Oops. That's not good (Rayden #11)

Le rythme du tournage n’a pas baissé en intensité, bien au contraire. Il y a des délais à respecter et bien sûr toujours des petits trucs ça et là, des grains de sable dans l’engrenage qui viennent retarder les choses. Je ne vois pas les jours passés, parfois je suis au studio pour seulement une petit prise, tourner une scène sans même savoir si elle sera au montage final ou pas. J’en apprends chaque jour sur les rouages de la fabrication d’un film, sur le métier d’actrice aussi et malgré la fatigue je m’y épanouie réellement. Je n’ai pas eu de repos depuis ces trois jours libres qui m’avaient été octroyé et durant lesquels je n’ai pas fait que me reposer… Je n’ai d’ailleurs pas revu Eden depuis la nuit que nous avons passé ensemble. Pas vraiment par choix, juste à cause de nos obligations respectives. Je l’ai aperçu parfois sur le tournage, mais impossible de trouver un moment à passer avec elle, même bref. Nous échangeons par texto, mais ça ne suffit pas, ou plutôt ça ne me suffit plus. Elle a réveillé quelque chose en moi. J’ai mis du temps à l’accepter et à baisser la garde pour laisser cette envie trop longtemps enfermée s’exprimer, mais maintenant quand je repense parfois à cette soirée et c’est le coup de chaud assuré… Au fil du temps j’ai même l’impression d’y penser de plus en plus souvent. C’est pire que tout, c’est un cercle vicieux qui ne fait qu’alimenter mon envie de la voir, l’embrasser, la toucher, sentir ses mains sur moi. Les jours passent et le manque se fait de plus en plus grand. Sauf qu’en plus de nos emplois du temps à gérer, nous devons être prudentes, j’ai trop à perdre, nous le savons l’une comme l’autre. Mais ce soir quand je fini ma journée de tournage, je n’y tiens plus… Ce n’est plus seulement une question d’envie, j’ai besoin de la voir. Il est tard, les bureaux sont presque déserts et ça m’arrange bien. Je me faufile jusqu’à l’étage où se trouve le bureau de la productrice. Même Oliver est déjà parti, tant mieux. Je vois de la lumière sous la porte du bureau d’Eden, évidemment qu’elle est encore là, c’est un bourreau de travail et cette fois je ne le lui reprocherai pas. Je ne l’ai d’ailleurs jamais fait, je l’admire pour son parcours, son ambition et sa réussite. Je m’approche de la porte, aucun bruit ne filtre de l’intérieur, je frappe deux coups bref à la porte. Elle ne tarde pas à venir m’ouvrir, interloquée d’être dérangée si tardivement, son expression traduit rapidement sa surprise de me voir là. Profitant de ce moment de latence j’entre, referme la porte derrière moi et me jette sur ses lèvres dont je rêve depuis des jours… Depuis le matin où elle a quitté mon appartement à vrai dire. Je la prends de totalement de cours j’en ai bien conscience « J’en pouvais plus… » soufflé-je, ma respiration saccadée par l’envie « J’avais besoin de te voir. » mes mains sur ses hanches je rapproche nos deux corps, la faisant reculer jusqu’au bord de son bureau avec empressement, renversant une des chaises au passage.

Ça y est, Maé n’a plus cours, et il faut l’occuper. Elle est assez grande pour s’occuper seule la plupart du temps, mais elle s’ennuie vite, aussi. Jude fait de son mieux avec son boulot, et moi avec le mien. Aujourd’hui, j’avais une journée un peu plus légère et j’ai proposé à Maé de la passer avec moi, pour passer du temps avec elle, et aussi parce que je sais que ça lui fait plaisir d’être dans mon environnement de travail. Les studios, l’ambiance cinéma, elle frétille. J’ai essayé de lui montrer quelques nouveaux tournages, et quand je suis en réunion elle reste dans mon bureau à regarder des séries sur sa tablette. Elle ferait sûrement pareil à la maison de toute manière. La journée a été longue finalement, parce que devoir gérer mon boulot avec ma fille dans les pattes, ce n’est pas de tout repos. Il est tard et nous sommes encore dans mon bureau, je dois régler encore quelques détails imprévus avant de rentrer à la maison. Maé s’est endormie sur le canapé, ma voix même au téléphone semble l’apaiser, même si c’est une adolescente, elle reste tout de même comme un enfant qui s’endort partout même avec du bruit lorsque la fatigue est trop grande. Quasiment tout le monde a quitté son poste, j’ai renvoyé Oliver chez lui plus tôt, je lui en demande beaucoup, il a besoin d’avoir une vie sociale lui aussi, pauvre gamin. Alors forcément, lorsque j’entends quelques coups frappés à la porte, je suis surprise. Pas de livraisons à cette heure-ci, pas que je sache en tout cas. J’ouvre la porte sans tarder et tombe nez à nez avec Rayan. Mon coeur s’accélère immédiatement, heureuse de la voir, et je ne pense pas immédiatement à ma fille qui se trouve dans mon bureau. « J’en pouvais plus… » lâche-t-elle avant que je n’ai eu le temps de lui demande ce que me valait sa visite. J’ai saisi sans avoir besoin d’une réponse verbale. « J’avais besoin de te voir. » Elle me fait reculer jusqu’au bureau, bousculant une chaise au passage, et nos lèvres se retrouvent bien vite dans un baiser passionné, jusqu’à ce que mon cerveau se reconnecte. « Rayan… attends… » lui dis-je en murmurant entre deux baisers. C’est dur de la repousser, mais c’est important, surtout dans cette situation. Je pose mes mains sur son ventre pour tenter de la repousser comme je peux même si c’est totalement contre mes envies présentes. Mais la brunette semble n’en avoir que faire, et elle a des arguments. Quel supplice. Je glisse mon index entre nos lèvres, le posant sur les siennes pour la faire s’arrêter alors que je reprends la parole, toujours tout bas. « Maé… » J’entends du bruit provenant de la direction du canapé, elle se réveille, merde. Je m’éloigne rapidement de l’étreinte de Rayan, comme je peux, et reprends d’une voix presque normale. « Maé va être contente de te voir. ». Juste le temps de tourner la tête que je vois apparaître la petite bouille endormie de ma fille se hisser au dessus du dossier du canapé. J’ignore ce qu’elle a entendu, ou même vu d’ailleurs, mais ça risque de poser quelques soucis…

