wicked game. (loan)

La soirée a été longue à nouveau. L’ambiance est pesante depuis une semaine mais en même temps, ça se comprend. Stella est morte, elle n’a finalement pas survécu à l’accident de voiture. C’est vraiment triste y’a pas à dire. Je ne l’ai pas vraiment connue du moins pas longtemps mais c’est surtout à Loan que je pense. Parce qu’elle ne va pas bien du tout. Je ne l’ai jamais vu comme ça. Déjà depuis l’accident elle est assez lunatique, parfois triste, parfois en colère, parfois heureuse. Mais ce n’est rien comparée à l’ombre qui erre dans le Planet ces derniers jours. Elle n’a pas voulu s’arrêter et je peux la comprendre. Elle a besoin de se garder occupée pour ne pas trop penser. Sauf que l’alcool l’aide bien trop. Je sors de la douche, j’enfile mon pyjama et sans grande surprise en me rendant dans la salle pour tout éteindre, je la vois endormie ou plutôt avachie sur le canapé. Un bouteille à côté d’elle, quasiment vide mais je ne suis même pas certaine que ce soit la seule qu’elle ait descendue. Je débarrasse tout ce qui traîne avant de m’occuper de la blonde affalée là. ” Loan ? Il est minuit passé. “ Comme si ça pouvait la faire bouger cette simple indication… Je pousse ses jambes pour m’asseoir à côté d’elle. Je ne sais même pas ce que je souhaite finalement. Parce qu’il est hors de question qu’elle prenne la route dans cet état. Enfin je pourrai bien appeler un taxi mais que ses filles la voit comme ça, ça me paraît être une mauvaise idée. ” Tu comptes passer la nuit ici ? “ Elle grogne, je sais qu’elle m’entend. Mais elle a pas l’air franchement décidée à faire quoique ce soit. ” Loan ?! “ J’élève un peu la voix, je ne peux pas la laisser là. Si elle me fait un coma éthylique cette nuit je serai pas dans la merde.

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Je n’arrive pas à passer le cap, tout me pousse à digérer la nouvelle, mais même la cérémonie d’adieux, son cercueil qui s’enflamme, rien de tout ça ne m’aide à croire qu’elle n’est plus là, que je ne verrai plus son joli sourire, que je ne toucherai plus la douceur de sa main, que je n’étendrai plus sa voix, son rire, seulement dans mes pensées et mes souvenirs. Ce souvenir, il me hante un peu plus chaque jour, et si j’ai eu du mal à pleurer les premiers jours, je me lâche plus facilement maintenant. Mais c’est dur, c’est horriblement dur, et le seul moyen que j’ai trouvé pour dormir sans rêver d’elle, c’est de boire jusqu’à ce que mon corps soit assez lourd et que je n’ai plus la sensation de rien. Il me reste un semblant de conscience professionnelle qui me pousse à me planquer pour boire et ne pas sortir dans cet état, pour éviter notamment que cette fouine de Collins vienne me faire chier et me retire mon bar. Avec mes filles, c’est tout ce qu’il me reste.

Somnolant sur le canapé de mon bureau, je n’entends plus rien autour, tout est silencieux, même ma tête semble s’être calmée malgré la douleur lancinante, et je me laisse enfin aller à un sommeil qui me semblera plus réparateurs que d’autres, même si c’est un leurre. « Loan ? Il est minuit passé. » Je n’entends que vaguement la voix au loin qui tente de me tirer de mon sommeil mais je m’efforce de ne pas répondre pour rester bien confortablement dans les bras de Morphée. Pourtant, la personne qui s’adresse à moi semble vouloir communiquer, ou m’emmerder. Je sens mes jambes bouger et ma position devenir super désagréable, alors je grogne. En ce moment, c’est mon meilleur moyen d’expression, surtout après avoir avalé un demi litre de gin toute seule. « Tu comptes passer la nuit ici ? Loan ?! » Ça y est, elle m’a assez réveillée pour que je comprenne que c’est Nieves. Je grogne à nouveau. « Laisse-moi tranquille. » J’essaie de me réinstaller, espérant qu’elle va bouger mais non. Je soupire et m’efforce de me redresser puisque je n’ai même plus la place d’étendre mes jambes. On peut même plus être tranquille chez soi. « Quoi ? C’est parce que je dors dans ton lit ? T’as qu’a aller retrouver ta femme. Puisque t’en as une toi. De femme. » Je soupire et passe mes mains sur mon visage d’un air désespéré avant de tendre la main jusqu’à la bouteille pour en boire une gorgée. « Qu’est-ce que tu fais encore là à cette heure hum ? A part m’empêcher de dormir… » J’arrive à peine à parler, je suis pitoyable, mais je n’en ai pas conscience.

