C’est toujours pareil. Ça ne te lâche pas. Jamais. Ce serait trop simple. De laisser tomber. De te libérer. Ce serait trop beau. Jamais il ne voudra. Et quand en de rares moments tu le chasses. Il revient. Toujours. Incessant. Ton rythme cardiaque est sa source de vie, ton démon est dans tes pensées, et seule ta mort pourrait te libérer. Ou, au contraire, t’emmener dans les limbes et de ne plus jamais te permettre le repos ou le sourire. C’est toujours pareil. Chaque journée est la même. Ou presque. Tu sors du lit, t’as pas dormi, mais tu tiendras, car tu ne peux pas te laisser berner par le marchand de sable. Tu ne peux pas le laisser. Car ton sommeil, c’est sa plus grande force. Ton esprit est alors trop faible pour le combattre, et les cauchemars sévissent. Ton fantôme, ton démon, ton beau-père, maître de tes angoisses, de tes terreurs. Par tes yeux clos, il se faufile. Et par ton réveil, il t’écrase. Jamais il ne te lâche. Mais chaque moment a son intensité. TU peux lui survivre. Tu peux l’oublier. L’espace d’un instant. L’espace d’un moment. Sa main glacée sur ton cou ne te fait alors plus rien. Parce que tu le bats. Une fois sur cent. C’est toujours pareil. Tu le vois partout. Tu le sens près de toi. Tu l’entends dans ta tête. Et tu as froid. Car il est glacé, la Mort le tient. Car il représente ce que tu as fait. Tu l’as refroidi. Tu l’as tué. Et à jamais il t’en voudra. Et à jamais il te suivra. Et pour toujours tu auras froid. Et plus jamais tu ne verras quelqu’un d’autre. Presque ça. Parce qu’il t’arrive de discerner le vrai du faux. Parfois. Ou d’oublier les ténèbres. Parfois. Lorsqu’un visage prend assez d’ampleur. Lorsqu’une personne prend assez d’importance. Lorsque quelqu’un vient te libérer. Et en a les moyens. Alicia le fait fuir. Lucrezia le repousse. Qui d’autre aurait ce pouvoir ?
Il est là. Près de toi. Tu ne vis pas sans son aura. Tu ne penses pas sans sa présence. Tu ne peux jamais reculer. Tu ne peux jamais avancer. Il a détruit toute espérance. Il a détruit tout espoir. Même les psychiatres ne savent qu’en faire. Mais il est assurément à tes côtés. Il te promet la souffrance. Il t’enlève tout goût des choses. Et tu dois le noyer. T’en débarrasser pour une nuit. Te sauver pour un temps. Quelques heures te suffiraient. Juste quelques heures loin de tes frayeurs. Juste quelques heures sans que ton cœur ne manque de lâcher. Juste quelques heures de tranquillité. De bonheur, si tant est que ça existe. Juste quelques heures. Est-ce trop demander ? Il est là. Près de toi. Tandis que tu entres dans le bar. Bar réputé, bar bien famé, repaire lesbien, repaire de choix, apportant lot de liqueur, apportant lot de rencontres. Tu ne sais ce que tu désires le plus, la boisson, ou le frisson d’une main féminine touchant à ton corps. Ça fait tellement longtemps. Mais ton humeur est froide, bien trop souvent. Besoins inassouvis, regards sans grande chaleur, il n’en faut rarement pas plus, pour faire fuir les prétendantes. T’aimerais bien retrouver le contact du corps, mais la dernière personne à y avoir goûté ne mérite pas d’être plus tâchée encore. T’es pourrie, tu le resteras, autant laisser le pur aussi blanc que neige, autant laisser l’amante loin de sa déchéance. Il est là. Près de toi. Alors que tu commandes ta boisson. Tes boissons. Des shots. Tequila. De quoi détruire bien des cellules. De quoi noyer bien des cauchemars. De quoi noyer bien des démons. Il ne survivra pas cette nuit. Mais il est déjà mort. Il reviendra après. Il reviendra demain. Mais pour l’heure, il est temps. T’attaques. Et tu bois. Cul sec. Encore et encore. Tes idées noires sont floues. Et une voix t’arrête. Elle est douce, cette voix. Qu’est-ce qui t’arrives ? Tu l’entends parfaitement ? Alors ton démon est fini ? Peut-être bien que ce soir, t’es libre. Enfin. Excusez moi… Pouvez vous répéter ? je… n’ai pas entendu. Juste une voix. Mais ce soir, t’as besoin d’entendre autre chose que celle de ton démon. T’as besoin d’entendre autre chose que la Mort qui te colle au train. Et cette jeune fille a l’air de te vouloir du bien… Sans doute est-ce la peur de voir une personne enfiler autant de shot ? Quoique, tu n’en as pas pris tant que ça, il t’en reste encore. Mais en auras tu besoin ?
