be drunk makes things easier... or not (falloane #3)

La tête à l'envers, le coeur en vrac. Ce moment particulier à l'institut tout à l'heure avec Jihane m'a complètement retourné le cerveau. Je ne cesse de repenser à elle, à mes mains sur son corps, et mes doigts glissant généreusement sur sa peau. Ça tourne en boucle dans ma tête, et c'est en train de me rendre dingue. Il y a eu sa crise d'angoisse aussi, qui n'a pas arrangé les choses. L'accident qui lui a causé cette fameuse cicatrice. Beaucoup trop d'éléments qui me bouleversent plus que je ne l'aurais imaginé. C'est pour ça que j'ai décidé de sortir ce soir. Pour changer d'air, penser à autre chose. Profiter, boire, flirter. Tout ce que je sais faire de mieux. Me vider la tête pour chasser les vieux démons qui persistent à vouloir refaire surface. Ne plus penser à ces foutus sentiments et ces stupides émotions contradictoires. Ne plus penser à elle. Non, surtout pas. Ça n'existe pas, tout ça n'existe pas. Je ne ressens rien, et je ne dois définitivement rien ressentir. Jamais, plus jamais. Les verres d'alcool s'enchaînent au rythme de la musique, et la soirée finit rapidement par avoir l'effet escompté. Pendant l'espace de quelques heures, j'oublie tout. Tous mes doutes se sont envolés - ou presque. Mais l'alcool ingurgité y est évidemment pour quelque chose. Pourvu que ça ne me revienne pas en pleine figure demain au réveil. C'est un risque à prendre, mais la sensation de bien-être actuelle est appréciable. Je ne veux pas penser à l'éventuel retour de flamme. Pas maintenant. Finalement c'est le coeur un peu plus léger que je rentre à l'appartement. Mes pas se font hésitants et mon équilibre dangereusement précaire. Pour être honnête, j'ai du mal à y voir clair. Mon cerveau est embrumé, et ma vision un peu troublée. Faut dire que les limites du raisonnable ont été dépassées depuis bien longtemps déjà. Il y a eu trop de verres pour pouvoir les compter. Et puis merde, on s'en fout. On a qu'une vie, il faut bien s'amuser. Devant la porte d'entrée, je respire un grand coup pour me concentrer. Si je veux éviter de réveiller mes colocataires, je dois essayer de ne pas faire trop de bruit. Aie, je n'arrive déjà pas à trouver le trou de la serrure, c'est pas gagné. J'arrive finalement non sans difficulté à déverrouiller la porte et je me glisse à l'intérieur sur la pointe des pieds. J'ai l'impression de rentrer en douce après le couvre-feu comme une gamine qui a désobéit à ses parents. Et ça me fait rire. Je me dirige dans le couloir des chambres, percutant les murs à plusieurs reprises avant d'ouvrir la porte  - sans me rendre compte que je viens de me tromper de chambre. Je ne prends pas la peine d'allumer, ça sert à rien, je gère. Enfin du moins c'est ce que j'essaye de faire. Et miracle, je ne me suis pas encore cassée la gueule. Je crois qu'il me faut une médaille. J'arrive très vite à me débarrasser de mes vêtements désormais tous éparpillés sur le sol. Maintenant, y'a plus qu'à se laisser tomber sur le lit. A moins que...

La journée a été pleine de surprises. Enfin non, le terme "pleine" est un peu exagéré pour le coup. Disons qu’il y en a eu une : Fallon. Et oui, encore et toujours elle. Après l’avoir trouvé chez moi, chez nous désormais, il a fallu que nos chemins se croisent de nouveau à l’institut. Et qu’elle soit la masseuse qui était en charge de s’occuper de moi. Quand je dis que j’ai dû faire quelque chose pour que le karma s’acharne comme ça sur moi, je ne mens pas. Retourner au boulot après ça n’a pas été facile, surtout que mon supérieur n’a pas attendu longtemps pour me demander si tout c’était bien passé. J’ai souri et j’ai menti. Faire une crise de panique pendant un moment censé être agréable, ça ne doit pas être commun et surtout, ça ne laisse rien présagé de bon. Alors j’ai gardé ça pour moi. Une fois ma journée terminée, je suis rentrée à la colocation. Sans faire de bruit. Ça m’a permis d’essayer de déceler la présence de Wylona ou alors de Fallon. Pour mon plus grand bonheur, il n’y avait personne. Ça m’a permis de me faufiler à toute vitesse dans ma chambre. Moins je croiserais de monde ce soir, mieux ce sera. Ayant grignoté sur le chemin du retour, ce n’est pas mon estomac qui me fera sortir de ma pièce. Toutes ces émotions ont bien plus impacté ma forme, alors, à peine le soleil couché, je me mets en pyjama, un simple T-Shirt et une culotte, et me pose dans mon lit. Trois minutes plus tard et voilà que je dors.

« Mais.. qu’est-ce qu.. » Les yeux à peine ouverts, j’essaye de comprendre ce qu’il est en train de se passer. Alors que je dormais profondément, voilà que quelque chose vient de s’écraser sur moi. Quelqu’un en réalité. « Fallon ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Cette question est bête, mais je ne le comprends qu’une fois les mots sortis de ma bouche. « Tu sais qu’à partir d’une certaine heure, les gens dorment. » Bim. Avec cette phrase, je viens de prendre trente ans. À une époque, ou encore aujourd’hui, mais plutôt le week-end, il m’arrive de faire cela aussi, de rentrer à pas d’heure. Mais là, nous sommes en semaine et demain, je travaille. Alors autant dire que cette petite visite surprise ne m’enchante pas trop. « Il est trois heures. Tu fais chier. » Jusque là, j’ignorais l’heure. Mais un rapide coup d’œil à mon réveil et me voilà informée. « Fallon ? » Alors que je lui parle, la jeune femme ne semble pas complètement attentive. À croire que s’allonger ici ne lui fait ni chaud, ni froid. « Tu as bu ? » Cette question est rhétorique. À son odeur, j’ai ma réponse. En réaction à cela, je soupire légèrement et commence déjà à retirer la couverture de mon corps pour me lever. « Je vais t’accompagner dans ta chambre. » J’ai toujours rêvée de l’avoir dans mon lit et voilà que quand elle me déteste, cela arrive.

