tell me more ft seelay

Bien allongée au fond de mon lit je profite de pouvoir faire la grasse mat' tant que je le peux encore. D'ici deux semaines je commence mon internat, et je sais d'ores et déjà que je ne ferais pas des nuits complètes. Je ferais des gardes. Je sais aussi que je n'aurais certainement pas de vacances avant un long moment. Mais ça ne me dérange pas. J'aime travailler. Et je ne suis pas une grosse dormeuse. Puis tourner en rond chez moi, ça me fatigue plus qu'autre chose. Mine de rien, je vais quand même profiter de ces deux semaines. Ne serait-ce que pour me ré-habituer à la vie à Los Angeles, avec ma famille. Quand j'ouvre les yeux, je mets d'ailleurs quelques minutes à me souvenir d'où je suis. Me souvenir que je suis dans ma chambre d'adolescente, dans la maison où j'ai grandi, à Los Angeles, avec le reste de ma famille. Après tout, j'ai passé les quatre dernières années à Stanford. Si les deux premières années j'avais droit à des vacances d'été, pour les deux suivantes ça n'a pas été le cas. Alors oui, encore une fois, je me retrouve à subir un gros changement dans ma vie. Et comme mon passé l'a déjà prouvé, je suis pas très douée pour les gros changements. Mais cette fois c'est différent, c'est... plus facile. En plus je peux toujours compter sur mon petit Copernic. Roulé en boule à mes pieds, il dort. J'ai renoncé à lui apprendre à dormir ailleurs que sur mon lit. C'est bien la seule chose contre laquelle je n'ai rien pu faire. J'y suis habituée maintenant.

Je m'étire et je souris quand Nic' sursaute. Comme tous les matins. J'enfile une petite veste et je me dirige vers la cuisine, mon chien sur mes talons. Je le laisse sortir et je lui donne à manger, sinon je sais que je n'aurais pas de répit. Pendant qu'il vaque à ses occupations, je démarre ma petite routine matinale. Enfin, routine qui va devoir légèrement changer maintenant que je suis de retour. Je ne suis arrivée qu'hier, alors ça y est, il est temps de se lancer dans le bain. Je vais donc dans la cuisine et je me prépare une omelette pour le petit-déjeuner. Enfin, vu l'heure c'est plutôt un brunch à vrai dire. A peine j'ai fini de cuisiner que j'entends des pas venir vers moi. « Seelay ? C'est toi ? » je demande avant que ma petite soeur n'apparaisse soudain. « Pile quand je finis de faire à manger, tu parles d'une coïncidence ! » je lance, un peu moqueuse. « T'en veux un peu ? J'en ai fait bien assez pour deux, » je propose alors gentiment. Oui, j'aime ma soeur et je suis gentille avec elle. Mais j'avoue que là, à cet instant précis, mes actions ne sont pas désintéressées. Ma sœur est une vraie pipelette, et j'ai besoin de savoir tout ce que j'ai manqué ces dernières années. J'ai beau n'être arrivée qu'hier soir, il y a déjà certains détails qui me... chiffonnent. Et j'ai bien l'intention de démêler cette histoire.

