Coup de bluff (Thyles #6)

Je crois que ce qui amuse le plus Jules depuis qu’elle a commencé à cerner qui j’étais, c’est mon manque total de second degrés, étant donné qu’elle passe son temps à se foutre de moi et à user de cette méthode à mes dépends. Pour détendre l’atmosphère, jouer, contourner une situation ou encore me tester. Mais non, je n’apprends pas mieux depuis que je la connais. Je crois que c’est une situation vouée à l’échec chez moi, malgré le fait que je le déplore, quelque-chose ne fonctionne pas comme chez elle, chez moi et ça donne une confusion totale dans tout ce que je peux rencontrer.
Ceci dit, c’est un bon exercice, social, avant toute chose. Mais pour être tout à fait honnête, c’est épuisant, parce que je m’efforce d’être à la hauteur, me posant sérieusement la question de ce qui pourrait être « réparé » chez moi.
Toujours aussi sérieuse, je lui demande si elle a des dossiers contre elle, qui pourraient lui poser soucis plus tard. En somme, des cadavres dans le placard. « Dans le coffre seulement. D’ailleurs faudrait qu’on aille les enterrer. Tu en es ? T’es plus à ça près, si ? » Je tourne la tête vers l’arrière, dans un réflexe. Elle pourrait me faire gober n’importe quoi avec son jeu d’actrice à toute épreuve ! « Je blague, y’a rien dans mon coffre. » Pff, à quel moment elle a trouvé ça drôle ? Je suis un peu à fleur de peau, et puis pour tout avouer, je suis crevée. Mais capable de résister à bien plus. Je ne peux simplement m’empêcher de tout prendre pour moi, au sérieux, je ne sais pas me détendre, elle a sans doute diablement raison. « Non j’ai pas spécialement de trucs à cacher. Rien de très répréhensible. J’ai dealé un peu quand j’étais plus jeune, puis après je me suis barrée en voyage. » « Tu es partie où ? Les lois sont peut-être différentes là-bas. Il pourrait en user de ça aussi. » Il est extrêmement vicieux et payé pour ça, très bien payé même. L’appât du gain est sans limite chez ces gens-là et je me méfie de son jusqu’auboutisme comme de la peste. « Et maintenant, à part que je hacke un peu y’a rien de fou à mon activité. » Je garde le silence, j’analyse, réfléchis. Je suis en boucle et là-haut ça turbine à dix mille à l’heure. « Désolée si l’idée que je sois un peu une bad girl t’excitait. Je viens de casser le mythe. » Si je dois avouer que l’idée de la bad girl me plaisait, ce n’est pas le sujet que je souhaiterais isoler là, tout de suite. « Tu as approché de près ou de loin un site du gouvernement ? Une base de donnée ou quoi que ce soit dans le milieu bancaire ? » En boucle ? Câblée différemment ? Je sais, oui, c’est même pour ça que je l’insupporte. Mais c’est aussi pour ça que je suis efficace, non ?

Je suis parfaitement consciente qu’en me voyant les gens font rapidement des conclusions sur moi. C’est vrai j’ai un passé de rebelle, je n’ai pas de problème à être hors des conventions, mais en revanche je respecte la loi au maximum. Certes je flirte avec l’illégalité mais c’est toujours pour des petits trucs impossibles à prouver. C’est mon boulot de fouiner, trouver des infos que d’autres n’ont pas pu avoir et parfois ça nécessite de franchir quelques limites. Je ne fais jamais de tort à quiconque, pas directement en tout cas. Car ce que font mes clients des infos récupérées ça ne me regarde pas. Les seules casseroles que je peux avoir viennent de mon passé de petite dealeuse sans envergures, juste celle qui faisait pousser un peu d’herbe avec son mec et vendait dans le quartier pour arrondir les fins de mois. Rien de bien méchant et j’ai toujours été hors des écrans radar. Après quoi je suis partie en voyage autour du monde, la journaliste s’empresse de me demander si j’ai fait des conneries pendant cette période « J’ai juste voyagé, rien d’illégale. Vraiment. » je sais qu’elle veut juste me prévenir, mais c’est quand même un peu lourd son rôle de lanceuse d’alerte… clairement j’aimerais pas avoir sa vie si c’est ça son quotidien. J’essaie de la rassurer au mieux, je ne fais rien de mal, je ne suis pas une bad girl tant pis pour le fantasme. Je parle de mes activités sur le net, pas toujours dans les clous en ce qui concerne la loi et immédiatement Thylo rebondit par une salve de questions. Je soupire « De un je ne suis pas complètement folle, de deux je crois pas avoir les compétences pour ça et trois arrêtes ça. » j’apprécie qu’elle s’inquiète pour moi, mais si c’est elle qui pense à deux cent à l’heure c’est moi qui vais avoir mal à la tête.