J'en ai connu des pochtrons qui restent affalés sur les chaises du bar, qui sont tellement bourrés qu'ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Mais là ce n'est pas n'importe qui, c'est Loan. Je ne peux simplement pas appeler un taxi et la mettre dedans en espérant qu'elle arrive entière à destination. Non, je ne peux pas. Mais la belle au bois dormant a décidé d'être dure à réveiller. Je ne me vois pas la secouer comme un prunier mais c'est ce qui lui pend au nez si elle ne se bouge pas maintenant. Ou si elle continue à grogner d'ailleurs. " Laisse-moi tranquille. " Je souris mais ne fais pas ce qu'elle me dit pour autant. Ca va j'ai passé l'ordre qu'on me donne des ordres, faut pas déconner. " Quoi ? C’est parce que je dors dans ton lit ? T’as qu’a aller retrouver ta femme. Puisque t’en as une toi. De femme. " Alors ça, ça pique. Je grimace, prends sur moi et souffle longuement pour ne pas lui en coller une. Elle n'est pas dans son état normal, elle ne sait pas ce qu'elle raconte, voilà tout. " Et toi t'as tes filles qui t'attendent. " J'essaye d'être la plus douce possible, qu'elle arrête ses conneries, mais non. Elle récupère une bouteille qui avait échappé à mon radar lorsque j'ai fait le ménage avant de la réveiller. "  Qu’est-ce que tu fais encore là à cette heure hum ? A part m’empêcher de dormir… " J'attrape la bouteille avant qu'elle n'en reprenne encore et la dépose plus loin. J'en profite pour récupérer deux tasses de café tenues au chaud et les ramener jusqu'à elle. " Je comptais dormir après avoir assuré la fin de la soirée. " Oui parce que dans l'idée, ce soir le bar était ouvert même si ça n'a pas semblé l'atteindre. Et je ne vais pas la blâmer pour ça, je lui explique juste. " Bois ça, ça suffit l'alcool pour ce soir. " Et avant qu'elle puisse répondre quoique ce soit je reprends. " Je suis pas ta mère ou quoi mais j'ai franchement pas envie de que tu dégueules sur mes affaires ou passer la nuit à l'hosto parce que ton foie aura lâché. Et ce n'est pas non plus dans mes projets d'annoncer à Joy, Rylee et Zoey que leur deuxième mère est entre la vie et la mort. Alors stop un peu là. " Et au pire je m’assiérais sur elle pour être certaine qu'elle ne cherche pas une autre bouteille. " Le café, hop. "

