trouble. (chapel)

Il avait eu une idée. Une de ces illuminations qui lui prend parfois. Et quand ça arrive, il est obsédé, Psalm. Il mange à peine, se coupe de toute vie sociale. Rien d’autre ne compte que le développement de cette idée. Cette fois, il s’agissait d’une nouvelle application supposée faciliter le quotidien de ses utilisateurs. Une de plus. Mais une qu’il voulait performante, une qu’il développerait jusqu’à atteindre la perfection. Parce qu’il est comme ça, Psalm ; il refuse de faire les choses à moitié, de bâcler un travail pour une histoire de profits. Son personnel avait bien du mal à suivre l’énergie dont il débordait lors des réunions et de sessions prévues pour développer l’application. Finalement, ça avait pris plus de deux semaines pour réussir à développer les fonctions de son application comme il le désirait. Evidemment, il restait des détails à peaufiner, l’aspect technique à étudier. Mais le PDG avait réussi à développer plusieurs pistes et ça lui suffisait pour s’offrir une soirée bien méritée.

Et pour renouer avec son amant délaissé. Parce que personne n’est sauvé de sa quarantaine sociale quand il se met au travail, pas même Chapel. Il savait, Psalm, que le sportif allait probablement lui en vouloir. Deux semaines avec des réponses brèves à ses messages (quand il y pensait), sans le voir, sans faire le moindre effort pour libérer du temps qu’il pourrait passer avec son petit-ami. Maintenant que la pression qu’il s’imposait à lui-même était retombée, l’homme commençait à s’en vouloir un peu. Il devait faire quelque chose, n’importe quoi, pour se rattraper. Il décida d’inviter Chapel à diner chez lui et, heureusement, il accepta. Sans doute qu’il ne le méritait pas, Psalm. Chapel qui ne fait que supporter ses absences encore et encore – non pas qu’il ne savait pas dans quoi il s’engageait avec lui. Psalm n’avait jamais été du genre à cacher ses priorités et sa dévotion à son entreprise n’était pas un secret. Cela ne rendait pas pour autant les choses plus faciles. Quoi qu’il en soit, le brun fit de son mieux pour que la soirée soit parfaite. Il avait passé un temps fou à cuisiner avant d’aller se préparer. Cheveux peignés, chemise noire et pantalon assortie, il se devait de rattraper deux semaines de négligence. Table dressée et accompagnée de chandelles, l’ambiance tamisée instaurée par l’éclairage rendait la scène particulièrement romantique.

Quand enfin on sonna, il appuya sur le bouton play de son application pour qu’un fond sonore musicale ne se mette en route. Il ouvrit, léger sourire aux lèvres face à son amant qui se tenait là, dans l’encadrement de sa porte. Et même s’il se doute que Chapel doit lui en vouloir, il ne peut s’empêcher de déposer un baiser sur ses lèvres. Court, bref, comme un aperçu de ce qu’il lui réservait par la suite s’il parvenait à se faire pardonner. « J’avais presque oublié à quel point t’étais beau. » Il en joue, de cette absence, alors qu’il devrait pas, comme un gamin jouerait avec le feu juste avant de se brûler. « Je t’en prie, entre. » qu’il dit avant de s’écarter pour le laisser entrer. Reste plus qu’à espérer que tout se passe comme il le désirait.

À force, Chapel s’était fait à l’idée ; il n’aurait jamais totalement son Psalm à ses côtés, il allait falloir s’habituer à des réveils en solitaire. Et il n’arrivait même plus à lui en vouloir ; à chaque fois, un soupçon de culpabilité venait lui rappeler le goût des lèvres de Rayliane, son odeur au petit matin, son sourire et combien son coeur battait plus vite quand il était là. C’était étrange, d’être si divisé ; il était persuadé qu’il aimait plus que tout au monde son quarantenaire, et pourtant, peu à peu, l’idée de partager son coeur en deux zones distinctes s’immisçait dans ses pensées.