Je me gare devant chez la journaliste. Elle se retourne au moins trois fois sur la distance séparant ma voiture de sa porte d’entrée. Ça doit être épuisant d’être elle au point que je me sens plutôt compatissante à son égard. A cet instant je regrette même de l’avoir entrainé là dedans, j’aurais dû me débrouiller, donner de l’argent à Jason pour ces infos et m’en tenir là. « C’est bon tu peux redescendre le niveau d’alerte. » lui dis-je une fois la porte refermée. Qu’est-ce que je fous chez elle d’ailleurs ? Je devais juste la déposer et puis j’ai suivi le mouvement. Elle me met les nerfs à vif avec sa nervosité mais à la fois je me vois pas la laisser comme ça. Même si c’est presque son état normal. Quoi elle est vraiment entrain de rallumer son ordinateur ? Elle veut faire des recherches ? Ça m’étonnerait même pas ! Je m’interpose entre la blonde et la machine « Déconnectes, ok ? » c’est difficile pour elle, je le sais mais elle pas en état de se pousser à bout, en tout cas pas tant que je suis là. Mais en bonne binaire qu’elle est, j’ai l’impression de parler à une machine, un truc inerte alors qu’il y a un humain là dedans, je l’ai déjà rencontré. « Thylo, arrêtes, merde ! » j’ai haussé le ton pour capter son attention, posant une main sur sa joue pour la forcer à me regarder dans les yeux « Je vais bien et il va rien m’arriver. » je sens le contre-argument arriver et anticipe « Il va rien s’passer. Rien. » ça tient presque d’une tentative d’hypnose ce que je fais. Et je ne sais pas quelle idée me passe par la tête, je crois même pas que je réfléchisse mais en un quart de seconde mes lèvres se retrouvent contre les siennes. Avec un peu de chance ça va avoir grillé ses circuits et ça lui donnera autre chose à ruminer que l’Eglise et tout le reste. Je recule et répète « Rien du tout. » je fais un pas en arrière puis un autre « Et je vais y aller. Reposes toi, ok ? » y’a pas que ses circuits que j’ai fait disjoncter. Mais qu’est-ce que je fous ?

« J’ai juste voyagé, rien d’illégale. Vraiment. » Je l’entends. Elle n’a rien fait d’illégal, il faut chercher ailleurs et ne laisser aucune place au doute. Ça paraît difficile à comprendre pour elle, mais pour moi, c’est histoire de quotidien. Je m’y suis faite, j’ai fini par construire ma vie autour de la méfiance, autour de l’Eglise et de cette façon bien rodée de faire attention à tout, tout le temps. A chaque instant. Ça peut paraître fastidieux, épuisant, mais c’est un rythme de vie que j’ai fini par adopter, sans doute un peu malgré moi.
« De un je ne suis pas complètement folle, de deux je crois pas avoir les compétences pour ça et trois arrêtes ça. » Je fronce les sourcils, comme un gamin boudeur qui serait contraint de contrecarrer ses plans sous peine d’être puni. Je suis pourtant persuadée que les capacités, elle les a. Jules est redoutablement intelligente, malgré ce qu’elle peut dire, avec un peu d’entrainement, bien sûr qu’elle serait capable de ce genre de choses. Son point fort, c’est l’adaptabilité. Un caméléon.
Elle me ramène jusqu’à chez moi et même mieux, m’escorte jusqu’à l’intérieur, même si le temps que je peux prendre pour déverrouiller les 6 points de sécurité de ma porte blindée peut paraître démesuré. « C’est bon tu peux redescendre le niveau d’alerte. » Elle a raison, je suis en sécurité chez moi maintenant. Outre le fait qu’elle ne mesure pas le danger qu’elle court, je crois que je me laisse gagner par la panique et ça n’augure forcément rien de bon.
