Time flies (Ezorah #1)

Los Angeles. Une des villes qui m’a vu grandir. Et si je ne suis pas né ici, j’y ai vécu des moments clés de mon existence. C’est étrange d’être de retour mais plaisant à la fois, je vais juste devoir me réhabituer à la vie de citadin et si ce n’est pas une mince affaire j’ai au moins la chance d’avoir mon boulot comme échappatoire. Je mesure chaque jour la chance inouïe que j’ai de faire un métier qui ne me donne pas vraiment la sensation de travailler, je fais ce que j’aime, c’est tout. Tout n’est pas toujours tout rose, ce serait beaucoup trop beau, mais outre quelques petites obligations parfois pénibles, je n’ai à me plaindre de rien. Enfin ça s’était vrai jusqu’à il y a quelques semaines, parce qu’avec ce nouveau poste que je viens d’accepter, je ne sais pas encore trop à quoi m’attendre, mais ça ne saurait tarder. La première étape était de re-poser mes valises dans la Cité des Anges, reprendre un peu mes marques, la seconde c’est de passer une visite médicale pour assurer que je suis en pleine forme et totalement apte à remplir mes fonctions. Après dix ans passés dans de nombreux pays différents, j’ai acquis une certaine débrouillardise. Donc rien de bien compliqué que de trouver un cabinet médical ou passer cette fameuse visite. J’ai fait au plus simple et surtout au plus près de chez moi. Les locaux sont propres, et la jeune femme à l’accueil tout à fait polie et souriante. Ce sont déjà deux bons points. Ayant noté mon arrivée elle m’invite à m’asseoir dans la salle d’attente, le Dr Fawkes me recevra dans quelques minutes. Je feuillette un magazine qui trainait parmi d’autre lorsqu’on appelle mon nom « Mr. Barnett ? ». Je relève le regard et là je fais un bond dans le passé, à peu près quinze ans si ce n’est un peu plus. Elle n’a pas changé. Elle, c’est Norah, la mère d’un de mes amis d’enfance, Owen, avec qui j’ai longtemps été dans la même classe. Nos parents avaient sympathisés, on a trainé pas mal d’années ensemble lui et moi, jusqu’à ce qu’on se choisisse chacun une voie et se perde de vue. Cette femme a sans doute été l’un de mes premiers fantasmes d’adolescents, alors ouais je sais c’était la mère d’un pote… Mais elle était tellement belle. Elle l’est toujours d’ailleurs. J’espère ne pas être resté trop longtemps à la fixer sans bouger, je pose le magazine et me lève « C’est moi. » y’avait pas trop de suspens, nous sommes trois dans la salle d’attente et les deux autres personnes sont des femmes. Je lui adresse un sourire poli et la suis jusqu’à sa salle de consultation. J’ai beau avoir trente ans désormais le moi d’il y a quinze ans est toujours quelque part et c’est presque un peu intimidant de me retrouver face à elle. « Je viens pour une visite médicale. C’est pour mon nouveau boulot. » dis-je pour justifier ma présence ici.

