running up that hill • casler

Un peu plus de trois semaines s'étaient écoulées depuis le Nouvel-An, depuis leurs "fiançailles express", depuis l'épisode de l'ascenseur. Heureusement pour eux deux, ils n'avaient pas attendu bien longtemps pour faire oublier l'incident des "moins de dix secondes". Tyler avait fait preuve de ses... prouesses, et à l'heure actuelle ils avaient déjà baptisé la plupart des surfaces de l'appartement. Malgré tout, la gêne de Tyler avait eu un peu de mal à s'effacer, mais c'était fait, ou presque. Et tout était plutôt revenu à la normale entre eux. Enfin, excepté qu'ils étaient fiancés. Tyler avait d'ailleurs encore du mal à se faire à l'idée. C'était pourtant lui qui avait proposé, à demi-mot certes, mais quand même. Et pourtant il s'étonnait encore de cette "promesse" qu'ils s'étaient fait. Oui, une simple "promesse" si on peut dire, étant donné qu'aucune bague ne venait orner le doigt de sa belle. Même si au fond il doutait vraiment que ce soit le genre de femme à se parer de diamants et compagnie. Mais bon, quand on parle de fiançailles la bague est en général un élément assez central.

Assis sur le canapé, Casey à ses côtés, ils regardaient distraitement la télévision. Un jour de repos bien mérité après leurs gardes respectives. Ils avaient réussi à se débrouiller pour qu'aujourd'hui ils soient tous les deux en repos, aucune raison spéciale ne justifiait ça pourtant. Disons que Tyler gardait un as dans manche sur ce coup-là. "J'ai vu qu'il y avait une bijouterie pas loin, j'me disais qu'on pourrait peut-être y faire un tour ?" proposa t-il soudain, l'air de rien. Sauf qu'évidemment, ce n'était pas une proposition en l'air, d'ailleurs ce n'était toujours pas sa véritable raison. "C'est pas loin de l'établissement où est ma mère... alors..." Fausse excuse. Parler de sa mère avait toujours été difficile. Peu de gens - voire personne - de son entourage ne l'avait vue ou ne serait-ce qu'entendu parler d'elle. Casey faisait partie des très rares personnes qui connaissait son histoire, du moins dans les grandes lignes. En y réfléchissant bien, il n'était pas vraiment certain de lui avoir déjà raconté son enfance ou l'évolution de la maladie de sa mère. Quoi qu'il en soit, ça restait un sujet sensible. Sujet qu'il était prêt à aborder avec celle qui deviendrait bientôt sa femme - mon dieu que ce terme paraît étrange. "Est-ce... Est-ce que tu veux rencontrer ma mère ?" A vrai dire il ne savait même pas quelle réponse il souhaitait entendre. Tout ça était nouveau, alors à ce stade, Tyler n'était plus sûr de rien.