J'ai mal au crâne, la tête qui tourne et des remontées d'alcool pas très agréables qui me retournent l'estomac. Enfin je vous passe les détails... mais là, tout de suite, j'ai envie de dormir. Me jeter sur mon lit, et cuver comme une merde jusqu'au petit matin. C'est peut-être pitoyable de ma part de m'être mise dans cet état, mais je m'en fous. En réalité ça n'a que très peu d'importance. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour mettre mon cerveau sur off. Couper temporairement tous ces foutus sentiments à la con. Basta, terminé. Je me laisse couler sur mon lit, et la voix de Jihane me fait sursauter. « Mais.. qu’est-ce qu.. » Attends, c'est quoi ce délire ? Qu'est-ce qu'elle fout dans ma chambre ? La lumière m’éblouit et je me cache les yeux un instant, un rire incontrôlé s'échappant de mes lèvres. Oups je crois que j'ai fait une boulette. Je comprends assez vite que c'est moi qui me suis trompée de chambre. C'est pas de ma faute aussi si nos deux portes sont à côté. A quelques centimètres près, ça aurait pu être la bonne. Raté. « Jihane ! » Ma voix s'emporte dans les aigus alors que je viens stupidement la prendre dans mes bras. Mon état d'ébriété me fait vraiment faire n'importe quoi. Heureusement j'ai l'alcool joyeux, c'est déjà ça. On a échappé au pire. « Fallon ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Je lève les bras au ciel d'un air idiot en haussant un peu les épaules, toujours allongée sur elle. « Tu sais qu’à partir d’une certaine heure, les gens dorment. » Je ferme les yeux en soupirant. « C'est ce que j'essaye de faire aussi figure-toi. » Bah quoi, c'est vrai. A la base c'est ce qui était prévu en tout cas. « Il est trois heures. Tu fais chier. » Mais je ne bouge pas pour autant. Je reste là sur elle, incapable de réussir à me relever. Ma tête tourbillonne comme un tourniquet. « Fallon ? Tu as bu ? » Je pouffe de rire en guise de réponse. Elle a un sacré sens de l'observation dis donc. « Je vais t’accompagner dans ta chambre. » Je m'agrippe un peu à elle avant de répliquer. « Noooooon mais je suis bien ici. » Bizarrement je suis bien dans son lit. Je crois que l'alcool me monte au cerveau. Ou alors ça fait justement tout ressortir au grand jour ? Mais non, c'est pas vrai. « Faudrait juste parler un peu moins fort, j'ai mal à la tête. » Et éteindre la lumière aussi si c'est pas trop demandé. Jihane fait une drôle de tête, et je ne comprends pas trop pourquoi. « Bah quoi ? Ça te dérange ? » Question stupide. Mais je crois que je ne me rends pas vraiment compte de l'ironie de la situation. Enfin ironie... disons que c'est un peu bizarre mais bon. Sur le moment je ne suis pas assez lucide pour analyser quoi que ce soit. « Tu préfères peut-être que j'enlève ça... » Je viens accompagner mes mots d'un geste pour désigner mon soutien-gorge. Je sais pas ce qui me prend de dire ça, mais ça me fait rire. Qu'est-ce que je suis en train de faire putain ?

La blonde est bien en forme, à l’inverse de moi. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la voir ainsi m’épuise encore plus. « C'est ce que j'essaye de faire aussi figure-toi. » À cette phrase, je ne peux pas m’empêcher de la regarder. Elle se moque de moi là, non ? Je ne vois que ça possible. Ces mots et ses actions me font comprendre qu’elle n’est pas dans son état normal. Je ne sais pas pourquoi elle a bu et surtout, pourquoi elle a bu autant. Ça ne me regarde pas et pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiète pour elle. « Noooooon mais je suis bien ici. » J’espérais pouvoir me rendormir rapidement, mais je dois me rendre à l’évidence : ça n’arrivera pas. « Faudrait juste parler un peu moins fort, j'ai mal à la tête. » Elle vient dans ma chambre, me réveille et il faudrait que je me taise ? Il ne faut pas pousser mémé dans les orties. « Bah quoi ? Ça te dérange ? » Il y a cinq ans, elle m’a clairement fait comprendre qu’elle ne voulait plus de moi dans sa vie. À contre coeur, je m’y suis résolu. Et là, elle vient dans ma chambre et trouve cela bizarre que je ne saute pas de joie. « Tu préfères peut-être que j'enlève ça... » « NON ! » Ce mot m’échappe. Un peu vite et un peu fort. J’espère qu’entre cela et le bordel de Fallon, Wylona n’est pas réveillée. Il manquerait plus que ça. Toute la colocation n’a pas besoin d’être réveillée sous prétexte que l’une d’entre nous a eu la main lourde sur la bouteille. « Tu joues à quoi là ? Remets ça. » Dis-je, tout en récupérant, au sol, sa robe. Plus il y aura de tissu entre elle et moi, mieux ce sera. Je sais bien qu’elle n’est pas totalement consciente de ce qu’elle fait et pourtant, j’ai encore l’impression qu’elle cherche à me pousser à bout. « Viens. Je te ramène dans ta chambre. » Mais avant ça, je dois lui remettre ses vêtements. J'écarte le morceau de tissu que je tiens entre les mains et lui enfile. J'attrape ensuite ses bras et la tire vers moi pour qu'elle se retrouve assise. Pour la soulever, il va me falloir un peu de force. Surtout qu'elle, comme elle n'a visiblement pas envie de partir, elle ne m'aide pas du tout. Je glisse l'un de mes bras autour d'elle, jusqu'à ce que mon épaule soit au niveau de son aisselle. Dans ma logique, c'est dans cette position que j'arriverais à la soulever. Seulement ça, c'était avant que je comprenne que ce geste me rapproche fortement d'elle. Je tourne la tête et je ressens son souffle. Jusque là, j'avais résisté, mais si nous continuons comme ça, tous mes efforts vont tomber à l'eau. Presque naturellement, mon regard s'arrête sur ses lèvres et c'est à ce moment-là que je comprends que le transfert jusqu'à sa chambre ne sera définitivement pas possible. « Tu sais quoi ? Tu peux rester ici, mais tu restes sur le côté. J'aimerais pouvoir reprendre mon sommeil là où je l'ai laissé. » Rapidement, je lui retire la robe que je viens de lui remettre. Même si cela ne m'enchante pas beaucoup, elle sera sûrement plus confortablement installée comme ça. J'essaye ensuite de faire de mon mieux pour l'installer sur l'autre place de mon lit. La dernière fois où une femme a dormi dans mon lit et que nous n'avons rien fait, ça remonte à longtemps. À croire que je m'assagis. Ou alors, c'est juste parce que c'est elle.