Je n’ai pas un quotidien qui sorte particulièrement de l’ordinaire, bien que depuis que nous avons accueilli la jeune Blair à la maison, ça me change un peu de ma routine. Corey grandit. Vite. Trop vite, j’ai l’impression que c’était encore hier, qu’il était un petit garçon, si jeune et innocent. Je sais qu’il joue encore l’enfant avec moi, pour soutirer mes faveurs, et ça fonctionne. Mais je ne suis pas totalement dupe. J’aime seulement lui faire plaisir. Mais avec Blair à la maison, c’est plus difficile, il a l’impression qu’elle m’accapare et que je n’ai plus de temps pour lui. Ça finira par passer. C’est lorsque je suis au boulot que je n’ai pas le temps de réfléchir à ça, à ma relation assez ambigue avec la jeune femme qui vit chez moi. Je me retrouve en elle, c’est peut-être ce qui me fait le plus peur au final. Les patients s’enchaînent, quelques visites de routine, quelques suivis, et des nouveaux patients aussi, dont le prochain sur la liste. Je ne remets pas le nom, je ne fais plus attention aux noms de famille quand on sait le nombre d’homonymes ici même à Los Angeles. Une fois raccompagné mon patient jusqu’à la sortie, je rejoins la salle d’attente, prononçant le nom du suivant. « Mr Barnett. » Il n’y a qu’un homme installé là, et mon regard se pose immédiatement sur lui. Il semble hésiter un instant avant de se lever. Je lui fais signe de me suivre et lui indique mon cabinet, fermant la porte derrière nous. « Je viens pour une visite médicale. C’est pour mon nouveau boulot. » Je hoche la tête en lui souriant. « Très bien, j’ouvrirai le dossier après, on va directement faire le check up. Vous faite quoi comme activité ? Retirez le jean et le t-shirt, ça ira. » Je le laisse se déshabiller et moi qui ne suis généralement pas du tout regardante sur mes patients, j’avoue que là… le jeune homme est carrément plutôt pas mal du tout. Mais je ne montre rien, j’ai juste l’impression de connaître son regard, c’est assez troublant. Je le laisse s’installer, assis sur la table d’auscultation et commence par écouter sa respiration, ses poumons, son coeur avec mon stéthoscope, pendant que je lui pose des questions sur son métier. « Vous faites de la plongée alors ? Mon fils me supplie depuis depuis des années de l’accompagner faire de la plongée mais je crois que je suis vraiment pas rassurée à cette idée. C’est comment là dessous ? »

J’entre dans le cabinet du Dr. Fawkes, lui indique la raison de ma venue et nous entrons tout aussi vite dans le vif du sujet.  Il faut que je tombe le jean et le t-shirt, ça n’a rien d’étrange chez le médecin, mais là présentement pour moi ça l’est un peu plus. Je n’en laisse rien paraître, m’exécute docilement tout en répondant à la question du docteur « Je suis biologiste. Spécialiste des fonds marins plus exactement. ». Je m’assoie sur la table d’auscultation, l’examen de routine commence, je sens la froideur du métal de son stéthoscope  sur mon torse, elle est face à moi si près. J’espère que je vais pas me mettre à faire de la tachycardie aussi connement ! Je garde une respiration calme. Pourquoi ça me fait bizarre ? Je l’ai pas vu depuis plus de dix ans et je suis plus un ado, en plus elle n’a pas l’air de me reconnaître. Elle s’intéresse à ce que je fais « Oui je fais beaucoup de plongée. C’est pour ça que je dois assurer que je suis bien en forme. » et me confie au passage que son fils l’incite à aller faire de la plongée. L’idée lui fait peur, je peux le comprendre. Je souris, elle a toujours ce contact facile, un élément indispensable pour faire un bon médecin. Sa question me sort des quelques souvenirs qui me revenaient. Là dessous ? Je perds le fil un quart de seconde. Sous l’eau ! Evidemment. Quoi d’autre ? « C’est magnifique. » dis-je avec enthousiasme « C’est vraiment à voir. Votre fils à raison, vous devriez l’accompagner, vous passerez un bon moment. » je hausse les épaules « C’est comme être dans un autre monde. ». Je suis passionné par le milieu aquatique depuis que je suis tout gamin, alors forcément j’ai envie de faire découvrir et partager ça avec d’autres gens. Qu’eux aussi à leur tour voient combien le monde sous-marins est beau, les sensibiliser à sa fragilité et leur donner envie d’agir pour sa protection. « Qu’est-ce qui vous fait peur ? Allez sous l’eau ou les aspects plus techniques de la plongée ? » je lui offre un nouveau sourire, captant son regard « Il y a des gens très compétents qui vous emmèneront en toute sécurité voir les petits poissons. » et certains plus gros, mais ça je le garde pour moi afin de ne pas l’effrayer. L’auscultation se poursuit, c’est bien la première fois que sentir les mains d’un médecin sur moi ne me laisse pas totalement de marbre. « Vous ne m’avez pas reconnu, n’est-ce pas ? » dis-je finalement en connaissant déjà la réponse. Elle n’a aucune raison de faire semblant, j’ai juste pas mal changé, je suis plus athlétique que ce que j’étais à l’adolescence.