Lorsque je me lève ce matin, je suis de bonne humeur. Malgré mon histoire compliquée avec Tim, mon rapprochement un peu étrange avec Raelynn, ce matin je ne pense à rien, seulement au fait que ma grande soeur est de retour au bercail. Je ne suis plus seule ici. Il faut dire que depuis que Seanen a quitté le nid, je me sens affreusement seule. Papa bosse beaucoup, maman est souvent à l’extérieur même en dehors de ses heures de boulot, et moi je passe ma vie à éplucher les séries netflix ou à danser. C’est pas si mal, mais avec quelqu’un ce serait quand même mieux. En plus, depuis que Joy et Roni se sont embrouillées, on se voit moins, et ça aussi ça me fait chier. C’est tout guillerette que je descends les escaliers pour rejoindre la cuisine où règne une merveilleuse odeur de petit déjeuner bien frais. J’entends des petites pattes qui se rapprochent et me mets accroupie pour accueillir Nic qui s’est approchée de moi. Je le caresse vivement, large sourire sur les lèvres, avant de me relever pour rejoindre la cuisine, tout en parlant à ce chien comme si j’étais complètement débile. Pourquoi les chiens et les bébés ça nous donne ce besoin de parler comme des abrutis ? C’est marrant. La voix de ma soeur demande si c’est bien moi, et je fais une entrée en matière, bras écartés, glissade à l’aide de mes chaussettes fétiches. « Tadaaa oui c’est bien moi ! » Je renifle comme un petit animal et m’approche d’elle pour plaquer un baiser sur sa joue. « Pile quand je finis de faire à manger, tu parles d'une coïncidence ! » Je secoue la tête en riant. « Il n’y a pas de coïncidence, il n’y a que des rendez-vous ! » Je ne saurai citer l’auteur, alors je me tais. « T'en veux un peu ? J'en ai fait bien assez pour deux, » Je hoche vivement la tête, me léchant presque les babines. « En échange, je peux nous faire un jus d’orange frais ! » C’est facile avec la nouvelle machine que maman a acheté, j’en raffole. Je glisse quelques oranges dans le tuyau, deux verres, et presse le bouton. « Ça va ? T’as bien dormi dans ton vieux lit ? »

J'avais presque oublié à quel point ma sœur respire la joie de vivre. Une petite pile électrique tout droit sortie d'un film Disney. Même quand elle était petite elle était comme ça. Sauf que quand elle était petite, moi ça m'irritait. Aujourd'hui je suis nostalgique, ça m'amuse, ça me fait plaisir de la retrouver, parce que mine de rien elle m'a manqué. Elle et tout le reste de ma famille. Ils m'ont manqué. Et ça fait du bien d'être de retour. « Ça marche ! » je m'exclame, imitant son ton joyeux, quand elle propose de faire du jus d'orange frais. On passe alors quelques minutes à finir de préparer le petit-déjeuner. Je sers les œufs dans deux assiettes et j'y rajoute des toasts. Je cherche le beurre de cacahuètes. J'en ai pas mangé depuis... et bien depuis la dernière fois que j'habitais dans cette maison. Faut dire que c'est pas donné, et c'est pas très bon pour la santé. Je suis médecin, alors j'ai un peu l'impression d'avoir une sorte de devoir moral qui m'empêche de manger n'importe quoi à n'importe quel moment. Mais ce matin c'est le petit-déjeuner de mon retour, j'ai bien le droit de me faire un peu plaisir ! Seelay me tire de mes réflexions quand elle me demande si j'ai bien dormi dans mon vieux lit. « Comme un loir ! Je n'avais pas aussi bien dormi depuis des années ! » je réplique en souriant. Rien à voir avec le lit de ma chambre d'étudiante ça c'est certain. « Faut dire aussi que j'avais beaucoup de sommeil à rattraper... les études de médecine c'est... éprouvant » je lance finalement en prenant les assiettes et en les posant sur la table de la cuisine. Une fois que tout semble être sur la table, je m'assieds et, d'un regard, j'invite ma sœur à en faire autant. Une fois installée, je repose mon regard sur elle. « D'ailleurs en parlant études, t'en est où toi ? Tu t'en sors au lycée ? Tu sais ce que tu veux faire après ? » Je sais que ce n'est pas forcément le genre de conversation sympathique à avoir le matin au réveil, mais j'ai vraiment envie de savoir. Et puis c'est aussi une manière pour moi d'embrayer sur ce que je veux vraiment savoir. Je me lève pour aller chercher mon café que j'ai oublié à côté de la cafetière et je viens me rasseoir. « J'ai l'impression d'avoir raté tant de choses en quatre ans ! Je compte sur toi pour tout me raconter ! Dans les moindres détails, je veux tout savoir ! » je lance finalement avec un petit sourire avant de prendre une grande gorgée de mon café noir.

