Après-midi au spa

Une soirée. Il aura fallu d'une simple soirée pour tout foutre en l'air. Un jeu à la con, une foutue révélation. Depuis le chaos de la veille, impossible pour moi de penser à autre chose. Cette histoire ne cesse de tourner en boucle dans mon esprit. J'ai besoin de faire une pause, de souffler un bon coup. Prendre du temps pour moi et me vider la tête. C'est devenu un besoin quasiment vital à ce niveau-là. Il est de toute évidence hors de question de rentrer à la maison tout de suite après les cours si c'est pour tomber nez à nez avec ma demi-soeur. C'est mieux comme ça, autant pour elle que pour moi. Il en est de même pour Wyatt. Je préfère continuer de rester distante avec eux pour le moment. Il va me falloir du temps pour encaisser la nouvelle. Et aujourd'hui, j'ai envie de penser à autre chose. A rien d'autre qu'à moi-même, juste pour une fois. Direction le spa pour un instant de détente privilégié. Là, tout de suite, c'est tout ce dont j'ai besoin. Profiter simplement de l'instant présent et de la chaleur de l'eau brûlante sur ma peau. Je cale ma respiration sur le bruit des bulles et en profite pour fermer les yeux quelques instants. J'ai l'impression de revivre et ça fait un bien fou. Mais c'est sans compter sur un événement extérieur imprévu qui vient tout balayer sur son passage. Le déclenchement de l'alarme incendie me fait sursauter et je me relève brusquement. « Évacuation d'urgence obligatoire, tout le monde doit quitter les lieux immédiatement. » Je dois être maudite, c'est pas possible autrement. Je laisse échapper un long soupir d'agacement avant d'ajouter un peu pour moi-même. « C'est une blague ? » Apparemment non justement. Je m'adresse finalement à la jeune fille d'à côté, comme pour essayer de trouver un peu de soutien. Après tout on est dans la même galère toutes les deux. « On doit sortir là, comme ça ? » Je désigne d'un geste de la main mon maillot de bain pour appuyer mes dires et secoue vivement la tête. Impossible que je sorte comme ça dehors. « Hors de quest... » Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que le personnel du spa débarque en trombe près du jacuzzi pour nous pousser à évacuer les lieux le plus vite possible. Je récupère miraculeusement au vol deux serviettes blanches qui traînaient par-là avant de suivre les autres vers l'issue de secours. Pas le temps de récupérer nos vêtements dans le vestiaire ni rien. « Tiens, j'ai réussi à nous prendre des serviettes. » Je lui souris timidement avant d'attacher la serviette autour de mon corps. C'est déjà ça de pris. Autant ne pas se retrouver en maillot de bain dans la rue à la vue de tous. Même si avec une simple serviette autour de la poitrine ce n'est pas encore la solution la plus idéale qui soit.

