Zoom, focus and click ft. Julio Lambert

Malgré l'air froid et le vent sec qui se déchaînait sur la ville, le soleil avait décidé de pointer le bout de son nez à travers les nuages. D'une démarche tranquille, César arpentait les rues de L.A., zieutant de temps à autres les magasins autour de lui. Il venait de déposer un CV pour un travail dans une librairie standard, non-loin du centre. Bien sûr, il ne s'attendait pas forcément à une réponse positive, mais il avait la satisfaction d'avoir fait quelque chose de productif aujourd'hui. Lui qui, de sa vie universitaire, n'avait jamais réellement eu besoin de travailler, se retrouvait bien dans cette petite spirale du monde du travail. Ce n'était pas déplaisant et la sensation d'accomplissement était plutôt intéressante. Tout était nouveau pour le blond ; un poussin dans une cage à poules.

Le Gauthier s'arrêta l'espace d'un instant devant une animalerie. Un chien aux immenses yeux débordants d'affection regardait les passants, les coussinets de ses pattes collées à la vitrine. César se baissa, faisant à attention à ne pas perdre l'équilibre quand au poids de son sac sur ses épaules. Il n'y avait quasiment rien dedans, si ce n'est un roman acheté à la librairie où il allait, peut-être, dans un avenir proche, travailler. L'animal le suivit des yeux, guettant sans doute ce que cet humain allait faire. Car, il faut se l'avouer, l'homme avec un grand « h » est un mystère.

« Coucou toi, s'amusa César, songea un instant que le chien ne pouvait pas l'entendre derrière la vitre. Attends, bouge pas, je prends une photo. T'es beaucoup trop mignon ! »

Son téléphone en mains, il régla l'objectif pour prendre l'instant. Lorsqu'il inspecta son résultat, une profonde satisfaction l'envahie une nouvelle fois. Ce n'était, certes, pas digne de tous ces comptes tumblr ou instragram aux contours nets et précieux, mais elle était jolie, tout simplement. Il n'allait peut-être pas la poster, comme si c'était un cadeau personnel offert à lui-même. Il n'avait pas besoin d'exagérer sa vie et de la montrer. Alors autant profiter de ce moment.

Il lui sourit, continuant le contact visuel instance avec l'animal de compagnie. Oui, César était de bonne humeur et son amour pour la faune n'avait pas changé avec le voyage. Son chat devait sans doute être roulé en boule au bord de son lit, attendant le retour de son maître. Un petit pincement au cœur vint perturber le jeune homme. S'il avait pu, il l'aurait emmené, ce chat noir porte malheur que ses petit-cousins du côté de son père fuyaient comme la peste dès qu'ils venaient chez eux. C'était peut-être l'une des raisons pour laquelle ils étaient restés ensemble. Car César n'avait jamais réellement été comme les autres. Et maintenant, cela en devenait insupportable pour son esprit qui ne cesse de réfléchir.

Un bruit différent de celui de la foule détourna l'attention du poète. Cela ressemblait à une prise de photo. Définitivement pas ce qu'on entendait près d'une animalerie comme celle-ci, perdue dans le centre de la ville, sans lumières et paillettes. Il releva les yeux, cherchant le photographe présumé. Son regard bleu tomba alors sur une silhouette au visage familier. Si familier que César ouvrit de grands yeux en le remarquant : c'était son visage, similaire trait pour trait.

Cela n’était pas juste perturbant, César était réellement choqué de cette vision. Un garçon qui devait avoir à peu près son âge et une musculature beaucoup plus fine, se tenait devant lui. Un appareil photo en main, il lui rendait son regard, sans doute tout aussi ahuri que lui de voir son sosie se balader dans les rues d’une ville californienne. D’après les statistiques, chaque être humain possédait au moins un vis-à-vis dans le monde, mais avait une chance sur plus de sept milliard de la rencontrer un jour. Et pourtant, le blond semblait âtre chanceux. Enfin, si on pouvait vraiment parler en termes de destin et de bonne étoile.

S’humidifiant les lèvres, le Gauthier se demanda un instant s’il devait le rejoindre. Ils s’étaient vu, sans aucun doute et se serait sans doute déplacé de ne pas au moins aller le saluer. Oui, mais César était d’une nature douce ; devoir traverser un trottoir pour communiquer avec un individu n’était pas vraiment dans ses passions. Il savait qu’un bon nombre de personnes n’aurait pas hésité. Lui se questionna intérieurement, pesant le pour et le contre de cette rencontre. Il venait d’arriver, il était perdu sur le plan sentimental et sa journée c’était plutôt bien passée. Franchement, qu’est-ce qui le retenait ? Alors, d’un pas un peu timide mais droit, il se dirigea vers son synonyme, espérant que tout ce passe bien.