Une fois ses vêtements retirés, il s’installe comme je lui demande et je commence l’auscultation sans plus tarder, lui demandant son activité, celle-là même qui lui demande de faire une visite médicale. « Je suis biologiste. Spécialiste des fonds marins plus exactement. » Oh intéressant ! Et oui, forcément ça explique pourquoi la visite médicale. Je vais devoir être précise sur certains points, plus que pour d’autres métiers. Je lui demande s’il fait de la plongée, Corey me parle tout le temps de ses poissons, ce serait pas mal qu’un jour je l’y accompagne. Je lui en parle d’ailleurs, lui demandant comment c’est, sous l’eau. « C’est magnifique. C’est vraiment à voir. Votre fils à raison, vous devriez l’accompagner, vous passerez un bon moment. » Je n’en doute pas, c’est ce qu’il ne cesse de me rabâcher. Mais pourtant j’ai une certaine angoisse. « C’est comme être dans un autre monde. » Ça se sent qu’il est passionné, et ça me fait rire. Je lui demande de faire de grandes inspirations pour contrôler ses poumons, et installe l’appareil pour contrôler sa tension. « Qu’est-ce qui vous fait peur ? Aller sous l’eau ou les aspects plus techniques de la plongée ? Il y a des gens très compétents qui vous emmèneront en toute sécurité voir les petits poissons. » Je ris un peu pour les petits poissons, parce que je me doute bien qu’il y en a des plus gros. « Je sais pas du tout comment je réagirai avec la profondeur, il a des gens qui sont si fascinés par la profondeur qu’ils en meurent, je trouve ça dingue. Et oui, je crois que j’ai surtout peur d’une défaillance dans le matériel ou quelque chose comme ça, même si j’imagine que ça ne doit pas arriver souvent… » Mais quand je vois la fascination qu’a Corey pour les fonds marins, je me dis que je loupe sans doute quelque chose. Une fois sa tension prise je vais pour le faire se lever mais il me prend de cours. « Vous ne m’avez pas reconnu, n’est-ce pas ? » je plonge mon regard dans le sien en sentant mon coeur s’accélérer d’un seul coup. « Je… non. » Je laisse échapper un petit rire gêné. « C’est votre regard qui m’a fait penser à quelqu’un mais je sais même pas qui. » Je plisse un peu les yeux, cherchant avec plus de profondeur sans jamais le lâcher des yeux, quand l’illumination arrive. « Ezekiel ! » Il m’aura fallu un peu de temps c’est vrai. « C’est… wow ! Effectivement, si tu m’avais pas poussée un peu, j’aurai pas cherché plus loin ! » Je lui souris largement et secoue la tête. « Le moins qu’on puisse dire c’est que tu as bien changé, regarde-toi ! » Et j’ajoute sans tarder « J’ai croisé tes parents il y a quelques temps, peut-être un an ou deux, ils m’ont dit que tu faisais le tour du monde avec ton boulot. Tu es de retour au bercail alors ? » Est-ce que j’ai totalement stoppé l’auscultation ? J’en ai bien peur…

Beaucoup de gens tout comme Norah ont peur d’éventuelles défaillances techniques du matériel de plongée. Mais elle a raison ça arrive peu, pour la bonne raison que l’entretien et la vérification de celui-ci est très rigoureux. « Tout est très contrôlé et puis pour des premières plongées à faible profondeur les risques sont minimes. Je comprends vos craintes, c’est comme avoir peur de l’avion on se dit toujours “et si…“ mais au final c’est passé à côté de beaucoup de choses. » comme d’un moment de complicité avec son fils. Ce doit être un adolescent désormais et faire le constat que j’en étais moi-même un au moment de sa naissance est un preuve de plus d’à quel point le temps passe vite. D’ailleurs c’est un peu fou en y repensant, je suis de retour depuis quelques semaines seulement, je me pointe chez un médecin pour une