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Elle doit étudier, une fois de plus. Elle doit réviser, et une fois de plus ce n’est pas ce qu’elle fait, Blair. Parfois elle ne se comprend pas elle-même, parfois elle se demande ce qui cloche chez elle. Elle adore ses études, elle adore l’art, elle ne vit que pour cela. Son rêve est bien là, fixé dans son esprit. Son rêve bat dans son cœur. Elle veut rêver, elle veut vivre, elle veut être une artiste et avoir sa propre galerie. Pourtant, elle est là, Blair. Devant ce bar. Elle est là alors que Norah lui offre une seconde chance. Lorsqu’elle a perdu son appartement, son petit boulot, elle s’est demandée si elle allait seulement pouvoir continuer ses études. Si elle en serait capable, financièrement et psychologiquement. Mais elle a rencontré Norah, ou plutôt, elle a revu Norah. Norah, cette quinquagénaire au cœur d’or, qui, elle ne sait pourquoi, semble s’être prise d’affection pour elle. Elle lui offre un toit, une sécurité. Elle lui offre la possibilité de continuer, de vivre comme une étudiante normale, ce qu’elle n’a jamais totalement été au fond. Elle a cette chance, mais pourtant elle est là. Ce soir. Elle est là parce qu’une fois encore elle s’est laissée entraînée par ses amis. Elle est là parce qu’une fois encore son esprit est un peu trop dispersé. Et puis elle s’apprête à rentrer dans un bar lesbien, alors que bon sang, elle n’est pas lesbienne, non ? Elle n’est jamais sortie avec une femme. Mais, au vu de sa dernière histoire d’amour catastrophique, peut-être bien qu’elle devrait essayer ? Et puis, elle s’est déjà surprise plus d’une fois à regarder les courbes féminines. Mais elle est tellement perdue dans son esprit, dans sa vie, que ce n’est peut-être pas le bon soir pour essayer, certainement pas. Elle entre, elle entre quand même. Elle danse avec ses amies, avec des personnes qu’elle ne connaît pas, également. Et puis elle s’approche du comptoir du bar pour commander un verre. Et c’est là. C’est là qu’elle la voit, elle. C’est là que son regard s’arrête sur cette femme. Elle semble si perdue, si abîmée, si brisée. Elle est belle, magnifique même. Et peut-être que c’est sa douleur qui la rend si belle. Peut-être. Et lorsqu’elle la voit, et sans comprendre pourquoi, Blair ne peut pas simplement prendre son verre et détourner les talons. Pas devant une telle détresse. Un doux sourire aux lèvres, elle prend alors la parole en montrant le tabouret juste à côté du sien. Bonsoir, cette place est prise ? Mais la femme semble tellement ailleurs qu’elle n’entend même pas réellement sa question. Et puis, elle n’en est certainement pas à son premier verre. Certainement pas, non. La laisser boire ici toute seule serait un véritable crime. Son sourire s’accentue un peu plus à ses paroles, un sourire bienveillant. Je demandais si cette place était prise, savoir si je pouvais vous tenir compagnie… ? Elle ne sait pas véritablement ce qu’elle fait avec elle. A quoi elle joue. Peut-être même qu’elle n’a aucune envie d’être accompagnée ce soir, cette jolie brune. Mais voir son visage si malheureux, si effrayé, cela la touche plus qu’elle ne le devrait.
