tranchés de Fallon. « C'est sérieux vous deux ? » Alors là. Je ne l'ai pas vu venir. Je la regarde quelques secondes, sans rien dire, m'assurant ainsi que cette question ne vient pas de mon imagination. Mais non. Pourquoi cela l'intéresse autant ? « Nous ne faisons que passer du bon temps ensemble. » Comme quoi parfois, il ne suffit pas de traverser la ville pour trouver ce que nous avons besoin. Avec ma dernière phrase, je réalise que je ne réponds pas pleinement à sa question, alors je poursuis. « Rien de plus. » Ce n'est que de temps en temps en plus. Elle a sa vie, j'ai la mienne. Il n'y a pas de jalousie, nous pouvons bien sûr voir d'autres personnes et si un jour, cela devait s'arrêter, alors ça se ferait tout naturellement. « J'ai laissé derrière moi les relations sérieuses depuis plusieurs années maintenant. » Deux ans pour être bien précise. Depuis cet accident, depuis la perte du bébé. Mais ça, je me garde bien de lui dire. Je ne me confis que très rarement sur cet épisode de ma vie, alors autant dire que je ne l'ai pas fait avec Fallon. Pourtant, à l'époque, j'aurais bien eu besoin d'elle. C'est passé maintenant et en parler ne fera que rouvrir une plaie que j'ai tentée de panser au mieux. « Et toi, tu as quelqu'un ? Un copain ? Tu n'as jamais ramené personne ici. On ne mange pas tu sais. » Quoique. Je ne sais pas vraiment comment je réagirais si elle venait accompagnée ici. Même si j'ai réussi à mettre mes sentiments pour elle derrière moi, me bernant qu'il n'y avait plus rien entre nous, ces derniers jours me font revenir à la réalité : il y a toujours ce petit quelque chose en moi qui bat lorsque je la vois, lorsqu'elle est là.

De savoir que Wylona aussi a une préférence pour les femmes, c'est un comble. Je crois que le karma se joue un peu de moi sur ce coup-là. Me retrouver en colocation avec deux lesbiennes - ou bisexuelles peu importe, c'est quand même légèrement ironique en soit. Quand on connait mon avis sur la question... depuis la coucherie de mon père et le suicide de ma mère. Bref, on a compris le truc. En tout cas ça me fait bizarre. Mais c'est pas tant leur orientation sexuelle qui me dérange. Après tout, même si je ne suis pas de ce bord là, elles font bien ce qu'elles veulent de leur vie. Par contre le fait qu'elles couchent ensemble, ça, ça change tout. C'est bien là le problème. Que Jihane se retrouve dans les bras d'une autre surtout. Non, ça, je peux pas. « Nous ne faisons que passer du bon temps ensemble. » Ok, je sais pas si ça me rassure ou si ça m'énerve encore plus en fait. « Rien de plus. » C'est déjà bien de savoir que ce n'est pas vraiment sérieux entre elles. Disons que j'aurais eu un peu de mal à me voir leur tenir la chandelle. Bonjour l'angoisse. « J'ai laissé derrière moi les relations sérieuses depuis plusieurs années maintenant. » Je hoche un peu la tête, légèrement soulagée. Mon cerveau fait rapidement le raccourci ; elle est supposément célibataire donc. Ok. Potentiellement il y a toujours une ouverture. Que Jihane soit toujours ma Jihane, la mienne. Et à personne d'autre. Merde je crois que mon cerveau est en train de dérailler sévère là. « D'accord, je vois. » La tension redescend légèrement, et mon cœur se calme un peu. « C'est une bonne chose. » Merde, c'est sorti tout seul. Avant même que je puisse avoir conscience que les mots étaient sortis de mes lèvres. Je grimace mal à l'aise avant de tenter un espèce de rattrapage maladroit. « Enfin non... enfin... j'veux dire pour la colocation. Au moins je n'aurais pas à devoir tenir la chandelle ou quoi que ce soit d'autre. » Ouais ok, c'est pas crédible. Tais-toi maintenant. « Et toi, tu as quelqu'un ? Un copain ? Tu n'as jamais ramené personne ici. On ne mange pas tu sais. » Je laisse échapper un rire nerveux d'entre mes lèvres. « Un quoi ? » Ce mot n'est limite pas connu de mon vocabulaire. « Oula non, très peu pour moi. » Répliquais-je aussi sec. « Pas d'attachements, pas d'emmerdes. » Ajoutais-je en rigolant. L'amour c'est pour les faibles. Je n'ai jamais cru à toutes ces conneries et ce n'est pas prêt d'en changer. Il n'y a rien de mieux que le célibat, synonyme de liberté. C'est la vie, le bonheur. Je crois que de toute manière la vie de couple n'est pas faite pour moi. Je suis un électron libre, sans attache, sans barrière. Je ne supporterais pas de devoir rendre des comptes à qui que ce soit. Je suis comme ça, je l'ai toujours été. « Je prends du bon temps aussi, je m'amuse et je profite des avantages du célibat. Les contraintes, tu me connais, c'est pas trop mon truc. » Elle me connait mieux que quiconque après tout. Et sur ce point là, je n'ai pas changé. « En tout cas si je ramène quelqu'un à l'appart, il ne restera pas pour prendre le petit-déjeuner, ça c'est sûr. » Elles n'auront même pas à devoir le voir en soit. Surtout pas.