« Et toi t'as tes filles qui t’attendent. » Je fais une grimace d’enfant, parce que j’aime pas qu’on se prenne pour ma mère. La mienne m’a bien assez emmerdé pour avoir à recommencer à supporter ça. Je me doute bien que Nieves n’est pas là pour me faire chier, c’est une amie, mais merde, j’avais juste envie de dormir. J’ai déjà du mal à trouver le sommeil en ce moment… Nieves m’empêche de porter le goulot de la bouteille jusqu’à ma bouche et m’apporte à la place un café. Un café ? Sérieusement ? Mais ça va me servir à quoi ça ? « Je suis pas ta mère ou quoi mais j'ai franchement pas envie de que tu dégueules sur mes affaires ou passer la nuit à l'hosto parce que ton foie aura lâché. Et ce n'est pas non plus dans mes projets d'annoncer à Joy, Rylee et Zoey que leur deuxième mère est entre la vie et la mort. Alors stop un peu là. » Je fronce le nez dans une mimique à nouveau qui ne ressemble pas à quelqu’un de mon âge, mais après tout, je me suis jamais comporté comme quelqu’un de mon âge. « Mon foie va très bien il te remercie. Et même bourrée je dégueule pas ! » C’est presque vrai, ou alors faut que j’aille vraiment très loin, et là c’est pas le cas. Ces derniers temps, l’alcool m’aide surtout à déconnecter mon cerveau, c’est juste assez pour que je devienne un peu groggy, mais rien de bien méchant. Enfin, c’est ma vision des choses. « J’ai pas envie de rentrer. Ça me déprime de les voir toutes les trois essayer de me cacher qu’elles sont déprimées elles aussi. Je déteste leur regard sur moi, comme si je sais pas, comme si j’allais me suicider demain. Merde à la fin ! » Je crois que le vase est en train de déborder. « J’ai pas le droit de laisser un peu aller ma peine et ma colère ? J’vais pas devenir alcoolique, arrêtez tous avec ça là ! » Je repense à Clyde qui est venu me voir l’autre jour. « La meilleure mère entre nous deux c’était elle. Moi je sais pas faire, je sais pas gérer, j’y arrive pas, j’ai l’impression que je rame avec des passoires. Pourquoi elle s’est pas accrochée hein ? Pourquoi elle est pas restée ? Elle m’a lâchement abandonnée… » Ma voix est tremblante, je suis dans une phase de colère, je crois qu’il faut en passer par là. « Je vais jamais y arriver. » Et j’y crois fermement en plus…

J'ai en face de moi une véritable gamine. Je la vois sa moue là. elle me nargue, me jauge, se fout de moi. Enfin je sais pas trop mais elle a le regard d'une gosse qui se moque de ses parents. Je le connais, je l'ai assez pratiqué et dans la famille on est assez doués dans l'exercice. Mais je ne lâche pas, justement. Je sais à quoi m'attendre et surtout, elle n'a plus 15 piges. C'est finit tout ça. " Mon foie va très bien il te remercie. Et même bourrée je dégueule pas ! " C'est plus fort que moi mais je lève les yeux au ciel. Cette mauvaise foi ou plutôt cette envie de ne pas comprendre ce que je lui dis est d'une évidence même. J'la sens quand même au bord de l'implosion Loan. Et encore je crois que je suis gentille, c'est une véritable bombe nucléaire. Je ne lâche pas, après tout c'est moi qui ait réveillé la bête. C'est de ma faute. " J’ai pas envie de rentrer. Ça me déprime de les voir toutes les trois essayer de me cacher qu’elles sont déprimées elles aussi. Je déteste leur regard sur moi, comme si je sais pas, comme si j’allais me suicider demain. Merde à la fin ! " Et voilà, c'est parti. Elle lâche tout. " J’ai pas le droit de laisser un peu aller ma peine et ma colère ? J’vais pas devenir alcoolique, arrêtez tous avec ça là ! La meilleure mère entre nous deux c’était elle. Moi je sais pas faire, je sais pas gérer, j’y arrive pas, j’ai l’impression que je rame avec des passoires. Pourquoi elle s’est pas accrochée hein ? Pourquoi elle est pas restée ? Elle m’a lâchement abandonnée…  " Je me rapproche doucement, consciente que je risque de me prendre des coups si je ne fais pas attention à moi. " Je vais jamais y arriver. " Je souris doucement. C'est pas drôle je sais, c'est pas un sourire qui signifie ça. Juste qu'enfin elle se lâche. Ca fait des jours entiers que je la vois errer sans qu'elle ne parle réellement ou à dire que ça va mécaniquement. Doucement, encore, je me pose à côté d'elle et la prends dans mes bras. Tant pis si elle me repousse, je ne la laisserai pas comme ça. " Mais si tu vas y arriver. Puis j'dis pas que tu vas te suicider heureusement hein ! Mais c'est normal d'être triste et en colère. Faut juste que tu le... j'sais pas. Le canalise. " J'suis pas psy, loin de là. J'essaye juste d'appliquer les conseils qu'on m' adonné tout au long de ma vie. Y'a pas meilleure école de toute façon. " Tu peux en vouloir à la terre entière ça ne la ramènera pas. Et tu sais comme moi qu'elle aurait préféré être là aujourd'hui hein... " J'ai aucune idée de quoi lui dire. Je sais même pas ce qu'on pourrait me dire à ce moment là si ça m'arrivait. Parce que forcément j'y ai pensé. C'est compliqué de ne pas faire autrement.