Avoir Sage à la maison, c’est un peu comme une bénédiction. Je me doute que ça ne durera pas une éternité, parce qu’elle a sa vie, elle est grande, elle est en âge d’avoir un appartement à elle toute seule. Mais tant qu’elle est là, je compte bien en profiter. Maintenant que Seanen est partie et que je suis seule, chaque présence est un vrai plaisir. Nous finissons de préparer le petit déjeuner et je lui demande naturellement si elle a bien dormi dans son lit d’adolescente. « Comme un loir ! Je n'avais pas aussi bien dormi depuis des années ! » Je lui offre un large sourire, bien contente de l’entendre me répondre de manière aussi énergique. Elle ajoute que le sommeil lui manque, et pour cause, ses études de médecine lui ont volé beaucoup d’heures de sommeil depuis le début. Je grimace un peu, parce que ça m’embête pour elle, le sommeil est tellement important pour la santé, elle le sait mieux que quiconque puisqu’elle étudie le corps humain. Mais je ne fais pas de commentaire à ce sujet, de toute manière ça ne sert à rien, tous les étudiants en médecine manquent de sommeil. Nous nous asseyons à table pour commencer à manger et voilà que ma soeur commence à me questionner. « D'ailleurs en parlant études, t'en est où toi ? Tu t'en sors au lycée ? Tu sais ce que tu veux faire après ? » Je hausse un peu les épaules tout en croquant dans mon toast préalablement bien tartiné de beurre de cacahuète. Maman achète du bio avec juste des cacahuètes et pas de sucre ni rien, c’est mieux que le trucs bien gras. Bon faut quand même pas trop en manger parce que c’est super nourrissant mais c’est bien protéiné aussi ! « Ça va oui au lycée ! Je m’en sors pas mal. Papa voulait que je fasse des études un peu plus terre à terre que ce que je voulais, j’ai tenu bon, heureusement maman a appuyé ma requête. Du coup je vais entrer dans une école de danse réputée, je suis trop excitée ! » La danse ça a toujours été ma vie, et que mes parents acceptent que j’aille dans cette école réputée me remplit de joie. J’ai déjà hâte de finir l’année et de commencer la prochaine. « J'ai l'impression d'avoir raté tant de choses en quatre ans ! Je compte sur toi pour tout me raconter ! Dans les moindres détails, je veux tout savoir ! » Je ris un peu parce que ça me fait plaisir de voir que Sage a l’air si heureuse de se retrouver ici, de vouloir rattraper ce qu’elle a loupé. « Hum bah écoute, mis à part l’agression de Sen, ça t’es au courant, rien de bien fou, maman bosse comme une acharnée en ce moment on la voit pas beaucoup. Papa est égal à lui même. » Je hausse les épaules et continue de manger comme un petit glouton. Je sais pas trop ce qu’elle voulait savoir, faudra être plus précise dans ses questions si elle veut des détails.