visite banale et je tombe sur Norah. Un signe du destin peut-être ? L’ado que j’étais aurait sans doute adoré le croire. Moi ? Je mets ça sur le compte d’un heureux hasard. Mais si elle n’a pas changé, de mon côté c’est autre chose, au point qu’elle ne m’est toujours pas reconnu. Je choisis de mettre les pieds dans le plat, ça risque d’être étrange si au moment de remplir mon dossier elle se souvient de moi ou pas. Je la prends de cours, elle me fixe, interloquée et je souris légèrement quand elle parle de mon regard. J’ai les yeux clairs et quand on est métisse comme moi, ça devient vite une particularité. Je soutiens toujours son regard, lui laissant le temps de faire œuvrer sa mémoire avant de lui révéler mon identité si nécessaire. Avant qu’elle n’ouvre la bouche je sais qu’elle a enfin trouvé, je le lis dans ses yeux. Le voile est levé, je hoche la tête pour confirmer ça bonne réponse. Je hausse les épaules « J’ai un peu changé c’est vrai. » à l’époque où Owen et moi trainions ensemble j’étais vraiment fin, j’avais les cheveux plus long et pas encore de barbe. Ajouté à cela l’info de mon tour du monde, c’est sûr que Norah ne s’attendait pas à me voir ici. « Ouais je suis de retour. La vie en ville, ça me fait bizarre mais je suis content de me rapprocher de ma famille. » je ris légèrement « C’est pas toujours évident les Noëls par Skype. » tous les pays ne sont pas bien équipés en terme de communication, mais ça a aussi ses avantages. « Vous en tout cas vous n’avez pas changé. » elle semble en douter si j’en crois son regard « Non je vous assure. Vous êtes toujours aussi… b…souriante et avenante. » ok j’ai frôlé le dérapage mais je m’en sors bien. Manquerait plus qu’elle crois que je la drague ! Ça serait mal venu. « Comment vont Owen, Teddy et Corey, c’est ça ? » je ne suis plus sûr du prénom de son dernier fils « C’est lui qui veut vous emmener faire de la plongée ? ».

« Tout est très contrôlé et puis pour des premières plongées à faible profondeur les risques sont minimes. Je comprends vos craintes, c’est comme avoir peur de l’avion on se dit toujours “et si…“ mais au final c’est passé à côté de beaucoup de choses. » Je hoche la tête, prenant en compte de qu’il a a dire. Après tout, l’avis d’un professionnel dans un domaine précis est toujours mieux à prendre que celui de quelqu’un qui n’y connaît rien, c’est une certitude. « Vous avez raison. » Alors, peut-être que mon avis pourrait changer. Je crois que Corey serait tellement heureux que je lui annonce que je veux bien venir avec lui à une de ses expéditions sous les fonds marins. Et alors que je poursuis mon auscultation, le jeune homme me fait tout arrêter d’un seul coup, avec une seuls question. Si je le reconnais ? Non, pas immédiatement, et je ne me cache pas pour lui dire, je ne suis pas du genre à mentir. Il avoue avoir un peu changé, à peine. « Ouais je suis de retour. La vie en ville, ça me fait bizarre mais je suis content de me rapprocher de ma famille. C’est pas toujours évident les Noëls par Skype. » Je lui adresse une petite moue, fronçant légèrement mon nez. Je compatis, ça ne doit effectivement pas être facile. « Vous en tout cas vous n’avez pas changé. » Je secoue la tête en souriant. Flatteur. « Non je vous assure. Vous êtes toujours aussi… b…souriante et avenante. » Je repose mon regard dans le sien alors qu’il insiste pour dire que je suis toujours aussi souriante et avenant, mais je n’aurai pas le mot qui commence pas b. Tant que c’est pas ‘bonne’, tout va bien. Le langage des jeunes en ce moment laisse fortement à désirer, quoi qu’Ezekiel ayant l’âge d’Owen, trente ans donc, ça ne devrait plus