don't look back. you're not going that way. (jayth1)

Ma vie professionnelle a pris une tournure inattendue depuis la mort de mon père, depuis qu’il m’a légué son entreprise. Je ne le connaissais pas, ou très peu puisque j’ai été élevée seulement par ma mère. Mais il a fait au moins cet effort de me reconnaître et me léguer une des choses à laquelle il tenait. Alors j’en prends bien soin et en fais bon usage. A côté de ça, je dois aussi gérer ma vie personnelle, et je sais bien que mon nouveau boulot de chef d’entreprise amoindrit le temps passé avec mon épouse. Elle est compréhensive, en même temps comment ne pas l’être puisque jusqu’à présent, c’était elle qui était par monts et par vaux. Je la voyais à peine, toujours à parcourir la ville, parfois même avec des clients à l’autre bout de la Californie. C’est un métier qu’elle aime et qui semble l’aider à s’épanouir dans ce monde, mais c’est aussi un métier qui l’a souvent éloignée de moi. Il y a eu une longue période où j’ai eu des doutes, de gros doutes quant à sa fidélité. Mais depuis peu ça semble aller mieux, allez savoir. Elle fait des efforts, j’espère seulement que ce n’est pas une façon de se racheter d’un acte qu’elle regretterait. Je tente de ne pas penser à tout ça, et d’ailleurs, le sport m’aide beaucoup. Depuis quelques mois, je me suis mise à la boxe. Un truc assez léger, avec plus de filles que de mecs, une ambiance bienveillante, et un moyen de me défouler et de faire chauffer mes muscles comme il se doit. Seulement hier soir, je suis un peu rentrée en lambeaux de la maison. Je me suis blessée à l’adducteur droit en donnant un coup de pied un peu trop haut sur le sac de sable. A moins que ce ne soit le fait que j’ai mal échauffé mes muscles à cause de mon léger retard. Peu importe. Je clôture mon dernier dossier et annonce à mon assistante que je dois filer chez le kiné, j’ai presque du mal à marcher. Mon médecin a bien voulu me faire une ordonnance sans avoir eu besoin d’une consultation avec lui, c’est parfait. Il m’a conseillé une nouvelle kiné qui vient de s’installer en ville il y a peu. Dr Buchanan. Très bien. Je n’ai pas eu le temps de me renseigner, je lui fais confiance. Je me rends donc au cabinet - très accueillant en passant - et m’annonce auprès de la personne en charge de l’accueil. Quelques minutes d’attente avant que la kiné ne vienne me chercher. Mais alors que sa silhouette passe l’embrasure de la porte tout en prononçant mon nom, mon coeur rate un battement. La ressemblance est frappante. Tout mon esprit se met à divaguer, à repenser à cette femme qui avait tant fait chavirer mon coeur d’adolescente. Mais ça ne peut décemment pas être elle. Pourtant, elle a l’air aussi troublée que moi, c’est étrange. Je me lève, grimaçant un peu sous la douleur, et la suit jusque dans son cabinet, m’asseyant finalement sur la chaise en face de son bureau. Je reste silencieuse, un peu perturbée par la présence de cette femme dont je détaille les traits. C’est elle, c’est pas possible autrement…