Le début de l'année avait, finalement, été bien plus tranquille que le terme de la précédente. Après dix mois au bout du monde, son retour à Los Angeles avait été, le moins que l'on puisse dire, riche en rebondissements. L'apothéose étant bien sûr leur engagement réciproque et inattendu dans ce couloir d'hôtel. Est-ce que son nouveau statut de « fiancée » la perturbait ? Étrangement ... Absolument pas. Peut-être parce qu'à part cette brève promesse échangée, rien ne venait, en soi, le confirmer. Bien sûr, elle avait dû en parler à Sonja ; pour peu que son amie l'eut appris par quelqu'un d'autre, Casey n'aurait plus eu qu'à s'exiler de nouveau. Genre, en Papouasie. Ou dans les ruines du Macchu Picchu. Perspective qui n'était pas aussi terrible qu'elle en avait l'air, considérant les dizaines de messages de Trish qu'elle recevait quotidiennement ! Un coup, elle avait droit aux adorables photos de chérubins aux joues rebondies et souriant dans leur bave - grossesse confirmée, donc. L'autre, à la dernière photo d'une quelconque instagrammeuse sur la dernière robe de mariée hyper tendance, ma chériiiiiie, tu dois l'essayer. Tout un programme. Du stalkage en règle à la Patricia Cooper. Qu'elle subissait d'ailleurs ce jour-là, cette fois sous la forme d'un article sur les dangers des couches jetables, alors que Tyler et elle comataient tranquillement sur le canapé. Elle retenait un soupir las quand la voix de son compagnon la tira des élucubrations de Trish : "J'ai vu qu'il y avait une bijouterie pas loin, j'me disais qu'on pourrait peut-être y faire un tour ?" Un haussement de sourcils perplexe lui répondit. « Ah ? » Et elle ne fut pas loin de lui demander « pour quoi faire ? ». Ravala les syllabes juste à temps, alors qu'elle comprenait soudainement le sens de sa question. Fiançailles. Bijouterie. Bague, probablement ? Ils devaient faire ça, alors ? L'anneau en platine et le caillou dessus ? Bon, pourquoi pas, après tout ! L'idée ne la dérangeait pas plus que ça. Toutefois, le côté instantané de la demande la prit au dépourvu. Quoi que ... Pas autant que le reste. La maison de santé de la mère de Tyler était tout près. Et il voulait savoir si l'interne voulait la rencontrer. Elle se redressa afin de le regarder, supposant qu'affalée sur lui n'était pas la meilleure position, au vu du sérieux de la conversation. « Est-ce que toi, tu veux, plutôt ? » interrogea-t-elle à son tour, le plus gentiment possible. Le sujet était extrêmement sensible pour lui, elle en avait conscience. La dernière chose qu'elle voulait, c'était le brusquer - dans le cas où, avec elle, il pourrait encore l'être. « Si oui, alors ... Bien sûr, j'en serais ravie ! » Ou pas. Du peu qu'elle en savait, même avant de tomber malade, la génitrice de son futur n'était pas exactement un modèle d'équilibre. Enfin, on l'aura compris, Casey était prête à peu près n'importe quoi pour Tyler. Alors rencontrer sa belle-mère ? L'équivalent du minimum syndical.

Tout ça était nouveau pour lui, alors forcément il se posait des questions et voulait faire au mieux. Et puisqu'il avait rencontré les parents de Casey, qu'elle rencontre sa mère paraissait plutôt évident. En plus, s'il y avait une personne à qui il voulait présenter sa mère, qui d'autre que Casey ? Elle était la seule à qui il en avait vraiment parlé, et c'était la seule à qui il aurait envie de se confier. Même si se confier c'était loin d'être son genre. « Est-ce que toi, tu veux, plutôt ? » En connaissant son enfance et les situations dans lesquelles sa mère l'avait mis au fil des ans, et en se basant sur les rares informations que Tyler laissait échapper parfois, on pouvait croire qu'il détestait sa mère, qu'il en avait honte et qu'il préférait la cacher et la rayer de sa vie. Pourtant c'était loin d'être le cas. Malgré tout elle restait sa maman, et il allait la voir assez régulièrement, même si ses visites ne se passaient pas toujours bien. « Ok, bah je me rase et on y va ? » proposa t-il alors. « Elle déteste quand j'ai un peu de barbe. » expliqua t-il alors. « Oh et ne porte pas de noir. La dernière fois que je me suis pointé avec un tee-shirt noir elle m'a demandé si j'étais la Faucheuse venu avancer la date de son enterrement, et elle a eu une crise. » Oui, Marlen Griffith c'était tout un numéro, et ça ne s'arrangeait pas, loin de là. Même Tyler devait marcher sur des oeufs avec elle, et un rien pouvait la faire décoller. Mais elle avait aussi ses bons jours, et comme les dernières fois où il été allé la voir tout s'était super bien passé, ça devait être le moment où jamais. Après un passage par la salle de bain, Tyler revint vêtu d'un jean, d'un tee-shirt blanc et d'une veste kaki, et surtout rasé de près. « Désolé, je suis un peu stressé. Ma mère est... compliquée. Et j'ai envie que tu la rencontres bien sûr mais... mais elle est compliquée. On sait jamais à quoi s'attendre avec elle. Donc je comprendrais totalement que tu veuilles pas finalement... » Tout devrait bien se passer. Tyler angoissait sûrement pour rien. Sa mère adorait les mariages. C'était aussi pour ça qu'elle s'était mariée cinq fois - et fiancée deux fois en plus de ça. Il n'y avait pas d'inquiétude à avoir, Tyler s'angoissait pour rien.

