Les chiens, ces êtres intelligents - Cynthia

Prendre l'air. Souffler un peu. Son travail était éprouvant, aussi physiquement que mentalement. Être légiste, c'est être confronté tous les quatre matins à se retrouver face à un mort. D'une personne parfois décédée dans des circonstances terribles. Disons qu'il fallait avoir le coeur bien accroché. Au départ, il est vrai, Cynthia s'était mise à douter et puis ont fini par s'y habituer. Elle rentrait les premiers temps avec des images difficiles qu'elle n'arrivait pas à s'enlever de la tête. D'imaginer les proches éplorés que ses personnes avaient laissé derrière elles. Mais ce qui la faisait tenir bon, c'était de se savoir utile en faisant parler les morts en quelque sorte en enquêtant sur les causes de leur décès. Là était sa vocation : trouver la vérité. Elle avait à tous les coups hérité sa détermination de son père et de son frangin. Tous les deux avocats, ils défendaient avec conviction ce qu'ils estimaient être juste. Là fut leur surprise d'apprendre que la brune ne les suivrait pas sur la route de la Justice. Mais ce ne fut pas pour autant qu'ils ne l'avaient pas soutenue. Au contraire. Ils étaient fiers et espéraient plus que tout qu'elle parvienne à atteindre son objectif.

Cynthia était de repos aujourd'hui. Elle n'avait pas prévu de faire une grasse matinée parce qu'elle n'arrivait tout simplement pas à en faire. La jeune femme était habituée à se lever tôt, seule, dans ce lit cruellement vide de cet appartement un peu trop grand pour une femme seule. Et Millie, son adorable labrador. En réalité, c'était un choix qu'elle avait fait. D'être seule. La trahison qu'elle avait subie de la part de son dernier compagnon l'avait profondément blessée. Depuis, les relations qu'elle avait n'étaient qu'éphémères. Une fois. Une nuit, ou deux. Rien de plus en général. Parce qu'elle a peur de s'engager de nouveau. En tout cas Millie ne la trahira jamais, elle ! D'ailleurs après que Cynthia eu terminé son petit-déjeuner, elle prit une douche, sécha ses cheveux et enfila une tenue plutôt décontractée. Un jean, des baskets et une petite veste. À peine avait-elle pris la laisse que le labrador se mit à agiter joyeusement la queue. « J'en connais une qui a hâte de sortir, hein Millie ? » Lança la rouquine en se mettant à la hauteur de sa toutoune pour lui caresser la tête. « Allez viens, on va faire une petite balade dans le parc ! » Où qu'elle aille, la chienne suivra sa maîtresse. Millie était un cadeau de son frère alors qu'elle venait de se faire jeter par son compagnon. Pour la réconforter, il avait débarqué un jour avec un chiot dans les bras. Il avait acheté l'animal en pensant que ce cadeau l'aiderait à retrouver le sourire. C'était chose faite : à peine avait-elle vu cet être adorable que son coeur avait fondu. Le regard que Millie lui lançait était plein d'amour et de malice. Dès cet instant, Cynthia sut qu'ils vivraient quelque chose de grandiose. Une forte complicité les liait, et ce depuis deux ans maintenant. Elle adorait lui parler, se confier. Si certains trouvait ça bizarre, elle s'en ficherait royalement. Ça lui faisait du bien de se sentir écoutée. Niveau confidence, y'avait pas mieux que son plus fidèle compagnon.