A l’instant même où nos regards se croisent, je comprends qu’elle aussi est troublée. C’est comme une espèce de faille spatio-temporelle ou je sais pas trop comment l’appeler. Mais une chose est sûre, j’ai le sentiment de me retrouver comme une adolescente face à la femme qui me faisait fantasmer à l’époque. Merde alors. Mon coeur tambourine dans ma poitrine et même si elle essaie de faire comme si de rien n’était, je le ressens. Je ne me fais pas un film, n’est-ce pas ? « Jaymes Copeland ? Veuillez… me suivre s’il vous plait. » Cette voix… mon dieu. Je frissonne en l’entendant, je crois que je n’ai plus aucun doute désormais. Je me lève, prends quelques fractions de secondes pour arrêter à ne plus trembler comme une feuille et tente de garder mon calme. Je souffle un peu, mais je ne peux m’empêcher de laisser mon regard courir sur sa silhouette pendant qu’elle me montre le chemin. On se calme Jay ! Une fois dans le bureau, je garde mon calme du mieux que je peux et voilà qu’elle prend à nouveau la parole. « J’suis Faith Buchanan… Docteur en kinésithérapie sportive. Vous avez pris rendez-vous pour une douleur aux adducteurs ? Comment vous êtes-vous fait ça ? » C’est brouillé dans mon cerveau. Le même prénom, mais pas le même nom. Elle est docteur alors qu’elle était entraîneuse sportive. Mais il reste un lien. Serait-elle mariée ? Un regard furtif en direction de son annulaire gauche et étrangement mon coeur d’adolescente se serre en comprenant que c’est bien le cas. Mais je suis mariée aussi, alors pourquoi ressentir ce genre de chose ? « Oui je… je fais de la boxe, enfin juste pour le plaisir, pas de combats, tout ça. Mais j’ai dû mal m’échauffer et j’ai senti comme un claquement en haut de la cuisse, depuis j’ai du mal à marcher. » Ma voix n’est pas si assurée qu’elle l’est quand je suis au boulot par exemple, j’ai vraiment le sentiments de me retrouver comme cette gamine face à cette femme que j’aimais tant à l’époque. La première. J’ai du mal à croire qu’elle soit là en face de moi. Je reste immobile, mon regard rivé sur elle, n’arrivant pas à me décider si je dois oser lui demander si elle se souvient de moi. J’en ai l’impression pourtant, son premier regard ne trompe pas, même si elle a réussi à reprendre le dessus sur ses émotions depuis, et qu’elle reste professionnelle. Je suis partagée, mais surtout grisée par ces retrouvailles inattendues.

« - Je vois, l’échauffement est une étape à ne pas négliger Jaymes, il me semble que je te l’avais appris par le passé. » En moi, il y a comme un soulagement. D’ailleurs, mes épaules s’affaissent légèrement et un souffle s’échappe d’entre mes lèvres. Parce que par cette simple phrase, je comprends qu’elle m’a reconnue, que je ne suis pas une simple inconnue. Elle a pu avoir n doute, je l’ai lu dans son regard, mais cette fois c’est sûr elle sait qui je suis. J’esquisse un léger sourire, baisse les yeux, fuyant son regard puissant une seconde pour arriver à me recentrer. « Je sais oui. Ça ne m’arrive pas souvent, je devais avoir la tête ailleurs. » Ça arrive à tout le monde. Et c’est comme ça qu’on se blesse. Ça aussi, elle me l’avait inculqué à l’époque. Faith se lève alors, se dirigeant vers la table de massage, et s’adresse à nouveau à moi. « - Tu peux te dévêtir, et t’installer sur la table. En tout bien tout honneur bien sûr. » Je laisse échapper un rire un peu nerveux, face à sa blague que je ne trouve pas si drôle, mais je crois qu’elle est aussi stressée que moi. Je me lève à mon tour, retire mes chaussures, mon jean et hésite pour le t-shirt, mais je choisis de le garder pour le moment, elle n’a pas de raison de toucher au haut de mon corps étant donné que la blessure se trouve sur la cuisse. Je la rejoins et m’installe, le coeur battant, d’autant plus à l’instant où elle pose ses mains sur ma cuisse. Je frissonne et ne parviens même pas à retenir cette vague. Je déteste ne pas être maîtresse de mes émotions. « - Alors que deviens-tu ? » me demande-t-elle en cherchant je pense à détendre un peu l’atmosphère. Plus facile à dire qu’à faire. Je me racle un peu la gorge et reprends le fil de la discussion. « Hm. Ecoute, ça va, je suis jamais remontée sur la glace. Aujourd’hui je suis patronne d’une entreprise qui fabrique des pièces automobile. » Et je suis mariée. Non, ça ça ne sort pas. Bizarrement. « Et toi, comment tu en es venue à devenir kiné ? Ça fait longtemps que t’as arrêté le patin ? » Elle était une merveilleuse entraîneuse de patinage artistique, tout le monde se l’arrachait, et moi j’ai loupé ma chance d’en faire mon métier, juste à cause d’un béguin de gosse. Mais putain ce que j’ai pu morfler après ça. On dit que le premier chagrin d’amour est sans doute le pire. Je crois que c’est une réalité. J’ai mis du temps à m’en remettre…