« Ok, bah je me rase et on y va ? » Casey faillit acquiescer par réflexe, avant de finalement hausser un sourcil. Se raser ? Pour quoi faire ? Ils étaient en repos, aucun risque que ses poils de barbe servent de conducteur à un brasier quelconque. L'explication qu'il lui donna suffit à l'éclairer. Cette fois, elle hocha la tête. « C'est noté ! Pas de noir, rien qui rappelle l'heure qui tourne ou la phobie de la mort ! » répliqua-t-elle au conseil de Tyler, retenant à grand-peine un sourire. Et aussi la réflexion que le blanc pourrait aussi bien lui rappeler le lapin blanc d'Alice, la robe du cavalier de l'Apocalypse, ou allez savoir quel autre mythe qui pourrait titiller la maladie de sa « belle-mère ». Grosse ambiance. Emboîtant le pas à son compagnon, elle se changea à son tour dans sa chambre - l'ancienne, où ses affaires traînaient encore un peu partout -, délaissant son débardeur trop grand et son short pour un jean et un tee-shirt vert pâle - paraissait-il que cette couleur était apaisante. Contrairement au rouge, qui aurait probablement été un peu violent à la vue. Pas de bijoux, aucun logo excentrique ... Bref, Trish aurait fait un malaise devant tant de sobriété.

Quand ils se retrouvèrent dans le salon, elle avait déjà ses clefs en main, tandis qu'il arborait ces traits contrits qu'elle lui connaissait bien. Signe, chez le pompier, d'un malaise. « Désolé, je suis un peu stressé. Ma mère est... compliquée. Et j'ai envie que tu la rencontres bien sûr mais... mais elle est compliquée. On sait jamais à quoi s'attendre avec elle. Donc je comprendrais totalement que tu veuilles pas finalement... » « Parce que c'est compliqué ? J'adore tout ce qui est compliqué, tu te souviens ? » répondit-elle en souriant, œillade complice à l'appui. Ils en étaient la preuve, non ? Contrairement à lui, elle semblait aborder la rencontre avec une certaine sérénité. Mais après tout, ce n'était pas sa mère à elle. « T'en fais pas pour moi, bébé. » Nouveau haussement de sourcils, un brin provocateur. Au moins, elle essayait de détendre l'atmosphère qu'elle sentait chargée d'angoisse par anticipation. Il valait mieux qu'il se relaxe un peu, s'il ne voulait pas précipiter un quelconque mauvais moment pour cette rencontre. D'un geste tendre, elle posa ses mains sur ses joues fraichement rasées. « Ça va bien se passer, d'accord ? » Même s'il ne s'agissait là que d'un vœu pieux, on ne pouvait pas lui reprocher son optimisme.

Evidemment que Tyler n'était pas rassuré. Sa mère était... spéciale. Et un rien pouvait la faire basculer. C'était de pire en pire. Mais la perspective de lui annoncer ses fiançailles devrait la réjouir, elle qui adorait les mariages ! Alors il n'avait pas à s'inquiéter. D'autant plus que Casey n'était pas du genre fragile, il pouvait compter sur elle et vice-versa. Et elle était confiante. C'était tout ce dont il avait besoin. Il se calma au contact des mains de la jeune femme sur son visage. Oui, tout se passerait bien. Alors ils se mirent en route. Tyler s'était détendu, bien qu'il ai toujours une certaine appréhension. Mais peut-être que c'était simplement dû au fait de présenter une femme - sa fiancée qui plus est ! - à sa mère, et vice-versa. Chose qu'il n'avait jamais fait. Jamais il n'avait ramené de fille chez lui pour la présenter à sa mère et son beau-père du moment. Enfin le problème c'était pas vraiment de ramener une fille dans sa famille de tarés, c'est que bon... Tyler et les relations sérieuses... Enfin bref, c'était du passé tout ça.