J’ai été patiente, parvenant à refreiner mon envie de voir Eden grâce à cet emploi du temps chargé qui est le mien. Mais ce soir, dès l’instant où j’ai pris la décision d’aller jusqu’à son bureau je sais que s’en est fini, je ne parviendrais plus à me raisonner, j’ai besoin de la voir. Deux coups frappés à la porte, elle ouvre, apparaissant là juste devant moi, toujours aussi belle et je n’écoute que mon envie pour venir chercher ses lèvres tant convoitées. Mon cœur se met à battre plus fort quand elle prend part à ce baiser passionné, et je fais totalement abstraction de sa tentative de mettre notre échange sur pause. Si c’est pour me dire qu’elle a une conf call ou un truc dans ce genre là, je m’en fous et tant pis pour son professionnalisme à tout épreuve elle peut bien y faire une toute petite entorse pour cette fois. Je reste à l’assaut de ses lèvres, caresse ses hanches, comme une droguée je prends ma dose. Je n’aurais pas imaginer en arriver là… Mais il faut croire qu’Eden m’a jeté un sort. Après sa première tentative infructueuse de me stopper, la jolie blonde parvient cette fois à me faire reculer en venant poser son index sur mes lèvres. Mon regard intrigué accroche le sien, elle chuchote alors le prénom de sa fille. Quoi Maé ? J’arque légèrement un sourcil ne comprenant pas vraiment ce qu’elle veut dire, j’ai le cerveau un peu trop embrouillé par le désir je crois. Eden s’éloigne vite de moi, je suis encore dans le flou, mais tout devient plus clair quand elle reprend sur un ton neutre, affichant une attitude parfaitement détachée en déclarant que la gamine va être contente de me voir. Merde, sa fille est là ?! La productrice tourne la tête vers le canapé, je me recompose une attitude plus neutre et tourne brièvement le regard dans cette même direction pour constater la présence de la jeune fille. Je me sens mal d’un coup, je reporte rapidement mon attention sur la quadra j’ai un mal fou à reprendre contenance « C’est sympa que tu l’emmènes ici. » dis-je avec un sourire un peu forcé. Je trouve réellement l’idée sympa, et ça leur permet de passer du temps ensemble surtout que Maé est passionnée par le cinéma. Cependant à cet instant je suis surtout très gênée parce que j’ignore si l’adolescente a vu quelque chose ou non et si c’est le cas je ne vais clairement plus savoir où me mettre. Cette fois je regarde dans sa direction, lui adressant un sourire chaleureux « Bonsoir Maé. Les journées sont épuisantes ici, n’est-ce pas ? » dis-je en référence à cette petite sieste qu’elle s’est octroyée.

C’était l’été, et les cours étaient terminés. Une aubaine, pensait la jeune fille, qui commençait à prendre la fameuse allergie aux devoirs et aux leçons. Oh, elle n’était pas mauvaise, elle était même plutôt bonne en classe, sauf quand son esprit vaquait à des pensées… moins catholiques. Comme Rayan. Euh. Madame McHalway. Pourquoi pensait-elle désormais à elle comme « Rayan » et non comme « Madame McHalway » ? Elle n’en savait rien. Elle avait juste de plus en plus envie de concrétiser un amour impossible, de se rapprocher d’une femme hors d’atteinte, trop vieille, et pourtant si belle, si attirante… peut-être que ses rêves changeaient ? Qu’elle n’imaginait plus parler à une prof, mais bien à une amoureuse. Elle était un peu jeune pour le terme amante, mais cela ne l’empêchait pas de rêver de baisers, et de douceurs. Les hormones, l’adolescence, et un crush qu’elle ne semblait décidément pas prête à laisser tomber. Quand bien même elle le savait mauvais. Elle était trop jeune, Rayan était majeure, et pas elle. Cela pouvait causer des ennuis. De plus, elle n’avait que son amour pour Madame McHalway, et non la réciproque. Mais cela ne l’empêchait en rien de fantasmer. Et elle ne voulait plus l’appeler Madame McHalway… Elle voulait pouvoir souffler son prénom, elle voulait pouvoir se rapprocher. Utiliser un « madame » la rendait inaccessible, et c’était bien ce qu’elle avait compris, à force d’y réfléchir. De beaucoup y réfléchir. Elle avait tout le temps, désormais, elle pouvait se lancer dans d’intenses réflexions.
Rayan, donc. Rayan. Rayan. Ce prénom semblait couler entre ses lèvres, ce prénom semblait voguer sur le fleuve de ses rêves. Elle était gravement atteinte, mais elle se foutait royalement de savoir si c’était normal ou non. Elle avait des sentiments pour sa prof. Voilà. Cela avait été dur à admettre, cela avait même été effrayant à avouer à sa mère, lorsque cette dernière l’avait deviné. Mais un crush, c’était courant. C’était même normal. Et la jeune fille grandissait. Apprenait qu’il n’y avait rien d’honteux, à tomber amoureuse. Tant que la limite entre légal et illégal était respectée, et que la morale restait bien à sa place.
Alors non. Pas de possibilités pour réaliser ses rêves d’amour. Pas maintenant. Trop jeune. Quand elle serait adulte, en revanche… Quand elle serait adulte, elle pourrait enfin laisser libre cours à ses pensées…

En attendant, sans les cours, c’était relativement difficile de ne pas penser à Rayan. Elle avait le temps de rêvasser, même avec ses journées bien remplies. C’était là que rentrait sa mère en jeu. Qui lui proposait de passer la journée à son bureau. Le rêve ! Maé adorait aller aux studios. Elle pouvait voir son avenir, son destin. Elle pouvait s’amuser à reproduire les jeux d’acteurs, ou à noter ce qu’ils faisaient, les ajustements que les metteurs en scène faisaient. Elle pouvait s’extasier, adorer, et s’imaginer à la place de tous ceux qui bossaient d’arrache-pied pour ces films. Films qui seraient, elle l’espérait, merveilleux.

Une journée bien remplie. Une super journée. Une super maman. Elle l’avait appelée ainsi, vers la fin. La super maman qui était toujours là. Elle avait adoré ce surnom, sans se douter que plus tard, dans la soirée, elle comprendrait que sa mère ne le méritait pas.