Aussi surprenant que cela puisse l'être, Fallon m'interroge sur ma relation avec notre colocataire. Comme si cela l'intéresse vraiment. Un coup elle me jette, l'autre elle me porte de l'intérêt. Je ne sais plus trop sur quel pied danser. « D'accord, je vois. C'est une bonne chose. » Les années sont passées, mais elle souhaite toujours que je reste seule et malheureuse ? En tout cas, sa réflexion porte à confusion. J'espère juste qu'il ne s'agit pas de méchanceté. Dans ce sens-là, les choses seraient beaucoup plus intéressantes. Je n'ai malheureusement pas le temps d'enchaîner dans son sens qu'elle se rattrape comme elle peut. « Enfin non... enfin... j'veux dire pour la colocation. Au moins je n'aurais pas à devoir tenir la chandelle ou quoi que ce soit d'autre. » Je hoche machinalement la tête, presque amusée par la situation. Après.. si Wylona est d'accord, je ne suis pas contre un plan à trois. Ainsi, il n'y aura pas question de chandelle ou quoi. « Un quoi ? » Sur le coup, mon cœur rate un battement. Aurais-je raté un épisode ? Aurait-elle changé de bord ? Cela serait trop beau pour être vrai, surtout que l'autre soir, elle me disait encore ne pas être "comme moi". Ce n'est que sa formulation qui porte à confusion. Malheureusement. « Oula non, très peu pour moi. Pas d'attachements, pas d'emmerdes. » Au moins, cela a le mérite d'être clair. En cinq ans, j'ignore ce qu'il s'est passé dans sa vie amoureuse, si elle a eu une déception ou quoique ce soit d'autres. Je ne sais pas si nous avons ce point commun ou si de base, elle est partie avec en tête cette idée de ne pas avoir quelqu'un dans sa vie. « Je prends du bon temps aussi, je m'amuse et je profite des avantages du célibat. Les contraintes, tu me connais, c'est pas trop mon truc. » Je bois une nouvelle gorgée de ma boisson et hoche la tête, sans rien ajouter de plus. « En tout cas si je ramène quelqu'un à l'appart, il ne restera pas pour prendre le petit-déjeuner, ça c'est sûr. » Cela en serait presque malpolie. Ou alors, ils ne la satisfont pas assez pour avoir plus. À cette simple pensée, un sourire se dessine sur mon visage. « J'espère bien. Nous faisons payer une taxe sinon. » Si tous les partenaires de toute la colocation devait prendre le déjeuner, la quantité de nourriture diminuerait à vue d'œil. Néanmoins, ma phrase n'est pas très sérieuse. « Je plaisante. Je tiens à le préciser quand même, je ne voudrais pas être à l'origine d'un malaise d'un homme qui quitterait cet appartement le ventre vide. » Et puis, ça me laisserait l'occasion de le cuisiner un peu, de lui faire peur pourquoi pas, histoire qu'il ne remette jamais les pieds ici. Dans l'espoir que Fallon ne l'apprenne pas, sinon je me ferais sûrement appeler Arthur. « Mais tu sais, parfois, rien ne sert de chercher loin pour trouver des partenaires. » Ma phrase est lourde de sens, et en plus du sourire qu'arbore mon visage, j'arque mon sourcil. « Si tu veux t'amuser un peu, nous pouvons le faire toutes les deux. » La conversation a été trop plate pendant trop longtemps, il est venu l'heure de s'amuser un peu avec elle et qui sait, d'obtenir un peu plus de révélation de sa part. Nous ne sommes pas à l'abri d'une langue qui fourche. « Et puis, même alcoolisée, tu es capable de trouver le chemin jusque ma chambre, alors.. » Et une petite pique, une référence à la nuit qu'elle a passée dans mon lit.