Quand je suis partie à Stanford, j'ai en quelques sortes tout laissé derrière. Pendant ces quatre dernières années j'ai un peu vécu dans ma bulle. J'ai pas souvent pris de nouvelles de ma famille, je les ai à peine vus. Dans un sens je le regrette un peu. D'un autre côté... ils savent tous que j'ai toujours été un peu... en retrait, mais que c'est pas parce que je déborde pas d'émotions et que j'affiche pas tout ça au grand jour, que je ne les aime pas. Et ils le savent. Enfin je crois. Peu importe, j'essaie de montrer mon attachement en me montrant ouverte et en étant là, en m'impliquant, en m'intéressant. Et je ne fais pas semblant. J'ai vraiment envie de savoir tout ce que j'ai manqué. Je commence soft en demandant des infos sur Seelay et sur où elle en est. « Oh mais c'est super ! » je m'exclame avec un grand sourire. Je suis contente qu'elle ai continué dans la danse. Aussi loin que je me souvienne, elle a toujours aimé ça. Alors je me réjouis pour elle. « Plus qu'à être acceptée dans l'école ! Elle est à Los Angeles ? » J'ai comme un pressentiment que oui. J'ai du mal à imaginer Seelay vivre toute seule loin de la famille. Mais c'est peut-être simplement parce que c'est ma petite soeur, et j'ai du mal à accepter qu'elle ai autant grandi ! Dix-sept ans déjà ! J'ai du mal à y croire. J'enchaîne avec mon envie de tout savoir, tout ce que j'ai manqué, mais on ne peut pas dire que Seelay me donne grand chose. Il va falloir que j'y aille un peu plus cash si je veux de vraies exclus. « J'aurais aimé être là plus tôt pour Sen... Pour l'aider, tout ça. Est-ce que tu sais ce qu'il s'est passé exactement ? Parce qu'à part le fait qu'il a été agressé... j'en sais pas plus. » je demande, l'air plus sérieux. Je me vois mal demander ça à Seanen. Je doute qu'il ai bien vécu la chose, j'ai pas envie d'en rajouter une couche. N'empêche, j'ai comme l'impression que j'ai besoin de savoir, ne serait-ce que pour pas faire de gaffe, mais surtout pour pouvoir l'aider au mieux s'il en a besoin. Même si on est pas vraiment proches lui et moi. En fait c'est même bizarre entre nous. Autant ne pas en rajouter... « Tu trouves pas ça bizarre pour Maman ? J'veux dire... avant que je partes pour Stanford, Maman était plutôt du genre à exiger que tout le monde soit rentré pour le dîner pour qu'on puisse manger tous ensemble en famille. Là, hier soir quand je suis rentrée, elle n'était même pas là ! »

Sage s’intéresse à moi, et ça me fait du bien. Parce qu’elle a pas été très présente ces dernières années et qu’elle m’a beaucoup manquée. Alors qu’elle me pose des questions sur moi, forcément, ça me remplit de joie et d’énergie, même si entre nous, j’ai pas besoin de ça pour être énergique. « Plus qu'à être acceptée dans l'école ! Elle est à Los Angeles ? » Je hoche vivement la tête. « Oui ! Je bosse comme une acharnée, les concours sont dans deux semaines, je stresse beaucoup, mais j’y crois. » Je dois y croire. Je n’ai pas d’autre choix, c’est ce que je veux faire de ma vie. Danser. Gagner ma vie en dansant. Le rêve. Elle ne tarde pas à me demander des nouvelles de la famille, et je lui fais sans tarder un bref résumé. Il n’y a pas tant de choses que ça à raconter au final. « J'aurais aimé être là plus tôt pour Sen... Pour l'aider, tout ça. Est-ce que tu sais ce qu'il s'est passé exactement ? Parce qu'à part le fait qu'il a été agressé... j'en sais pas plus. » Je grimace un peu, je déteste vraiment cette histoire, elle me retourne le ventre. Je sais pas non plus si je suis celle qui devrait donner les détails, je ne l’ai pas vécu, je l’ai juste vu si mal après cette agression. Je prends une légère inspiration, mon regard s’est légèrement voilé. « Il était à une soirée, il a rencontré un mec, ça se passait bien, ils sont sortis, et dehors y’a une bande de gars qui sont venus le tabasser. La victime parfaite. Il a perdu connaissance et heureusement y’avait un témoin qui a appelé les flics et les pompiers. » J’ai une boule dans la gorge rien que d’en parler. Je suis tellement proche de mon frère que j’ai presque l’impression que ça m’est arrivé un peu à moi aussi. « Depuis ça il boite, il a dû faire de la rééducation, ils l’ont pas loupé. Puis il a pas mal d’angoisses aussi… » Je soupire à nouveau, espérant passer rapidement à un autre sujet. Je suis trop sensible je crois. « Tu trouves pas ça bizarre pour Maman ? J'veux dire... avant que je partes pour Stanford, Maman était plutôt du genre à exiger que tout le monde soit rentré pour le dîner pour qu'on puisse manger tous ensemble en famille. Là, hier soir quand je suis rentrée, elle n'était même pas là ! » Je repose mon regard dans celui de ma soeur, tout en mastiquant mon morceau de toast. Je plisse un peu les yeux, le temps de réfléchir, et fais une petite mou. « T’as raison, j’y avais pas trop réfléchi. Mais ça fait un moment que ça dure. Ça a été progressif, elle s’est plongée dans le boulot j’crois, elle dit tout le temps qu’elle a des réunions, des meetings, des trucs comme ça qui font qu’elle rentre tard, ou même des fois pas du tout. » Je suis sans doute un peu trop innocente pour penser que ma mère peut mentir.