Tout se bouscule dans ma tête et dans mon coeur. Et l'alcool ingurgité dans la soirée n'arrange rien à ce joyeux bordel. Je crois même que ça fait ressortir des choses qui ne devraient pas. Ces vieux démons qui reprennent le dessus sur la raison. Ces foutus sentiments bizarres à l'égard de ma meilleure amie. Enfin... ancienne meilleure amie. Oui, c'est un détail important auquel je dois à tout prix me raccrocher. Se souvenir des raisons qui m'ont poussées à détruire notre relation. Me protéger d'elle, mais de moi-même surtout. Parce que là je suis en train de faire de la merde. Qu'est-ce qui me prend de vouloir enlever mon soutien-gorge ? Putain merde. « NON ! » Jihane me stoppe dans mon élan, et un rire incontrôlé s'échappe d'entre mes lèvres. « Tu joues à quoi là ? Remets ça. » Le problème, c'est que je ne joue pas justement. C'est la vodka qui parle pour moi. Et je crois qu'elle n'a jamais été aussi sincère qu'en ce moment même. « Viens. Je te ramène dans ta chambre. » Je soupire fortement avant de balancer de but en blanc. « Rhoo t'es toujours aussi chiante toi. » Tiens, ça, c'est cadeau. C'est quand même dangereux de ne plus avoir aucun filtre comme ça. Y'a tout et n'importe quoi qui peut sortir de ma bouche. Et c'est justement ça qui me fait peur. Mais j'en ai pas forcément conscience sur le moment. Heureusement d'ailleurs. Jihane essaye de me remettre ma robe avant de tenter de me redresser sur le lit. Mais je fais aucun effort pour lui rendre la tâche facile. Faut pas pousser quand même. C'est elle qui fait chier à vouloir que je retourne dans ma chambre, moi, je suis bien là. Un peu trop bien peut-être. Son bras autour de mon corps, son visage non loin du mien... nous n'avons pas été aussi proches depuis longtemps. Et ça me fait tout bizarre. Je plonge mon regard trouble dans le sien, et le temps s'arrête quelques secondes. Je la vois loucher un instant sur mes lèvres, et je crois que je suis en train d'en faire de même, malgré moi. Merde alors. « Tu sais quoi ? Tu peux rester ici, mais tu restes sur le côté. J'aimerais pouvoir reprendre mon sommeil là où je l'ai laissé. » Elle me retire finalement ma robe alors que je ne peux m'empêcher de pouffer de rire. C'est quand même drôle de la voir me déshabiller comme ça. Et je profite un peu de la situation pour y prendre un certain plaisir. Non avoué bien évidemment. « T'avais encore envie de m'embrasser hein ? » Mais putain Fallon, tais toi. Les mots se délient de mes lèvres sans que je puisse les contrôler. C'est en train de faire un carnage. « Tu peux tellement pas me résister... » Que j'ajoute en penchant ma tête sur elle dans un regard de biche, un petit sourire au coin des lèvres. « Pourquoi tu te retiens ? » Je crois que je pousse le bouchon un peu trop loin là. Faudrait pas que j'aille jusqu'à lui dire que j'en meurs d'envie moi aussi quand même. Même si je crois que mon comportement est en train de me trahir...

Cinq ans que j'essaye de rayer de ma vie Fallon, cinq ans que je pensais y avoir réussi et voilà qu'en quelques jours, elle remet tout cela en question. Son arrivée à la colocation, ce message à l'institut et maintenant, sa présence au sein de mon lit. Autant être honnête maintenant, il n'y a rien de sexuel ici, du moins, pas encore. Et puis même si cela arrivait un jour, est-ce que ça serait une bonne chose ? Je ne devrais même pas y penser, car on devrait sûrement venir me récupérer à la petite cuillère, comme à l'époque. « Rhoo t'es toujours aussi chiante toi. » Cette remarque serait venue de quelqu'un d'autres, ça m'aurait touchée. Mais là, pas le moins du monde. Seulement, même si j'ai fortement envie de la voir retrouver sa chambre, je n'arrive pas à la faire bouger. Mes sentiments à mon égard prennent une nouvelle fois le dessus et je perds mes moyens. « T'avais encore envie de m'embrasser hein ? » Elle ne peut pas juste se taire, c'est plus fort qu'elle. Pour essayer de l'oublier, je ferme les yeux. Comme si ça allait changer quelques choses. À peine Fallon bouge à côté de moi que je les réouvre pour voir ce qu'elle fait. « Tu peux tellement pas me résister... » Elle semble tellement sûre d'elle. Si seulement je pouvais la contredire. Si seulement je pouvais mentir. « À ce que je sache, tu es celle qui est venue dans mon lit. » Un sourire, faux, se dessine sur mon visage. Si nous nous retrouvons dans une telle situation ce soir, ou plutôt ce matin, c'est bien de sa faute. C'est elle qui est venue me chercher, c'est elle qui semble avoir besoin de moi près d'elle. « Pourquoi tu te retiens ? » Elle veut jouer ? Nous allons jouer. L'une de mes mains décide de partir à l'aventure, à l'aventure de ce corps presque dénudé qui se trouve sous ma couette. Mes doigts frôlent ses côtes, puis se déposent dans le bas de son dos. « Encore ? Moi qui pensait que tu avais oublié la première fois. » Elles n'en ont jamais parlé. C'était peut-être mieux comme ça. Pour elle en tout cas. Pendant de longs mois, je me suis demandée ce que cela voulait dire. Jusqu'à ce qu'elle me jette, comme une moins que rien. « Je vais commencer à croire que c'est toi qui es folle de moi. Tu gardes ce moment dans ta tête depuis cinq ans maintenant. » Moi aussi. Mais ça, ce n'est presque plus un secret. « Pourquoi est-ce que tu es là Fallon ? » Mon regard est hypnotisé par la sien. Se rendormir va s'avérer plus compliqué que prévu. Il reste la discussion, mais est-ce vraiment une bonne idée ? Savoir que l'alcool est l'unique raison qui l'a poussé à venir ici risque de me décevoir. « Tu en as envie, non ? » La meilleure défense, c'est l'attaque. Si elle voit que je suis complètement faible face à elle, elle va sûrement en profiter. Alors toujours dans l'optique de jouer avec le feu, je rapproche dangereusement mon visage du sien. Suffisamment proche pour qu'elle puisse sentir mon souffle sur sa peau.

Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Il faut que je sois bourrée pour que tout finisse par remonter brusquement à la surface. Elle, le passé, notre relation. Et l’ambiguïté qui en découle. Parce que oui, il y a toujours eu de l’ambiguïté entre nous. Et même si je n'ai jamais voulu l'admettre, c'était quelque chose d'évident. Nous étions beaucoup trop complices, trop tactiles, pour n'être que de simples meilleures amies. Avec le recul, tout le monde le sait. Sauf moi. Enfin si, mais je préfère me voiler la face que d'admettre ce genre de conneries. Je ne peux pas être de cette espèce-là. Et pourtant, c'est bien dans le lit de Jihane que je me trouve à cet instant précis. Et c'est de ce lit même que je ne veux surtout pas partir. Comme quoi y'a vraiment un truc qui cloche chez moi. Ça tourne pas rond dans ma tête. J'aurais pu me taire, repartir dans ma chambre comme si de rien n'était, et m'endormir. Oublier ce passage étrange et le rayer définitivement de ma vie. Comme j'ai pu le faire avec notre baiser passé. Mais non, il a fallu que je continue sur ma lancée. « À ce que je sache, tu es celle qui est venue dans mon lit. » Elle marque un point, même si de toute évidence je me garde bien de lui dire. Sauf qu'à force de jouer avec le feu, je risque de finir par me faire prendre à mon propre piège. Et je crois que je m'en rends compte un peu tard. Je sens déjà la main de Jihane venir se glisser sous la couette pour frôler ma peau dénudée. Ce contact provoque en moi un frisson incontrôlé que je suis incapable de maîtriser. Merde, merde, merde. Là, je ne sais plus quoi faire.« Encore ? Moi qui pensait que tu avais oublié la première fois. » La jeune femme rentre dans mon jeu, et ça me fait encore plus perdre la tête. Je n'ai pas les idées claires ce soir, et je me surprends à avoir envie qu'elle continue ses caresses. « Je vais commencer à croire que c'est toi qui es folle de moi. Tu gardes ce moment dans ta tête depuis cinq ans maintenant. » Je pouffe de rire bêtement à sa remarque, sans prendre totalement conscience que c'est le cas justement. « Pourquoi est-ce que tu es là Fallon ? » Elle plonge son regard dans le mien, et je sens mon coeur s'affoler dans ma poitrine. Elle se rapproche dangereusement, trop dangereusement même, à tel point que je peux sentir son souffle buter sur mes lèvres. Sur le moment, j'oublie tout. Tout ce qui fait que je me suis contenue jusqu'à maintenant, tout ce qui fait que je l'ai longtemps détesté. Détesté pour ce qu'elle est capable de faire ressortir en moi justement. Cette envie sous-jacente que je m'efforce depuis si longtemps à contrôler. « Tu en as envie, non ? » Envie de quoi ? De l'embrasser, là, tout de suite ? Oh et puis merde. J'en ai marre de réfléchir, j'en ai marre de lutter. Je ne sais pas si c'est l'alcool qui décide pour moi à ce moment là, mais je viens finalement réduire la distance qui nous sépare m'arrêtant juste à quelques centimètres. Nos lèvres sont si proches de se retrouver, l'espace est infiniment réduit... mais non. Je reviens brusquement à la raison, dans un élan de lucidité puisé au plus profond de moi-même. « Dans tes rêves oui. » Mais si j'ai réussi à résister à la tentation cette fois-là, je ne suis pas certaine d'en être capable la prochaine fois...