être trop de son âge de parler de cette manière. « Merci… » C’est toujours agréable de recevoir ce genre de compliment, je ne vais pas nier. « Comment vont Owen, Teddy et Corey, c’est ça ? C’est lui qui veut vous emmener faire de la plongée ? » Je hoche la tête en souriant. « Oui c’est lui. Il est passionné par le milieu marin depuis qu’il est petit, il a eu un traumatisme assez important étant jeune, et a développé cette fascination juste après. C’est son univers. » Je reste souriante et continue de lui parler, sans me rendre compte que le temps défile et que l’auscultation elle, n’avance pas. « Teddy est très indépendante, on la voit pas beaucoup, et Owen est parti vivre au Pérou, ne me demande pas pourquoi. » Je ris un peu et hausse les épaules légèrement. « Pardon, du coup j’en ai complètement oublié pourquoi tu es là. » Je secoue la tête, un peu pour dire que je suis tête en l’air. « Tu m’as perturbé avec cette histoire. Viens lève toi, je juste vérifier quelque chose, après je pourrai te faire faire un ou deux tests physiques pour contrôler ton coeur et tes poumons. » Je le laisse se lever et lui demande de rester droit, dos à moi. Je contrôle sa colonne vertébrale en laissant glisser deux de mes doigts, de part et d’autre de cette dernière, de sa nuque jusqu’au creux de ses reins. « Tu peux te pencher en avant pour voir ? » Oui alors ok ça peut paraître bizarre, et non je ne fais pas ça pour regarder ses fesses, quoi qu’à cette pensée un regard furtif se perd et je me contrôle vite. « Très bien, tu fais beaucoup de sport non ? Ton dos est bien musclé, à moins que ce soit la plongée ? »

Je défends ma passion, c’est normal, et surtout j’ai envie de la faire découvrir au plus grand nombre. La plongée semble parfois inaccessible, pour tout un tas de raisons, et s’il existe effectivement certaines petites contrindications, il est toujours possible de s’initier. Et puis si c’est l’opportunité pour Norah de passer un bon moment en compagnie de son fils, je crois que c’est tout bénef pour elle. Mais ma parole a t’elle vraiment du crédit ? Je ne suis qu’un inconnu à ses yeux, en tout cas ça en a tout l’air. Je décide alors de lui poser directement la question, créant la surprise. Du temps a passé, c’est certain et j’ai changé. J’ai grandit, j’ai mûrit, j’étais un adolescent je suis désormais un homme. Malgré tout il reste des petits trucs inchangés, comme un regard, et j’aime à croire que le mien est singulier. C’est d’ailleurs ce qui ramène Norah un peu plus d’une décennie en arrière, elle me reconnaît et c’est peut-être idiot mais ces petites retrouvailles viennent s’ajouter à toutes ces petites choses qui font le point de départ de cette nouvelle vie à L.A. Je vais devoir y reprendre mes marques, mais étrangement le simple sourire de cette femme me fait me sentir bien. Est-ce que je suis un peu cet ado intimidé que j’étais par le passé ? Sans doute, il fait parti de moi après tout. Mais je n’ai plus quinze ans, j’ai gagné en spontanéité au point de presque faire une boulette. Pas qu’il soit indélicat de faire des compliments, mais ça me paraît inapproprié présentement de dire à Norah combien elle est toujours aussi belle. J’opte pour deux adjectifs non moins flatteurs mais plus formels, en adéquation avec la situation. Je demande des nouvelles de ses enfants, les questions classiques mais dont j’ai plaisir à écouter la réponse. Mon sourire s’étire lorsque le médecin évoque son dernier fils, Corey, passionné par le milieu aquatique « Je ne peux que le comprendre. » moi aussi j’ai développé ça très jeune. Owen et sa sœur sont comme moi, deux adultes qui vivent leurs vies.
