« Dans quoi je m’engage… » Elle tapa son front contre le volant de sa voiture, manqua de tuer quelqu’un en appuyant accidentellement sur l’avertisseur sonore et s’excusa d’un large sourire. Elle se passa les mains dans les cheveux dans un sourire, sa gentillesse légendaire la perdra. Elle quitta la voiture en attrapant son sac et vérifia que la route était vide avant de traverser. Avec sa chance inexistante, elle pourrait se faire renverser par un vélo venant de nulle part. Sunny avait accepté de s’occuper de sa nièce, une petite tête rebelle qu’elle appréciait énormément d’ordinaire, mais cet après-midi, c’était différent. Pourquoi ? Parce que les devoirs, elle avait toujours détesté ça et voilà qu’elle s’engageait à aider Maé à les faire. Elle n’était même pas sûre d’être d’une grande aide avec sa faculté à se concentrer moins de dix secondes et à utiliser son téléphone pour une misérable addition. Ce n’était pas l’exemple de la tête d’ampoule, au contraire, c’était plutôt celle qui avait payé l’intello de la classe pour obtenir de bonnes notes et ainsi éviter le courroux d’une mère soucieuse de son avenir.
Elle sonna et attendit qu’on vienne lui ouvrir en pianotant sur son téléphone. Elle avait pris son après-midi et comptait sur sa collègue pour réussir son travail. Certes ce n’était pas un cas désespéré, mais Sunny tenait un minimum à son poste, c’était bien payé, pas beaucoup d’horaires et surtout super bien placé. La porte s’ouvrit et la blonde détacha son regard de l’écran pour offrir un sourire à celle qui venait de lui ouvrir. « Hey Maé ! » Elle la prit dans ses bras et lui ébouriffa les cheveux, c’était drôle de la voir avec la crinière en pagaille, Sunny avait toujours huit ans dans sa tête et l’assumait le plus clair de son temps. « Prête pour tes devoirs ? » Parce qu’elle clairement non, elle avait limite envie de prendre ses jambes à son cou pour se rendre au café du coin, mais c’était une tante extraordinaire, elle ne pouvait lui faire faux bond comme ça.
Aujourd’hui, c’était devoirs. C’était souvent devoirs, de toutes façons, le collège n’étant pas forcément l’établissement le plus difficile, mais bien nécessaire pour savoir dans quel lycée elle allait aller. Et, fille d’avocat, fille de productrice, on attendait naturellement beaucoup de la petite chipie, qui mettait tout son cœur et toute sa volonté dans ces lignes sur le papier, une écriture qu’on lui disait bien souvent incroyablement belle, sa main faisant merveilles. Elle avait des lettres rondes, et bien formées, et il était impossible de ne pas réussir à la lire. C’était bien souvent sujet à moqueries de la part de ses amis, sujet à félicitations de la part de ses professeurs. Certes, ce n’était qu’une calligraphie, mais avec les pattes de mouches qui apparaissaient sur les copies rendues, la plupart du temps, ou les énormes fautes de grammaire ou d’orthographe qui se glissaient dans un texte à rendre, tous se pressaient pour lire Maé. Elle n’était peut-être pas la meilleure, et avait peut-être laissé ses notes chuter quelques peu depuis qu’elle avait le béguin sur Madame McHalway, mais au moins, elle était plaisante à lire. Sans doute un atout majeur, considérant qu’une fois l’écriture acquise, il était apparemment très difficile d’en changer – et Maé soupçonnait fortement les médecins, propices aux écritures de cochon, de compter sur ce fait pour ne faire aucun effort –. Mais là n’était pas l’important. Elle ne faisait même pas un devoir littéraire, c’était pour dire…