« Salut, essaya-t-il. Excuse-moi de t’aborder comme ça, mais tu ne trouves pas qu’on se ressemble ? Je sais, c’est bizarre de venir comme ça… »

Il détailla l’autre un instant. La ressemblance était frappante. Néanmoins, maintenant quelques détails lui apparaissaient : il était vraiment plus fin de visage, avait des grains de beauté que ne possédaient pas César et son regard semblait avoir bien plus vécu que le sien. Ils étaient à la fois similaires et différents, comme deux textes identiques mais réarrangés. Ils semblaient pourtant venir de deux mondes qui n’auraient pas dû se croiser. Dommage pour l’Univers, César avait décidé de modifier sa destiné le jour où il avait fait con coming out. Et il ne regrettait pas.

« …  Du coup, enchanté, je pense ! » finit-il enfin, avec un petit rire.

Cela semblait tellement irréalisable que tout mot paraissait inutile pour s’exprimer. Cette situation relevait de l’improbabilité existentielle. Pourtant elle se réalisait dans l’immédiat et face à cela, César était déboussolé. Il n’avait jamais aimé être pris au dépourvu, l’emprisonnant dans une sensation d’inconfort bien trop élevé pour son esprit. Cela ne devait que trop se ressentir dans sa manière de parler à cet inconnu-pas-si-inconnu. S’il pouvait tout abandonner ici, il le ferait. La Vie lui réservait bien trop de surprise à son goût. Sa détermination était remarquable pour certaine chose, même si elle l’abandonnait lorsqu’il lui demandait une aide en communications humaines. Mais la curiosité était trop forte et peut-être que ce personnage, si similaire à sa personne, aurait quelques réponses à ses questions.

Un coup de vent froid souleva ses mèches. Il les replaça derrière son oreille avant de reprendre contact avec son sosie. C’était un peu trop énorme pour qu’il laisse passer cette chance de faire une nouvelle rencontre. De plus, ce n’était pas n’importe laquelle. Ce garçon, César l’appréciait déjà et voulait en apprendre plus sur lui. Après tout, on ne rencontre pas sa chance unique sur plus de sept milliard tous les jours. Quoi que, maintenant, ils risquaient sans doute de se revoir pour le plus grand bonheur – il l’espérait – du jeune garçon.

Hartley. Comme Art ? Ce prénom, il l'avait déjà entendu. Cela perturba César encore un peu plus. Du bout des doigts, il frôla ses mèches de cheveux, se demandant bien de quoi parlait l'autre garçon. Il y en avait un autre comme eux ? Dans quoi il venait encore de s'embarquer ? Déjà, rencontrer un type aussi similaire le rendait nerveux, alors s'il existait un autre sosie, le Gauthier frôlerait la déconnexion totale. Le blond décida de fixer son pendant, les yeux grands ouverts sous la surprise. Il continua de parler, s'embrouillant avec une histoire de jumeau qui échappa légèrement à César. Son allocution était rapide, mettant la concentration du jeune homme à rude épreuve.

« Hum… Non, je ne suis pas Hartley, confirma doucement César. Et je ne pense pas non plus que nous soyons triplés. Sauf s'il s'avérait que votre famille soit d'origine française ! »

Il rigola légèrement, passant l'une de ses mèches derrière son oreille en regardant le sol. Aux dernières nouvelles, il n'avait pas de frères cachés et était le fils unique de ses parents. Cela l'étonnerait que sa mère ou son père se soit aventuré sur ce terrain-là. Ils en avaient des histoires et secrets de famille, mais César était au moins sûr d'une chose : ses parents s'aimaient et n'auraient jamais pratiqué un quelconque adultère avec qui que ce soit. Il ne faudrait pas encore plus le briser, cet amour fragile qu'il leur portait.

Julio Lambert. Donc, en plus de faire de la photographie, il était livreur. Deux métiers sans doute intéressants, bien loin des études littéraires de César. Lui toujours plus fourrer dans ses livres que sur un terrain de sport se voyait mal faire le tour de la ville en véhicule, monter des étages d'immeubles et parler à des gens, toute la journée. Une activité qui mettrait sa sociabilité en difficulté. La photographie devait aussi ouvrir une sorte de porte artistique, comme un regard sur les images perçues de la vie réelle. La littérature créait des images imaginaires tirées tout droit de l'esprit un peu farfelu d'une personne inspirée. Mais ces deux formes d'arts devaient être complémentaires.

« J'avais cru comprendre, pour la photographie, sourit le Gauthier en pointant l'appareil. Ravi de te rencontrer Julio ! »

C'est vrai qu'il était particulièrement content de faire la connaissance d'un jeune homme comme lui. Pas à cause de leur similitude physique, mais plus parce qu'il était intriguant, avec cette apparente panique dont il avait fait preuve un peu plus tôt. Une question apparut alors dans l'esprit de César. Il pencha la tête sur le côté, fixant dans les yeux son camarade.

« Mais dis-moi, pourquoi se « serait la merde » si on était effectivement triplés ? Ce Hartley est donc si... particulier ? »

César s'était souvent demandé qui était ce fameux Art avec qui l'enfant de cette jeune femme l'avait confondu. Vu le regard qu'on lui avait porté, il devait être important pour certaine personne. Et la réplique pressée de Julio quelques secondes plus tôt ne pouvait que le convaincre un peu plus de cela. Avec sa douceur habituelle, César sourit au jeune homme, essayant de ne pas s'imaginer des réponses particulières.