Non, ce n'est pas une blague. Et je ne pense pas que ce soit qu'un simple exercice de secours au vue de la panique qui règne brusquement sur les visages des esthéticiennes. Faut croire en tout cas qu'elles ne sont pas au courant. De toute façon, exercice d'entrainement ou pas, le résultat est le même. Tout le monde doit évacuer les lieux par les issues de secours indiquées. Voilà comment se retrouver à moitié nue dans la rue en une leçon. Une situation digne d'une bonne caméra cachée. « Merci beaucoup ! » La jeune femme s'enroule à son tour dans sa serviette avant de se présenter. « Joli réflexe, j’y ai même pas pensé... Moi c’est Brooke au fait. » Je lui adresse un large sourire avant d'ajouter. « Enchantée, Kezia. » Il est difficile de faire plus intime que la situation dans laquelle on se trouve alors autant savoir avec qui on est en train de partager cette galère. Nous nous décalons légèrement des autres pour prendre place sur un banc public non loin de là. « En tout cas, mon après-midi détente est ratée, moi qui avais bien besoin de souffler un peu… » On est deux. Tout comme moi, Brooke était venue dans l'espoir de faire une pause et de se détendre un peu. Mais de toute évidence c'est raté. « Bienvenue au club. » C'est toujours dans les moments où l'on en a le plus besoin que les emmerdes nous tombent dessus. Foutu coup du destin. « Tu viens souvent ici ? » Je me recroqueville encore un peu plus sur moi-même alors que tous les passants nous fixent du regard. C'est un peu comme si nous étions des bêtes de cirque,  leur attraction principale de l'après-midi. « Non, c'est la première fois. » Faut dire que je n'ai pas vraiment eu l'occasion de venir ici depuis mon retour en ville il y a quelques mois maintenant. « C'est pas vraiment commun comme contexte de rencontre. » Je laisse échapper un petit rire nerveux d'entre mes lèvres avant d'ajouter. « Je crois que je n'ai jamais vécu quelque chose d'aussi embarrassant. » Ce n'est pas le genre de situation qu'on vit tous les jours... et heureusement d'ailleurs. « C'est une grande première. » Une première dont je me souviendrais sans doute longtemps. « Je suppose que pour toi aussi ? » Un fin sourire se dessine sur mes lèvres. « A moins que tu sois du genre à t'exhiber volontairement dans la rue pendant ton temps libre. » Je tourne la situation à la dérision avant de pouffer de rire. « Enfin chacun son truc hein. » Autant en rire qu'en pleurer comme on dit. Et même si le moral n'est pas au beau fixe, il est important de toujours essayer de garder un brin de joie et de bonne humeur dans sa vie. C'est un peu ma marque de fabrique.

Toujours dans l'attente, nous en profitons pour entamer la discussion. Je ne peux m'empêcher de plaisanter face à la situation, le seul moyen qu'il me reste pour évacuer toutes ces foutues émotions. C'est peut-être une réaction nerveuse en soit, mais vaut mieux en rire qu'en pleurer comme on dit. « C’est vrai ! Qu’est ce que tu en sais ? C’est peut-être même moi qui est déclenché un feu dans les vestiaires pour pouvoir m’exhiber dans la rue ! » Mon rire se mélange au sien dans une complicité à la fois agréable et surprenante. « Je me disais aussi, t'avais pas l'air très nette comme fille. » Répliquais-je avant de pouffer une nouvelle fois de rire. J'ai l'impression de connaitre Brooke depuis déjà des années alors qu'elle était encore qu'une inconnue à mes yeux il y a de ça quelques minutes. C'est une sensation que je suis incapable d'expliquer, un feeling immédiat et naturel. Un peu comme une évidence. « J'aurais dû me méfier. » J'en rajoute une petite couche sans me faire prier. La taquinerie fait partie intégrante de mon caractère. Et même si c'est rare que je me dévoile de cette manière dès la première fois, je ne peux pas être plus moi-même que je ne le suis à cet instant. Mon attention est alors alertée par un soudain attroupement devant la sortie de secours. Apparemment il y a du mouvement. Je me relève et m'approche légèrement des autres pour entendre. « Pour des raisons de sécurité, l'institut vient d'être mis en quarantaine pour une durée indéterminée. Nous ne connaissons pas encore l'origine du signalement et nous ne pouvons prendre aucun risque. » Attends, ça veut dire quoi au juste ? Les questions fusent à l'égard du directeur de l'établissement et nous comprenons très vite que personne ne sera autorisé à rentrer de nouveau dans le bâtiment. Et ce pour une durée indéterminée. Je me tourne vers la jeune femme, une grimace figée au coin des lèvres. « De mieux en mieux. » Dans ma tête, ça ne fait qu'un tour. « On peut dire adieu à nos affaires... » Nos vêtements, nos effets personnels, tout. Bien sur, l'établissement nous les restituera une fois que toute cette histoire sera terminée. Mais en attendant, on ne peut pas se permettre de rester bloquée indéfiniment ici. Il va bien falloir qu'on rentre à un moment ou à un autre. Et m’imaginer devoir rentrer à pied ou en transport en commun en maillot de bain avec une simple serviette sur le dos est juste inconcevable. Même si on dit que le ridicule ne tue, non merci. Mais est-ce que nous avons vraiment le choix ? Il n'y a pas trente-six solutions envisageables dans une telle situation.

