Café frappé ft. Ohana Brown

Quel mouton. Oui bon le Starbucks c’était un peu sa drogue depuis qu’elle était rentrée de Hawaï, puis surtout c’était à côté de l’appartement. Habillée et prête à aller s’entraîner avec la fine équipe du cabaret, Ohana prenait la direction du café, le sourire aux lèvres, heureuse d’être de retour dans sa petite-famille et surtout de retrouver sa peluche vivante préférée. Il y avait déjà pas mal de monde dans les rues mais elle esquivait les passants avec grâce, non sans oublier de leur dire bonjour sur un ton enjoué auquel on lui répondait par grognements et mots insultants. Le monde du travail continuait de rendre salariés et autres bosseurs aimables avec leur entourage. Qu’est-ce qu’elle s’en foutait ? Elle n’allait pas se prendre la tête pour si peu.

La pile électrique qu’elle était ouvrit la porte du café et son sourire se fana aussitôt pour devenir une grimace d’enfant fâché. C’était quoi cette queue ? Elle pouvait à peine faire cinq pas qu’elle était déjà dedans. Elle poussa un soupir déçu mais se contenta de sortir son téléphone pour ouvrir un jeu au hasard, histoire de faire passer le temps. La demoiselle n’était pas pressée, vingt minutes la séparaient du début des instructions au sein du cabaret. Mais impossible d’être opérationnelle sans sa dose de caféine matinale. Ce fut enfin son tour, comme un élève qui récitait par cœur sa leçon, elle prit commande en un claquement de doigt, sortit la carte bancaire, donna son nom et se déplaça sur la gauche. Restait plus qu’à attendre sa boisson chaude.

Son nom fut prononcé et elle remercia la barista, inspira l’odeur sucré du latte et prit la direction de la sortie. Elle avait largement le temps de le déguster en marchant, quinze minutes la séparaient des instructions. Son téléphone vibra contre sa fesse droite lui faisant arquer un sourcil. Ses doigts fins et habiles s’en saisirent sans le moindre problème et son regard eut le malheur de dévier de la porte. Résultat, elle se la prit en plein nez et son café fut victime d’une chute mortelle. Brûlant. Chaud. Douloureux. Le coude contre le nez et le regard vissé sur ses chaussures et pantalon aspergés, elle crut bien perdre sa bonne humeur. Extraterrestre ? La langue ne lui disait rien. Ah de l’anglais. « Pas grave je commençais à avoir froid aux pieds. » plaisanta-t-elle pour chasser la mauvaise humeur naissante. « Va falloir éponger par contre, t’as pas été épargné. » Bon finalement, elle allait être en retard.

Est-ce qu’on pouvait rêver meilleur début de journée ? Franchement impossible. Ca commençait à être brûlant sur ses cuisses et ses chaussures, elle avait presque envie de partir en courant vers les toilettes pour se déshabiller et empêcher le pire. Mais elle n’avait pas de vêtements de rechange et le pauvre gars était dans la même situation. Elle secoua ses doigts pour chasser les derniers gouttes sur ses doigts. Fallait un peu nettoyer les dégâts, si quelqu’un venait à entrer, il risquait de glisser sur la flaque de café et se briser la nuque, toujours dans les excès Ohana mais on finissait par s’habituer, toujours. Elle eut tout de même le réflexe de se saisir de son téléphone pour prévenir sa patronne de son retard certain, expliqua brièvement l’incident même si elle était sûre de se faire taper sur le bout des doigts.

« Pourquoi pas, je dis pas non mais je te propose quand même d’essuyer les dégâts ? » rit-elle en s’éloignant des portes pour vider la réserve de serviettes en papier mise à disposition pour les clients. Sans attendre, elle s’accroupit pour lancer cette vague de papier sur la flaque brunâtre. Les serviettes s’abreuvèrent de ce breuvage brûlant et Ohana finit par en faire un tas pour le jeter à la poubelle. C’était déjà un peu mieux pour celui ou celle qui allait être de corvée pour nettoyer. « Voilà, on a limité les dégâts pour la prochaine personne qui sort ou qui entre. » D’un geste du menton, elle indiqua une table non loin du comptoir et remit tranquillement son sac sur son épaule. « Je te propose de nous asseoir pour éponger nos fringues et boire en sécurité notre café. »

C’était toujours plus amusant que patauger dans des fringues trempés à courir pour son boulot. Elle était déjà en retard de toute manière, en vraie Diva elle n’allait pas se presser pour limiter le problème. Puis il avait l’air sympa ce type, un peu paumé quand même, de quoi réveiller la curiosité de l’hawaïenne. Quoi ? C’était toujours sympa de faire connaissance en essuyant le café sur des vêtements et des chaussures ! Comment ça c’était pas commun ?

Elle était partie s’installer, l’esprit léger avec aucune envie de meurtre dans le crâne. Elle était trop cool pour être américaine Ohana, clairement, d’autres auraient déjà écrit des pavés sur twitter pour s’alarmer sur la stupidité de certaines personnes ou auraient braillé des insultes incompréhensibles. Bah, ça servait clairement à rien de réagir de la sorte, à part réveiller la moquerie chez les autres. Elle déposa son sac sur le siège à côté d’elle, fit craquer ses doigts et prévint uniquement une fille de son groupe, résumant brièvement la situation sans trop aller dans les détails. Elle mentit sur le fait qu’elle retournait à l’appartement pour se changer, aucune envie de le faire dans la vraie vie.