Entendre toute l'histoire de l'agression de mon frère n'est pas facile. On n'est pas tellement proches tous les deux, c'est certain. Mine de rien, entendre tout ça, imaginer ce qu'il a traversé, ce qu'il traverse encore... c'est horrible. Je me sens atrocement mal. Et évidemment, je vais faire mon possible pour l'aider, de quelque manière que ce soit. Mais pour l'heure, il vaut peut-être mieux changer de sujet. C'est pas une conversation super gaie à avoir avec ma petite soeur. Alors je pose d'autres questions sur maman. Je suis seulement de retour depuis hier soir, mais je la trouve déjà bizarre. Comment elle a pu ne pas être là pour mon retour ? Certes je suis pas très proche d'elle non plus. Mais je suis sa fille, elle est ma mère. Alors j'admets que j'ai un peu de mal à comprendre. C'est pas que je lui en veuilles ou quoi que ce soit, parce que c'est clairement pas mon genre de m'arrêter sur ce genre de choses. Mais je ne sais pas, ça m'intrigues. Et ça m'inquiètes. « T’as raison, j’y avais pas trop réfléchi. Mais ça fait un moment que ça dure. Ça a été progressif, elle s’est plongée dans le boulot j’crois, elle dit tout le temps qu’elle a des réunions, des meetings, des trucs comme ça qui font qu’elle rentre tard, ou même des fois pas du tout. » me réponds alors Seelay. Je fronce un peu les sourcils en me cachant dans ma tasse de café. Je suis perplexe. C'est tellement cliché que ça ma paraît ridicule de ne serait-ce qu'envisager que... Quelle horreur. J'espère que je ne suis pas en train de m'imaginer des choses. « Est-ce que... tu crois que... Tu crois que maman a une liaison ? Est-ce que Papa et Maman ont des problèmes ? » Oui, tant pis pour la subtilité. Mais ne serait-ce que penser à ça... J'espère que je me trompe et que mes soupçons sont parfaitement infondés. Je viens tout juste de rentrer. Hors de question que ma famille tombe en morceaux.