Ils ne mirent pas bien longtemps avant d'arriver devant l'établissement. Rien qu'à l'allure du bâtiment, on pouvait voir que ce n'était pas donné. Pas que le bâtiment était fait de marbre et d'or ! Mais rien qu'à voir les infrastructures, les mesures de sécurité et compagnie... Ils avaient mis le paquet. Tyler se présenta à l'accueil où une femme à l'allure oscillant bizarrement entre Molly Weasley et Susan Boyle était absorbée par son écran d'ordinateur. « Bonjour Darla ! » lança Tyler dans un sourire. "Tyler ! Ça commençait à faire dis moi !" « J'ai été un peu occupé ces derniers temps. » "Mais je vois ça ! C'est une belle jeune femme que tu nous amènes là dis moi ! Comment vous vous appelez ma jolie ?" demanda affectueusement Darla avant de décrocher son téléphone pour prévenir de la visite. "Marlen va bientôt arriver. Vous pouvez l'attendre dans la salle." Tyler la remercia avant d'entrer dans la salle des visites. Certains patients pouvaient recevoir leurs invités dans leurs chambres ou dans les salles communes, d'autres... au potentiel plus "dangereux" étaient contraints de rester dans la salle de visite, plus sécurisée. « Je suppose que c'est pas ta première fois dans ce genre d'endroit ? » lâcha Tyler. A la fois pour faire référence à son passé d'infirmière, mais aussi parce que Casey était un peu folle à sa manière... Evidemment qu'il la taquinait, après tout c'est ce qu'ils faisaient toujours ! Sauf que cette fois les taquineries n'allaient pas pouvoir continuer bien longtemps puisque Marlen arrivait déjà. Tyler se leva et alla à sa rencontre. « Salut Maman! » "Tu en as mis du temps à venir me rendre visite ! Tu as l'air tout pâle, tu as arrêté de te nourrir ? Je te l'ai déjà dit, faire des grèves de la faim ça ne rime à rien !" « T'en fais pas, je vais bien ! » "T'en a pas l'air, et je vis dans un asile. Je sais à quoi ressemble des gens qui n'ont pas l'air bien !" Tyler ne put s'empêcher de lâcher un petit rire. Mais il fallait qu'il coupe court à ce genre de conversation sans queue ni tête, parce qu'avec elle, ça pouvait durer longtemps comme ça. « Viens, on va aller s'asseoir. J'ai quelqu'un à te présenter. » Il la conduisit alors vers la table où Casey était installée. « Casey je te présente ma mère, Marlen Alcott. Maman, je te présente Casey Griffith, ma... » Il n'eut pas le temps de rajouter quoi que ce soit que Marlen lui coupa la parole. "Mignonne. Un peu chétive. C'est vous qui incitez mon fils à ne pas se nourrir ?" « Mam- » "Et si tu allais chercher de quoi manger au distributeur mon chéri ? Les femmes discutent." Visiblement, Marlen Alcott était en forme aujourd'hui. Tyler lança un regard anxieux à Casey. Après tout, si elle ne se le sentait pas, il ne la laisserait pas seule avec sa mère. Même si c'était l'histoire de deux minutes à tout casser.

Finalement, le trajet fut moins oppressant qu'elle ne l'avait craint. Certainement parce qu'outre ses paroles rassurantes précédant leur départ, elle avait passé la moitié du chemin à chanter - faux - avec la radio et à se trémousser sur son siège. Tyler fut probablement presque soulagé d'arriver, vu le concert qu'elle lui avait imposé. Il eut néanmoins le bon goût de ne pas - trop - se plaindre et de toute façon, sa chique fut coupée comme par magie alors qu'ils arrivaient devant la clinique. Casey ne chercha pas à retenir un sifflement impressionné. « Et bah dis donc ! On m'aurait jamais embauché, dans ce genre d'endroits ! » En tant que remplaçante, l'ex-infirmière avait fait un petite paquet d'établissements autour de L.A. et autant dire qu'ils rutilaient vachement moins que celui-là. Ses blouses à cupcakes auraient été, disons ... Mal vues.