On est là à rattraper – en quelques sortes – le temps perdu et Norah fini par s’excuser d’avoir perdu le fil de cette visite médicale « Non c’est moi. Je vous distrait avec mes questions. » répondis-je sans me défaire de mon sourire et elle confirme, je l’ai perturbé. Je suis ses indications, me lève, me tiens bien droit pour la laisser poursuivre l’examen. Pas sûr qu’à quinze ans j’aurais réussi à réprimer ce frisson qui menaçait de faire trembler mon échine au contact de ses doigts. Je ris légèrement, je me sens même un peu con de repenser à ça. Elle me tire de mes pensées, demandant à ce que je me penche en avant, je m’exécute docilement puis me redresse lentement. Apparemment tout va bien. « La plongée y est pour quelque chose, mais je nage pas mal en dehors. Je cours aussi et je vais dans une salle de sport. » répondis-je tout simplement avec un petit haussement d’épaules « Content de savoir que ce n’est pas en vain. ». Le dos c’est ok. Maintenant au tour des poumons et du cœur « C’est le moment où je vais devoir faire des pompes et des squats ou quelque chose comme ça ? » je ris un peu et ajoute « Avouez que vous aimez ce moment. » prenant conscience de mes propos je précise « Quand vous mettez vos patients à l’épreuve, d’une manière générale. ». J’espère que ma compagnie ne lui est pas déplaisante, mais je ne veux pas non plus qu’elle me prenne pour un prétentieux qui veuille se mettre en avant. « Je vous ai démasqué. » ajouté-je avec un regard malicieux avant de me soumettre à ce test à l’effort.

Je suis distraite, mais comment ne pas l’être en même temps. Retrouver une ancienne connaissance de manière si impromptue, c’est à la fois agréable et troublant. A moins que ce ne soit simplement lui qui soit si troublant, je l’ignore. Je perds le fil et me remets finalement au travail, amusée par la situation. « Non c’est moi. Je vous distrait avec mes questions. » Je ris un peu et secoue la tête, parce que ce n’est pas de sa faute, c’est moi qui suis perturbée. Je le fais se lever et lui demande de se mettre dans certaines positions pour continuer mon travail. Ezekiel est devenu un homme plus que séduisant, et je me perds dans mes pensées en me disant que certains patients sont quand même plus agréables à regarder que d’autres. Je fais un commentaire sur son dos musclé, restant professionnelle, évidemment. « La plongée y est pour quelque chose, mais je nage pas mal en dehors. Je cours aussi et je vais dans une salle de sport. » Je hoche la tête, comprenant mieux pourquoi il est si bien bâti. « Content de savoir que ce n’est pas en vain. » « Effectivement, c’est une bonne chose, ça évite souvent les blessures et les séances à répétition chez l’osthéopathe. » Je continue mon check up sur les organes internes, vérifiant que tout est ok de ce côté là. Stéthoscope à l’oreille, je fais clisser l’embout sur son torse musclé, cherchant au mieux à ne pas montrer mon trouble. J’ai rarement sous mes doigts des hommes aussi bien bâtis, c’est clair. « C’est le moment où je vais devoir faire des pompes et des squats ou quelque chose comme ça ? Avouez que vous aimez ce moment. » Je plonge mon regard dans le sien et arque un sourcil. Si j’aime ce moment ? Pourquoi ? Parce que je peux reluquer mes patients ? Franchement, 99% de ces derniers ne sont clairement pas à mon goût et plus encore que ça, je suis quelqu’un de très professionnelle. J’ai bien peur par contre qu’Ezekiel fasse lui partie du 1% restant. « Quand vous mettez vos patients à l’épreuve, d’une manière générale. » Cette fois je comprends le fil de sa pensée et je ris, amusée par sa manière de voir les choses. « Je vous ai démasqué. » « Je dois dire que ça dépend des patients. Certains ont plus de difficultés que d’autres, dans ce cas je culpabilise un peu. Mais je crois que pour toi, j’ai rien à culpabiliser.  Allez hop, au boulot ! » Je lui demande de faire une série de 15 squats et le même nombre de pompes. Il a une bonne condition physique, j’aurai pu gonfler un peu les chiffres, mais je ne vais pas exagérer non plus. En attendant, je peux me rincer l’oeil. C’est mal. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Une fois terminé il se relève, à peine essoufflé, et je colle à nouveau l’embout de mon stéthoscope contre sa peau pour écouter son coeur et ses poumons, attrapant son poignet pour vérifier son pouls. « A peine essoufflé, c’est rageant. » Je suis si proche de lui que je sens son souffle un peu plus rapide à cause de l’effort. C’est normal que ça fasse accélérer mon palpitant à moi aussi ? Il n’y a pas de raison n’est-ce pas ?