T’auras jamais plus de tranquillité qu’en cet instant. Parce qu’enfin, il est parti. Pour quelques heures seulement. Pour quelques temps seulement. Pour revenir plus fort. Pour t’étrangler encore. Pour te tuer encore. Pour te pourrir encore. Noire que tu es. Noire que tu te sens. T’as plus une once de pureté, seule la Mort te caresse la joue. Si seulement cette dernière ne renfermait pas le plus grand de tes malheurs, la plus grande de tes frayeurs… Alors peut-être te laisserais tu couler, sentant enfin le calme éternel. Mais non. Il a fallu que tu le tues. Idiote. Crétine. Comment as-tu pu ? pourquoi l’avoir fait ? Pour te libérer, pensais tu ? Pour te défendre, assurais tu ? mais cette simple action a détruit ta vie. Tu n’as plus de bonheur, tu n’as plus de joie. TU n’as plus le goût des choses, parce que tout est fade face à la Grande Faucheuse, face à ton beau-père, face à ce corps qui t’emmènes dans les abysses, dont tu ne sortiras jamais. Non. Tu n’as plus rien à faire sur cette Terre. Mais tu n’as que trop peur de passer à l’étape suivante. Tu te dois de lutter. Ou de devenir folle. De lutter. Ou de te perdre totalement. T’es déjà à mi-chemin. T’es déjà en train de te perdre. De te noyer dans ton esprit. De te noyer dans ce qu’il te reste de lucidité. De te noyer de téquila, pour tenter de survivre un peu plus longtemps, d’entendre et de sentir le monde autour de toi. Depuis combien de temps ne l’as-tu pas senti, d’ailleurs ? Depuis combien de temps es-tu perdue ? Tu ne le sais. Hormis quelques instants de calme, comme avec Alicia, comme avec Lucrezia, il n’y a rien. Plus rien. Plus rien qui ne te fasse vibrer. Plus rien qui ne te fasse sourire. T’es fade. Complètement fade. Complètement. T’as plus rien. Plus rien du tout. T’as même plus l’impression que l’alcool fonctionne. Jusqu’à elle. Jusqu’à cette voix. Cette voix que tu entends sans en comprendre les mots. Cette voix qui te répète la question. Est-ce elle qui l’a fait fuir ? Ou est-ce l’alcool ? Dans le doute, tu hoches la tête, un soupire, une parole pour l’accompagner. Oui vous pouvez vous y asseoir… Mais je ne suis pas sûre d’être de bonne compagnie. Un regard. Un regard éteint, face aux shots pris. T’en as encore, t’en proposes naturellement, l’un des petits verres tendu vers la blonde, les autres attirant ton regard un instant, avant que celui-ci ne se détourne, juste pour examiner celle qui ose pénétrer dans un espace aussi noir que le tien. Encore une qui va pourrir, si elle reste trop longtemps. Parce que t’es ainsi. T’es maudite. Tu détruis, sans le vouloir. Ce fantôme qui te tient compagnie a le don de saccager la vie des autres. T’as pas envie. T’as pas envie de la voir se noircir pour une once de bonté qu’elle a eu envers toi. Mais t’as pas non plus envie qu’elle parte. Parce que tu ne peux te faire à l’idée qu’elle est peut-être la raison qui l’a achevé, pour cette nuit. Parce que t’es égoïste. Une putain de connasse, qui accepte de pourrir une autre, pour un peu de lumière. T’es comme ça. Fatiguée de devoir lutter. Fatiguée de ce démon. Tu te contenteras d’un peu de son temps. A elle. A cette femme qui n’a aucune idée du danger qui rôde. Tu ne resteras pas assez longtemps pour la corrompre. Juste assez pour pouvoir profiter de sa radieuse lumière. De sa chaleur. De ce ressenti qu’elle apporte. Et de sa voix tellement plus douce que celle, rauque et morbide, de ton démon. Je m’appelle Cho. Et vous ? Fuis. Fuis, avant qu’il ne soit trop tard.