Non, là, c’était mathématique. Quelque chose qui n’était absolument pas inconnu de la jeune Lewis, mais qui restait une matière difficile pour son petit cerveau obnubilé par une femme bien trop vieille pour elle, par une carrière d’actrice qui lui faisait de l’œil, et par des découvertes sur son corps, l’amour, et plus encore. Elle était une adolescente, une jeune, qui plus était. Elle découvrait les mystères de la vie, non sans un charme naturellement cocasse et coquin, et un esprit taquin et fourbe. Elle n’était pas chipie pour rien. Mais toutes ces découvertes, ainsi que les chiffres et les lettres des multiples équations ne semblaient que lui poser problèmes sur problèmes, tandis qu’elle regardait l’heure de son portable. Parce qu’aujourd’hui, elle était peut-être coincée dans du boulot qu’elle aurait aimé ne pas avoir, mais elle avait aussi la chance – ou malchance, allez savoir – de recevoir l’aide de Tatie Sunny. Une adulte qui allait la surveiller, l’une de ses deux tantes préférées – c’était facile, elle n’en avait que deux –, qu’elle aimait du plus profond de son cœur, et adorait. Après tout, c’était toujours plus facile de s’amuser à faire la folle avec celle-ci qui avait un esprit enfantin dans un corps d’adulte, qu’avec Tata Théna, qui avait une mentalité plus mature, bien que les rires restaient présents. Mais pour le coup, elle se demandait si son autre tante n’était pas mieux placée pour l’aider dans les devoirs. Parce qu’elle connaissait Sunny. Et ce n’était pas la meilleure tête du monde. Oh, elle n’était pas idiote, loin de là, et son boulot de journaliste fascinait Maé. Mais elle n’avait jamais eu l’impression que les maths étaient sa tasse de thé. Mais bon. Mieux valait deux cerveaux qu’un seul, non ?
Lorsqu’elle entendit sa Tatie arriver, elle se précipita sur le pas de la porte pour lui ouvrir. Elle était dans un legging rose, et un t-shirt blanc, avec une citation disant « Queens are the best » en noir inscrite dessus. La voie dégagée, elle laissa sa tante la serrer dans ses bras, lui rendant son étreinte, tout en sentant ses cheveux blonds se faire décoiffer. Elle rit un peu, tout en lui répondant Tatie Sunny ! Je suis contente que tu sois là. avant de passer une main dans celle de sa Tatie adorée pour la tirer à l’intérieur. Prête, oui. Mais c’est sûr que je préférerais profiter du soleil… Enfin… Si on finit vite, on pourra oublier la paperasse, et aller prendre une glace ? lui demanda-t-elle, yeux de biches sur son visage, usant de ses charmes pour obtenir faveur. Chipie un jour, chipie toujours.
Tatie Sunny. Elle allait finir par lui interdire ce surnom, elle sentait déjà les rides se former dans son esprit, même si elle avait encore toute la vie devant elle. Mais Sunny était incapable de refuser quelque chose à sa nièce, c’était toujours plus fort qu’elle et c’était comme ça qu’elle se retrouvait à devoir faire des mathématiques alors qu’elle n’y connaissait rien. Elle se laissa traîner à l’intérieur, fit un geste d’adieu à sa liberté qu’elle retrouverait pourtant bien assez vite. Terminer tôt, elle était carrément utopiste. Terminer était déjà un exploit aux yeux de la blonde qui fixait déjà les cahiers avec une crainte non dissimulée. « Si on finit un jour… » Elle n’allait pas jusqu’à dire qu’elle était stupide, mais les matières scientifiques avaient été ses ennemies autant au collège qu’au lycée. Elle s’affala sur la table, déposa son sac à main sur le sol et se passa une main dans les cheveux. « T’aurais dû me demander de l’aide en grammaire. C’est toi qui vas devoir me faire cours là. » Un rire s’échappa de ses lèvres. La cadette des Lewis n’avait jamais été scolaire et ne souhaitait pas le devenir passée la vingtaine. Elle s’était toujours contentée du strict minimum, la moyenne lui avait toujours paru amplement suffisante. Sa mère n’avait jamais exigé un certain niveau de sa part, ses caprices avaient été toujours comblés avant que les larmes ne coulent. « T’aurais pu demander à Athéna ou même à ta maman, tu sais que j’étais pareil à ton âge ? En plus j’adore mon rôle de tante cool qui t’emmène à Disneyland. » Bon certes, elle ne l’avait pas encore fait, mais elle comptait le faire ! Un jour… Dans le dos d’Eden.