Elle me cherche. Pour me défendre, je décide d’en faire autant. Mais jouer à ce jeu n’est pas une bonne idée, je vais finir par me brûler. C’était presque prévisible. Tout ça, que je finisse par craquer pour ses beaux yeux. J’aurais dû m’en douter à partir du moment où je l’ai revue dans la cuisine. Si j’ai compris que j’aimais les femmes autant que les hommes, c’est grâce à elle. À cause d’elle dirait-elle sûrement. Nos points de vues sont différents. Elle est la première, celle que j’ai embrassé pour la première fois. Alors forcément, mes sentiments pour elle sont biaisés. À mesure que mon visage se rapproche du sien, mon cœur s’emballe. Il s’emballe comme il ne l’a jamais fait. Même pas avec mon ancien fiancé. Jusque là, j’étais la personne à l’origine de ce rapprochement. Mais quand elle prend la relève, je perds pieds. Le goût de ses lèvres, d’il y a cinq ans, revient dans mon esprit et je me vois déjà la scène se reproduire. Mais ça, c’était avant qu’elle décide de s’arrêter. Je ne m’attendais pas à son recul, pourtant, c’était prévisible. « Dans tes rêves oui. » Je soupire légèrement et fait osciller ma tête de gauche à droite. Dépitée en quelques sortes. « Dans mes rêves ? » Je me garde bien de lui dire, mais si nous étions vraiment dans mes rêves, elle porterait beaucoup moins de vêtements. Des rêves que j’aimerais bien voir réalisés. Pourtant, je ne devrais pas. Ça me fait retomber dans mes travers, me rappelle les souvenirs que j’avais pour elle à l’époque. Des sentiments que j’ai essayé de cacher, mais qui reviennent bien plus vite qu’ils ne sont partis. « Laisse-moi y retourner alors. » Il ne s’agit pas là que d’une remarque, mais également d’une supplication. Si je me rendors, j’oublierais peut-être ce qui vient de se passer, la vitesse à laquelle bât mon cœur. Je ferme les yeux, dans l’espoir de m’écouter et de finalement retrouver Morphée. Seulement, la main que j’ai fait glissé sur la peau de Fallon tout à l’heure n’a toujours pas quitté sa position. Elle ne m’a pas repoussé et je n’ai pas la force de le faire moi-même. Alors même si j’essaye de me rendormir, ce contact avec elle m’en empêche. Je continue mon mouvement dans son dos, de bas en haut, comme si sans ça, je ne pourrais pas survivre. Les yeux de nouveaux ouverts, mon regard se pose sur la blonde et je détaille chacun de ses traits. Elle est belle. Je l’aurais presque oublié à force de vouloir la rayer de ma vie. « Tu me détestes vraiment pour ce que je suis ? » Elle est visiblement très honnête grâce à l’alcool qui coule dans ses veines, pourquoi ne pas en profiter ?

A trop vouloir jouer avec le feu, c'est prendre le risque de se faire avoir à son propre piège. Et c'est bien ce qui a failli se produire à cet instant. Je suis passée à quelques millimètres près d'une grosse connerie. Mes lèvres aussi proches des siennes comme ça, c'est plus possible. Ça ne doit surtout pas se reproduire. Parce que je le sais - j'en suis intimement convaincue même, je ne pourrais pas résister à la tentation une seconde fois. L'envie de fondre sur sa bouche est bien trop présente dans ma tête. Mais il ne faut surtout pas que je sois faible, je ne m'en laisse pas le choix. La tension est à son comble, alors que je tente de calmer les battements de mon coeur. Je crois que ma propre frustration est à son maximum. Franchement je sais même pas comment j'ai fait pour reculer à temps. C'est limite comme si ça ne pouvait pas être vraiment réel. Et je me surprends secrètement à imaginer le baiser que nous aurions pu échanger si je ne m'étais pas arrêtée dans mon élan. Je repense à la douceur des ses lèvres, au goût de sa langue, et je sens des palpitations dans mon bas ventre. Merde, merde, merde. Je ferme les yeux quelques secondes pour tenter de reprendre une respiration normale. « Dans mes rêves ? Laisse-moi y retourner alors. » Bien, très bien. Je ne sais même pas comment on a pu en arriver jusque là d'ailleurs. Ouais c'est sans doute encore de ma faute aussi avec mes conneries. Il faut que j'arrête de boire, ça fait beaucoup trop de dégâts. C'est pas bon, pas bon du tout même. Mais alors qu'il serait temps de dormir chacune de notre côté du lit, je sens la main de mon ancienne meilleure amie toujours logée sur ma peau. Mais je suis incapable de la repousser, c'est plus fort que moi. Comme un besoin presque viscéral de toujours garder un contact avec elle. Ses doigts glissent dans mon dos, et je ne peux contenir un léger frisson. Comment vais-je pouvoir réussir à dormir si elle continue de faire ça ? C'est cruel, mais ô combien agréable... « Tu me détestes vraiment pour ce que je suis ? » Elle rompt le silence, alors que j'essaye à tout prix de détourner son regard. « Je ne te déteste pas. » Et c'est justement ça le problème. J'aimerais tellement que les choses soient plus simples... mais la détester, j'y arrive tout simplement pas. C'est ce que j'ai essayé de faire pendant cinq ans, en vain. « Je ne t'ai jamais détesté. » Ma langue se délie peut-être un peu trop facilement, et c'est en train de me faire peur. Qu'est-ce que je peux bien répondre à ça ? Non, je ne la déteste pas... c'est tout le contraire. Si elle savait. « Mais je ne suis pas comme toi. » Je secoue vivement la tête comme pour essayer de m'en convaincre moi-même. « Pas comme ça. » J'aime pas les filles, c'est tout. Même si mon comportement peut parfois porter à confusion... ouais c'est un peu ça le problème. Pourquoi suis-je incapable de retirer sa main de mon corps alors ? Faudrait pas trop qu'elle continue quand même, on sait jamais ce que je pourrais faire. « Je suis désolée... » Des excuses pour ce que je ne peux pas lui donner, mais également pour tout le mal que j'ai pu lui faire. Je ne peux pas être plus sincère que je le suis là, maintenant.