Parce qu’alors qu’elle s’était endormie depuis quelques temps, qu’elle avait pu laisser la douce voix maternelle la bercer, tandis que la fatigue prenait le dessus, elle avait entendu diverses choses, dans ce sommeil finalement bien léger. Des coups sur une porte, qui n’avaient rien provoqués. Peut-être les avait-elle entendus, ceux-là. Ou peut-être avait-elle rêvé. Il y avait eu de belles paroles, il y avait eu un joli rêve. La voix de Rayan, qu’elle pensait tout droit sortie de son sommeil. Qu’elle pensait lui être destinée. Même si sa voix était étrangement identique à celle de sa mère. Mais qu’importait, elle dormait, rêvait, son cerveau devait lui jouer des tours. Quand soudain, une chaise qui tomba sur le sol, et un réveil presque en sursaut. Des yeux fatigués, un gémissement plaintif. Elle voulait retourner à son rêve, quand elle entendit la voix de sa mère. Qui… qui continuait son rêve ?
Hein ? pourquoi rêvait-elle toujours en étant réveillée ? Pourquoi avait-elle l’impression que ce qu’elle imaginait endormie était réel ? Pourquoi entendait-elle son nom être prononcé ?
Ses yeux étaient encore à moitié clos, lorsqu’elle passa sa tête au-dessus du dossier du canapé, pour deviner deux silhouettes. Et la voix de Rayan. Oh gosh ! La voix de Rayan ? Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas entendue, et elle collait parfaitement à celle de son rêve… Comme quoi…
Comme quoi ?
Elle se frotta les yeux un moment, avant de voir sa mère, avec Rayan. Côte à côte.
Non.
Non non.
Elle rêvait encore n’est-ce pas ?
Elle rêvait, ce devait-elle cela…
Pourtant, elle n’était pas conne, loin de là. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que ce n’était pas un rêve. Que Rayan était réellement entrée ici pour quémander un baiser. De l’attention. De… l’amour ? Non. Pas possible. Rayan ne l’aimait pas, pourquoi aurait-elle… ?
Elle avait peur de comprendre.
Son cœur lui faisait mal.
Elle avait peur d’avoir compris.
Elle se souvenait encore avoir vu cette fille qui n’était pas Cora sortir de la chambre de sa mère. Elle savait que c’était un couple libre. Elle savait que c’était possible. Que… que sa mère… mais… avec Rayan ? Avec… Avec Rayan ? Alors qu’elle savait que Maé craquait pour elle ? Non. Pas possible. Il devait y avoir une autre explication, hein ?
Il ne fallait pas y penser.
Il ne fallait pas… y penser.
Bonsoir Ray… Madame McHalway. Comment v… allez vous ? Et oui elles le sont… Il n’y avait pas que de la joie. Il y avait de la peur. La peur que sa mère ait pu lui faire un coup pareil. Il fallait qu’elle fasse confiance. Il fallait qu’elle fasse vraiment confiance. Alors elle se leva, pour aller saluer plus normalement l’actrice de son cœur, tandis que son regard scrutait tout. Le moindre mouvement, la moindre expression. Même si elle parvenait à cacher qu’elle analysait. Elle voulait se rassurer. Elle voulait être rassurée. Elle espérait que son cerveau la trompait. Elle espérait se tromper. Elle ne pourrait pas le supporter, sinon.
Sa mère et Rayan ? Alors que sa mère savait pertinemment qu’elle était amoureuse de Rayan ? Ce serait tellement… horrible. Sadique. Degueulasse. Méchant. Connard. Non. Non. Non, sa mère n’était pas ainsi. Sa mère n’était pas ainsi… elle y croyait. Elle essayait d’y croire. Même si elle ne pouvait pas s’empêcher de se remémorer le départ de sa maternelle quand elle avait quatre ans. Cet égoïsme. Ce… elle ne voulait pas vraiment penser « égoïsme ». Mais à cause de ses soupçons, elle avait la tête ailleurs. Elle était comme sortie de son corps, et ce dernier bougeait sans son accord, pensait sans son accord…
Et elle espérait.
Du plus profond d’elle-même, elle espérait s’être trompée.
Que faîtes vous ici ? Ouh. C’était un peu froid. Alors elle sourit. Se força un sourire, pour tenter de dissimuler ses craintes, et ses potentiels reproches.
Si seulement elle pouvait tout oublier. Mais c’était impossible.
Désormais, il fallait qu’elle sache.

C’est tellement difficile de repousser Rayan, surtout que nous n’avons pas pu nous voir depuis la nuit passée ensemble. Les sms ne suffisent pas, j’avais grand besoin de sentir ses lèvres à nouveau, toucher ce corps que j’apprécie tant. Et la voir débarquer là alors que Maé est dans mon bureau, je dois me faire violence, mais mon dieu ce que c’est frustrant. Heureusement, j’arrive à faire comprendre à Rayan que ce n’est pas du tout ni l’endroit ni le bon moment pour laisser aller notre besoin de nous retrouver toutes les deux, puisque nous ne sommes pas seules. « C’est sympa que tu l’emmènes ici. » finit-elle par dire en voyant le visage de Maé dépasser du dossier du canapé. « Bonsoir Maé. Les journées sont épuisantes ici, n’est-ce pas ? » Je replace la chaise et m’éloigne un peu de Rayan pour essayer de dissiper l’électricité et la tension sexuelle qui règne entre nous. « Bonsoir Ray… Madame McHalway. Comment v… allez vous ? Et oui elles le sont… » Je regarde ma fille et tente de sonder son attitude. A-t-elle compris quelque chose ? A-t-elle entendu ? Vu quelque chose ? Je ne me sens pas à l’aise, parce que même si je sais que ce n’est qu’un crush d’adolescente, elle a l’air de tenir à Rayan, et se dit même amoureuse. Je n’ai pas envie de lui briser le coeur en lui avouant que c’est avec moi qu’elle couche. Merde. « Que faîtes vous ici ? » demande la jeune fille, d’un ton un peu sec. J’ose espérer qu’il ne s’agit là que de son réveil en fanfare, et pas autre chose. « J’avais demandé à Rayan de passer après le tournage pour signer quelques papiers, et je me suis dit que ça te ferait plaisir de la voir, ça fait longtemps non ? » C’est ça, pédale dans la semoule Eden, tu vas y arriver… Je n’ai pas toujours été présente pour Maé, je ne me considère pas comme une bonne mère, même si je tente de faire ce que je peux depuis que je suis revenue à Los Angeles. Mais là, je dépasse clairement les bornes. Pourtant, je ne l’ai pas vu venir, et même si j’avais voulu, je ne vois pas bien comment j’aurai pu résister à … ça. Je pose les yeux sur Rayan une fraction de seconde, pas trop longtemps pour que Maé ne se rende compte de rien. Situation délicate.