Toujours est-il que ces derniers temps, toutes ses tentatives de joindre son bel amant s’étaient soldés par un échec ; il avait davantage vu le petit “Lu” en bas de chaque message que de véritables réponses. Un peu frustré, une pointe de colère aussi sans doute, il avait donné tout son esprit, toutes ses forces, dans le sport, redoublant d’effort pour être un atout majeur des RAMS. Sa tête se vidait dans chacun de ses sprints, dans chacune de ses célébrations ; et aussi dans chacun des verres qu’il descendait cul sec -sans doute un peu trop souvent, d’ailleurs. Il avait un peu ignoré Ray depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus ; pas par dédain, non, davantage par lassitude et par tristesse que l’autre moitié de son âme ait disparu aussi vite. Les nuits avaient été longues, à réfléchir, à angoisser de le perdre ; c’était toujours un peu comme ça avec Psalm, l’idée qu’il lui échappe ou qu’il puisse voir quelqu’un d’autre le rongeait, dessinant une moue perpétuelle sur son visage. Et puis, une de ces nuitées, le téléphone avait vibré ; le nom sur l’écran lui arracha un sourire immense. Une invitation courte, un petit emoji coeur à la fin, de quoi se faire pardonner, Chapel n’étant pas très rancunier.

Il avait opté pour une chemise de lin blanche, un pantalon noir à fines rayures beiges près du corps, mettant en valeur chacun des muscles, et il avait sonné, le parfum faisant son entrée dans la maison bien avant que son corps ne le fasse. Une grimace aux premiers mots de son tendre amour ; état-il si délicat d’évoquer dès le début son absence ? “C’est toi le plus beau, et tu le sais.” Un baiser arraché, à nouveau, les narines pleines de son odeur délicieuse. Les chaussures venant frapper les lattes du sol, alors que son regard se baladait sur celui qu’il aimait tendrement. Les mets qui venaient se jeter dans le nez, le soleil couchant qui rosait toutes les teintes de l’habitation. “Alors, qu’est-ce que tu nous as concocté de sympa pour ce soir ?” Une petite moue boudeuse, voulant un nouveau baiser, parce que la flamme brûlait toujours si fort quand ils étaient ensemble.

Psalm estime être plus que chanceux. Il ne pensait pas trouver un jour une personne capable de supporter ses absences, de supporter le fait qu’il fasse sans arrêt passer sa carrière avant tout. Et pourtant, Chapel était arrivé et avait tout retourné sur son passage. Il avait jamais été intéressé par les relations stables, Psalm. Il estimait que c’était plus souvent une perte de temps qu’autre chose. Mais avec Chapel.. C’était différent. C’était pas forcément facile, en grande partie à cause du chef d’entreprise. Et c’était pour ça qu’il était chanceux de l’avoir. Parce que malgré toutes ses fautes, son amant finissait toujours par lui pardonner, par comprendre. Même quand il n’était pas forcément le plus délicat dans sa façon de gérer leurs retrouvailles, comme c’était le cas avec ces paroles un peu maladroites lancées alors qu’il venait à peine d’arriver. C’est que lorsqu’ils sont ensemble, il réfléchit pas tellement. Il se contente de dire ce qu’il a sur le cœur, ce qui n’est pas forcément toujours très adroit – malgré son âge, Psalm a parfois l’impression d’être un gamin perdu face à son premier amour, gamin qui chercherait ses mots et qui enchainerait les bourdes. Gamin qui jouerait avec les mots maladroitement, parfois par provocation comme c’était le cas, aujourd’hui. Peut-être qu’il réalise pas tellement ce que son absence peut bien faire chez son partenaire – autrement, il éviterait d’en jouer autant. Mais il comptait bien se faire pardonner, en commençant par ce diner qu’il avait préparé pour lui. « J’espère que tu as faim. Je nous ai préparé un gratin de courgettes. Et j’ai pas oublié d’accompagner ça d’une bonne bouteille. Ou deux. » Léger sourire amusé aux lèvres, parce qu’il est comme ça, Psalm, quand ils sont ensemble. Il s’éloigne un peu de celui qu’il est habituellement, se montre plus joueur, plus spontané. Sa moue boudeuse ne manque pas de le faire craquer, comme bien souvent. Ils avancent vers la cuisine alors qu’il continue d’expliquer le programme de la soirée. « Et pour le dessert, t’as le droit à un fondant au chocolat avec de la chantilly. » Puis, une fois arrivé dans la grande cuisine ouverte - qui, malgré son design moderne et sa taille, reste bien trop souvent vide-, Psalm se retourne soudainement vers Chapel, mains qu’ils glissent autour de sa taille. « Enfin… J’avais bien une autre idée aussi, pour le dessert. » Lèvres qui s’appuient sur les siennes sans lui laisser le temps de réagir, corps qui se colle au sien alors que ses mains se veulent plus baladeuses. Cette fois, le baiser est bien plus passionné, volonté de lui faire comprendre tout ce qu’il ne lui dit pas – à quel point il lui a manqué, à quel point il tient à lui, à quel point il le veut, aussi. Parce qu’il y avait pensé, à lui, à ses lèvres, à son corps contre le sien, chaleur bienvenue de sa peau contre la sienne. Et ça avait hanté ses nuits bien plus souvent qu’il ne voulait l’admettre. Il avait souvent été à deux doigts de l’appeler au beau milieu de la nuit mais était parvenu à se retenir par miracle. Il ne pouvait se laisser distraire – et ça n’aurait pas été juste pour Chapel, non plus, de l’appeler pour une nuit avant de retourner à son silence. Pensées négatives qui l’incitent à appuyer son bassin contre le sien, comme par crainte que s’il s’éloigne, il finisse par disparaître.