Le chemin vers le parc n'était pas long. La jeune femme marchait tranquillement, un peu rêveuse. Elle rêvassait tellement que celle-ci n'avait pas réalisé tout de suite qu'elles étaient déjà arrivées. Cynthia détacha la laisse et ramassa un bout de bois qu'elle trouva un peu plus loin. Elle savait que Millie resterait dans les parages, et reviendrait à ses pieds si elle  la sifflait. Ce n'était pas la confiance qui manquait entre ces deux-là, bien au contraire. « Tu le veux ? Hein ma belle ? Va chercher ! » A l'affût, le labrador ne quittait pas des yeux ce que sa maitraisse avait dans les mains. Cette dernière finit par le lancer de toute ses forces loin devant où elle vit filer sa meilleure amie canin à toute allure avant de revenir avec dans la bouche en trottinant, toute fière. Posé à ses pieds, le bout de bois n'attendait plus qu'à être relancé de nouveau. Enfin il était plus exact de dire que Millie faisait comprendre à la rouquine de le faire. Comment résister à ses yeux de merlan frit ? Et alors qu'elle s'apprêtait à rejeter le bâton, l'attitude du canidé changea subitement du tout au tour. Oreilles dressées, en position de garde, l'animal fixait dans la direction qui faisait dos à l'apprentie légiste puis se mit à lâcher un aboiement. Elle se retourna, surprise, et c'est là qu'elle vit un autre chien arriver comme un boulet de canon suivit de son maître. Ses traits lui parurent immédiatement familiers : en effet, ils avaient plus ou moins travaillé ensemble il y a peu sur une affaire. Étant encore en interne, elle ne faisait qu'assister son mentor jusqu'à la fin de ses études. « Miss Foster… Désolé. J’espère que Fenrir n’a pas foncé trop vite sur votre chien ! Il peut être impressionnant comme ça mais c’est un amour ! » La jeune femme ne put s'empêcher de lâcher un petit rire face à la réaction du blondinet. « Oh non non il n'y a aucun souci ! Ils ont même l'air de déjà s'apprécier. » Les deux chiens étaient en train de se renifler sans que l'un n'en vienne à prendre méchamment l'autre d'assaut. Ça se voyaient qu'ils étaient dressés. Si tous les maîtres pouvaient en prendre de la graine, ils auraient moins d'attaque et de bêtes euthanasiées pour rien tiens. « Et puis inutile que nous soyons aussi formels ! Juste Cynthia, ça ira. » Elle ignorait quel âge il avait, mais il n'était sûrement pas plus vieux qu'elle ou alors de très peu. En tout cas même dans une tenue de sport, la légiste trouvait qu'il ne manquait pas de charisme le bougre.

Cynthia était agréablement surprise de le croiser ici. Elle avait plutôt une bonne impression du blondinet et appréciait sa compagnie. Ils avaient au moins ces points communs d'être tous les deux dans cette quête de Justice, lui en tant qu'agent fédéral et elle, en tant que scientifique. Et puis, évidemment, cet amour pour les bêtes. Se voyant dans un tout autre contexte que le travail, elle se disait que c'était mieux de ne pas s'imposer de telles barrières. « D’accord Cynthia. Dans ce cas… Sean ! Mais vous le savez sûrement déjà. » Elle afficha un sourire quelque peu amusée, hôchant légèrement la tête pour acquieçer. « Oui, vous vous étiez présenté lorsque l'on s'est rencontré la première fois. » C'était il n'y avait pas si longtemps d'ailleurs. La rouquine s'en souvenait comme si c'était hier. Il semblait assez nerveux mais elle ne le releva pas et se contenta de continuer à lui sourire. « Bon, puisque Fenrir en a décidé ainsi, je pense que le footing est terminé ! » Reportant machinalement son attention sur les deux canidés, elle remarqua qu'ils s'étaient effectivement détournés de leurs maitres pour faire connaissance. Millie était sociable. Un peu trop des fois même. Mais bon, tant qu'il n'y avait pas d'agressivité, sa maitresse estimait qu'elle n'avait pas de raison de ne pas la laisser vivre sa vie de chien. D'ailleurs, Cynthia n'était pas la seule à être attendrie par les deux loulous. La jeune femme observait Sean ramasser un bâton à côté d'elle qui attira aussitôt la convoitise des deux boules de poils avant de le lancer de toutes ses forces loin devant. Aussitôt jeté, Fenrir et Millie se précipitèrent pour le récupérer. Sean en profita pour ouvrir la conversation avec la jeune femme qui les observait jouer. « Ça fait longtemps que vous venez ici ? » Elle tourna la tête dans sa direction, comme s'il venait de l'extirper d'une rêverie. « Oh de temps en temps. J'habite Bel Air depuis un peu plus de deux ans. Et vous ? » Depuis qu'elle s'était faite larguée par son ancien petit-ami, pour être précise. Mais elle se passa juste de le dire. En plus, les deux toutous étaient revenus ensemble leur rapporter le bâton. A en juger la taille, ils en avaient dégôté un autre. Bâton qu'elle ramassa après avoir caressé la tête des deux chiens en les félicitant et qu'elle jeta à son tour. Pas aussi loin que Sean, mais elle ne s'était pas trop mal débrouillée. « Comment se passe votre travail sinon ? Je sais que les agents du FBI sont habitués à être confrontés à deux gros morceaux, j'espère que ça ne vous empêche pas de dormir. Quoique vous avez l'air en meilleure forme que moi, c'est déjà ça. » Tenta-t-elle à faire de l'humour, même si Cynthia était sérieuse au fond. Ses études étaient particulièrement éprouvants et si elle n'avait sûrement pas l'endurance de Sean sur le plan physique, il fallait avouer, elle avait un sacré mental d'acier !