Voir Maé apparaître est très clairement une bonne alternative à un douche froide. Si mon esprit était embué par le désir ressenti à l’égard d’Eden, désormais c’est la gêne qui m’assaille. A-t-elle vu ou entendu quelque chose ? Peut-être que juste à nous regarder elle comprend cette tension entre nous. Non . Calme toi Rayan tu arrives à donner le change entourée d’adultes, ce n’est pas une ado de treize ans qui peut comprendre par simple observation. Et puis la productrice s’est éloignée rapidement, elle reprend encore un peu plus de distance en remettant la chaise à sa place alors que je salue sa fille. Malgré les circonstances ça me fait plaisir de la voir, ça a toujours été une élève agréable, polie avec de la conversation et de l’énergie à revendre, le genre que les profs apprécient d’avoir dans leur cours pour contrebalancer avec ceux qui s’en balancent justement. Elle me salue à son tour, me demande comment je vais et confirme qu’effectivement les journées son épuisantes quand on est ici. Bon. Y’a comme un léger malaise, non ? Ou c’est peut-être juste moi, je vois des choses où il n’y en a pas parce que je me sens très mal à l’aise à l’idée qu’elle puisse avoir deviner quoi que ce soit de ce qui se passe entre sa mère et moi. « Ça va. J’ai des journées très chargées, mais c’est passionnant de travailler ici. » expliqué-je avec le sourire tandis que l’adolescente se lève et se rapproche. Elle se plante pas très loin, me regardant avec… je ne saurais décrire quel air c’est, mais je dirais suspicieux. Non je ne suis pas parano ! Même pas besoin de trouver quelque chose à dire puisque Maé enchaine en me demandant ce que je fais là avec un plutôt sec. Cette fois c’est Eden qui m’évite un mensonge, prenant cela à sa charge. Je hoche la tête pour confirmer ses propos « Voilà. Je suis venue signer des papiers. » nouveau sourire à l’intention de l’adolescente alors que j’évite soigneusement d’adresser un regard vers sa mère, trop peur de me vendre. « Ça me fait plaisir de te voir. Les cours se sont bien passés depuis mon départ ? » c’est un bonne élève, je ne me fais aucuns soucis pour elle et puis j’ai toujours des contacts avec mes anciens collègues. « Tu dois être contente d’être en vacance et passer un peu de temps ici. » oui, je suis à fond dans les banalités mais je ne vois pas bien ce que je peux dire d’autre pour meubler la conversation. En plus je ne peux même pas partir tout de suite, elle n’est pas idiote, elle a bien vu que je n’ai rien signé pour l’instant. Cette fois je me risque à regarder Eden, heureusement que j’ai quelques notions comme actrice, je peux garder mon air le plus neutre. J’ai comme le pressentiment que nous sommes dans la merde.

Il y avait de l’orage dans l’air, une tension qu’elle ne comprenait pas forcément, mais qu’elle savait existante. Des questions sans réponses, des questions dans son esprit, qui la poignardaient sans ménagement. Pourquoi sa mère avait-elle continue son rêve, si c’en était bien un. Avait-elle rêvé, alors ? ou non ? une question qu’elle ne voulait pas voir répondue, parce que c’était son cœur qui était en jeu, c’était son cœur qui risquait de se briser en mille morceaux, à la suite des paroles potentielles des deux adultes. Pourquoi avait-elle l’impression qu’il se passait un truc ? pourquoi Rayan était-elle là en cette soirée ? pourquoi avait-elle l’impression d’avoir interrompu quelque chose ? pourquoi ne se sentait-elle pas bien ? pourquoi devait-elle feindre un sourire, face à la femme qui faisait chavirer son cœur. Et pourquoi les échanges de regards entre les deux femmes devenaient d’un seul coup si brûlants, si glacials, qu’elles ne pouvaient plus les pratiquer ?
C’était louche. Il se passait quelque chose. Il y avait un problème. Tous ses sens le criaient. Le lui criaient, hurlaient. Comme s’il ne fallait pas qu’elle passe à côté. Comme si elle avait besoin de souffrir pour que la vérité soit révélée, et que l’ignorance devenait un fardeau bien trop grand.
Mais il y avait un truc.
Elle ne rêvait pas.
Les deux adultes ne se regardaient plus. Ou très brièvement. Comme si…
Une situation étrange qui venait de s’insérer dans son esprit, et elle souhaita alors ne jamais avoir regardé desperate housewives… parce que lorsque Gaby trompait Carlos, elle évitait justement les regards avec l’amant.
Une scène qui venait parfaitement s’apposer ici, dans ce bureau, alors que son regard devenait plus suspicieux, alors que son cœur se fendait doucement.
Et une question.
Simple question, à l’attention de Rayan. De la prof de son cœur, qui était en train de le piétiner doucement. Que faisait-elle ici. Et si la MacHalway était l’interlocutrice, ce fut sa mère qui répondit. Des papiers à signer. Une envie de la revoir. Un souffle qui venait s’emparer d’elle, et le manque de souffle qui menaçait de s’en prendre à son corps dans un même temps.
Quels papiers ? des contrats ? mais vous êtes déjà acceptée dans le film, non ? une banalité sans nom. Parce qu’elle ne savait pas quoi dire d’autres. Elle avait peur de chacun de ses mots. Qui pouvaient conduire, tous sans exceptions, à un chagrin plus grand que tout. Et si la quête de vérité était si prenante, nécessaire, Maé avait aussi besoin de sa mère, de lui faire confiance. De ne pas succomber face à la terreur, face à ce cauchemar.
Oui oui, tout se passe bien… même si c’était mieux avec vous. des questions communes, des réponses banales, et ce sentiment de fuite qui lui prenait les tripes. Comme si sa prof n’avait qu’une seule envie, se retrouver ailleurs. Comme si l’air devenait étouffant. Horreur.
Il y a quelque chose d’étrange… elle les regardait, une à une, tandis qu’elle parlait, intelligente, maligne. … avec votre remplaçant, par contre. Il ne nous fait pas travailler le cent mètres. vrai. Et joli détournement de phrase. Elle voulait s’assurer que chacun de ses mots était entendu. Elle voulait écarter la possibilité qui lui faisait tant peur. Et pourtant, elle essayait encore de prouver ce qu’elle ne voulait pas prouver.
Ce cauchemar qui s’emparait d’elle.
Et si c’était vrai ?
Et si sa mère lui avait brisé le cœur ainsi, s’amourachant – sans amour, puisque c’était Cora sa femme – de Rayan ?
Et si la trahison maternelle était si forte qu’elle ne s’en relevait pas ?
Des inquiétudes, des craintes…
Bien trop de craintes, sous un regard blessé, tant vulnérable qu’enquêteur.
Il lui fallait comprendre ce qu’elle ne voulait pas comprendre.