Je commence un peu à paniquer lorsque le gérant nous annonce la fermeture complète du bâtiment. Brooke, quant à elle, ne semble pas vraiment comprendre ce que cette annonce implique concrètement. Pas tout de suite en tout cas. Personne ne peut récupérer ses affaires. Ni elle ni moi, ni tous les autres d'ailleurs. On se retrouve là, comme des cons, sans trop savoir quoi faire. Et d'un coup ça fait tilt. « Mon dieu ! Mais tu as raison, mon sac à main, mon portable, mes clés… Je n’ai plus rien. » Je n'ai rien du tout non plus. Pas d'argent, pas de téléphone, rien. Juste cette pauvre serviette de bain sur laquelle me raccrocher. « C'est la merde. » Et c'est peu de le dire. « Il reste plus qu’à faire du stop ! » Elle tente une petite blague pour détendre l'atmosphère, mais je ris jaune. Un mélange d'incompréhension et d'inquiétude s'empare des lieux alors que les esprits commencent même à s'échauffer un peu trop. Je peux comprendre la colère des autres mais s'énerver sur le gérant n'y changera pas grand chose. Il n'y est pour rien et ne fait que respecter les ordres de sécurité des pompiers. Je reste pendant quelques secondes un peu inerte, complètement dépassée par ce qui est en train de se passer sous mes yeux. C'est un peu irréel. « On ferait mieux de s’éloigner un peu du groupe. Je sens que ça va mal finir… » Brooke m’entraîne alors par le bras pour nous mettre à l'écart. Elle a raison, il ne vaut mieux pas qu'on soit là si la situation dégénère. Il ne manquerait plus que ça. « Tu as une idée de comment on va pouvoir partir d'ici ?  » Je m’accroupis la tête entre les mains pour essayer de calmer un peu mes esprits. Je souffle un peu et essaye de réfléchir. Il faut impérativement trouver un moyen de nous sortir de ce pétrin. Bon ok, j'ai la chance de ne pas habiter seule. Il doit forcément avoir quelqu'un chez moi. Ma mère, mon beau-père ou ma demi-soeur. N'importe qui susceptible de pouvoir voler à notre secours. « Je pourrais éventuellement appeler quelqu'un pour venir nous chercher. » Trouver un téléphone n'est pas le plus compliqué en soit. Tous les passants de cette rue en ont forcément un. « Mais... » Mais encore faut-il se payer le cran de leur demander. Et surtout que quelqu'un ait la gentillesse de nous le prêter sans se poser de questions. C'est surtout ça aussi.