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Elle n’a jamais vu un tel vide. Blair. Elle n’a jamais vu un tel vide dans le regard de quelqu’un, que dans celui de cette femme. Elle n’a jamais vu une telle souffrance. Un tel désespoir. Ses yeux crient. Ses yeux appellent à l’aide. Pourquoi est-ce que c’est elle qui entend cet appel ? Elle qui est bien incapable d’aider qui que ce soit ? Elle n’en a aucune idée. Absolument aucune. Mais ce qu’elle sait en revanche, c’est qu’elle est bien incapable de l’ignorer. Elle est bien incapable d’ignorer cette voix, cette voix imaginaire qu’elle entend. Peut-être parce qu’elle la sent, cette noirceur. Peut-être parce qu’elle la sent, qui s’émane de cette jolie brune. Et peut-être parce qu’elle a peur, peur de la voir la dévorer, ce soir, juste sous ses yeux. Alors elle s’installe à ses côtés. Ses paroles ne l’étonnent pas grandement. Elle a bu, c’est une certitude, et c’est l’alcool triste qui se dégage d’elle. L’alcool triste, ou bien plus encore. Mais Blair n’a pas envie de prendre la fuite pour autant. Peut-être qu’elle le devrait. Peut-être que ce serait mieux pour elles, pour elles deux. Peut-être que cette jolie brune n’a pas besoin d’une Blair un peu trop instable dans sa vie. Peut-être que Blair n’a pas besoin de se laisser entraîner bien plus profond encore que ce qu’elle a déjà connu. Pourtant elle reste. Elle reste, elle esquisse un sourire tout en répondant. Ce n’est pas un problème. Elle se veut rassurante, elle se veut sûre d’elle. Après tout, c’est elle qui a décidé de la rejoindre. C’est elle qui a décidé de s’asseoir ici et nul par ailleurs. Ici, alors que cette femme, Cho, semble certainement être la plus triste du bar. C’est ici qu’elle s’installe, et pour une raison qui lui échappe encore, elle ne peut défaire son regard du sien. Je m’appelle Blair. Sa voix est douce. Comme bien souvent. Elle aurait presque l’air d’un soleil avec sa chevelure blonde, juste à côté d’elle. Pourtant il n’en est rien. La vérité, c’est que cette souffrance, elle l’a connue elle aussi. Bien trop jeune. Lorsqu’elle lui tend un shooter, Blair accepte volontiers. Elle en avale un avant de reprendre. Merci. Au fond, elle a certainement besoin de compagnie. Elle a certainement besoin de quelqu’un avec qui passer ses heures sombres. Sinon, jamais elle ne lui proposerait de boire avec elle. Alors elle attend quelques secondes, Blair. Juste assez pour lui laisser le temps de se faire à sa présence. Et puis avec légèreté, elle décide finalement de demander. Soirée difficile ? Elle en doute, au fond. Elle doute qu’une seule soirée suffise à la mettre dans un tel état. Elle doute qu’une seule soirée la rende si sombre. Mais c’est un début, un tout petit début pour entamer une discussion avec elle. Pour entamer ce quelque chose, ce quelque chose qui ne ressemble à rien d’autre. Et elle ne sait pas, elle ne sait pas pourquoi elle a tant envie de l’entamer, mais comme d’habitude, elle y va, les deux pieds en avant.