Je sens bien que Sage est touchée par l’histoire plus en détail que je lui raconte à propos de notre frère. Parce que même si elle n’a jamais été trop proche de nous, plus indépendante, je ne doute pas qu’elle nous aime quand même. Finalement, elle change de sujet, posant ses doutes sur notre mère. Là c’est plus délicat, c’est comme si elle me faisait prendre conscience de quelque chose sur laquelle j’avais voulu fermer les yeux jusqu’à présent. « Est-ce que... tu crois que... Tu crois que maman a une liaison ? Est-ce que Papa et Maman ont des problèmes ? » J’ouvre un peu plus grand les yeux, et nie immédiatement. « Bien sûr que non ! N’importe quoi ! Maman serait pas de ce genre arrête ! » Je suis un peu montée dans les tours, c’est pas mon genre, mais en même temps elle m’a un peu chamboulée avec cette question. Et puis mon regard se perd dans mon jus d’orange, je pense, réfléchis, repense à certains détails qui pourraient la trahir. « Hum. Maintenant que tu l’dis, c’est pas la joie entre papa et maman depuis un moment mais bon, ça veut pas dire forcément que… » Aie. J’ai du mal à croire que maman puisse faire un truc pareil, en même temps ça arrive non ? Mais je trouve ça tellement nul, et j’ai pas envie d’imaginer maman avec un autre homme que papa, j’suis encore la p’tite dernière, je suis la seule à vivre ici - parce que je sais que Sage ne restera pas bien longtemps - et maintenant que j’ai ce doute là, je sais que je vais être plus attentive, limite un peu parano. « Tu penses que c’est possible ? J’sais pas, si c’est trop le genre de maman, peut-être juste qu’elle bosse beaucoup, comme elle dit. Que c’est vrai quoi… » J’essaie de m’en persuader, j’essaie de rester un peu dans le monde des bisounours.

La réaction de Seelay me fait prendre conscience que je n’aurais pas du lui poser ce genre de question. Je ne devrais pas parler de ça avec elle. A force d’être loin, à force d’être entourée d’adultes et de gens matures - et oui, je considère faire partie de ces catégories - j’ai oublié qu’elle n’est qu’une enfant au fond. Elle a dix-sept ans, elle vit dans la maison familiale, seule. Forcément, elle est beaucoup plus attachée que moi à tout ce qui touche à la famille, et forcément elle est beaucoup plus affectée par ce qui pourrait fragiliser ces liens. Et voilà que j’arrive tel un boulet de canon pour tout faire voler en éclats. « Non, bien sûr tu as raison, c’est impossible. » je lâche avec un petit sourire pour tenter de la rassurer. Je ne crois pas un mot de ce que je dis, mais j’ai l’habitude de porter un masque impassible devant les mauvaises choses, pour annoncer les mauvaises nouvelles et compagnie. Tous les médecins sont des artistes du mensonge. On dit aux patients que tout se passera bien, qu’ils sont bien pris en charge, qu’ils n’ont pas à s’inquiéter, alors que ceux-ci sont dans de piteux états. Alors j’utilise mes compétences avec Seelay. « C’est moi qui m’imagine des choses. » je reprends alors, comme pour noyer le poisson. « Tu me connais. J’ai l’esprit critique et je suis plutôt une pessimiste, c’est mon genre d’imaginer les mauvaises choses. » je continue. Je ne suis pas tout à fait certaine d’être convaincante. Mais je sais que j’ai l’argument qui fera taire le doute. « Et puis tu sais bien que ma relation avec Maman n’est pas… la meilleure qui soit. Tu la connais bien mieux que moi. » Je hausse les épaules et lâche un soupir pour appuyer mes propos. Je pense que ça devrait aller. Mais mieux vaut changer de sujet. Je suis rentrée depuis trop peu de temps pour me mettre à foutre le bordel dans la famille. « Allez, assez avec tout ça ! Parle moi de toi ! Tu m’as dit pour les études, la danse, tout ça, d’ailleurs je veux te voir danser un de ces quatres ! Côté coeur, des nouvelles ? » je demande d’un air complice. On est pas franchement complices. C’est ça quand on est absente pendant toute l’adolescence de sa soeur. Mais j’aimerais réparer un peu ça. Et ma relation avec mon frère aussi. Une chose à la fois.