Les pupilles admiratrices de Chapel ; il était dingue de son Psalm, il aurait voulu lui chanter tous les mots d’amour du monde, surtout quand il était aussi élégant, aussi beau que ce soir ; ses pensées s’égaraient facilement, oubliant le mal, sitôt qu’ils étaient réunis tous les deux. Un sourire immense face au menu ; certaines choses ne changeait pas, et la tendresse qu’il avait pour le futur quarantenaire (si on pouvait dire ça comme ça) en était. “Gratin de courgettes et fondant au chocolat. Respectivement mon plat et mon dessert préférés. Chapeau monsieur le businessman.” Lui dérober un baiser, ses mains sur son torse, pour s’assurer qu’il est bien là, que ce n’était pas un énième rêve, comme ceux qui étaient venus hanter ses nuits trop courtes. La fougue du baiser de Doppesland l’emporte encore plus fort dans cette tornade d’émotions qui le bouleverse ; Chapel lui rend, de tout le feu de son âme, aussi langoureusement qu’il le peut. Une embrassade désespérée, parce qu’ils s’accrochent l’un à l’autre comme le ferait le coquillage au rocher sur le récif, avant de se faire emporter ; le sportif a peur d’à nouveau voir disparaître l’homme de sa vie, une terreur qui le possède complètement, parce que lorsque Psalm ne répond plus, Chap s’imagine mille scénarios, mille détresses qui viennent lui serrer le coeur beaucoup trop violemment. “Ça tombe bien, j’ai toujours faim de ce dessert-là quand tu en es le cuisinier.” Mensonge à demi-vrai, parce qu’il raffolait de son PDG, tout en ayant cette autre partie de son âme qui aimait flirter avec les flammes d’un homme un peu plus tatoué, un peu plus rebelle. Un nouveau baiser volé et il venait s’asseoir sur une des chaises de la cuisine, arquant un sourcil, la tête en arrière, les yeux fermés, calmant la douleur qui brûlait sa nuque. Une légère moue de douleur, l’ignorer pour ne pas gâcher leur soirée. “Et du coup…” Un peu hésitant. “Tu travaillais sur quoi tout ce temps ?” Un sourire montrant son réel intérêt pour le travail de son âme soeur, les doigts qui tapotaient un verre vide qu’il aurait préféré rempli.