Je me sens dépassée par ce qui m’arrive, et l’alcool m’est apparu comme la seule solution à mes problèmes. Facile me direz-vous, surtout que j’ai même pas à le payer, il est à ma disposition en quantité illimité. Ce n’est pas les quelques bouteilles que je me suis descendues depuis la mort de Stella qui feront un trou dans mes recettes. Nieves n’a jamais été là pour me dire ce que je voulais entendre. Elle est sincère et certainement pas ce genre de faux amis qui te disent que tout ira bien, si tout ne va pas bien. Elle est parfois dure avec moi, elle me secoue quand j’en ai besoin, et là j’en ai besoin. Sans l’ombre d’un doute. Pourtant, elle garde ce côté tendre quand il le faut, et lorsque je me sens m’effondrer, elle m’attire à elle pour me prendre dans ses bras. J’aimerai avoir la force de la repousser, proclamer mon indépendance, dire haut et fort que j’ai besoin de personne et que je m’en sors très bien toute seule. Tu parles. « Mais si tu vas y arriver. Puis j'dis pas que tu vas te suicider heureusement hein ! Mais c'est normal d'être triste et en colère. Faut juste que tu le... j'sais pas. Le canalise. » C’est facile à dire ça tiens. Elle a pas vécu ce que je vis. « Tu peux en vouloir à la terre entière ça ne la ramènera pas. Et tu sais comme moi qu'elle aurait préféré être là aujourd'hui hein… » Nieves est dure, c’est comme si elle était là pour ça, pour me ramener à une réalité qui fait mal mais qui est nécessaire. Je fronce les sourcils et renifle un peu, avant de me redresser pour m’échapper de son étreinte. « Depuis quand t’es passée naître dans l’art de donner des conseils toi ? » Je suis acerbe, je ne devrais pas l’être, pas avec elle alors que je sais qu’elle est là pour m’aider. Mais l’alcool me fait être un peu mauvaise quand j’en ai bu trop, et qu’on me réveille au milieu d’une sieste. « Tu t’es rabibochée avec Dani ? » Je la regarde. De toute évidence, la réponse est non. Ou pratiquement non. « T’imagines si elle a un accident demain, et qu’elle rejoint Stella ? Qu’est-ce que tu fous là ? Tu devrais être avec elle, pas à t’occuper de moi. » Moi aussi je suis dure, mais avec le décès de Stella j’ai appris une chose : les regrets c’est ce qui fait le plus mal. Et je sais que Nieves aime Dani démesurément, j’aimerai qu’elle se sorte un peu les doigts du cul et qu’elle remette les choses en place.