« Quels papiers ? des contrats ? mais vous êtes déjà acceptée dans le film, non ? » demande Maé. Trop intelligente cette enfant. Je serre les dents. « Y’a toujours un tas de papiers à signer tu sais chérie, les autorisations, les assurances, les contrats pour la promo… » Et j’en passe, mais je n’ai pas non plus envie de noyer le poisson trop profondément non plus, au risque de me noyer moi-même. « Tu connaîtras peut-être ça un jour toi aussi. » C’est vile d’essayer de détourner l’attention de cette manière. Mais Rayan montre là tous ses talents d’actrice, et commence une discussion avec la petite adolescente, qui répond à son ancienne professeur. C’était mieux avec elle. Aie. Mon coeur se serre un peu , et la culpabilité grandit. L’échange entre ma fille et son ancienne professeur sont d’une banalité effarante, mais en même temps, c’est le seul lien qu’elles ont. En tout cas, du côté de Rayan. Pour le coeur de Maé, c’est autre chose, et je le sais, c’est bien ça le pire dans l’histoire. Mais je connais ma fille, je sais qu’elle n’est pas naturelle, quelque chose ne va pas, j’ai l’impression de lire la suspicion dans son regard, à moins que ce soit juste parce que je crains simplement qu’elle ne le soit ? Je m’embrouille le cerveau. « Il y a quelque chose d’étrange… » Oh putain. Je fronce un peu les sourcils sans lâcher Maé des yeux, attendant de voir s’il y a une suite à cette phrase, et j’angoisse. Fait chier. Qu’est-ce qui m’a pris de craquer sur la même femme que ma fille, franchement ? Bon ok j’ai rien calculé, j’aurai peut-être dû ne pas donner suite à cette attirance ? Pas question. Maé n’avait de toute manière aucune chance. Et puis ce n’est pas une course ni même une bataille. « … avec votre remplaçant, par contre. Il ne nous fait pas travailler le cent mètres. » Mes épaules s’abaissent un peu tellement je me sens soulagée qu’il y ait une suite à sa phrase. Je crois même que j’ai laissé échapper un petit souffle de soulagement. Bon, j’ai rien à répondre à ça moi, pourtant même si Maé s’adresse à Rayan, elle me regarde aussi, et ça ne me plait pas. Elle se doute de quelque chose, c’est sûr, je la connais assez pour m’en rendre compte. Et je fais quoi maintenant hein ? Je regarde Rayan cette fois, espérant qu’elle continue de noyer le poisson elle aussi. C’est notre seule issue.

L’adolescente n’est pas idiote, et même si elle n’a rien vu, espérons le, elle sent bien qu’il règne une ambiance étrange. En tout cas c’est ce que j’en conclu face à cette salve de questions. Garder la tête froide, donner le change et noyer le poisson, voilà les grandes lignes de mon rôle à cet instant. « Crois moi j’étais loin d’imaginer qu’il y avait autant de paperasse moi aussi… et pourtant. » je souris et hausse les épaules en restant le plus naturelle possible afin de donner du poids à l’explication d’Eden. Et puis j’enchaine sur le seul sujet qui me vienne à l’esprit face à Maé, les cours, c’est on ne peut plus banal mais je pense que c’est parfaitement ce qu’il faut pour atténuer l’attitude suspicieuse de la jeune fille. J’ai l’impression qu’elle tente de me sonder du regard, déceler la faille, attendre le faux pas pour attaquer. A moins que je ne sois parano ? Peut-être. La peur peut avoir cet effet là, et en l’occurrence j’ai très clairement peur que l’adolescente découvre ce qu’il se trame entre sa mère et moi. Alors au moment où elle dit qu’il y a quelque chose d’étrange je suis comme en apnée pendant les quelques secondes de blanc qu’elle marque. C’est qu’une impression où elle joue avec mes nerfs ? Nos nerfs, car je crois qu’Eden n’en mène pas large non plus. Je crois que j’ai fait une connerie en venant ici ! Le cent mètres ? J’échappe un petit rire, c’est nerveux « Parce que l’athlétisme regroupe beaucoup de disciplines différentes et le but est de vous en faire découvrir plusieurs. » je hoche la tête « Mais je comprends que tu sois un peu déçue, tu es plutôt douée pour le sprint. ». J’ose un regard en direction de sa mère « Une vraie flèche. » dis-je avec le sourire, pourtant je suis quasi certaine qu’elle puisse lire dans mon regard combien je suis mal à l’aise. Je passe une main dans mes cheveux « Je peux repasser plus tard pour les contrats. Une autre fois. » je regarde tour à tour Maé et Eden « Je ne veux pas vous interrompre dans votre fin de journée mère/fille. » et surtout il faut que je sorte de là. La fuite me semble être la meilleure option. Je regarde la productrice, la frustration me ronge toujours un peu, mais c’est surtout la crainte que sa fille ai compris qui a pris le dessus « Envoie moi un message pour me tenir au courant. » ça m’évitera de faire ce genre de connerie une seconde fois. Mon regard croise à nouveau celui de l’adolescente, j’ai encore plus l’impression qu’elle a deviné, c’est horrible « Ça m’a fait plaisir de te voir Maé. » c’est vrai, même si un autre moment aurait été mieux pour cette vague discussion. « Bonne soirée. » conclu-je, espérant pouvoir m’évader ainsi.