« Non, bien sûr tu as raison, c’est impossible. » Je crois que j’avais besoin qu’elle me rassure. Je suis pas du tout prête à voir mes parents ses séparer. Je sais bien que je ne suis plus une gamine, mais je crois que ce genre de truc, ça fait mal à n’importe quel âge. Je dis pas qu’ils sont pour moi le modèle du couple à suivre à tout prix, j’ai vu des couples bien plus heureux qu’eux, mais ils ont pas l’air de trop mal s’en tirer. Alors je me persuade que ça durera encore comme ça un moment, peut-être toute la vie. Ou qu’ils attendent encore un peu quand même. « C’est moi qui m’imagine des choses. Tu me connais. J’ai l’esprit critique et je suis plutôt une pessimiste, c’est mon genre d’imaginer les mauvaises choses. » Je hausse un peu les épaules. C’est vrai que de ce côté là ma soeur et moi on est totalement opposées. Moi je suis plutôt le genre de fille à voir le bien partout, le positif dans toute chose. Alors je comprends qu’elle puisse avoir des doutes, et elle commende même à m’en filer aussi. « Et puis tu sais bien que ma relation avec Maman n’est pas… la meilleure qui soit. Tu la connais bien mieux que moi. » C’est moi ou elle essaie de me convaincre que son idée n’était pas la meilleure. Mais parce qu’elle a raison ou parce qu’elle veut me préserver ? J’en sais rien, je ne la connais pas - ou plus - assez pour sonder suffisamment son attitude ou son regard. Finalement, Sage change de sujet, et c’est pas plus mal, comme ça, je retrouve le sourire. Parce que l’entendre me dire qu’elle veut me voir danser, ça me fait super plaisir. Je vais pas non plus sauter de joie et danser sur la table mais à l’intérieur de moi c’est un peu ce qui est en train de se passer. « Quand tu veux, tu sais papa et maman m’ont installé une salle de danse à la place de l’ancien garage, c’est là que je m’entraîne. Donc quand tu auras le temps… » Je sais qu’elle en a pas tant que ça, du temps. Elle devrait pas tarder à faire sa rentrée, son internat, et je pourrai dire adieu à la présence de ma soeur et nos petits déjeuners ensemble. « Côté coeur, des nouvelles ? » Alors là c’est la colle. Je soupire un peu et hausse les épaules. « Pff. J’crois que c’est pas pour moi. » Est-ce qu’on a tous un jour dit ça ou pas ? « J’suis quasiment sortie avec un mec qui me plaisait, un danseur, un peu plus âgé que moi mais pas trop non plus. Puis j’sais pas il est devenu bizarre le jour où on s’est embrassés. C’était y’a un mois et j’ai plus vraiment de nouvelles depuis il m’évite. » Ça pue. Je sais. « Et toi, tu as quelqu’un ? » Bah quoi, elle a posé la question, je peux aussi non ?

J'ai toujours aimé les mystères parce qu'il y a une logique, un élément déclencheur, des engrenages qui s'enclenchent. Une seconde tout paraît parfaitement flou, la seconde d'après tout s'éclaire. C'est physique, c'est scientifique. Pourtant, le comportement de mes parents, en particulier celui de ma mère, ce n'est pas un mystère que j'ai envie d'éclaircir. Je sais d'avance que c'est de mauvais augure. C'est peut-être un peu égoïste, mais je ne veux pas être celle qui fait voler notre famille en éclats. Oui, c'est totalement égoïste, j'en suis consciente. Mais... ai-je vraiment tort sur ce coup-là ? Alors j'essaie de rassurer Seelay comme je peux, de lui faire oublier cette conversation, ce que je ferais également, et puis je change de sujet. Je ne sais pas ce qui me prends de parler d'amour. Ce n'est absolument pas mon domaine de prédilection. Faut dire que je n'ai pas ce qu'on peut appeler de l'expérience en la matière. Pourtant, c'est la première chose qui m'est venue en tête. « Pff. J’crois que c’est pas pour moi. » Sentiment partagé on dirait. « J’suis quasiment