« Casey. Ravie, Darla. » avait-elle répondu, souriante, à l'agente d'accueil. Son regard détaillait le vaste hall, accrochant chaque détail inutile. Une façon comme une autre de faire taire son appréhension, laquelle s'était réveillée à peine avaient-ils franchi les portes sécurisées du bâtiment. Elle allait ... Rencontrer sa belle-mère. Désormais, elle comprenait mieux ce que ses petits copains ressentaient à l'idée d'en faire de même avec son père. Et encore, Christopher n'était atteint d'aucune pathologie mentale, lui ! Bien que confiante en ses compétences, elle savait que l'affect qui s'y jouait pourrait lui faire commettre une erreur, peut-être délétère. Pourtant, quand Tyler et Marlen la rejoignirent à la table où on les avait installés, elle paraissait tout à fait décontractée. Elle se leva afin de les accueillir mais retint toutefois de rire face aux piques brutes de Madame Alcott. Elle doutait que le pompier trouva les remarques de sa mère réellement drôles. "Mignonne. Un peu chétive. C'est vous qui incitez mon fils à ne pas se nourrir ?" Que répondre à ça ? Rien était la meilleure tactique. Elle se contenta de continuer à sourire bêtement. Il était envisageable que la femme l'ignore tout du long et, honnêtement, elle ne le prendrait pas mal. Avec une pathologie pareille, difficile de le prendre personnellement. Sauf qu'un instant plus tard, Marlen congédiait son fils. Elle capta l’œillade inquisitrice de Tyler et haussa les sourcils. « Oui, si tu allais chercher de quoi te remplumer, hm ? » Profitant que Marlen regardait vers son fils, elle appuya sa question d'un clin d’œil. Signe qu'elle maîtrisait parfaitement la situation. Au poil, même. " Je plaisantais. On dirait bien qu'il a pris du muscle, mon petit. Il est encore plus beau, je ne pensais pas que c'était possible. " reprit la femme, une fois son « petit » hors de portée de voix. Sur ce point, l'apprentie médecin ne pouvait qu'être d'accord avec elle. Tyler était beau, c'était un fait. « N'est-ce pas ? Maintenant, je sais de qui il tient. Je suis enchantée de vous rencontrer, Madame Alcott. Tyler m'a beaucoup parlé de vous. » Un rire secoua la patiente. " Vous aussi vous êtes belle, mais qu'est-ce que vous mentez mal ! Je suis sûre qu'il ne parle jamais de moi. Je dois lui faire honte, et c'est normal. Vous m'avez vu ? Ce genre d'endroit vous transforme en ombre de vous-même, vous savez ? Enfin, ce n'est pas le sujet ! Parlez-moi un peu de vous, Casey ! Et appellez-moi Marlen ! " Comme la dernière chose à faire était de rebondir sur la mélancolie, la demoiselle s'exécuta. D'où elle venait, ce que faisaient ses parents, où elle avait voyagé ... Des phrases courtes, ne manquaient que le CV à l'appui. " Belle et intelligente ! Je n'en espérais pas tant ! Mais dites-moi, Casey, combien de temps allez-vous rester, cette fois ? " Surprise par la question, l'interne fronça légèrement les sourcils. « Excusez-moi, je ... » " Mais si, vous comprenez très bien ! Les filles comme vous, ma jolie, elles ne tiennent pas en place ! C'est comme ça ! Et je ne voudrais pas que vous lui brisiez le cœur, vous comprenez ? Il a assez souffert, cet enfant. En grande partie à cause de moi. " Casey ne trouva rien à répondre. Ils étaient tombés dans un jour de lucidité absolue. Difficile à contrer. « Il vous aime, Marlen. » La femme soupira. " Je sais. Cet endroit en est la preuve. Aujourd'hui, je le sais. Peut-être plus dans deux minutes, profitez-en ! " Cette fois, elles rirent en chœur. « Je vous ai dit ce que vous vouliez savoir, à votre tour ! Comment vous vous sentez ici ? » Finalement, elle n'avait pas perdu tous ses réflexes de soignante, dans ce genre de situation. Attentive, elle écouta Marlen lui parler de sa voisine de chambrée qui, elle en était sûre, piquait les cachets de celui du bout du couloir, quand les infirmiers avaient le dos tourné. Quand Tyler revint, elles en étaient à discuter des coucheries du personnel. " Et Maximo assure qu'il a surpris le chef de service en train de ... Ah, te voilà enfin ! Tu en as mis du temps ! " Casey leva à son tour le menton vers le jeune homme, le rassurant d'un léger sourire. Tout se passait bien. Pour l'instant.

