it’s still us; you and i. (ash)

J’embrasse Nieves une dernière fois avant d’enfiler mon blouson de cuir rouge et claque la porte derrière moi en partant. Je regarde mon téléphone portable, souris avec satisfaction quand je remarque que je suis dans les temps. Je dois encore m’arrêter au chinois pour prendre le repas avant de me rendre chez Ash pour la soirée. Aujourd’hui est un jour spécial – et s’il ne l’a jamais vraiment été pour elle, il l’était pour moi depuis des années. Depuis la toute première fois où j’avais pu être avec elle. Avec elle le jour de son anniversaire. Mon ex-petite-amie n’avait jamais été très friande de ce jour-là, préférant passer sous silence la date qui l’avait vue venir au monde. Je crois même que j’étais celle avec qui elle se permettait de le fêter depuis toutes ces années, juste parce que nous avions trouvé un petit rituel qui nous convenait à toutes les deux. Un petit rituel qui ne ressemblait pas à une immense fête avec des ballons, des confettis et de l’alcool mais plutôt quelque chose d’intime et de singulier – quelque chose qui nous ressemblait, à Ash et à moi. Nous n’avions besoin de rien de plus, juste un peu de nourriture et le bitume sous les roues de sa moto, nos deux âmes s’épousant doucement sur les routes.

Quand je toque à la porte, les sacs remplis de mets chinois encore tout chauds, j’ai le cœur qui balance et l’âme qui danse. Je suis heureuse de pouvoir continuer cette petite habitude ; je suis heureuse de pouvoir perpétuer ce petit rituel malgré les années qui étaient passées. « Livraison spéciale pour la femme du jour ! je lâche avec peut-être un peu trop d’enthousiasme alors que les traits réguliers et comme dessinés dans le marbre de la blonde se dessinent devant mes yeux. J’espère que tu as faim, comme toujours j’ai dévalisé le chinois ! » Je laisse échapper un rire avant de déposer un baiser tendre sur la joue de Ash. Malgré mes bras encombrés, je prends le temps de l’enlacer doucement avant de murmurer au creux de son oreille, comme un secret entre nous : « Joyeux anniversaire, ma belle. » Toujours les mêmes gestes, toujours les mêmes mots. Toujours cette pudeur et cette retenue pour ne pas rendre la journée plus aigre-douce qu’elle ne l’était déjà pour mon ex-petite-amie. J’avais à cœur de lui montrer que, moi, ce jour-là, je le chérissais. Parce qu’il m’avait donné cette compagne qui avait chamboulé bien des choses dans ma vie. Il m’avait donné cette amie. Cette âme contre laquelle me reposer. Alors je bénissais le jour où Ash était née – parce que mon existence sans Ash n’aurait pas été la même. « Tu as la bouteille, j’espère ? » Du vin. Blanc et sucré. Un Monbazilllac. Toujours le même. Parce que c’était comme ça, entre Ash et moi.

20 mai 2019.

Trente sept ans. Encore un an de plus. Pourtant je n’arrive pas à me réjouir de cette journée qui doit paraître spéciale. C’est vrai je devrais sauter de joie. Faire la fête jusqu’au bout de la nuit avec tout mes ami.e.s… Mais au lieu de faire ça, je suis affalée sur mon fauteuil face à l’écran télé même pas allumé, lumière tamisée dans le hangar. Le silence m’accompagne. Ce n’est vraiment pas un jour que je célèbre. Pourquoi faire ? Fêter le jour où mon putain de géniteur a violé ma mère ? Ouais. Pourquoi fêter ça ? Parfois je me demande même pourquoi elle n’a pas voulu tout arrêter. Enfin, c’est même souvent que je me pose la question. Ça lui aurait peut-être permis d’être en paix. Et en même temps éviter de gâcher une partie de ma vie. Mes pupilles sombres se glissent sur la bouteille blanc posée sur la table basse que j’ai acheté plus tôt. Je sais très bien que Dani va passer. C’est la seule à avoir réussi à me faire sourire pendant ce jour là. Je ne sais même plus comment elle a fait pour que j’accepte de fêter un peu mon anniversaire avec elle. Moi, ce jour là, je n’arrive toujours pas à être complètement heureuse. Elle le sait très bien. Mais bon, c’est un rituel qu’on a instauré depuis un moment. Et franchement, je ne pensais pas que ça allait perdurer. Me connaissant. C’est que Dani a toujours une grande influence sur moi même après notre rupture. Rien que de penser à ça, j’esquisse un léger sourire au coin de mes lèvres. D’ailleurs en parlant du loup, elle vient tout juste de toquer à la porte. Je soupire. Faut bien avouer qu’il n’y a que sa présence qui m’égaye un peu aujourd’hui. Je lui ouvre la porte et je vois bien qu’elle est super contente de fêter mon anniversaire. Alors que moi je lui renvoie juste une expression sans grande joie face à cet évènement. Mais bon, je lui souris quand même un peu. Ce côté guillerette d’elle m’a toujours amusée. « C’est bon j’ai la bouteille, ne t’inquiète pas. » je ne la remercie pas de m’avoir souhaité un joyeux anniversaire, pas la peine. Déjà que c’est un grand pas que je le fête. Je zieute un instant dans le sac de nourriture et voyant tout les mets qu’elle a acheté, un grand sourire s’affiche sur mes lèvres. « Waaah t’as bien fait de faire une razzia ! » elle me connaît tellement bien. « J’ai une faim de loup, merci beaucoup ! » je l’enlace fortement, tellement que ses pieds décollent légèrement du sol. Sa présence m’a donnée un regain d’énergies. C’est fou l’effet qu’elle a sur moi cette nana ! J’ai même retrouvé du peps alors que tout à l’heure je sombrais sur mon fauteuil. « Allez, j’ai hâte de goûter à tout ça alors on ne va pas plus tarder ici hein. » dis-je tout en allant chercher la bouteille de blanc ainsi que les casques de moto. « On va aller pique-niquer dans un endroit où on pourra apprécier pleinement notre repas. » le chinois moi ça me requinque aussi ! Je préfère cette bouffe là qu’à celle de mon pays d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi mais ça a toujours été comme ça. Avec tout ça, j’ai balayé un peu le fait que ce soit mon anniversaire. En fait, je préfère me dire que ce jour est un jour spécial pour Dani et moi et que ça nous permet de nous retrouver toute les deux. Ouais, c’est mieux de penser comme ça. On saute sur ma moto et je commence à dévaler la route en vitesse, direction dans les hauteurs de la cité des anges. Vers le mont Lee plus exactement, là où il y a l’écriteau monumentale formant le mot ‘Hollywood’. D’ailleurs en arrivant, il faut escalader un grillage. On n’a pas vraiment le droit d’approcher l’écriteau mais bon j’ai réussi à persuader le gardien qui est un grand fan de nous laisser une heure là-bas. « Bon, t’es prête à en prendre plein la vue et la panse en même temps ? » je lui tends la main pour l’aider à montrer, toute sourire.