Vraiment, vous êtes sûrs qu'il n'y a pas de caméra cachée quelque part ? Parce que là franchement, on atteint des sommets. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Sinon ça ferait bien longtemps qu'on ne serait plus là pour en parler. « Il va falloir demander à quelqu’un maintenant. » Ce n'est pas comme si nous avions vraiment le choix. Bon ok, on respire un grand coup. Et surtout on évite de focaliser sur les petits détails sans importance. Non, c'est pas vrai, on est pas réellement pieds nus et en petite serviette. C'est juste une illusion d'optique, rien de plus. Brooke se lance la première et aborde une femme d'un certain âge. Cible à priori tout à fait en mesure de nous aider. Mais non, raté. La femme en question ne daigne même pas prendre le temps de s'arrêter. Faut croire que ce n'est pas la gentillesse qui doit l'étouffer à celle-là. « Génial, ça commence bien… » Sa première tentative est un échec. Mais en même temps, c'était un peu à prévoir. On doit passer pour des folles tout droit sorti de l'asile psychiatrique dans cette tenue là. « Je t’en choisis un et c’est ton tour ! » Allez, chacune son tour. Autant mettre toutes les chances de notre côté pour réussir notre mission. Et qui sait, j'aurais peut-être plus de chance qu'elle à ce petit jeu là. « Celui-là regarde. » Un jeune d'une vingtaine d'années. Merde, j'aurais peut-être préféré tomber sur quelqu'un de plus âgé. Sur une femme aussi. Là, ça me parait encore plus gênant. Imagine c'est un étudiant lui aussi, je ne vais plus savoir où me mettre si jamais je le recroise à l'université. « Non mais je vais me taper la honte. » Je secoue un peu la tête, essaye de me défiler mais Brooke me pousse à tenter le coup. « Allez je crois en toi, use de tes charmes ! » De quelles charmes on parle exactement ? Je m'approche finalement du jeune homme, le regard fuyant, jouant avec une mèche de cheveux en signe de mal être. « Excuse-moi de te demander ça comme ça, mais est-ce que je peux emprunter ton téléphone ? » J'esquisse un léger sourire gêné avant de faire un petit geste de la main pour montrer l'évidence du problème. « J'ai une petite urgence à régler. » Même si de toute évidence c'est sans doute la première chose qu'il a dû remarquer. Il me sourit et accepte d'un hochement de tête avant de me donner son téléphone portable. J'appelle à la maison et tombe sur ma mère que je supplie rapidement de venir nous chercher. Je lui demande aussi de nous ramener des affaires pour qu'on puisse se changer. « Merci, tu viens de me sauver la vie. » Je le remercie chaleureusement avant de revenir auprès de Brooke. « Ma mère va venir nous chercher, elle nous amène des affaires de rechange. » Il y a plus qu'à attendre maintenant.

Mission réussie. Je ne sais pas vraiment si c'est mon charme qui a fait son effet, mais en tout cas ça a marché et c'est là le plus important. « Bravo Kezia ! Tu es notre sauveuse ! » La jeune femme vient alors me prendre dans ses bras pour me remercier. Geste amical qui aurait pu me surprendre dans un autre contexte que celui-ci mais qui finalement ne me dérange absolument pas. Les emmerdes, faut croire que ça rapproche. Je sais pas pourquoi mais j'ai comme l'impression de la connaitre depuis des années. Le courant passe tellement bien entre nous que c'est un peu naturel. « Tu vis donc chez tes parents. Tu as raison, il faut en profiter au maximum. » Je grimace un peu avant de répondre. « Pas exactement, on vit chez la mère de mon beau-père. » Une situation qui se voulait temporaire au départ. Juste le temps de nous trouver un endroit où nous installer. Mais finalement les mois défilent et rien ne change. L'état de mon beau-père continue doucement de s'aggraver, et finalement c'est pas plus mal qu'on soit tous ensemble sous le même toit pour vivre les derniers moments. Nous n'avons pas le temps de poursuivre la conversation que ma mère est déjà là. Inquiète, elle se rue sur moi comme si j'étais une petite poupée fragile. Je laisse échapper un rire amusé d'entre mes lèvres avant de la rassurer et de lui dire que tout va bien. J'enfile rapidement les vêtements qu'elle nous a ramené alors que Brooke en fait de même. « J'espère que ça t'ira, mais c'est toujours mieux que rien. » Sur le trajet du retour, nous racontons nos péripéties à ma mère non sans une pointe d'ironie. C'est plus facile d'en rire maintenant que c'est terminé. A peine arrivées à la maison, un appel de l'institut nous indique que la mise en quarantaine est levée et que nous pouvons venir récupérer nos effets personnels à l'accueil de l'établissement. Génial, tout ça pour ça. Mais finalement tout est bien qui finit bien. Ce moment de gêne restera pour sûr dans nos mémoires. C'est ce genre de situation qui deviennent finalement de bonnes anecdotes à raconter.