Tyler n'était pas particulièrement rassuré à l'idée de laisser Marlen et Casey seules. Tellement de choses pouvaient mal se passer ! Et il n'avait pas franchement envie de voir toutes sortes d'anecdotes à son sujet révélées à l'une ou l'autre... Mais il n'eut pas vraiment d'autre choix que de s'en aller vers le distributeur, sous les encouragements déguisés de sa petite-amie... enfin non, fiancée. Toujours étrange à dire. Il quitta donc la pièce, se planta devant le distributeur qui visiblement avait décidé qu'aujourd'hui c'était le bon jour pour tomber en panne, il avait alors du demander à Darla s'il pouvait sortir acheter à manger et ramener la nourriture à l'intérieur, elle s'était esclaffé en lui rappelant toutes les fois où il avait acheté de la nourriture à emporter et qu'il l'avait mangé avec sa mère. Il préférait toujours demander au cas où. Il était donc sorti du bâtiment et était entré dans la petite épicerie à deux pas de là, il avait attrapé deux ou trois bricoles avant que le caissier lui montre un panneau qui disait "On ne prends que les cartes bleues" et un autre où il était écrit "CB $15 minimum". Il avait ressenti une forte envie de casser la gueule de cet arnaqueur de première mais c'était franchement pas le moment de s'attirer des emmerdes, surtout pour si peu. Alors il avait simplement refait le tour du magasin, achetant tout ce qu'il fallait pour que ça lui coûte $15.37. Enfin, il était retourné au bâtiment, il était repassé devant Darla puis était retourné dans la pièce où sa mère et Casey riaient à gorge déployée. Il ignorait cependant si c'était bon ou mauvais signe.