Cette question me traverse l’esprit et je me retrouve rapidement incapable de la garder pour moi. J’ai envie de lui poser, d’avoir enfin une réponse. Après tout, après ces années, j’ai bien le droit à ça, non ? « Je ne te déteste pas. » Ce soir, je veux bien la croire. Mais pour les autres jours, pour ces cinq années, j’ai un gros doute. « Je ne t'ai jamais détesté. » Et pourtant, elle est partie. « Mais je ne suis pas comme toi. » Comme moi. Cette phrase a toujours eu le don de me faire rire. Pas forcément dans le bon sens du terme. Mais disons que le fait que Fallon se contente de ces mots-là, qu’elle soit incapable de dire que j’aime les femmes, ça me fait rire. À croire que ça pourrait lui écorcher la gorge de le faire. « Pas comme ça. » Ça. Plus les secondes passent et plus je suis réduite à un objet. Pas comme moi, pas comme ça et pourtant, il y a quelques minutes, elle n’était pas loin de franchir une frontière et de m’embrasser. Comment est-ce que je suis censée l’interpréter ? « Je suis désolée... » Je hoche presque machinalement la tête. Ces mots me vont droit au coeur et pourtant, j’ignore la réelle raison qui l’a poussé à les prononcer. « Tu sais, je ne t’aurais obligé à rien. » Ce n’est clairement pas mon genre. Parce que je ne veux pas finir en prison, mais aussi parce que c'est la moindre des choses. J'avais beau avoir des sentiments pour elle, je ne l'aurais jamais poussé à faire quelque chose qu'elle ne voulait pas, surtout si elle, elle n'avait pas de sentiment pour moi. « Nous aurions pu rester amies. » Mon orientation sexuelle ne devrait pas se mettre en travers de notre amitié. Ça n'a jamais été le cas pour moi. À l'inverse de Fallon. Elle a eu peur ou je ne sais quoi. « J'avais peut-être envie de plus avec toi, mais pas au point de briser ce qu'il y avait entre nous. » Je tenais à notre amitié et ces dernières années, j'en aurais bien eu besoin. Pourtant, à cause de sa décision de me virer de sa vie, j'ai dû apprendre à faire avec. J'ai dû affronter chacune de mes épreuves seule. Un peu par choix. Je ne voyais personne d'autre qu'elle à mes côtés pour le faire. « Nous ferions mieux de dormir. » Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Rien de plus ne pourrait arriver ce soir, alors autant retourner dans les bras de Morphée. Je me rapproche un peu plus d'elle et dépose un tendre baiser sur sa joue. Elle s'est éloignée quand j'ai voulu l'embrasser tout à l'heure, je ne vais pas retenter la chose. Un râteau, pas deux. Je reprends mes distances, retire ma main de sa peau et me tourne dans le lit pour ne plus avoir à la regarder. Sans ça, je n'arriverais pas à trouver le sommeil.

Je crois que les effets de l'alcool sont doucement en train de se dissiper. Et même si c'est plus facile de me cacher derrière cette excuse, il faut se rendre à l'évidence ; il n'y a pas que la vodka qui m'a poussé à faire ce que j'ai failli faire tout à l'heure. Mais ça, elle ne doit en aucun cas le savoir. Surtout pas. Ça doit rester entre moi et moi. Et je dois veiller à faire attention à ce que je pourrais dire, pour ne pas me griller. On sait jamais... sous le coup des confidences comme ça, ça peut être dangereux. Mais je m'autorise quand même à être la plus sincère possible avec elle. Après tout, et surtout après ce qu'il vient de se passer, c'est la moindre des choses. Non, je ne la déteste pas. C'est moi que je déteste. Et ce qu'elle arrive à faire de moi. C'est ça qui me fait le plus peur finalement. Parce qu'il y a qu'avec elle que je me sens comme ça, différente. « Tu sais, je ne t’aurais obligé à rien. » Mon regard vient croiser le sien, et je sens mon coeur se serrer un peu plus fort dans ma poitrine. « Nous aurions pu rester amies. » C'est vrai, mais j'en étais foutrement incapable. Je ne pouvais pas rester amie avec elle avec tout le bordel que notre proximité foutait dans ma tête. C'était pas possible de ne pas y penser... parce que dès que je me surprenais à loucher sur ses lèvres, l'envie était là, bien présente. Cette envie là que j'ai tenté d'enfouir au plus profond de mon coeur. « J'avais peut-être envie de plus avec toi, mais pas au point de briser ce qu'il y avait entre nous. » Ça c'est moi qui m'en suis chargée. J'ai tout gâché entre nous, inconsciemment. Ou volontairement d'ailleurs. Je ne sais plus vraiment. Faut croire que c'était plus facile pour moi de l'éloigner de ma vie et de mon coeur. De la faire me détester pour tenter de me protéger. « Nous ferions mieux de dormir. » Elle a raison, et je hoche machinalement la tête. Elle se retourne, dos à moi, alors que je tente de chasser toutes les pensées qui se bousculent dans ma tête. Si j'ai montré un quelconque signe de faiblesse ce soir, demain est un autre jour. Et ça ne se reproduira pas. Heureusement la fatigue est là, et je trouve quand même rapidement le sommeil. Dans la nuit, je viens inconsciemment me blottir contre elle, épousant son corps à la perfection. Je ne m'en rends absolument pas compte, perdue profondément dans les bras de Morphée. Et lorsque je me réveille au petit matin, j'ai beaucoup de mal à émerger. Ma tête me fait encore un mal de chien, et il me faut quelques secondes pour comprendre que je ne suis pas dans ma chambre. Pire encore, je ne suis pas toute seule. Jihane est juste là, alors que mes bras sont enlacés sur son ventre. Merde putain. Cette image me fait l'effet d'un électrochoc, et je me redresse brusquement. « C'est quoi ce bordel ? » Que je laisse échapper tout en tirant la couverture jusqu'à moi pour recouvrir mon corps. Qu'est-ce que je fous dans son lit ?