C'était sympa de se revoir dans un autre contexte. Il n'y avait personne pour les déranger. Ni patron, ni travail. Rien. Sauf peut-être les toutous mais eux n'étaient pas les plus embêtants. En tout cas, Millie avait l'air de beaucoup apprécier Fenrir ! A croire qu'ils avaient déteint sur leurs maîtres. Parce que le courant passait plutôt bien entre Sean et Cynthia. La jeune femme ne s'en méfiait même pas, alors qu'elle était plutôt sur la défensive habituellement. A croire qu'il avait le don de mettre les gens à l'aise. Si c'était rassurant ? Pas vraiment non. Mais elle ne se posait pas plus de questions que ça et profitait simplement de cette sortie en pleine air en bonne compagnie, à marcher tranquillement sur le sentier qui traversait le parc. C'était l'occasion parfaite pour mieux se connaitre. « Je me suis installée ici après mon passage à Quantico. Ça rassure ma mère de me savoir pas trop loin. Et en prime ça me permet de lui confier Fenrir au besoin. Je viens ici dès que je peux pour courir. » Elle ne pût contraindre son sourire quelque peu amusé. Il venait d'avouer être un fils à maman. La légiste trouvait ça mignon. Et puis quelque part, elle s'y reconnaissait. « Aah les mamans...Je connais ça. Enfin dans mon cas c'est plus mon père, mais ça va bien avec sa façon d'être je trouve. » Maître Foster. Un homme droit et protecteur, qui a toujours fait en sorte que ses enfants ne manquent de rien et qui le lui rendait largement aujourd'hui, par ces carrières prodigieuses dans lesquelles ils évoluaient. John, en tant qu'avocat et elle, en tant que médecin légiste. Quoi de plus satisfaisant pour un père que de voir sa progéniture s'épanouir ? Dans le travail, oui. Mais en ce qui concernait la vie sentimentale...C'était une autre histoire. Pour Cynthia en tout cas. Le prince charmant, elle n'y croyait plus. Elle refusait de souffrir encore. A voir si elle changerait d'avis un jour. Seul le temps le dira.

Mise à part, Sean avait l'air étonné qu'on lui pose des questions sur son travail. Sur le coup, elle ne comprenait pas sa réaction. Pourquoi, c'était bizarre à demander ? Elle fit comme son comparse, à hausser un sourcil en l'attente de sa réponse. « Je m’en tire plutôt bien niveau sommeil. Mais honnêtement, je ne sais pas comment vous faites. » Machinalement, elle replaça une mèche derrière son oreille et jeta un coup d'oeil furtif vers les chiens qui se chamaillaient un peu plus loin avant de reporter son attention sur le grand blond. « C'est une habitude à prendre. Et puis je me dis que de toute façon, il faut le faire. Alors me morfondre ne servirait à rien, à part me fatiguer encore plus en fin de compte. » Répondit-elle dans un naturel déconcertant. Ce n'était que la vérité après tout. Cynthia savait ce qui l'attendait en se lançant dans ce corps de métier. Elle ne regrettait rien, absolument pas. Au contraire.  « Comment vous faites pour rester impassible en voyant tout ça ? Vous vous retrouvez quand même confronté à des choses que je trouve plus horrible que ce que je vois par moment… » Les questions de Sean étaient légitimes au vu de la dureté de son travail visuellement parlant. Enfin, elle pensait le jeune homme plus solide que ça puisque lui aussi ne devait pas voir des choses très agréables tous les jours. Elle ne le jugea pas pour autant, se contentant de donner son point de vue. « C'est...Je ne sais pas. J'ai toujours eu un cœur bien accroché, même mon frère n'arrivait pas à me faire peur quand j'étais petite pour vous dire. Etre un légiste est un métier passionnant. Mais il faut être capable de voir la mort sous un autre angle, elle parait tout de suite beaucoup moins impressionnante vu de cette manière à mon avis. » Ses lèvres s'étirèrent en un fin sourire. La Foster aussi était très curieuse de savoir comment il vivait personnellement son job d'agent du FBI. Après tout, elle ne savait que ce qu'elle entendait et son avis l’intéressait. « Et vous ? Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir agent du FBI ? C'est de famille, ou alors une conviction personnelle ? » Ou peut-être les deux ? Ce n'était pas impossible. Une chose est sûre, il fallait être rudement passionné pour faire parti de cette élite. Ils n'étaient pas si différent que ça, en fin de compte.