C’était un cauchemar, qui semblait venir envahir la réalité. C’était une peur qu’elle ne pouvait évincer, et chaque regard sur les deux adultes semblait lui dévoiler la vérité qu’elle ne voulait pas voir, qu’elle ne pouvait pas accepter. Elle se sentait terriblement mal, et jouait de ses atouts, de son esprit, pour tenter de démêler le vrai du faux, avec l’espoir, au fond d’elle-même, que tout ne soit qu’illusion, un quiproquo qui s’effacerait aussitôt qu’elle comprendrait à quel point elle s’était trompée.
Si elle s’était trompée.
Elle avait tellement de doutes, qu’elle ne calculait plus rien. Peut-être se trompait-elle totalement, mais elle n’arrivait pas à se l’avouer. Peut-être avait-elle raison de douter, mais elle ne parvenait pas à l’accepter. Seules restaient ses questions, certaines à voix haute, les autres dans son cœur, pour déterminer le vrai du faux, pour comprendre ce qu’il se passait. Et l’espoir. L’espoir qui lui serrait le cœur, espoir qu’elle espérait être réalité, pour ne pas avoir à tant souffrir, pour ne pas se retrouver l’esprit brisé, et la peine dans son regard.
Et elle avait tant de mal. A changer de sujet. Elle le voulait terriblement, elle le voulait plus que tout au monde, rebondir sur ce que sa mère lui disait, rebondir sur son futur en tant qu’actrice. Mais comment réussir à fermer les yeux sur un mystère qui lui rongeait l’âme ?
Je vois… fut sa seule réponse aux papiers, aux contrats, tandis qu’elle avait cette foutue impression que l’on se payait sa tête. Elle-même devenait-elle parano, avec le rêve qu’elle venait de faire ? Etait-ce son esprit qui lui jouait des tours ? Mais comment ce dernier pouvait-il oser mettre sa mère dans le rôle de la méchante ? Non. Impossible.
Elle ne se trompait pas. Pas totalement en tout cas, le regard sur les deux femmes, tandis qu’elle se lançait dans un petit test, cette phrase qu’elle laissait en suspens, pour observer. Cette phrase qu’elle laissait en suspens, rien que pour elles deux. Et ses doutes ne faisaient que se confirmer. Parce qu’elle voyait bien qu’elle rajoutait de la tension. Elle voyait bien que ce n’était pas rien, que cette phrase faisait peur. Elle le voyait bien, l’entendait avec ce rire. Quoique Rayan était peut-être amusée de la situation avec son remplaçant. Etait-ce nerveux, ou amusé ? Ce rire, était-il la preuve d’un méfait, ou d’une innocence qu’elle désirait tant ? Elle n’en savait rien, plus rien.
Elle était perdue, alors qu’elle écoutait son ancienne prof. Et elle ne put s’empêcher de sourire, en recevant ce compliment de la part de la dame de son cœur. Je suis sûre que je peux l’être encore plus, d’ailleurs. Vous verrez, quand vous reviendrez. Un sourire. Franc. Malgré les doutes qui planaient toujours, malgré la peine qui semblait se préparer, son cœur qui allait finir en lambeaux, si elle avait raison. C’était comme une promesse. Celle de la retrouver, celle de la revoir, arpentant le collège, pour l’entrainer.
C’était un vœu, qu’elle formulait en cette phrase, alors qu’elle se sentait aussi mal à l’aise que possible.
Elle fut néanmoins bien surprise d’entendre Rayan parler de partir. Surtout qu’elle était venue pour « signer quelques papiers et la voir ». La voir, elle. Pourquoi s’en aller, alors ? Pourquoi partir, sans avoir pris le temps de s’installer, de vraiment discuter, de signer les papiers ? Pourquoi fuir ?
Fuir…
Un mot qui lui fit mal, tandis qu’elle le pensait. La fuite, l’un des symptômes de la trahison. La fuite, qui signifiait tant. Non, attendez ! Des mots lancés par instinct, des mots qui dépassaient ses propres lippes, sans qu’elle ne puisse les contrôler. Je… ça me ferait plaisir de continuer à parler avec vous. Et de voir ces contrats, et tous les papiers… après tout, comme l’a dit ma mère… Un regard lancé vers Eden, comme un avertissement. Il ne fallait pas mentir. Elle espérait que ce n’était pas le cas. Je vivrai probablement la même chose, une fois lancée dans le métier. Autant que j’en apprenne le plus possible maintenant, non ? Et puis… C’était douloureux, mais elle devait le dire. Je suis sûre que maman aussi sera ravie. N’est-ce pas maman ? Après tout, n’était-ce pas supposé être une excellente fin de journée mère/fille, un moment passé avec celle qui enflammait son cœur, celle qui était elle-même dans le tournage d’un film, qui lui avait tant enseigné ?
Et puis… vous n’allez pas partir tout de suite, si ? Je veux dire… J’aurais l’impression d’avoir interrompu quelque chose, si c’est le cas… Comme si sa présence gênait l’actrice.
Comme un fardeau.
Et le self-control qui faisait mal.
Parce que la fuite, c’était un semi-aveu. Et elle avait clairement l’impression que son cauchemar devenait réalité.

Mon regard jongle entre elles comme un arbitre de ping pong, je ne sais plus où donner de la tête. Mon coeur bat à tout rompre, et il est clair que j’ai peur. Peur que ma fille découvre le pot-aux-roses. Je n’ai jamais voulu la blesser, surtout que ça ne serait pas la première fois, mais il y a des choses qu’on ne peut pas gérer, et l’attirance en fait partie. « Je peux repasser plus tard pour les contrats. Une autre fois. Je ne veux pas vous interrompre dans votre fin de journée mère/fille. » Oui. Voilà. Bonne idée. Nous laisser seules Maé et moi pour qu’on pale d’autre chose et qu’on oublie ce fâcheux évènement. « Envoie moi un message pour me tenir au courant. » Je hoche vivement la tête. « Oui bien sûr. » Dernier échange entre Rayan et Maé, ou du moins ce que j’espère être le dernier pour aujourd’hui, mais ma fille ne semble pas le voir de la même manière. Elle la retient. Fait chier. Maé me regarde et entre dans une sorte de personnage. Je la connais assez bien pour le voir. « […] Après tout, comme l’a dit ma mère… Je vivrai probablement la même chose, une fois lancée dans le métier. Autant que j’en apprenne le plus possible maintenant, non ? Et puis… Je suis sûre que maman aussi sera ravie. N’est-ce pas maman ? » Je crois que ça y est, c’en est fini de moi. Je tente un sourire, un truc un peu crispé. Je suis pas actrice moi. « Euh je… oui. Enfin non pas forcément. Peut-être. » C’est un aveu. Je me racle un peu la gorge et repasse derrière mon bureau pour regarder si j’ai pas des contrats types quelque part. « Et puis… vous n’allez pas partir tout de suite, si ? Je veux dire… J’aurais l’impression d’avoir interrompu quelque chose, si c’est le cas… » Je relève la tête pour les regarder tour à tour à nouveau. « Tu n’as rien interrompu du tout chérie. C’est Rayan qui a interrompu notre journée en famille c’est tout. » J’ai plus qu’à espérer qu’elle ne m’en voudra pas, vaut mieux ça que pire. Je soupire légèrement et secoue la tête. « De toute manière j’arrive pas à remettre la main dessus. C’est Oliver qui doit les avoir gardés, je verrai ça plus tard avec lui. C’est pas pressé. » Je pose mon regard sur Rayan, cherchant un échappatoire à la situation. « Et puis nous on va rentrer, on avait pas dit qu’on ferait des crêpes ? » J’ai trouvé que ça. En même temps, c’est vrai, on avait parlé de crêpes.