La nuit est bien plus agitée que ce à quoi je m'attendais. Il faut dire que je n'ai pas souvent des filles qui s'invitent dans mon lit de la sorte. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a jamais, mais généralement, je les invite à le faire et avant ça, il y a eu des échanges agréables entre nous. Là, avec Fallon, rien. Ça ressemble même à une agression. C'est vrai, non ? Quelqu'un qui te tombe dessus alors que tu dors profondément ? Ça ne peut pas être autre chose. Mais ce réveil surprise entraîne une nuit pleine de surprises. Alors que nous frôlons un baiser, j'apprends que la jeune femme ne me déteste pas. C'est déjà un bon début, mais est-ce que cela me réconforte sur ce qui s'est passé pendant cinq ans ? Non. Qu'elle me déteste ou non, elle n'a pas hésité une seconde à me faire sortir de sa vie. Le mieux pour nous, à ce moment-là de la nuit, c'est de dormir. J'ai peur de dire des choses que je regretterais ensuite et j'ai aussi peur de devoir entendre ce qu'elle a à dire. Et si cela me blessait ? Maintenant dos à elle, je peux enfin espérer m'endormir. Même si sa présence ici me fait tout drôle. Sans réellement m'en rendre compte, je me laisse aller aux bras de Morphée. Jusqu'au petit matin, jusqu'à ce que la jeune femme me réveille, encore. « C'est quoi ce bordel ? » Je soupire légèrement et retire légèrement sur la couette qu'elle vient de prendre pour elle. Elle s'est crue dans son lit ou quoi. « Tu étais plus agréable cette nuit, quand tu criais de plaisir. » C’est dangereux de faire cela, mais en même temps, c’est amusant. Et comme visiblement elle n’est plus alcoolisé, j’ai une chance sur deux de tomber sur la Fallon chiante. Si c’est le cas, autant bien l’énerver dès le matin. Qui sait, c’est peut-être cela qui la poussera à quitter la colocation. « Surtout quand c’était mon prénom qui s’échappait de tes lèvres. » Ok. Là, j’ai peut-être été un peu trop loin. J’ouvre légèrement les yeux et tourne mon visage vers la jeune femme. « Je rigole. Il ne s’est rien passé. » Un sourire, en grande partie faux prend place sur mes lèvres. « Mais je vais vraiment commencer à croire que tu es folle de moi. Tu viens te coucher dans mon lit en pleine nuit, ça ne peut pas être anodin. » Si l’on s’en réfère à notre conversation de cette nuit, je ne suis pas complètement dans le fond, je le sais. Je l’espère peut-être un peu aussi. « Ça ne sert à rien de m’agresser. Tu es venu ici de ton plein gré, je n’y suis pour rien. » Si elle veut s’énerver, autant qu’elle le fasse ailleurs qu’ici. Aux dernières nouvelles, mon réveil n’a pas encore sonné, cela veut dire que j’ai encore quelques minutes de sommeil à profiter.

C’est une blague ? Je suis en train de rêver, c’est pas possible autrement. Tout se mélange dans ma tête, et les souvenirs de la veille sont un peu flous. Je ne comprends absolument pas comment c’est possible que je sois arrivée dans sa chambre. Encore moins que je sois allongée dans son lit, mon corps tout contre le sien. Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ? Je ne peux m’empêcher de me faire des films, et je commence à prendre peur. Et si nous avons… ? Mon dieu non, surtout pas. Je secoue vivement la tête et tente de me remémorer quelques détails de la soirée d’hier, mais rien. Je n’arrive pas à me souvenir de l’après-soirée. Les verres d’alcool dans ce bar, ça, oui, mais pour le reste c’est le trou noir. Je prie secrètement pour qu’il ne se soit rien passé entre nous, parce que je ne suis pas certaine de pouvoir l’assumer. Non, c’est trop me demander. Je crois que je ne le supporterais pas. Mais le fait que je sois en sous-vêtements ne me rassure pas vraiment sur la question. Le doute reste là, dans un coin de ma tête. Fais chier. Jihane commence à émerger à son tour, et soupire d’agacement en tirant légèrement sur la couette elle aussi. « Tu étais plus agréable cette nuit, quand tu criais de plaisir. » Mon visage se décompose, et je suis incapable de cacher mon inquiétude. Une boule d’angoisse vient se loger au creux de mon ventre, et je commence sérieusement à paniquer. Et si elle avait vraiment profité de moi alors que j’étais bourrée ? « Arrête tes conneries. » Non, c’est impossible. La tête entre les mains, je m’efforce de ne surtout pas croiser son regard. « Surtout quand c’était mon prénom qui s’échappait de tes lèvres. » Putain de merde. J’avale difficilement ma salive et reste comme paralysée, un peu conne. Jihane tourne alors la tête dans ma direction, un large sourire victorieux au coin des lèvres. « Je rigole. Il ne s’est rien passé. » Je laisse échapper un soupir de soulagement d’entre mes lèvres, alors que je la fusille cette fois-ci du regard. « Ça t’amuses ? » Jihane a l’air de prendre un malin plaisir à vouloir profiter de la situation, et ça me rend dingue. « Mais je vais vraiment commencer à croire que tu es folle de moi. Tu viens te coucher dans mon lit en pleine nuit, ça ne peut pas être anodin. » Je me lève brusquement du lit, bouillonnant littéralement de l’intérieur. Mon premier réflexe est de cacher mon corps avec mes mains pour ne pas qu’elle en profite encore, le temps de chercher mes vêtements. « Ça ne sert à rien de m’agresser. Tu es venu ici de ton plein gré, je n’y suis pour rien. » Je récupère à la volée ma robe par terre avant de l’enfiler directement. « J’espère que tu n’en as pas profité pour tenter je ne sais trop quoi. » Je suis en train d’imaginer tout et n’importe quoi, mais ça me frustre vraiment de ne pas réussir à me souvenir de ce qui a bien pu se passer. Et comme d’habitude, c’est plus facile pour moi de la blâmer elle plutôt que moi. Toujours des reproches. « On sait jamais avec toi... » Même si nous n’avons apparemment pas couché ensemble, rien ne me confirme pour l’instant qu’il ne s’est rien passé d’autre pour autant. Et qui sait, peut-être que c’est moi qui ai pu faire une connerie. Quand je bois, je ne suis plus vraiment maître de moi-même. Et c’est justement là tout le problème. En réalité ce qui m’inquiète le plus, c’est d’imaginer que ma langue ait pu se délier un peu trop facilement… ou pire encore. J’espère que je n’ai pas dit ou fait n’importe quoi, il manquerait plus que ça.

