thanks for being you ft Yusuf

Deux heures, peut être même plus. À dire vrai, il avait cessé de regarder l’heure au bout de son troisième verre de whisky. La bouteille trônait sur la table basse du salon, elle était entamée à plus de la moitié. Le beau blond lui était assis sur le canapé de son ancien meilleur ami et colocataire depuis que sa vie était partie en sucette. Un peu de chance dans le malheur de Tim, il fallait l’admettre. Une erreur médicale lui avait coûté son poste, ses études, son mariage et sa baraque. Il avait pensé l’espace d’une seconde que cela ne pouvait être pire. C’était sans compter sur le procès dont il avait fais l’objet et sa femme qui ne l’était plus désormais. Cette dernière, malgré un divorce prononcé dans lequel Timothée avait laissé des plumes, revenait à la charge. En y repensant, il fallait bien s’y attendre. Elle lui avait juré de le saigner jusqu’à l’os. Elle y parvenait plutôt bien. Tim tenait dans l’une de ses mains son verre de whisky, dans l’autre un bout de papier à lettre. Cause de son tourment.

Quand on y pense c’est fou à quel point votre vie ne tient qu’à un fil. Une chose, une toute petite chose et tout est fini. Timothée Kinkade en était le parfait exemple. Si vous l’aviez vu quelques mois auparavant, vous l’auriez envié pour sûr. Un bon métier, une belle voiture, une grande maison, une femme magnifique. Aujourd’hui personne n’avait plus rien à lui envier. Il avait tout perdu. Travail, maison, voiture et femme. Pour couronner le tout, il avait trouvé refuge chez son ancien meilleur ami qu’il avait totalement mis à l’écart. Et pourtant. Yusuf n’avait pas hésité à lui tendre la main, malgré tout. Timothée lui en était reconnaissant. La tête du blond bascula en arrière et le liquide alcoolisé descendit le long de sa gorge, la brûlant. Une grimace étira ses lèvres, pendant qu’il se servait un quatrième verre. Il avait posé le bout de papier face à lui et le relisait encore.

« Assignation à comparaître devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance ».

Avec rage il balança le bout de papier, le froissant dans ses mains, jurant face au chaos qu’était devenu sa vie. La violence et la rage de son geste avait envoyé le verre, qu’il avait vidé au préalable, sur le sol du salon. Ce dernier avait volé en éclats.

« Putain de merde » lâcha le blond, avant de prendre son visage entre ses mains. Il prit une grande inspiration et ramassa la lettre qu’il reposa sur le canapé. Il alla chercher de quoi nettoyer le verre qui s’était brisé. Accroupi dans le salon, il entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Il priait intérieurement pour que ce soit Yusuf et non son cousin. Ramassant les bouts de verre, il se releva et alla dans la cuisine pour les jeter. Sans surprise, il s’était ouvert la paume de la main avec ses conneries. Attrapant un bout de papier, il fit le tour de sa blessure pour arrêter les saignements. Il tourna son visage vers l’encadrement de la porte, Yusuf se trouvait là.

« Hey.. désolé pour le bordel, promis je ne saccagerais plus le sol de ton salon » lâcha-t-il accompagné d’un rire nerveux.

C'était une journées épuisante pour Yusuf. Il était sur les rotules. Il n'avait pourtant pas beaucoup de route pour rentrer jusqu'à chez lui. Ce n'était que deux étages à monter, mais les dernières marches étaient si difficiles à franchir. Il n'avait plus envie que d'une chose, c'était prendre une longue et bienfaitrice douche brûlante pour ensuite plonger dans son lit. Cette vie, il l'avait choisi : les responsabilités, les factures à régler, les soucis administratifs, mais aussi la vie sur les tournages. Il avait abandonné presque quarante--huit heures Timothée pour régler un gros soucis de production. Yusuf l'avait bien-sûr prévenu par un sms. Quelque chose qu'il n'avait presque plus fait depuis dix-ans. Cette pensée fit sourire notre homme fatigué. Ils s'écrivaient à nouveau. Il n'en fallait pas plus au producteur pour retrouver le sourire.

Il ravala donc sa fatigue et poussa la porte de son duplex. Au moins, il n'avait pas à se marcher dessus. Il était loin le temps où il partageait une simple chambre à deux. L'appartement était si grand qu'ils pouvaient chacun faire leurs vies de leurs côtés sans à croiser l'autre s'ils le désiraient. Noam était parti pour affaire à Los Angeles. Ils pourraient à nouveau s’apprivoiser sans qu'on vienne les déranger. Le producteur déposa ses clés dans le bol prévu à cet effet dans l'entrée et déposa une pile d'énormes dossiers coincés dans ses mains par la même occasion. « Tim', je suis rentré. » Yusuf fit craquer sa nuque et lança un regard circonspect vers son ami. Il était bien trop fatigué pour analyser tous les signes. Il allait devoir opérer manuellement et il se tourna donc vers le plus présent : la main de Timothée. « Tu as encore essayé de clouer un truc au mur ? Tu te souviens, tu avais voulu mettre ce truc au-dessus de ton lit. Tu as fini avec un clou planté dans la main. Je crois que je suis le seul gamin qui t'a accompagné aux urgences tout en se bidonnant sur tout le chemin. » lâcha t-il avec un sourire amusé.