je la garde contre moi, tentant de ne pas effrayer l'animal blessé. ouais c'est peut être pas la meilleure image du monde mais je la vois comme une lionne apeurée. dangereuse et pourtant très douce. je veux juste qu'elle aille mieux. " depuis quand t’es passée maître dans l’art de donner des conseils toi ? " je me mets à rire, consciente qu'elle a raison. je ne suis pas une experte, loin de là. " j'sais pas. " je sens qu'elle ne rigole pas elle. mais c'est pas grave. " tu t’es rabibochée avec dani ? " ah oui, en effet, elle ne rigole vraiment pas. elle ne veut pas rire. elle me tacle même sur ma relation avec ma femme. j'attrape la bouteille et en bois une gorgée. de toute façon j'ai déjà commencé à boire et comme ça, elle en boira moins elle. tout est logique. "t’imagines si elle a un accident demain, et qu’elle rejoint stella ? qu’est-ce que tu fous là ? tu devrais être avec elle, pas à t’occuper de moi. " j'aime pas ce que j'entends. parce que je sais qu'elle a raison. " je sais. " ouais voilà, je sais. mais ce n'est pas ça qui me fera changer d'avis. du moins pour le moment. " je peux juste avoir envie d'être là pour toi ? " juste ça, c'est déjà un début. c'est le bordel dans ma vie, dans la sienne, je peux peut être l'aider avant de voir la mienne. j'en sais rien en fait. " j'aime dani et ça ne changera jamais mais je ne peux pas me dire que je ne pourrai jamais avoir d'enfant parce qu'elle n'en veut pas. ça paraît con et totalement insignifiant pour certains mais voilà. " je peux paraître être une gosse capricieuse, mais ce n'est pas le cas. j'ai ce besoin en moi, ça fait des années que c'est ainsi. et j'ai réussi à planquer ce désir aussi profond que possible mais la quarantaine a fait que mon horloge biologique s'est affolée. d'ailleurs demain, les quarante et un ans ne vont pas m'aider. " j'ai juste l'impression que je ne pourrai jamais être entièrement heureuse si je reste comme ça. comme s'il me manquait un truc. " et une autre gorgée. au moins si je finis aussi bourrée qu'elle on pourra faire un combat de lionnes. je suis sure que ça peut être sympa.

Je suis acerbe. Je lui reproche de ne pas être auprès de la femme qu’elle aime, parce qu’elle est vivante. Elle. Je sens qu’elle se raidit, je ne culpabilise même pas. Je n’ai pas assez de place dans ma rancoeur contre moi-même pour culpabiliser aussi pour ça. « je peux juste avoir envie d'être là pour toi ? » demande-t-elle une fois une gorgée de ma bouteille avalée. Je la regarde faire et me contente d’un soupir. Est-ce que j’ai seulement le choix ? Ça n’en a pas l’air. « j'aime dani et ça ne changera jamais mais je ne peux pas me dire que je ne pourrai jamais avoir d'enfant parce qu'elle n'en veut pas. ça paraît con et totalement insignifiant pour certains mais voilà. » Je hausse les épaules. « C’est pas insignifiant. » C’est vrai, je la comprends. J’ai voulu avoir un enfant très tôt, j’étais même pas en couple. Rylee a vécu seule avec moi pendant un an, elle voyait quelques fois son père, mais elle n’avait pas une famille à proprement parler. Jusqu’à ce que je rencontre Stella. Et si Stella n’avait pas voulu d’enfant, n’avait pas accepté ma fille, j’ignore ce qui aurait pu se passer. A la différence que Rylee était déjà là, et que de toute évidence c’est elle que j’aurai choisi. « j'ai juste l'impression que je ne pourrai jamais être entièrement heureuse si je reste comme ça. comme s'il me manquait un truc. » Lui manquer un truc. Je sais ce que c’est ouais. Un espèce de trou béant dans la poitrine, un manque si profond, si puissant qu’il donnerait presque envie de vomir. « Alors c’est certain, elle en voudra jamais jamais ? » Je me suis étrangement radoucie. Parce qu’elle me fait mal au coeur, on est en train d’échanger la donne. « Si tu veux je te file les miennes remarque. En ce moment j’suis sûre qu’elles diraient pas non à une autre mère que moi ! » je glousse comme une bourrée que je suis avant de soupirer. « Et si elle disait oui maintenant. Tu ferais quoi ? » Oui je change de sujet comme de chemise, un coup elle un coup moi, et alors ?