Le téléphone disparut dans la poche arrière de son pantalon et son regard étrangement trop calme se posa sur la silhouette du maladroit qui revenait avec leurs consommations. Derrière lui la serveuse aboyait sur un pauvre stagiaire pour que ce dernier nettoie les dégâts, quelle connasse cette femme. Ohana était prête à le remercier quand il fit une remarque sur la couleur du tissu qui s’accordait avec le caramel de sa peau. Un sourcil s’arqua sur son front et elle retint un rire en se mordant la lèvre. C’était adorable comme remarque n’empêche. Maladroit et surprenant, mais mignon quand même. « Merci » rit-elle. Il semblait gêné. Ah.

« Calme ça va aller ! » s’exclama-t-elle, buvant une gorgée de sa boisson dans un sourire. « Je me doute que t’es pas américain ? » Rien de méchant dans cette constatation, seulement un moyen d’aborder le sujet de la barrière de la langue qu’il semblait franchir avec difficulté mais courage quand même.

Ohana n’avait strictement rien contre les accents étrangers. Au contraire, c’était la première chose qui l’avait séduite chez Célia, certes l’histoire s’était mal terminée mais les souvenirs étaient si agréables, délicieux. Elle but une gorgée de son café pour oublier tout ça et glissa un coup d’œil amusé en direction de l’inconnu, il fallait peut-être qu’ils se présentent au bout d’un moment non ? Elle n’était pas douée avec les règles de politesse, peut-être pour ça qu’elle avait insulté son ancienne patronne en lui gueulant d’aller se faire… Ahem, oui la conversation. Fallait vraiment qu’elle apprenne à se concentrer, ça devenait de pire en pire.

« Ton accent. » répondit-elle simplement alors qu’il attaquait enfin son brownie. Elle n’était pas super fan de ce genre de sucrerie, parce que de un ça lui rappelait son nom de famille et parce qu’elle n’était pas une grande fan de chocolat. Tu t’égares. « Et le fait que tu mélanges les deux, c’est assez voyant mais pas dérangeant. On est dans un melting pot, il y a de toutes les nationalités ici, l’american dream. » Elle rit « Tu cherches à conquérir le peuple ? Tu visites peut-être ? » Elle s’intéressait à lui comme elle s’intéressait à toutes les personnes qu’elle croisait, pour elle toute personne était unique et avait quelque chose à lui apprendre.

Bon certes, elle ne voulait pas devenir une encyclopédie sur pattes mais quand même. D’un regard discret, elle tenta de déchiffrer le prénom de son interlocuteur mais réussit uniquement à se refiler une migraine à vouloir déchiffrer l’écriture. Alors elle se contenta de boire une gorgée de café et de tendre sa main par-dessus la table. « Ohana Brown enchantée, Mister… ? »

Elle l’avait perdu, elle le vit automatiquement à son froncement de sourcils. Elle avait donc affaires à un débutant dans la langue de Shakespeare et ce n’était pas son accent originaire du Bronx qui allait l’aider à comprendre. Elle avait tendance à mâcher ses mots comme la plupart des américains, changer la prononciation ou même la tonalité. Et puis les expressions n’étaient jamais les mêmes pour tout le monde, le fossé n’arrêtait pas de se creuser entre jeunes et anciens, là où les abréviations se faisaient nombreuses. Elle but une gorgée de café comme pour calmer son flot de paroles et lui offrit un sourire désolé.

Un étudiant en danse, son sourire s’élargit. Un compagnon dans ce beau sport. Certes elle ne faisait que danser sur des chaises ces derniers temps, mais elle continuait de s’exercer pour ne pas perdre en agilité et en prestance. C’était son gagne-pain depuis son adolescence la danse et même si elle avait tenté de s’en échapper en travaillant pour une agence de mannequinat, tout se faisait pour qu’elle vienne dans ce domaine. Ca ne lui déplaisait pas, c’était bien trop chiant d’avoir le cul vissé sur une chaise alors bon, on la payait pour divertir, hypnotiser, clairement c’était le pied. « Je suis danseuse et crois-moi dans ce domaine, tu peux conquérir tout le monde. » Elle lui offrit un clin d’œil et joua avec son gobelet.

Il lui serra la main et retint sans mal son nom, il fallait seulement qu’elle lui demande la prononciation exacte pour ne pas le vexer. Elle attrapa son téléphone et ouvrit la page des nouveaux contacts puis le fit glisser dans sa direction. « Tiens donne moi ton numéro. Je peux t’aider à ne pas te perdre dans la ville. » Elle fit attention à parler distinctement pour ne pas le perdre de nouveau. Elle avait été sauvée par ses amis présents dans la ville lors de son arrivée alors elle pouvait comprendre que de nouveaux contacts ne pouvaient être que bénéfiques pour Chulhei.