C'est tout ce qu'il restait à Yusuf : ces souvenirs. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il prit la main de son ami et retira le bout de papier. « Tu as de la chance. Tout le monde se blesse tout le temps sur les tournages et c'est papy Yusuf qui s'occupe de faire les pansements. Par contre, tu as morceau de verre là qu'on doit retirer. » Il invita son ami à s'installer et il allait revenir avec une trousse à pharmacie. Le producteur passa par son salon et remarqua la feuille sur le canapé. Il ne put s'empêcher de la prendre dans ses mains et de la lire. Il rangea le papier dans la poche arrière de son jean et revint avec ce qu'il était parti chercher. Il posa la trousse et l'ouvrit. « Cela me regarde pas, mais j'ai vu l'assignation. Tu veux en parler ? » Même, si cela n'avait jamais été leurs manières de fonctionner. Ils n'étaient pas du genre à parler et à s'épancher. « Ou alors, on peut juste se bourrer la gueule ? C'est un truc qu'on a jamais fait cela. On avait pas l'âge, maintenant plus personne pour nous arrêter. En tout cas, cela sera toujours plus intelligent que lorsque j'ai essayé de sauter du toit en skateboard. Je te jure. Je me demande ce qu'on avait dans la tête à cet âge. » Yusuf avait eu une épaule luxée et un poignet fracturé. Il avait porté un plâtre pendant deux mois après cet incident.

Il l’avait entendu passer la porte d’entrée mais n’avait rien répondu à ses mots. Il verrait bien de toute façon que Tim n’avait pas bougé de la journée. Enfin seulement du lit au canapé et du canapé à la cuisine. L'on pouvait qualifié cela d'exploit vu son état d'esprit et sa flemmingite aiguë. Yusuf se tenait dans l'encadrement de la porte, et pour toute réponse Timothée avait haussé les épaules en voyant le regard de son ami. Il se mit à hocher la tête doucement. « Ouais j’ai tenté d’accrocher mon portrait partout dans ton appartement, comme ça tu oublies pas que je suis là. Oh ça remonte à des années cette histoire. Putain quand mon père est venu me chercher ce jour-là, je crois que je ne l’ai jamais vu autant flippé, il m’a tellement engueulé. » Son père lui avait fais la morale sur tout le trajet du retour, Tim s’en souvenait comme si c’était hier. Il lui avait fais jurer de plus jamais recommencer, comme s’il avait volé ou tapé quelqu’un. Le blond avait eu l’impression ce jour là, d’avoir fais une chose horrible qui en réalité n’était rien.

Timothée avait laissé Yusuf prendre sa main blessée et jouer les soigneurs, de toute façon, il n’allait pas resté comme ça. « Trente ans et tu te fais surnommer papy par tes gars, pauvre petit. Tu t’es reconverti du coup ? T’es infirmier maintenant en plus d’être producteur ? » le taquina Tim tout en s’installant sur un des tabourets du bar de la cuisine. Il patienta quelques secondes, regardant sa main. L’espace d’un instant, ses pensées reprirent le dessus si bien qu’il ne fit même pas attention au retour de Yusuf dans la pièce. C’est la voix de son ancien meilleur ami qui le fit revenir sur terre. Tim lança son regard vers la bouteille de whisky qu’il avait ramené sur le comptoir en rangeant les dégâts qu’il avait causé. « J’ai déjà bien entamé l’option numéro deux alors autant continuer, puis si c’est avec toi c’est encore mieux. J’ai jamais aimé la solitude de toute façon, tu le sais bien. »

D’aussi loin qu’il s’en souvienne, le fils Kinkade n’avait jamais été seul, même s’il ne parlait pas, il aimait la compagnie. Il se souvint même qu’il lui était arrivé avec Yusuf de rester toute une après-midi allongé sur son lit, à regarder le plafond. Sans rien dire. Parce qu’ils étaient comme ça. Avant, seule la présence l’un de l’autre suffisait à tout apaiser. Ils n’avaient pas besoin de mots, inutiles dans de telles situations. Un seul regard suffisait. « Toujours plus intelligent je ne sais pas, à tout moment tu reprends un skateboard et tu sautes du toit, tu sais ? Je crois qu’on n’avait pas la lumière à tous les étages à l’époque. » Rétorqua en riant Tim. En y repensant, ils étaient totalement inconscients et cette histoire n’était qu’une parmi tant d’autres. Ils avaient toujours été les pros des quatre cents coups et des conneries en tout genre, mémorable.

Le fils Kinkade eut la main soignée assez rapidement, en quelques minutes seulement. Il avait relevé la tête vers celui qui l’hébergeait, esquissant un sourire en guise de remerciements. Yusuf faisait beaucoup, beaucoup trop même pour Timothée. Si bien que le blond ne savait pas comment agir face à toute cette aide qui lui était offerte. Le méritait-il vraiment ? Il en doutait. Pourquoi Yusuf faisait-il tout cela après toutes ces années ? Il n’en avait pas la moindre idée. Descendant du tabouret, l’ancien chirurgien récupéra deux verres et la bouteille. Le whisky coula et le blondinet fit glisser l’un des deux verres jusqu’à Yusuf. « Tu veux un conseil ? Ne te marie jamais, jamais de toute ta vie, ou alors assures toi d’être celui qui saigne l’autre ». lança-t-il avec une haine non dissimulée dans sa voix. Il s’était relevé du tabouret, prenant son verre et la bouteille. Ils seraient mieux sur le canapé.