Sa tante adorée n’était définitivement pas très enchantée de se trouver là. Non pas parce qu’elle n’aimait pas sa nièce, mais parce que les maths, ça faisait fuir tout le monde. Elle aussi, apparemment. Elle rit doucement, Maé, en entendant la phrase « si on finit un jour… » parce qu’elle se rappelait qu’elle aussi pouvait penser ainsi, lorsque les matières scientifiques prenaient le dessus. Il fallait dire que dans l’esprit de la jeune Lewis, les mathématiques n’avaient pas la même place que le théâtre, que la littérature, etc. Elle ne comptait pas devenir mathémagicienne, elle ne comptait pas faire sa vie au gré des chiffres, ni même se trouver un travail dans l’ingénierie. Elle était bien loin d’une fille rêvant de changer le monde, d’apporter des modifications incroyables aux moteurs d’avions, ou d’automatiser divers aspects du quotidien. Non, elle, ce qui la passionnait était dans le cinéma, dans le théâtre, dans des endroits où la créativité était bien plus présente que les chiffres. EN effet, les seuls qu’elle risquait de voir étaient le numéro des pages et des actes. Pas de quoi en faire des exercices. Alors elle répondit T’es là, justement pour qu’on termine… et vite. Enfin, aussi vite que possible. Je veux ma glace, moi. Et des grands yeux de chat potté devant le visage de sa tatie, pour qu’elle flanche. Il fallait dire que Maé se savait chipie, jusqu’au bout des ongles, et mignonne. Pourquoi ne pas utiliser ces armes à bon escient, pour obtenir une douceur sucrée ? Ne serait-ce pas gâchis que de laisser ces crèmes glacées chez le marchand, qui n’avait aucune intention de les consommer ?
Elle sourit en entendant Sunny s’exclamer qu’elle allait devoir lui faire cours. Maé la regarda, un long regard, et un haussement de sourcil. Tu sais, t’avais peut-être des problèmes à mon âge, mais aujourd’hui, je suis sûre que c’est fini. Et puis, en grammaire, je suis forte. Telle tante, telle nièce ? Ce nouvel adage pourrait bien les faire sourire, alors qu’elles laissaient les cahiers s’ouvrir, et les devoirs apparaître. Des problèmes, des équations, des polynômes et des graphiques. Ce n’était absolument pas glamour, et déjà, le visage de la petite blonde pouvait blêmir… Si elle était mauvaise élève, elle aurait abandonné, pour aller s’amuser. Mais faire ceci, c’était la mort assurée. Sa mère lui en voudrait, son père lui en voudrait, et elle ne voulait pas les décevoir. Oui, mais tata Théna, elle est occupée avec son travail, et Maman n’est pas là, là. Et puis tu sais, t’es une chouette tatie ! qui m’emmène à Disneyland, et qui m’aide avec les maths. C’est cool, une tatie comme ça, non ? Elle rit doucement, et sortit son agenda pour voir les exercices à faire. Alors… le 10, le 12, le 13 et le 18. Elle les chercha dans son livre, qu’elle laissa bien en évidence pour que Sunny puisse voir, et ouvrit son cahier d’exercices, lequel était déjà garni de maths, de ratures, et de rouge, qu’elle utilisait lorsque les devoirs étaient corrigés en classe. C’est un nouveau chapitre, en plus… donc je peux même pas me servir des anciens… le premier exercice était sur un polynôme du second degré, lequel devait avoir une étude complète, avec dérivée, tableaux de signes, de variation, et graphe complet, sans oublier les solutions. Les questions suivantes de l’exercice dépendaient de la première, donc il était primordial de réussir l’étude. Et le polynôme n’avait rien de simple. Bonne chance.
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Lun 15 Avr - 15:57