if i was a fool. (isobel)

Une soirée. Rien qu’une. Une soirée pour tout oublier. Une soirée pour arrêter de penser. Penser à tout ce qui lui tombe sur les épaules, penser à toutes ces choses qu’elle fait, sans vraiment savoir si elle en a envie. Machinalement. Parce qu’elle est née dans ce monde, née dans cet univers, sale, corrompu. C’est ce qui coule dans ses veines, c’est ce qu’elle a toujours vu, miss Salinger. Et ses belles passions, ses belles ambitions, elles n’ont pas suffi. Elles n’ont pas suffi à la tirer loin de tout cela, loin des trafics, loin d’une vie dans l’illégalité, loin d’une fortune injustement gagnée. L’art n’a pas suffi, et elle s’est laissée entraîner. Par lui. L’homme qui partageait sa vie. L’homme qui l’a détruite. L’homme violent, faisant d’elle une femme battue. Parce que tu ne l’avoueras jamais, mais c’est ce que t’es, Kara, une femme battue. Au fond, ce n’est que le juste miroir de sa vie, elle qui ne sait pas comment aimer. Elle qui n’a jamais su comment faire. Bousillée par l’exemple atroce de ses parents, père maniaque du contrôle, mère avec un trop grand penchant pour l’alcool. Elle n’a jamais su. Elle ne saura jamais. A la seule différence que, désormais, elle est blessée. Son cœur est blessé. Et elle n’a aucune idée de la façon dont elle doit le réparer, Kara. Alors elle profite. Elle profite de la fête. De l’alcool. Du monde. De l’agitation. Elle profite de cette soirée, pour respirer. Parce qu’elle n’a plus une minute, entre son travail à la galerie avec Sapphire, et les trafics d’œuvres d’art officieux qu’elle est obligée d’accomplir. Elle profite, commande un autre verre au comptoir, jusqu’à ce qu’en se tournant, son regard de pose sur elle. Elle, ce visage qu’elle ne connait que trop bien. Isobel. Son ancienne petite-amie, qu’elle n’a pas revue depuis leur rupture il y a un an. Et son image te frappe, Kara, ramenant en toi les souvenirs de cette histoire gâchée. Quelques mois à ses côtés qui avaient pourtant si bien commencés. Séduite par le côté tête brûlée de la brune, le même que le sien. Séduite par la douceur qu’elle a pu découvrir dans l’intimité. Mais il y avait le boulot d’Isobel, il y avait ce monde qui les sépare, chacune venant d’un milieu si différent. Et elle a pris la fuite, Kara. Elle a pris la fuite, parce qu’elle a eu peur. Tout simplement. Et pourtant, aujourd’hui, elle doit bien mieux s’en sortir qu’elle, Isobel. - Isobel. Qu’elle lâche, simplement, plongeant son regard bleu dans le sien. Légèrement décontenancée, parce qu’elle ne s’attendait pas une seconde à la revoir ici. Ce soir. - Tu…vas bien ? Et elle boit une gorgée de son verre, assez rapidement, comme pour se donner un brin de courage. Au fond, tout ce qu’elle ressent, lorsqu’elle la regarde, c’est le regret, le regret de l’avoir blessé.

Elle sait qu’elle a fait du mal à Isobel, Kara. Elle sait qu’elle l’a blessé, en arrêtant tout, d’un seul coup. En arrêtant leur relation, ce qu’elles partageaient, l’une avec l’autre. Ce qu’elles partageaient, depuis plusieurs mois, déjà. Et elle sait également qu’elle n’aurait pas dû se laisser guider par la peur, par les qu’en diras-t-on, par le poids de ses origines, sur ses épaules. Elle a des regrets, de nombreux regrets, oui, parce qu’elle aurait peut-être pu vivre quelque chose de beau, d’agréable, aux côtés d’Isobel. Peut-être même qu’elle aurait pu l’aider, la sortir cette situation, de ce boulot qui finira par l’abîmer. Elle aurait pu, à l’époque. Mais au lieu de cela, elle a tourné les talons. Elle est partie, sans se retourner. Et désormais, elle ne serait plus capable de l’aider. Elle ne serait plus capable de rien. Peut-être que c’est pas plus mal, au fond, Kara. Peut-être que partir était la meilleure chose que tu puisses faire pour Isobel, finalement. Mais la revoir ici la ramène directement à cet échec, et à tous ceux qui ont suivis. Parce qu’elle n’était pas la seule, non. Elle n’était pas la seule avec qui cela n’a pas marché. Elle n’est pas la seule qu’elle a blessé, se blessant elle aussi, par la même occasion. Et elle voit, quelques gorgées de son verre, en espérant oublier, en espérant surmonter cette confrontation avec Isobel. Qui, à en croire son ton sec, lui en veut encore. Elle lui en veut encore beaucoup. Et peut-être que c’est normal, après tout, parce que digérer cette rupture a dû être extrêmement douloureux pour elle. Douloureux au point de la rejeter, aujourd’hui. De s’en aller à son tour. Parce que c’est tout ce qu’elle mérite. Et pourtant, la voila revenir, de nouveau. Verres à shooters posés juste sous ses yeux. - Bien, je vois. Elle acquiesce d’un signe de tête, avant de reprendre. - Disons que je te suis redevable alors. Elle prend sur elle, Kara. Elle prend sur elle parce qu’elle s’en veut d’avoir blessé une femme qui compte pour elle. Parce qu’elle s’en veut d’avoir rendu malheureuse une femme avec qui elle aurait pu être heureuse. Alors elle prend sur elle, tout simplement. Elle appelle le serveur avant de lui indiquer les verres. - Quatre s’il te plait. C’est ma tournée. Pour lui faire plaisir, à elle. Pour ne pas rester sur cette fin, ce soir. Et même si c’est la dernière et unique fois qu’elles se revoient toutes les deux, aujourd’hui, elle souhaite se rattraper, rien qu’un peu, auprès d’elle. Qu’elle sache qu’elle a sincèrement compté pour, elle. Une fois les shooters de nouveau plein, elle reprend la parole en plongeant son regard dans le sien de nouveau. - Ça te convient ? Elle passe une main dans ses cheveux, attendant de connaître les attentions d’Isobel. Attendant de savoir ce qu’elle veut, ce qu’elle cherche. Parce qu’au fond, elle ne sait pas elle-même ce qu’elle fait, Kara.