Prenant un peu plus confiance, me sentant à mon aise face à ce visage connu je fais un peu d’humour. Etait-ce une bonne idée ? Je sens Norah interloquée, alors j’explique le fond de ma plaisanterie… Typiquement le signe que la blague est raté. Encore mieux je la fais passer pour un docteur tortionnaire qui aime voir ses patients galérer. T’es con Ez ou quoi ? Mais elle rit, c’est donc pas si mauvais signe, non ? Ok je suis peut-être encore un peu intimidé par cette femme, juste un peu. Vraisemblablement, moi, elle va être ravie de me voir en difficulté mais quand elle m’annonce le nombre de squat et de pompe que j’ai à faire je suis presque surpris. Je n’ose rien dire pour ne pas passer pour un prétentieux et me plie docilement aux exercices. C’est assez vite fait, j’ai fait exprès de mettre du rythme pour que ça ai un peu un effet sur mon palpitant. Cependant c’est assez peu essoufflé que je me redresse afin qu’elle puisse poursuivre son examen. Je souris à sa remarque « Il m’en faut un petit peu plus c’est vrai… » dis-je avec un petit sourire, presque embarrassé. Mon souffle est un peu accéléré, de même que mon rythme cardiaque, ça m’arrange comme ça je n’ai pas à craindre d’avoir à contrôlé le trouble que Norah soit si proche de moi. Je baisse les yeux pour la regarder au moment ou elle relève le sien dans ma direction. Est-ce qu’un jour je vais réussir à me faire à l’idée qu’elle soit aussi belle ?  Je ne crois pas. « Tout va bien ? » demandé-je parce que quand je suis nerveux, ne serait-ce qu’un peu et sans forcément de raison, même si là il y en a une… Je parle. « Mon cœur est assez sportif ? » dis-je sur un ton léger alors que je me maudis déjà intérieurement de dire des trucs aussi stupides.
L’examen terminé c’est le moment de créer mon dossier de patient et pour le Docteur Fawkes de remplir la paperasse nécessaire pour que ma visite médicale soit valide. Je lui donne les informations dont elle a besoin, les banalités administratives ainsi que d’autres questions d’ordre médical. C’est le genre d’entretien formel et pourtant je ne peux m’’empêcher d’avoir l’impression que c’est une sorte de vraie conversation, une nouvelle prise de contact entre elle et moi. C’est parfaitement stupide je le sais au fond, et pourtant je n’arrive pas à me défaire de ça. Peut-être parce que j’aimerais que ce soit le cas, pouvoir discuter avec elle comme des adultes. Celle qu’elle était et celui que je suis devenu… C’est étrange de retrouver quelqu’un après tant d’années, de voir les choses totalement différemment parce que la vie et le temps sont passés par là. Je réponds à ses questions un peu plus machinalement à mesure que je me perds dans mes pensées et à la fin de l’entretien, sans vraiment réfléchir, lâche « Ça serait sympa de pouvoir discuter autour d’un dîner un de ces jours, non ? » je viens vraiment de dire ça, là comme ça ? Oui. Je souris et hausse les épaules « C’est une idée comme ça. Juste pour rattraper un peu le temps perdu, je suis sûr que vous avez pleins de choses à raconter. Et moi j’en ai des tas, sur mes voyages, mon boulot… Tout ça. » heureusement que je suis pas commercial.