À vouloir jouer, Fallon s'est finalement retrouvée prise au piège de son propre jeu. Ses sentiments ont pris le dessus et elle est venue s'installer ici en pleine nuit. Cela ne m'a pas déplu, bien au contraire. Elle a beau dire ne pas être comme moi, cette nuit, nous n'étions pas loin de nous embrasser. Et ça, selon moi, ce n'est pas anodin. Mais au réveil, les choses sont bien différentes. La Fallon agréable a laissé place à la Fallon habituelle, celle détestable. Elle ne semble pas apprécier ce qu'elle voit. Pour la rassurer, je pourrais simplement lui dire la vérité, mais cela serait trop facile. Je fais le choix de jouer un peu de la situation, de lui faire croire que nous avons franchi une étape et que nous avons passé la nuit ensemble. « Arrête tes conneries. » Malgré ces mots, je sens qu'elle commence à y croire. Alors je décide d'en rajouter une couche. Avant de finalement lui dire la vérité. « Ça t'amuses ? » Elle n'a même pas idée ! Pour une fois, je suis maîtresse de la situation, c'est moi qui défini les règles et ça me plaît. Surtout si cela peut remettre en cause tout ce qu'elle pensait savoir sur elle. Tout ce que j'ai pu lui dire a eu l'effet de l'énerver un peu plus, autant dire qu'elle commence bien sa journée. Elle récupère ses affaires et les enfile. Elle a peur de moi, j'ai l'impression en tout cas. À croire que si je vois un petit morceau de sa peau, je vais lui sauter dessus, comme une bête affamée. Je sais me tenir et si elle avait des souvenirs de cette nuit, elle le saurait. « J'espère que tu n'en as pas profité pour tenter je ne sais trop quoi. » Je pouffe légèrement à sa phrase. Elle me voyait comme une homosexuelle à éviter et voilà que maintenant, elle m'imagine en prédatrice sexuelle. « On sait jamais avec toi... » « Avec moi ? Dès que tu parles de moi, j’ai l’impression d’être la pire des garces. Pourtant, de nous deux.. » Je pourrais m’énerver à mon tour, comme je l’ai déjà fait ces derniers jours. Mais ce ne serait pas une bonne idée, surtout qu’avec ce qui a été dit cette nuit, je sais maintenant que cette haine qu’elle a envers moi n’est pas justifiée, n’est pas réelle. « Je ne suis pas ce genre de personnes. Je préfère qu’en en face, on est consentant. » C’est toujours plus agréable et c’est surtout plus légal. Tenter quelques choses avec elle, alors qu’elle ne le veut pas, ça ne ferait que briser un peu plus mon cœur. Je pourrais m’imaginer des choses, qui au final ne seraient pas réelles. « Nous avons juste parlé. Beaucoup. » Je n’ajoute rien de plus, laissant ainsi le doute planer. Je reste vague, la laissant ainsi se faire une idée de ce qu’elle a pu dire. Elle aurait très bien pu me parler de la pluie et du beau temps, ou alors de choses plus intimes. Surtout qu’avec elle, l’alcool semble l’aider à parler et si elle le sait, elle peut rapidement s’imaginer le pire. « Tu as besoin d’autre chose ici ? Ou je peux aller prendre mon petit déjeuner. » Au final, je n’ai pas vraiment envie de m’étaler sur ce qui s’est passé cette nuit. Elle serait capable de gâcher tous les souvenirs que j’en ai, tous ces mots qu’elle a dit.

En vrai, c'est la merde. Je n'arrive pas à me souvenir de ce qu'il s'est vraiment passé. De ce que j'ai pu dire ou faire hier soir. Avec l'alcool ingurgité et les symptômes de la gueule de bois que je me tape au réveil, ça devait être quelque chose. Je crois que je préfère même pas imaginer en fait. « Avec moi ? Dès que tu parles de moi, j’ai l’impression d’être la pire des garces. Pourtant, de nous deux.. » Ouais allez, c'est bon. On a compris le truc. « Je ne suis pas ce genre de personnes. Je préfère quand en face, on est consentant. » Encore heureux. Mais pourquoi je n'arrive pas à être totalement rassurée ? Pas sur le fait qu'elle ait pu tenter quelque chose, non, sur ça je lui fais confiance. Mais c'est de moi-même dont j'ai peur. Et si les vieux démons avaient refait surface ? D'ordinaire je suis lucide et surtout capable de tout faire pour les garder enfouis au plus profond de moi. Mais bourrée, je ne suis plus sûre de rien. Et j'ai peur du véritable visage de la Fallon que j'ai pu montrer. « Nous avons juste parlé. Beaucoup. » Et ça doit me rassurer peut-être ? C'est raté, c'est encore pire. Qu'est-ce-que nous avons bien pu nous dire ? Honnêtement ça m'inquiète, et cette sensation me rend d'autant plus vulnérable. J'espère que je vais réussir à me souvenir. La gorge nouée, la boule au ventre, je n'arrive même pas à regarder mon ancienne meilleure amie dans les yeux. Cette situation m'affaiblit plus que de raison, et ce n'est pas dans mes habitudes. « Tu as besoin d’autre chose ici ? Ou je peux aller prendre mon petit déjeuner. » La jeune femme reste totalement neutre, à priori décidée à ne rien montrer. « Non, c'est bon. » Je tourne alors les talons, met la main sur la poignée de sa porte avant de me retourner. « Jihane... » Nos regards se croisent, et mon cœur s'emballe. « Je suis désolée pour tout ça. » Je m'excuse pour cette nuit, d'avoir débarquée comme ça dans sa chambre. Mais je m'excuse aussi potentiellement pour ce que j'aurais pu faire aussi. Sait-on jamais... « Je crois que l'alcool ne me réussit pas vraiment. » Je grimace un peu, pas très fière quand même. Si ça peut excuser mon comportement, pourquoi pas. Après tout, ça m'arrange de mettre mes éventuelles conneries sur le dos de l'alcool. C'est peut-être mieux comme ça d'ailleurs.