T’es une merde, une putain de connasse, égoïste et monstrueuse. Ton démon n’est peut-être plus là pour le moment, mais il va revenir. Il revient toujours. Et lorsqu’il sera là, cette femme en souffrira. Il faut qu’elle parte. Mais tu ne veux pas. Il faut qu’elle se sauve. Mais tu ne veux pas. Tu ne veux pas, parce que sa présence est peut-être un bon présage. TU ne veux pas, parce que tu es égoïste, incapable de sauver les autres. Tu les détruis. Il les détruit. Et les quelques personnes qui ont pu résister se comptent sur les doigts d’une main. Mère, Alicia, Lucrezia. Père aussi, mais il est moins proche. Mikeal aussi, mais il est moins proche. Cinq. Cinq personnes qui ont le pouvoir de résister. Cinq personnes, sur l’ensemble de la civilisation, sur l’ensemble de la cité des Anges. Juste cinq. Elle n’a aucune chance. Soleil qu’elle semble être, qui te dit que ce n’est pas grave si tu n’es pas de bonne compagnie, qui semble juste vouloir passer du temps avec toi, te remonter le moral. Elle n’a pas idée… Elle n’y parviendra pas. C’est impossible. C’est impossible, à moins de tuer définitivement ce monstre qui rôde autour de toi, qui attend une faille, qui attend la fin de la cuite, ou la fin de la conversation, pour revenir, pour t’attraper, pour t’entrainer vers le fond de tes pensées les plus noires. Pour continuer à te ravager, ou pour s’en prendre à elle. Elle qui ne sait pas ce qui l’attend. Elle qui marche, qui saute, même, dans un piège dont il faut qu’elle se libère. C’est comme la toile d’araignée. Elle y va, elle s’y colle, mais elle ne pourra plus repartir, et la bête la dévorera. La bête est toujours là pour un bon repas. La bête est toujours là pour tuer. C’est ce qui va lui arriver. Pas physiquement, mais mentalement. TU le sais, égoïste. Tu le sais, connasse. TU vas la détruire. Mais tu ne peux pas lui dire de fuir. Tu le lui souhaites, mais elle s’accroche, te révèle son nom, et prend le verre que tu lui tends. Blair. La prochaine victime de ton fantôme. Blair. Tu grimaces un peu, mais tu ne peux te montrer ni violente – pour la faire fuir –, ni honnête. Parce que tu veux la garder près de toi. Parce qu’elle est peut-être en train de le repousser. TU ne veux pas qu’il revienne tout de suite. Tu ne veux pas qu’il revienne maintenant. Alors qu’enfin, tu peux entendre le monde, et la voix douce de Blair. Alors qu’enfin tu peux voir le monde, et le visage souriant de Blair. Alors qu’enfin tu peux sentir le monde, et la bonté mal placée de Blair. Elle s’en sortirait tellement mieux si elle n’avait pas cette qualité. De rien. C’est… un joli prénom, Blair… Quelle origine ? Pourquoi parles-tu ? Pourquoi continues-tu la conversation ? Tu ne penses vraiment qu’à toi ! Tu pouvais la laisser parler dans le vide, jusqu’à ce qu’elle fuit et se sauve, et ce, sans que tu ne la fasses partir à coups de paroles trop méchantes, pour son bien, ou trop sincères, pour son bien. Mais non. TU parles. Tu continues. T’as besoin de savoir. De savoir si c’est elle. De savoir si elle chasse les ténèbres. Ou si c’est l’alcool. Et qu’elle n’a pas les outils pour se défendre. T’as besoin de savoir.
Et quand elle te demande si c’est une soirée difficile qui t’a conduite là, tu esquisse un sourire. Oui, c’est ça. Une soirée de plusieurs années… Une soirée de toute ta vie. Une soirée de toute ton existence. Parce que c’est comme ça. Certains naissent dans des familles fonctionnelles, d’autres, comme toi, finissent battues par un homme parce qu’il n’approuve pas, parce qu’il ne veut pas d’une homosexuelle dans sa famille. Certains ont la chance d’avoir des rêves, d’autres, comme toi, finissent avec un démon et des cauchemars, une difficulté à dormir, et une vie vide de sens, vide de tout. Certains ont des étoiles dans les yeux, et d’autres, comme toi, n’ont plus rien. Plus aucune lueur. Plus aucune étoile. Pourtant, t’as Alicia. T’as Mère, Père, les Zorsini, et Lucrezia. Mais ils ne peuvent pas battre éternellement cette âme qui s’engouffre en toi, ce démon qui vient poser ses mains gluantes sur ta gorge, ou qui vient serrer ton cœur jusqu’à ce que tu te réveilles en hurlant. Toujours en hurlant. Toujours les cauchemars. C’est pour ça que t’es là. Et toi ? Pourquoi est-elle là ? Pourquoi est-elle en train d’empiéter, inconsciente, sur tes ténèbres ? Pourquoi tient-elle à se détruire pour toi ? Pourquoi ?