Je ne suis jamais tombée amoureuse. Parce qu'être amoureuse, ça me fait peur. L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Et ce que j'ai vécu avec l'histoire de mes parents ne peut que le confirmer. Je crois que je suis vaccinée de toutes ces conneries. Le grand amour, le vrai, je n'y crois pas - ou plus. Les films à l'eau rose n'existent pas dans la vraie vie. A quoi bon s'attacher et s’éprendre de quelqu'un si c'est pour finir le cœur brisé, triste et malheureuse ? Ma mère n'a pas survécu à son chagrin d'amour. Littéralement parlant. Et je crois que l'image de sa mort me hantera jusqu'à la fin de mes jours. On ne peut jamais réellement se remettre d'un drame comme celui-là. Il aurait peut-être fallu que j'en parle à quelqu'un, un proche, un inconnu ou même à un professionnel, mais j'en suis tout bonnement incapable. C'est là au plus profond de moi, mais ça ne veut pas sortir. Et c'est pour ça que je m'interdis toute sorte d'attachement quel qu'il soit. Amour, amitié, ou que sais-je encore. Je suis définitivement mieux toute seule. Je m'amuse, profite des bons côtés de chacune de mes relations, rejetant le reste d'un revers de la main. La liberté, y'a que ça de vrai. Y'a que ça qui arrive à me faire sentir vivante. A moins que... non. Rien. « Mais tu sais, parfois, rien ne sert de chercher loin pour trouver des partenaires. » Je ris un peu jaune, comprenant là où elle veut en venir. Elle fait sans doute illusion à Wylona et elle. Et bizarrement je ne peux m'empêcher de grimacer. « Si tu veux t'amuser un peu, nous pouvons le faire toutes les deux. » Ah non. Celle-là, je ne m'y attendais pas. J'écarquille grand les yeux, un peu surprise. Alors que mon cœur s'emballe plus que de raison. « Et puis, même alcoolisée, tu es capable de trouver le chemin jusque ma chambre, alors.. » Bon ok, faut croire qu'elle a décidé de continuer à me charrier sur le sujet. Je crois que je vais y avoir droit pendant encore longtemps. Fais chier. Mais j'essaye de prendre les choses à la rigolade, de me détendre un peu. Faut que j'arrête de toujours être sur la défensive si je ne veux pas éveiller des soupçons qui n'auraient pas lieu d'être... évidemment. « T'abandonneras donc jamais ? » Répliquais-je du tac au tac, rentrant volontairement dans son petit jeu. « Je croyais que tu avais Wylona pour ça... » Je penche un peu la tête avant d'ajouter. « A moins qu'elle ne te suffise pas. » Et je laisse échapper un rire d'entre mes lèvres à mon tour. Bizarrement ça me fait du bien de rigoler avec elle. Pendant l'espace d'une seconde, j'ai l'impression de vraiment la retrouver. Comme avant. Cette complicité qui a toujours su nous lier elle et moi. Cette connexion à la fois si troublante et si intense... ce truc que je n'ai jamais vraiment réussi à expliquer. « T'as raison, elle ne m'arrive même pas à la cheville. » Faut pas jouer sur ce terrain-là avec moi. « Tu sais pas ce que tu rates. » Je lui fais un petit clin d’œil et hausse les épaules. C'est évident non ? Elle plaisante, joue avec moi, mais en réalité, je rêve secrètement que ça soit moi qu'elle veuille depuis le début. Parce qu'à l'époque, nous avons jamais vraiment parlé de ce baiser. Et de sa signification. Mais j'ai peut-être besoin de l'entendre m'avouer les choses que mon inconscient a toujours espéré entendre. Je croque un bout de ma biscotte, et lui tend l'autre moitié pour continuer sur la lancée de la plaisanterie. « Mais en attendant, c'est tout ce que je peux te proposer pour combler ta faim de moi. » Et je pouffe de rire une nouvelle fois, le cœur un peu plus léger. Étrangement, je me sens beaucoup mieux que tout à l'heure. Et je sais que Jihane n'y est pas pour rien...