C’est bien sympa cette petite discussion avec une ancienne élève, mais de un je ne suis pas venue pour ça à la base et de deux c’est en train de mal tourner, je le sens. Je perçois comme de la suspicion de la part de Maé, et ses propos ne sont pas pour me rassurer. Je continue dans mon rôle, m’efforce d’être inébranlable mais ça devient de plus en plus difficile et pas seulement pour moi. Eden et moi sommes au bord du précipice, prêtes à sombrer avec les dégâts inévitables que ça implique. La fuite m’apparaît comme étant la meilleure solution, j’utilise le côté inattendue de ma visite pour me placer en intruse, la raison idéale pour accélérer mon départ. Je tourne les talons mais l’adolescente me retient. Pourquoi ? A t’elle vraiment compris qu’un truc se passait entre sa mère et moi ? Je ne veux pas sombrer dans la paranoïa et paniquer mais je crois que ça s’annonce pas super bien. Elle prétexte de vouloir s’immerger dans le milieu en assistant à cette signature de contrat, apprendre un peu plus de ce qu’est le métier d’actrice et ce sur tous les aspects. Regards furtivement échangés avec la productrice, elle fouille dans ses tiroirs pour continuer de faire illusion. J’ai la sensation que sa fille se joue de nous et ça ne me plait pas. « Non tu n’as rien interrompu. » répondis-je peut-être un peu trop rapidement, cherchant à me justifier. Eden me faisant écho avant de souligner que je suis celle qui a débarqué là, m’imposant au milieu de leur fin de journée ensemble. Je hoche la tête, il y a une part de vrai et c’est ridicule mais ça me blesse un peu d’en prendre conscience. Où avais-je la tête ? Qu’est-ce qu’il m’a pris de venir là ? Évidemment la blonde ne trouve rien dans son tiroir et heureusement son assistant a bon dos. « C’est pas grave... je repasserai. Il se fait tard, il faut que j’y aille. » nouveau regard vers elle, celui-ci est teinté d’une certaine résignation... Nos conneries ont déjà trop durées, nous avons pris trop de risques. Lui promettre des crêpes semble détourner un peu l’attention de l’adolescente et c’est ce moment que je choisis pour fuir « Bonne soirée à vous deux. » lâché-je avant de me précipite dehors pour m’éviter tout nouveau malaise s’il venait à l’idée à Maé de m’inviter à manger des crêpes. Une fois dans l’ascenseur je souffle, j’ai besoin de relâcher la pression. Au fond de moi je sais que ça va avoir marqué un tournant, que rien ne sera plus pareil désormais.

La fuite. Pourquoi voyait-elle cela ainsi ? Pourquoi refusait-elle de comprendre, Maé, que Rayan avait juste interrompu une soirée mère-fille dans le seul but de signer des contrats, que rien ne se passait, que tout était dans sa tête ? Pourquoi mêlait-elle son rêve étrange à la réalité, cette situation bien trop bizarre à la vérité ? Pourquoi sentait-elle son petit cœur prêt à craquer ? Elle avait juste l’impression de rêver. Peut-être rêvait-elle encore, cela dit ? Peut-être… Pourtant, tout était bien trop réel. Bien trop douloureux. Un sourire crispé de la part de sa mère, des réactions trop rapides de la part de l’actrice de son cœur, et la voilà qui doutait de plus en plus. Elle devrait pourtant choisir d’y croire, non ? Que tout allait bien ? Alors pourquoi ? Etait-ce elle, l’étrange ? Suspectant le moindre écart, un écart qui n’avait même pas lieu d’être ? Après tout, même s’il se passait quelque chose entre sa mère et Rayan, n’était-ce pas à Cora de jouer ce rôle ? Et à elle de se retirer, et de probablement pleurer en silence ?
Non.
Enfin.
Si. Mais non. Hors de question. Elle refusait. Elle refusait de quitter cette pièce, ou d’abandonner, tant qu’elle ne serait pas sûre. Et si elle avait encore du boulot à faire pour être aussi bonne actrice que sa prof, elle restait assez douée, entrant dans un personnage aisément. Elle ne le cachait de toutes façons pas, elle comptait bien sur la nervosité qu’elle créait pour s’apercevoir de la vérité. Mais non. Rien. Enfin. Elle n’était pas sûre. Sa mère cherchait véritablement dans ses papiers, pour les contrats. Ce qui avait l’air vrai. Même si une part d’elle-même se demandait pourquoi ils n’étaient pas sortis, si Rayan devait passer. Ou pourquoi, lorsqu’elle accusa Oliver – qu’elle avait déjà rencontré –, les contrats n’étaient tout simplement pas en sa possession ?
Et Rayan ? Pourquoi cherchait-elle autant à partir ? Si elle était attendue, pourquoi se pointer là ? Si elle se sentait de trop, pourquoi, alors que Maé la retenait, ne changeait-elle pas d’avis ?
Non…
Son petit cerveau était décidément bien trop pensif, et elle ne savait pas quoi penser. Elle avait l’impression que le cauchemar était réel, elle espérait que le rêve le soit aussi, et que la réalité ne devienne qu’un lointain souvenir.
Et puis, sa mère redevint normale, l’espace d’un instant. Des crêpes. C’était vicieux, mais Maé ne s’en rendait pas compte. Oui. Des crêpes. C’était une bonne idée ça. EN plus, elles en avaient effectivement parlé au début de la journée. Mais alors qu’elle tentait d’inviter Rayan, à la fois en bonne fille, mais aussi pour l’avoir à l’œil – et elle se détestait de penser ainsi –, cette dernière se faufila en dehors de la pièce.
Zut. Même pas le temps de dire au revoir.
Maman… C’était vraiment tout ? Je n’ai interrompu qu’une signature de contrats ? Mais pourquoi la chaise était tombée ? Pourquoi j’ai cru entendre autre chose ?
Finalement, elle avait beau grandir, elle restait cette fille qui avait peur. Qui se tournait vers sa mère, quand quelque chose n’allait pas.
Finalement, peut-être que c’était une aubaine que Rayan s’en aille. Qu’elle puisse parler ainsi à cœur ouvert avec l’une des seules personnes qui savaient pour l’amour qu’elle éprouvait envers l’actrice. Et surtout, seule à seule avec Eden, elle pouvait peut-être mieux comprendre.
Mieux voir la vérité.
Mieux se faire rassurer.
Mieux avertir, aussi.
Avertir qu’elle n’était plus une petite fille qui croyait en tout ce qu’on lui racontait.
Avertir que son cœur était fragile, et qu’il risquait de se briser bien facilement.
Avertir qu’elle avait peur.

