my own sadness. (lupiana #3)

je suis impatiente, excitée comme une puce. même si je ne suis que bénévole, l’ambiance ici est dingue. il n’y a pas d’autre mot pour définir ce qu’il se passe. je déambule à travers la ville aménagée, black rock city, pour répondre aux demandes des burners. la plupart du temps c’est pour se repérer qu’ils ont des soucis. et je suis tout à fait apte, tout à fait opérationnelle pour les renseigner. vêtue d’un short en jean, de rangers aux pieds, d’un tee shirt noir surmonté d’une chemise carreaux, je ne crains pour le moment pas la chaleur. même si je sais qu’à la tombée de la nuit, il faudra que je me couvre. en attendant, je continue de répandre la joie et la bonne humeur. j’éclate de rire assez souvent, je souris face aux demandes parfois excentriques. parce que c’est le but ici. libérer sa créativité. et je pense que tout le monde l’a assez bien compris. certains plus timidement que d’autres mais dans l’ensemble, la diversité fait plaisir à voir. ” alors, vous vous dirigez vers la troisième tente que vous voyez, juste après les cracheurs de feu. “ j’attends de savoir s’ils l’ont repéré avant de reprendre. ” puis ensuite vous allez sur votre droite et vous arriverez devant ce stand. goûtez y les boulettes de lentilles, elles sont excellentes. “ un clin d’oeil face à ce couple d’inconnus mais néanmoins adorables ensemble. j’ai l’impression que moi aussi je suis différente ici. que moi aussi je suis quelqu’un d’autre. je ne me pose pas de question. je ne pense pas à mon internat. la médecine est loin même si demain je suis affectée au stand des secouristes. ce n’est pas pareil. l’ambiance m’emporte totalement. me libère. enfin me libérer c’est bien vite dit lorsque face à moi se retrouve une brune que je connais bien. et elle semble me reconnaître. comment peut être savoir qui je suis. on ne s’est jamais vues, jamais croisées. elle ne sait pas à quoi je ressemble. et pourtant, elle est là, à me fixer. ” oui ? “ feindre l’innocence et voir ce qu’il se passe. c’est tout ce qu’il me reste.

Je suis à la fois surexcitée et angoissée. L’ambivalence de mes sentiments me perd et je ne sais pas vraiment comment mettre de l’ordre dans mes pensées. Je suis complètement extatique de me retrouver à ce festival, comme si je découvrais un nouvel endroit où je me sentais comme à la maison ; je suis aussi nerveuse parce que je dois y rencontrer Indiana pour la toute première fois et je ne sais pas comment ce rendez-vous va se passer. La dernière fois que j’avais eu rendez-vous avec une inconnue, la dite-inconnue m’avait posé un lapin avant de disparaître de ma vie comme si elle n’avait été qu’un courant d’air. Comme si elle avait été cette sorte de mirage que je devais absolument effacer de ma mémoire. Mais, moi, je ne voulais pas effacer Mona de ma mémoire, de mes souvenirs. Elle avait été là, après l’accident ; elle avait été là, pour m’écouter pleurer au téléphone des heures durant. Elle avait été là, partageant mes découvertes et mes voyages. Je pensais encore à elle, souvent – et je m’en sentais un peu coupable. Je m’en sentais coupable parce que je n’avais aucune nouvelle de sa part. Restait le son de sa voix, comme une mélodie entêtante qui résonnait à mes oreilles le soir quand le silence m’entourait. Soupirant légèrement, je me force alors à me concentrer sur toute l’électricité me parcourant la peau tandis que je déambule dans le festival. L’ambiance a quelque chose de tellement enivrant, un peu comme un alcool fort qui désinhibe totalement. Je suis un peu en avance alors je me permets de découvrir la ville éphémère. Il y a tellement diversité ; il y a tellement de liberté aussi. J’ai un peu l’impression que la vie guindée des starlettes d’Hollywood s’est évanouie ici, comme s’il ne restait plus aucun lien, aucune retenue. Comme s’il n’existait pas les mêmes règles à cet endroit. Et alors que je continue d’avancer, essayant d’oublier le nœud qui me tord l’estomac, c’est une voix claire qui m’envoie un frisson glacé le long de la colonne vertébrale. Je crois que c’est son rire qui me frappe le plus, pour l’avoir entendu quelquefois qui résonnait comme un carillon à mon oreille. Je m’immobilise, tétanisée, les yeux braqués sur cette rousse que je n’ai pourtant jamais vue de ma vie. Son sourire est lumineux comme un soleil, comme je l’avais tant de fois imaginé lors de nos conversations téléphoniques. Je n’avais pas vraiment pensé qu’elle puisse être rousse – je crois que, dans ma tête, elle était brune parce que sa voix avait toujours quelque chose de chaud et de sauvage quand je l’écoutais. Ses mèches sont comme des flammes, du feu alors que le soleil haut dans le ciel s’infiltre entre les boucles. « Je… » J’avale ma salive alors que je me rapproche d’elle, un peu. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi dire. J’ai comme une vague de panique qui me retourne les organes à l’intérieur de moi. « C’est la première fois que je viens ici, je… Je ne sais pas vraiment par où commencer… Vous auriez des conseils ? je demande tout à trac, sans vraiment réfléchir. » Si c’était Mona, je ne voulais pas qu’elle s’échappe à nouveau ; si ce n’était pas elle, je ne voulais pas me couvrir de honte devant une parfaite inconnue. Et il y avait toujours Indiana que je devais retrouver bientôt.