Dépôt de plainte - Libre
Ven 1 Nov - 23:14
Y avait eu cette agression, un soir, dans une ruelle, les faibles halos des lampadaires qui étaient venus te noyer dans leur lumière, quand tu avais tourné de l’œil, perdu entre le pourpre, le blanc et le noir ; tes vêtements tâchés et déchirés avaient fini à la poubelle, ton malheur s'était brièvement noyé dans une succession de verres, mais rien n'y faisait. Tu ne parvenais pas à oublier ces images, cette violence, cette arrogance dans son droit d'exister, à lui, et dans ton devoir de survivre, à toi.
Tu te souvenais de chaque détail, le crissement des pneus pas loin, les rires à une centaine de mètres, la pression et le palpitant qui s'affolait quand tes pas légers étaient suivis de pas bien plus lourds, quand tu avais pressé ta démarche avant de te retrouver happé dans cette ombre dégoulinante. Quand tu en avais parlé à tes collègues, les commentaires s'étaient faits très diversifiés ; certaines te conseillaient de porter plainte ; d'autres t'incitaient à le retrouver, lui déchirer la peau à ton tour ; et un en particulier avait réussi à te faire culpabiliser avant de te faire boire, pour finalement t'entraîner dans des draps poisseux que tu avais sans peine effacé de ta mémoire.
Tes derbies t'avaient mené ici, un peu contre ton gré, le cœur battant dans la poitrine comme dans une cave avec énormément d'écho, et ta chemise te disait de faire demi-tour ; pourtant, face à ce flic au visage impassible, t'avais eu le faible espoir que peut-être la justice aurait pour une fois raison de la violence dans les ruelles américaines. T'asseyant avec un peu d'hésitation, tu avais lâché quelques mots, faiblement. "J'ai été victime d'une agression." La bombe était lâchée : ton cœur faiblissait un peu. "Homophobe." La cerise sur le gâteau, à tes yeux. Tu haletais un peu, mais maintenant que c'était dit, tu ne te concentrais que sur sa réaction, sur les traits de son visage, à cet inconnu étoilé.