Tout s’enchaîne à une allure folle, j’ai du mal à comprendre dans quelle merde je me suis foutue. On s’est foutues, parce que Rayan en fait partie aussi. Même si j’aurai sans doute dû arrêter les conneries plus tôt, en comprenant que Maé ressentait réellement quelque chose pour sa prof. Au fond, je m’énerve en me disant que ce n’est qu’un béguin d’adolescente, que ça lui passera, ce qui ne sera peut-être pas mon cas. Mais c’est trop tard pour y penser. « C’est pas grave... je repasserai. Il se fait tard, il faut que j’y aille. Bonne soirée à vous deux. » « Bonne soirée. » que je réponds du tac-o-tac, sursautant un peu en entendant la porte se fermer. Me voilà donc seule avec ma fille, et je sens bien à son regard que je vais devoir lui donner des explications. « Maman… C’était vraiment tout ? Je n’ai interrompu qu’une signature de contrats ? Mais pourquoi la chaise était tombée ? Pourquoi j’ai cru entendre autre chose ? » Elle est jeune, mais loin d’être idiote. Je sais qu’elle sait, même si elle essaie de se persuader du contraire. Je soupire et passe une main dans mes cheveux. « Assieds-toi. » Je tire la chaise en question, celle que Rayan a renversé un peu plus tôt, et incite ma fille à prendre place, alors que je m’assieds en face d’elle sur s’autre chaise. Elle se doute bien vu la manière solennelle avec laquelle je m’adresse à elle, que je ne vais pas lui donner la recette de la pâte à crèpes de ma mère. « Oui, il s’est passé quelque chose entre Rayan et moi. » Je ne vais pas passer par quatre chemins. « On a rien pu contrôler, c’est arrivé comme ça, je suis désolée je voulais pas que tu l’apprennes comme ça. » En réalité, j’aurai préféré qu’elle ne l’apprenne pas du tout. « Mais c’était rien d’important, tu le sais, ma vie est avec Cora, et Rayan était juste… de passage. » Si seulement c’était aussi simple que ça. Je vois bien qu’elle est triste, déçue, et moi ça me fait mal de voir que je suis la cause de tous ses ressentiments. « Je suis désolée chérie, mais tu sais bien qu’entre toi et elle c’est impossible, tu le sais ça hein ? » Je suis en train de m’enfoncer, je suis vraiment une mère de merde putain c’est pas possible…

Seule avec sa mère, elle n’avait envie que d’une seule chose : être rassurée. Elle n’était pas idiote, mais elle aurait tellement voulu l’être. Vivre dans l’ignorance, juste pour cette histoire, juste pour cette idée, folle, qui lui faisait mal. Cela aurait été si bien. De ne rien savoir. Elle aurait aussi bien voulu ne pas être endormie dans le canapé, lorsque Rayan était arrivée. Elle aurait désiré un tas de choses, ses souhaits ne pouvant malheureusement plus l’aider, alors que sa mère lui demandait de s’asseoir. Le ton grave. Elle ne comptait pas la rassurer. Et Maé avait peur. Terriblement peur. Elle avait l’impression que toute sa vie allait s’effondrer, aux premiers mots de sa maternelle. Et pourtant, elle espérait encore, sur cette chaise. Elle espérait encore entendre un « non, il ne s’est rien passé » ou autre. Elle voulait, limite, croire à un mensonge. Sauf que les mots de sa mère lui parurent tels des lames venues pour se planter dans son petit cœur. Quoi ?! elle n’avait pas pu le contrôler. Cette réaction était tout simplement trop forte, et elle sentait ses rêves détruits. Elle avait l’impression que tous ces mois passés auprès de sa mère, à rattraper le temps perdu, n’avaient servis à rien. C’était comme si, sous ses pieds, le sol se dérobait. Tandis qu’elle écoutait, que d’une oreille, la suite.
Enfin.
Elle « l’écoutait ». Elle était surtout perdue. Elle se sentait trahie par sa propre mère. Elle se sentait encore plus mal. Avait l’impression qu’elle ne pourrait pas se relever d’une telle révélation. Et les larmes germaient sous ses yeux, quelques unes coulaient déjà le long de ses joues. Comment ? Comment tu as pu ?! Elle n’en avait rien à faire, que ce soit une histoire de passage. Elle n’en avait rien à faire, des excuses. « Ma vie est avec Cora. » Et alors ? Le mal était fait. Des excuses, des excuses… Mais elle s’en foutait royalement, de ces excuses. Alors que… que je t’avais confié que je l’aimais… Sa voix était tremblante. Entre la colère et le chagrin. La rage qui s’emparait d’elle, et la tristesse.
Que sa mère soit désolée, ou non, ça ne changeait rien. Plus rien, dans la tête d’une jeune adolescente qui venait d’avoir le cœur brisé. Et alors ? T’en sais rien ! Peut-être qu’il y aurait pu avoir quelque chose lorsque j’aurais eu l’âge ! Peut-être que t’aurais dû attendre de voir, plutôt que de… que de… elle n’arrivait même pas à le dire. Elle avait bien trop mal. Je te déteste ! Je te déteste ! T’es pas une mère ! Tu voulais même pas revenir à Los Angeles ! C’est pas pour moi que t’es là ! C’est parce que t’avais pas le choix ! Putain… t’aurais mieux fait de rester là où tu étais ! la colère l’aveuglait. Le chagrin la possédait. Et elle était une Lewis. Forte. Qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, quand bien même elle affrontait sa mère. Je te déteste ! et elle se leva, avant de quitter le bureau, ne se préoccupant même plus de ce que sa mère pouvait dire. De toutes façons, elle ne pouvait plus supporter de la voir. Et elle comptait bien rester chez son père, désormais. Elle ne voulait plus voir sa mère. Elle ne voulait plus voir Rayan. Les deux l’avaient trahie.
Et alors qu’elle s’enfuyait, les larmes dégoulinaient.