C'est facile, presque trop facile. Cet échange sur nos relations ou plutôt notre intérêt à l'amour avec un grand A me ramène à nous. À ce qu'on aurait pu être. À ce que j'aurais aimé qu'on soit. Je pourrais lui avouer là et partir, la tête basse. Mais à la place de cela, je joue avec les mots et avec ces relations avec les hommes. Il n'y a pas qu'eux. Il suffit juste qu'elle ouvre les yeux et son cœur aussi. « T'abandonneras donc jamais ? » Un large sourire sur les lèvres, par fierté de ce que je lui ai dit, je balance ma tête de gauche à droite. Bien sûr que non. « Je croyais que tu avais Wylona pour ça... » Ce qu'elle dit là semble presque contradictoire avec ce que je lui ai dit tout à l'heure. S'il n'y avait que Wylona, il y aurait une forme de sérieux ou du moins de fidélité, plus ou moins. Or, ce n'est pas le cas. Mais je sais bien que dans le fond, Fallon joue aussi, elle joue de ce que je lui ai dit pour prendre l'avantage de la situation. « A moins qu'elle ne te suffise pas. » Naturellement, je souris. Un sourire qui s'élargit lorsque la blonde rigole. Comme quoi parfois, on est capable de mettre cinq ans de silence derrière nous. « Disons que je suis gourmande. » Pourquoi se fermer des portes ? C'est ce que me disent certains collègues quand ils apprennent que j'ai été avec un homme et qui m'arrive de sortir avec des femmes. Ce n'est pas la même situation ici, mais la logique reste la même. Pourquoi s'en tenir à une femme, quand on peut en avoir une deuxième ? Surtout quand elles sont aussi charmantes. « T'as raison, elle ne m'arrive même pas à la cheville. » Je hausse légèrement les épaules, laissant ainsi le doute planer. Je ne peux pas dire cela. Elles sont toutes les deux différentes. Mais forcément, Fallon est spéciale pour moi, en quelque sorte. Et ce serait forcément le cas aussi si l’on passait une nuit ensemble. « Tu sais pas ce que tu rates. » À son clin d’oeil, je ne peux m’empêcher de me mordre la lèvre inférieure. C’est fini, je ne peux même plus prétexter avoir un certain recul avec elle. Un sourire et mon coeur s’emballe. Je suis finie. Surtout qu’elle, elle ne veut pas de moi. C’est reparti pour un tour, il va définitivement falloir que je mette un frein à tout cela. « Mais en attendant, c'est tout ce que je peux te proposer pour combler ta faim de moi. » « Je prends. » Dis-je en prenant le morceau de biscotte qu’elle a entre les doigts. « Je prends tout ce que tu m’offres. » Je croque dedans, avant de prendre ma tasse dans ma main et de la déposer dans l’évier. Doucement, je me rapproche d’elle, dans son dos. Je me penche vers elle et viens alors lui murmurer au creux de son oreille : « Car dans le fond, je sais que tu es folle de moi. » Ma peau effleurant la sienne, je joue définitivement avec le feu et je vais très vite finir par me faire brûler. Une fois reculée, je récupère mes affaires. Ce n’est pas tout, mais la journée doit commencer. Avant de partir, je la regarde une dernière fois, un sourire malicieux sur le visage. « Je dois aller travailler. Ne pense pas trop à moi aujourd’hui. » Sans rien de plus et sans même attendre sa réponse, je quitte l’appartement.