sortie avec un mec qui me plaisait, un danseur, un peu plus âgé que moi mais pas trop non plus. Puis j’sais pas il est devenu bizarre le jour où on s’est embrassés. C’était y’a un mois et j’ai plus vraiment de nouvelles depuis il m’évite. » Mmh. Je n'aime pas trop cette histoire. Je ne sais pas si c'est mon instinct de grande sœur qui s'éveille mais cette histoire ne me plait pas du tout. Je n'aime pas savoir ma sœur lésée ou mon frère blessé. Chacun à leur façon - enfin, malgré eux - ils ont souffert. Et étrangement, je m'en veux pour ça. C'est idiot, je sais. Ce que je ne sais pas c'est quoi leur dire. Quoi dire à Seelay pour la rassurer ? Aucune idée. Je n'ai pas le temps de chercher un peu plus qu'elle enchaîne. « Et toi, tu as quelqu’un ? » Ahah, qui c'est qui change de sujet maintenant ? J'esquisse un sourire. On est bien parties dans la vraie discussion de fille là, je ne l'avais pas vu venir ça. « Je n'ai pas le temps pour avoir quelqu'un ! » je réplique en riant. « Et je doute que ça change de sitôt. Parce que dans la vraie vie, être interne en chirurgie je me doute bien que ça n'a rien à voir avec Grey's Anatomy ! » je m'exclame en soupirant. « Le point positif c'est que je n'ai pas encore commencé mon internat. » je reprends alors, mon sourire revenant s'inscrire sur mes lèvres. « Ce qui veux dire que pour l'instant, je peux te consacrer touuuut mon temps. Alors pour la danse c'est quand tu veux ! » Je sais bien que reconstruire une relation avec ma famille, notamment ma soeur et mon frère, ne sera pas facile. Mais je n'ai jamais été effrayée par la difficulté, pourquoi ça commencerait maintenant ?

Elle me pose la fameuse question concernant les amours. Ah, quelle question vague et difficile. Je lui parle de Tim, assez vaguement parce que je n’ai pas envie de m’étaler sur le sujet. Je suis blessée de son comportement, et vexée, aussi. Alors ce que je lui offre suffira, et d’ailleurs je ne lui laisse pas le temps de réagir que déjà je lui retourne la question. « Je n'ai pas le temps pour avoir quelqu'un ! Et je doute que ça change de sitôt. Parce que dans la vraie vie, être interne en chirurgie je me doute bien que ça n'a rien à voir avec Grey's Anatomy ! » Je ne peux m’empêcher de rire. Parce que c’est vrai que souvent, la vie ne ressemble pas à ce qu’on peut voir dans les films ou les séries. Parfois il vaut mieux, parfois on aimerait bien. Je hoche la tête, souriante. « C’est vrai que ça va te prendre beaucoup de temps, mais on est à l’abris de rien. » Je hausse un peu les épaules, toujours positive, comme à mon habitude. On ne se refait pas. « Le point positif c'est que je n'ai pas encore commencé mon internat. Ce qui veux dire que pour l'instant, je peux te consacrer touuuut mon temps. Alors pour la danse c'est quand tu veux ! » Mon regard s’illumine en l’entendant dire ça. J’ai la sensation que je suis sur le point de retrouver un peu ma soeur, mon modèle. Et ça me fait beaucoup de bien. « Demain ? Cet aprem je vais faire du shopping avec Raelynn. C’est une nouvelle amie du lycée, qui fait de la danse aussi, on s’entend super bien ! » Pour le moment, je suis loin de m’imaginer que ça puisse être autre chose qu’une très forte amitié. Parce que je n’ai pas les yeux assez ouverts sur mon intuition, et mon coeur sui essaie de me crier que Ray, elle, elle ne veut pas qu’une amie. C’est trop tôt. Trop compliqué encore. Le petit déjeuner s’achève finalement, et je décide de laisser Sage continuer de préparer son internat. Moi, j’ai du rangement à faire. Mais ça m’a fait beaucoup de bien ce moment avec elle, j’espère qu’on en aura d’autres, beaucoup d’autres encore. Parce qu’elle m’a terriblement manqué.