Par réflexe, je cherche à allumer mon ordinateur, pour surveiller mes sources, ce que je peux voir bouger sur la toile concernant les protagonistes que je surveille. J’ai des plans pour chacun et surtout pour tous les cas de figure. Je sais où chercher. Les mouvements bancaires, les traceurs GPS, la surveillance de l’IP, tout ça… Mais ça n’est visiblement pas du goût de Jules qui me barre le chemin. « Déconnectes, ok ? » Je lui lance un regard, je pense qu’elle a simplement compris que je ne pouvais pas laisser tomber tout de suite mais aussi que je suis totalement impossible à raisonner sans me buter à un interdit. Je me lève néanmoins pour rattraper mon ordinateur, dans l’idée de le poser sur le comptoir de la cuisine. « Thylo, arrêtes, merde ! » Je me stoppe net. Elle vient de hausser le ton ? Je ne m’y attendais pas et il faut dire que je ne suis pas habituée à ce qu’elle le fasse. Qu’elle m’envoie balader oui, pourquoi pas, qu’elle se moque de moi, aussi, mais crier ? Non. Sa main se pose sur ma joue et obtient toute mon attention. J’ai du mal avec le contact, quel qu’il soit, physique j’entends. Mais je ne tressaille pas au sien. « Je vais bien et il va rien m’arriver. » J’ouvre la bouche pour la ramener, encore. « Il va rien s’passer. Rien. » Et pour appuyer ses propos, elle s’approche, encore un peu, et m’embrasse… Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de geste. Pour autant, je n’accuse pas de mouvement de recul, je ferme les yeux, au même titre qu’elle, me laissant apaiser par ce moment impromptu et surtout particulièrement imprévu. « Rien du tout. » Un pas en arrière et il en est fini de cette parenthèse presque souveraine. « Et je vais y aller. Reposes toi, ok ? » « OK… » Je la regarde, apaisée, mais incrédule. Je m’assieds sur le canapé. Triturant mes doigts les uns avec les autres. « Si tu veux rester regarder un film… » Je crois que les gens font comme ça. Je dois avouer que je n’ai pas pour habitude d’avoir des invités pour de telles futilités, mais Jules m’a fait comprendre que prendre un peu de recul permet de mieux repartir.

Je ne pouvais pas savoir que cette partie de poker mettrait Thylo dans tout ces états, et pourtant je me sens responsable. J’aurais dû me démerder toute seule ou trouver une autre option… sauf qu’elle était déjà mon dernier recours avant une défaite. Mais c’est inutile de ressasser, ce qui est fait est fait et maintenant je peux juste essayer de la calmer. J’ai bien dit essayer, parce qu’elle est tout sauf simple a raisonner, surtout sur ce sujet là j’en ai peur. La voyant s’agiter autour de son ordinateur je lui en barre l’accès, ce qui n’est pas d’une grand efficacité et le seul moyen d’avoir un semblant d’attention de sa part c’est de hausser le ton. L’effet est direct, la blonde me regarde enfin en ayant l’air de m’écouter. Je me montre à la fois convaincue et rassurante, tentant de lui faire imprimer que je ne risque rien, elle n’a pas à s’en faire pour moi. Et puis je suis grande, je sais gérer ma merde je n’ai pas attendu de la rencontrer pour le faire. Là je ne sais pas bien ce qui me passe par la tête, coup de folie ou éclair de génie, l’instinct ou l’envie, peu importe le résultat est le même. Je l’embrasse, pas longtemps, juste de quoi la couper de sa réalité au profit d’une autre, de shunter ses circuits. Thylo ne comprend pas plus que moi ces quelques secondes de flottement, je lui répète qu’il ne va rien se passer et déclare prendre congé comme ça sans plus de cérémonie. Après tout pourquoi en faire ? C’était quedal, juste un moyen de la calmer… le pire c’est que je crois bien que ça a marché. Je lui conseille de se reposer, ça me paraît être la meilleure chose à faire dans son cas, son état et au vu des circonstances. Elle manque clairement de sommeil et j’y suis pas pour rien, même si midi ne me paraissait pas être une heure indécente. Plus docile que précédemment la blonde semble prendre mon conseil au sérieux, elle s’installe même sur son canapé. Un dernier sourire et je tourne les talons en direction de la sortie, je me stoppe nette en l’entendant me proposer de rester pour regarder un film. Ok ça c’est une question piège. Elle demande ça par politesse ou par envie ? Difficile à dire. Elle me prend totalement de cours parce que je m’attendais plutôt à un « A la prochaine. » dit platement. Je me retourne pour la regarder à nouveau « Ça aurait été avec plaisir, mais j’ai des trucs à faire… » ce qui est vrai et présentement ça m’arrange bien. « Mais une prochaine fois peut-être. » lâché-je dans un haussement d’épaules décontracté avant de quitter le domicile de la journaliste.