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Elle est tombée sur elle, ce soir. Elle est tombée sur elle, et peut-être que ce n’est pas un hasard. Peut-être que c’est le signe du destin, le signe de quelque chose. Peut-être que cette femme aux allures ténébreuses va venir bousculer cette soirée vide de sens. Pourtant, une partie d’elle lui hurle de ne pas se mêler de ce qui ne la regarde pas. Une partie d’elle lui hurle de fuir. Une partie d’elle lui hurle que, quoi qu’il arrive, elle ne peut rien faire pour l’aider. Qu’une Blair dysfonctionnelle ne peut aider personne. C’est ce qu’elle ressent, c’est ce qu’elle a toujours ressenti. Mais pourtant cette femme, Cho, elle ne semble pas vouloir qu’elle parte. Peut-être parce qu’elle a besoin d’un peu de compagnie, peut-être parce qu’elle a besoin d’oublier. Oublier ce qu’elle ressent. Oublier ses souffrances. Elle sait ce que c’est, Blair. Elle est passée par là, elle aussi. Elle y est passée lorsqu’elle a fui le domicile familial. Elle a voulu oublier. Elle y est parvenue, tout du moins c’est l’illusion qu’elle donne. Une pensée qui revient immédiatement à elle lorsque sa nouvelle amie lui demande d’où vient son prénom. Le genre de chose dont elle n’a jamais pu discuter avec ses parents, en réalité. Un petit sourire apparaît sur son visage. - Et bien, je suis née ici. Alors j’imagine que c’est américain. Mais elle la regarde à son tour, et des origines, c’est certain qu’elle en a. Elle est d’ailleurs sublime, il faut bien l’avouer. - Et vous ? C’est une manière de commencer à en savoir plus sur elle. Une manière de lancer la conversation. Et lorsque Blair lui demande si elle a passé une soirée difficile, la réponse est sans appel. Ce n’est vraisemblablement pas la soirée qui est difficile mais bien toute sa vie. L’étudiante vient elle-même de traverser un enfer, alors elle comprend parfaitement les paroles de Cho. Avec Owen, cela a duré assez longtemps. Un calvaire qu’elle a pensé éternel. D’une petite voix, elle reprend finalement la parole, sans la lâcher du regard. - Est-ce que vous voulez en discuter… ? Parler. Oui, parler. Cela peut parfois faire du bien. Cela peut parfois soulager. Peut-être que si elle avait parlé lorsqu’il en était encore temps, elle ne serait pas si bousillée aujourd’hui, Blair. Et à la question suivante de Cho, elle se contente de répondre spontanément. - J’étais venue passer la soirée ici, et puis je t’ai vu. Et puis elle l’a vu. Et puis elle a été irrémédiablement attirée, sans comprendre pourquoi. Sans comprendre comment.