« J'ai... comme qui dirait, eu des problèmes techniques, mais j'ai pu rapporter pas mal de trucs alors servez-vous ! » répondit-il en retournant s'asseoir auprès des deux femmes de sa vie, posant un sac au centre de la table. « Vous avez l'air de bien vous entendre... est-ce que je dois m'inquiéter ? » lança t-il alors, se risquant à esquisser un petit sourire. Il n'était pas vraiment inquiet cela dit. Qu'est-ce que sa mère pouvait bien raconter d’embarrassant à son sujet ? Elle avait beau avoir été présente physiquement durant son enfance, elle n'en restait pas moins absente. Toujours avec ses conquêtes ou complètement déchirée, les deux à la fois. Il n'était pas certain d'avoir plus de trois photos de lui étant petit... Alors non, pas de photo de bébé Tyler, tout nu en train de courir dans le jardin ! Mais bon, il s'était remis de ça. C'était un trait de son passé qu'il avait arrêté de ruminer depuis longtemps. De toute façon, ce qui est fait est fait alors... « En tout cas ça tombe bien que vous vous entendiez parce que... » Il s'interrompit dans sa phrase, juste le temps de lancer un regard à Casey comme pour y chercher un encouragement de plus. Est-ce que c'était vraiment le bon moment pour faire cette annonce ? Ils venaient à peine d'arriver ! Bon de toute façon c'était trop tard, il était déjà lancé. Et puis c'était sûrement mieux de l'annoncer maintenant, comme ça ils pourraient passer le reste du temps à célébrer au lieu de parler de la pluie et du beau temps. « Casey et moi on va se marier. On est fiancés ! » lança t-il finalement. Le morceau était enfin lâché. Il serrait la main de Casey - quand l'avait-il attrapé ? aucune idée - et il regardait sa mère, guettant sa réaction. Marlen restait étrangement calme. Ou du moins c'est l'impression qu'elle donnait. Il ne la vit pas arriver. Une claque monumentale, comme il en avait reçu des centaines de sa mère, la plupart du temps sans aucune raison, comme là. "Non." C'est le seul mot qu'elle avait prononcé. Tyler avait perdu son sourire, sa main avait quitté celle de Casey, mais il restait impassible. Il avait l'habitude. « Si maman. On va se marier. » répéta t-il d'un ton calme alors que Marlen semblait perdre pied. "Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?! Ça ne t'as pas suffit de me voir souffrir toutes ces années ? Comment tu peux me faire ça ? Comment tu peux te faire ça ! Le mariage ? Non. Non. NON. Tu n'épouseras pas cette fille." Elle criait, elle pleurait. Il aurait du s'y attendre. Il aurait du savoir. « Ce n'est pas à toi de faire ce choix maman. » Tyler tentait de garder son calme, mais ça commençait à devenir de plus en plus compliqué. "C'est toi ! C'est ta faute ! Espèce de sale petite garce ! Tu veux le faire souffrir, faire souffrir mon garçon ! Je-" « Arrête ! Ça suffit ! Calme toi où ils vont devoir te remettre en cellule. » Mais Marlen n'écoutait pas, ou n'entendait pas. Elle était déjà partie. "ÇA VA LE TUER ! ELLE VEUT TUER MON BÉBÉ ! C'EST SA FAUTE !" criait-elle alors que Tyler la tenait contre lui pour l'empêcher de donner des coups dans tous les sens, pour la tenir immobile pendant que les infirmiers lui faisaient une petite piqûre pour la tranquilliser. Il lâcha Marlen et les infirmiers l'emmenèrent. Tyler resta debout, parfaitement immobile, pour ce qui lui sembla être une éternité avant de finalement se retourner et attraper ses affaires. « Je vais démarrer la voiture. » lança t-il froidement avant de sortir de la pièce, ignorant le regard désolé de Darla. Un regard qu'il connaissait par coeur.

A quel moment avait-elle cessé de respirer ? Probablement à partir du moment où la mine de Tyler s'était faite presque solennel, soit quand elle avait compris qu'il s'apprêtait à annoncer la « grande nouvelle ». Elle avait serré ses doigts entre les siens, partagée entre une légitime appréhension et l'envie de l'encourager. Ah ! Et de le faire taire, aussi. Ça puait la mauvaise idée, cette affaire. Elle avait suffisamment croisé de patients atteints du même genre de maladie que Marlen pour savoir que c'était quitte ou double. Soit elle le prenait bien, soit la nouvelle serait le catalyseur d'une crise.

Deuxième option, donc.