« Il m’en faut un petit peu plus c’est vrai… » Je le regarde en souriant, peut-être un peu trop proche de lui mais je ne peux pas faire autrement vu ce que j’ai besoin de vérifier. « Attention que je ne te refasse pas faire une série. » Je ris un peu et me concentre à nouveau pour calculer son pouls. « Tout va bien ? » finit-il par me demander. Je plisse légèrement les yeux, restant concentrée, et relève le regard sur lui en souriant une fois fini de compter, lâchant son poignet. « Parfaitement bien. » « Mon cœur est assez sportif ? » ajoute-t-il alors que je souris de plus belle. « Ça m’en a tout l’air. Encore de belles excursions sous-marines en prévision. »[/color] Je m’éclipse pour rejoindre mon bureau, le laissant se rhabiller. Je ne peux m’empêcher de laisser s’échapper quelques regards furtifs dans sa direction le temps qu’il se rhabille, et me concentre à nouveau sur l’écran de mon ordinateur pour finir de taper les données. Il est temps de lui poser quelques questions pour le dossier, et nous échangeons avec beaucoup de fluidité. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté, je n’ai même plus la sensation de faire mon travail, c’est assez étrange. « Ça serait sympa de pouvoir discuter autour d’un dîner un de ces jours, non ? » Je relève les yeux vers lui alors que je finissais de taper les derniers mots du dossier pour lui imprimer son certificat. Un peu surprise, le coeur battant légèrement plus vite. Pourquoi je fonds sous son sourire exactement ? « C’est une idée comme ça. Juste pour rattraper un peu le temps perdu, je suis sûr que vous avez pleins de choses à raconter. Et moi j’en ai des tas, sur mes voyages, mon boulot… Tout ça. » Est-ce que je devrais refuser ? Même si j’ai foutrement envie d’accepter. Quelques coups frappés à la porte de mon cabinet me sortent de ma réflexion internet. C’est une collègue qui me pose une question relative à un médicament, je réponds à sa question et une fois qu’elle a refermé la porte je repose mon regard sur Ezekiel. « Oui. » Alors je dois dire que dit comme ça c’est pas très clair. « Enfin je veux dire, oui, avec plaisir, pour le dîner. » Est-ce que je suis en train d’accepter de sortir avec un gamin de vingt ans de moins que moi, qui a l’âge de mon fils ? J’en ai bien peur. Mais en même temps, c’est flatteur, c’est grisant. Je récupère une de mes cartes de visite sur le côté de mon bureau. Je n’ai pas de téléphone professionnel, tout est mélangé mais je m’y retrouve pas trop mal. « Tiens. Envoie-moi un message quand tu as une dispo, en général je finis mes journées aux alentours de 19h, un peu plus tôt le jeudi. » Je lui offre un sourire tout en le laissant récupérer ma carte, et me lève pour le raccompagner jusqu’à la porte de mon cabinet. « En tout cas c’était un plaisir de te revoir. J’ai hâte que tu me racontes tes aventures. » Je pose une main sur le haut de con bras, chaleureusement, mais comme je pourrai le faire avec n’importe quel patient que je connais un minimum, sauf que cette main glisse un peu le long de son bras musclé. Mon dieu. « Prend soin de toi Ezekiel, et à bientôt. » Nouveau sourire, et je fais quelques pas avec lui dans le couloir avant que nos chemins se séparent, lorsque je vais chercher mon prochain patient. Je me retourne et vois qu’il en a fait de même, alors je souris un peu connement et lui adresse un petit signe de main. J’ai l’impression d’avoir à nouveau quinze ans, c’est ridicule.