T’es qu’un monstre. Une horrible personne. Qu’est-ce que ça peut te foutre, qu’elle soit américaine, anglaise, italienne, ou tu-ne-sais-quoi ? pourquoi tu la laisses pas tranquille ? pourquoi tu la laisses pas s’envoler ? Pourquoi tu la gardes en cage, ce petit oiseau ? elle n’a pas à subir tes malheurs, elle n’a pas à subir tes horreurs, ni la malédiction qui rôde à tes pieds, qui s’empare de tout ce que tu vois, de tout ce que t’entends, de tout ce qu’il veut. Etre infâme, toujours présent. Repoussé, mais toujours là. Repoussé, mais à peine parti, un soupçon de mort dans le goût de ta boisson, et l’impression d’étouffer par sa puanteur exacerbante, que tu peux sentir. Que personne d’autre ne peut sentir. C’est un monstre rien que pour toi, et pourtant il influe sur le monde autour de toi. Et tu sais que ton histoire va la foutre dans un cocon de malheur, cette petite qui n’a pas à subir tant de choses, qui n’a pas à subir son courroux, et tes racontars les plus effrayants. Pourtant, elle s’accroche. Idiote ou inconsciente, elle s’accroche. Gentille et naïve, elle s’accroche. Elle te répond, elle sourit, elle assure être américaine, et penser que son prénom l’est aussi. Encore une qui n’a pas dû avoir la vie facile, pour ne pas savoir quelles sont ses origines. Tu vas vraiment lui faire ça ? Tu vas vraiment la forcer à entrer dans ton esprit, malgré toute la merde qui s’y trouve ? tu vas vraiment agir en cette pétasse qui détruit tout ce qu’elle touche, juste pour un peu de confort, un peu d’attention, et un peu d’amour ? T’aimerais pouvoir dire non. T’aimerais pouvoir la repousser. Mais elle te demande d’où vient ton prénom. Mais elle te demande d’où tu viens. Elle veut te connaître, l’inconsciente. Elle veut te comprendre, peu prudente. Et toi, tu réponds. Un sourire sur tes lippes, et un sentiment de pouvoir lui faire confiance, une impression qui rôde dans ton esprit, celle qu’elle pourra résister. Si seulement c’était vrai. Tu le sais, pourtant. C’est impossible. Elle va se consumer à t’entendre ainsi. Elle va se détruire, se brûler ses ailes d’anges, à rester près de l’infâme, près de la démoniaque. Mais tu reponds. C’est chinois. Ou vietnamien. J’avoue que je ne suis pas sûre. Mon père était les deux. ton père, il est surtout mort trop vite. Trop vite, et remplacé trop vite, aussi. Par un monstre qui t’a détruit, le même qui rôde au dessus de ton épaule, pestilence en son haleine, et terreur dans ses doigts qui viennent te faire frissonner, posée sur ta peau. Il sait que tu le sens, il sait qu’il est là, et il sait que l’alcool ne fera pas effet assez vite. Il sait comment te pourrir, et qu’à chaque fois que tu parles de toi, que tu parles de lui, il gagne en force, et te détruit l’esprit. Pourtant, tu te laisse avoir, idiote, petite conne. Tu te laisses avoir, quand Blair te demande si tu veux en parler. De cette soirée qui dure une vie, de cette vie qui dure une soirée. C’est pas que je ne veux pas… c’est que… c’est compliqué. Mais si tu y tiens… t’as pas honte. T’as juste mal. Alors tu te retournes, et laisse ton haut se soulever, ta peau, ton dos révélé, ainsi que toutes les marques, de fouet, d’horreur, cicatrices éternelles marquant ton univers. Un « cadeau » de mon beau-père. tu rebaisses le t-shirt, tandis que la main de ton monstre se referme sur ton cou, comme s’il voulait t’empêcher de parler. Qu’il aille au diable, t’as pas envie de tenir ta langue, peut-être à cause de l’alcool, peut-être à cause de la blonde. C’est pas comme à Los Angeles partout. On accepte pas forcément la différence ailleurs. Mais j’ai le sentiment que tu t’y connais dans le domaine… tu veux en parler, toi ? Parce que ça se voit. Le malheur, il se voit partout. Sur une femme comme toi, qui se noie dans l’alcool. Ou sur son visage qui reflète une dure réalité. Vous n’êtes que deux âmes esseulées, qui vous trouvez en compagnie d’une autre compréhensive. Peut-être qu’elle pourra lui résister, finalement. Peut-être.
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Mer 23 Jan - 18:44