A peine la gifle eut-elle claquée que la jeune femme était debout. Moins par orgueil mal placé que par réflexe de soignante. La contention devait survenir immédiatement après le premier éclat : c'était ce qu'on lui avait appris et c'était ainsi que ça se déroulait toujours. Cependant, Tyler, tout aussi prompt, fut plus rapide qu'elle. L'espace d'un battement de cœur, il s'était déjà emparé de la silhouette menue de sa mère. L'apprentie médecin, elle, se faisait spectatrice de cette scène terrible. Impuissante. Elle n'avait guère de place là-dedans, surtout dès l'instant où les infirmiers débarquèrent afin d'envoyer Marlen au pays des songes. « Je vais démarrer la voiture. » Elle ne put que le suivre du regard, alors qu'ils emmenaient la patiente et que lui se dirigeait vers la sortie. « Vous prendrez bien un petit thé, mon chou ? » s'enquit gentiment Darla. Le pompier avait bien besoin de cinq minutes de tranquillité. Forçant un sourire, elle acquiesça et suivit l'infirmière jusqu'à la petite salle de repos où l'eau déjà chaude les attendait. « Ne le prenez pas pour vous, ma petite. Vous savez, avec ce genre de maladies ... » « Je sais. J'ai été infirmière en gériatrie. » la coupa doucement la brune tout en lorgnant le liquide dans sa tasse. « Mais c'est différent quand c'est sa famille, n'est-ce pas ? » Elle hocha la tête. « C'est toujours différent, quand c'est sa famille. » Parce que Marlen en ferait bientôt partie, comme Tyler était un bout de la sienne depuis un moment déjà. Cette évidence la frappa, mais plutôt que de faire naître un regain d'angoisse, cette pensée lui parut ... Naturelle. Darla vint lui tapoter la main, ses traits affichant une sérénité déconcertante. « Vous verrez, tout ira bien. » Pourvu que l'avenir lui donne raison !

Un peu plus de cinq minutes plus tard, Casey sortait à son tour de la clinique. Elle retrouva Tyler dans la voiture, se glissant sur le siège passager. Un silence s'installa. Qu'avait-il besoin d'entendre ? Ou même envie ? Qu'elle était navrée pour lui ? Qu'il méritait mieux ? Non, mauvaise idée. « Ils l'ont reconduite dans sa chambre. Elle se repose. » Ses doigts, dont elle ne savait que faire, effleurèrent le tableau de bord. Finalement, elle lâcha un soupir. « Pizza ? » Quoi ? Ça, ça pouvait être une super idée ! Après tant d'émotions, rien de tels que des lipides et une tonne de sucre pour se remettre d'aplomb. Un pansement sur une plaie à vif, certes, mais mieux valait un bisou magique que rien du tout. Pour la guérison, seul le temps pouvait faire son œuvre.

Il avait besoin de prendre l'air. Pourquoi tout se passait toujours mal ? Il avait l'impression d'être un aimant à catastrophes. Rien ne pouvait juste bien se passer dans sa vie. Il fallait toujours qu'il y ait des problèmes, des complications, des accidents de voitures, des ex complètement tarés... Tyler avait juste besoin de quelques minutes pour souffler. Visiblement Casey le comprenait très bien et surtout le connaissait bien; puisqu'elle ne l'avait pas suivi. Une fois dehors il eut donc tout à loisir de profiter de l'air frais. Air frais qu'il ne mit pas longtemps à polluer avec une cigarette. Après avoir endommagé ses poumons pendant quelques minutes, il était allé dans la voiture. Ce qui était fait était fait. Sa mère était comme ça, il n'allait pas la refaire. La seule chose qui le rassurait c'est qu'il avait Casey. Il avait Casey et elle était parfaite pour lui, ils étaient parfaits l'un pour l'autre. Ils se comprenaient.

Casey le rejoint cinq minutes plus tard. Elle entra dans la voiture et lui donna quelques nouvelles de sa mère. Il savait très bien ce qu'il se passait quand elle faisait des crises. Elle en avait fait plus d'une en sa présence. Elle en avait aussi fait avant qu'il ne la fasse interner. Et ça n'était jamais facile. Parce qu'il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir coupable à chaque fois. Même s'il n'avait pas du tout à l'être. Casey lui proposa alors d'aller manger une pizza. Tyler se mit à sourire. Elle le connaissait si bien... « Je t'aime » dit-il simplement en se penchant vers elle pour l'embrasser. Il se mit alors à conduire. « C'est parti pour une pizza. » Après tout c'était pas nouveau, pour eux la nourriture était pratiquement une religion. Pourquoi est-ce que ça changerait maintenant ? Il n'y avait aucune raison de changer quoi que ce soit. Tout allait bien.