Plus ils avançaient dans leur discussion, plus elle se rendait compte qu'ils avaient bien plus de choses en commun qu'elle ne l'aurait cru. Elle se doutait que Sean devait avoir une vie confortable financièrement au vu de son métier et le quartier dans lequel il vivait. Mais rien n'était sûr concernant le milieu social duquel il venait. Hé bien, elle pouvait l'être désormais. « Je ne sais pas pour votre père mais dans le cas de ma mère, je pense que son métier de juge ne doit pas aider en fait. » Juge ? Quelle drôle de coïncidence. Lui aussi avait baigné dans l'univers merveilleux de la Justice. D'abord surprise, Cynthia se mit à sourire. « C'est fort possible, en effet. » Répondit la brune en remplaçant une mèche derrière son oreille. Le nom de Foster se retrouvait de plus en plus impliqué dans des affaires pénales importantes, ou en tout cas, celui de son frère John. Leur père avait d'ores et déjà forgé une réputation solide. Ça ne serait guère étonnant qu'ils se soient retrouvés sous l'autorité de la mère de Sean tiens. « C’est un peu de famille, on est assez porté sur la justice. Ma mère est juge comme je le disais, mon père était avocat. » A croire que tout était fait pour qu'ils s'entendent ces deux-là. Même quartier, même domaine. Et puis encore ? En tout cas, la situation semblait plus l'amuser qu'autre chose. « La mienne aussi. Mon père est avocat et mon frère a suivi la même voie. Je ne serais pas surprise d'apprendre qu'ils se connaissent déjà en fait. » Pas du tout même. Ce qui signifiait qu'ils étaient à même de se recroiser encore en dehors de leur travail, en plus de Bel Air. L'idée ne lui déplaisait pas du tout, au contraire. Cynthia appréciait sa compagnie et l'écouter parler. Il avait l'air de savoir ce qu'il voulait, preuve qu'il était un minimum ambitieux dans la vie. Cependant, elle tilta néanmoins sur la désignation au passé du blond lorsqu'il parla de son géniteur. Elle n'osa pas s'attarder là-dessus, la raison étant probablement trop personnelle pour qu'il se confit. Après tout, ne se côtoyaient que depuis peu. Un jour, peut-être, sera-t-il enclin à faire d'elle sa confidente. Seul le temps le leur dira. « Je suis le seul à prendre plus ou moins la relève, mon frère a opté pour le costard et la journée dans un bureau. » L'image de son propre frère lui traversa l'esprit. Elle revoyait John travailler d'arrache pied jusqu'à être satisfait de son travail. Il était capable de rester des nuits entières sans fermer l’œil à étudier, rechercher la moindre petite faille dans le dossier qui lui permettrait de l'emporter. Cynthia était fière de lui. Fière de ce qu'il avait accompli. Et fière d'être sa sœur. Il a toujours été là pour elle si besoin en plus d'être de bon conseil. Non un frère comme ça, elle l'échangerait pour rien au monde. Une telle complicité ne semblait pas se refléter dans les explications de son collègue. Néanmoins, une pointe d'admiration qui lui était destinée anima le regard de la brunette. « Vous êtes plutôt un homme d'action à ce que je vois. Ce n'est pas plus mal ! Vous savez, si j'ai opté pour ce métier, ce n'est pas que par mon intérêt pour les enquêtes scientifiques mais aussi parce que j'aime l'idée d'être libre dans mes démarches. » Puis des aboiements l’interpellèrent. Et lorsqu'elle tourna la tête, elle vit son labrador courir vers un autre chien tenu en laisse par son maître. « Millie ! Laisse-le tranquille ! » L'animal l'ignora royalement. Fenrir, lui, observait à proximité la scène en agitant la queue. Ça, c'était un bon chien. « MILLIE ! REVIENS ICI ! » S'écria la brune, qui peinait à se faire entendre de là où elle était.

« Bon sang...C'est pas vrai. Désolé, je reviens ! » Elle lâcha un long soupire agacé avant de piquer un sprint à la poursuite de sa toutoune, abandonnant le pauvre Sean au passage. Après quelques minutes à batailler pour séparer les deux animaux, Cynthia se confondit en excuses envers l'autre maître qui ne lui en tint pas rigueur, avant de s'éloigner. Millie, quant à elle, fût bonne à recevoir des remontrances de la part de sa propriétaire. « C'est la dernière fois que je t'y reprends ! C'est compris ?? » Sermonna-t-elle, haussant la voix sur un ton autoritaire. La chienne couina, allongée sur le ventre et les oreilles plates. Toute soumise, elle avait l'air d avoir compris qu'elle s'était mal comportée. La jeune femme s'en voulait tout de même de servir. D'un autre côté, elle aurait tort de céder à face à cette bouille adorable. Puis au moins, elle sera parée contre toute tentative de l’attendrir.