j'ai pas envie que loan soit mal. avec ce qu'elle a traversé ça n'a rien d'étonnant. mais avec le temps j'ai appris à la connaître et c'est clairement devenue une amie en plus d'une collègue. je tiens à elle. vraiment. donc il est hors de question que je la laisse toute seule ici à broyer du noir. ou du gin. ou peu importe ce qu'il se trouve dans cette bouteille. non, hors de question. je l'accompagne d'ailleurs. si elle a moins à boire elle sera moins bourrée. cqfd. et je lui raconte. je lui explique pourquoi je suis pas avec dani à ce moment précis. pourquoi je suis avec elle. " c’est pas insignifiant. " elle ne me juge pas. elle a même arrêté de m'engueuler. c'est plutôt une bonne chose. je sens même une certaine compassion dans sa voix. définitivement elle a changé d'attitude. et je continue. je me confie encore à elle. quelques mots qui mettent à mal ma poitrine. parce que mon coeur se serre rien que d'en parler. franchement, j'ai cru que ça passerait. mais non. définitivement, non. " alors c’est certain, elle en voudra jamais jamais ? " je hoche la tête. en fait j'en sais rien. je ne sais pas si on peut dire jamais. mais... " en tout cas dès que j'en parle, elle évite le sujet ou alors ça finit en engueulades. et c'est épuisant. " c'est d'ailleurs pour ça que j'ai atterri sur ce canapé il y a déjà plusieurs mois. " si tu veux je te file les miennes remarque. en ce moment j’suis sûre qu’elles diraient pas non à une autre mère que moi ! " son ton est tellement... tellement. que j'arrive même à laisser échapper un rire. " n'importe quoi. " je balaye cette info d'un geste de la main avant de reprendre une gorgée du liquide de cette bouteille. " et si elle disait oui maintenant. tu ferais quoi ? " et là pour le coup je rigole bien plus franchement. " ça fait dix ans que c'est non pour elle. y'a aucune chance qu'elle change d'avis maintenant. puis tu sais le plus triste ? c'est mon anniversaire genre demain. quarante et un ans. c'est même plus un ultimatum à ce stade là... " jusqu'à ce que je regarde l'heure. " ah bah non... j'ai quarante et un ans. joyeux anniversaire... moi. " j'ai l'air tellement désemparée que je me ferai presque de la peine à moi même. " pourquoi c'est si compliqué la vie ... hein ? on est là, on a des gens qui nous aiment et pourtant c'est pas suffisant. pourquoi ça l'est jamais ? " et maintenant c'est moi qui me morfond. définitivement, cette soirée part en vrille.

Je n’avais pas pris conscience d’à quel point cette situation pouvait la peser. Moi je n’ai vu que leur couple, l’amour qui les unit depuis presque toujours, la façon qu’elles ont de se bouffer des yeux. Ça ne trompe pas. Mais Nieves me montre aujourd’hui que ça ne suffit pas. Ça ne lui suffit pas. Et je sens dans sa voix que c’est difficile à vivre pour elle. Je voulais absolument être mère, tôt, j’avais même pas 25 ans lorsque j’ai demandé à mon meilleur ami s’il voulait être le père de ma fille, ma première fille. Et j’étais la plus heureuse du monde qu’il accepte. Alors je ne peux que comprendre l’envie, que dis-je, le besoin que peut ressentir Nieves. Je tente un trait d’humour, qui, avec le recul, pourrait ne pas en être réellement. Tant pis. C’est dit. J’aime mes filles, mais c’est vrai que des derniers temps, je suis persuadée qu’elles aimeraient que je sois autrement. Que je sois comme l’était Stella, sans doute. Je demande à Nieves ce qu’elle ferait dans un futur alternatif où Dani accepterait qu’elles aient un enfant. « ça fait dix ans que c'est non pour elle. y'a aucune chance qu'elle change d'avis maintenant. puis tu sais le plus triste ? c'est mon anniversaire genre demain. quarante et un ans. c'est même plus un ultimatum à ce stade là… » Je soupire un peu, je croyais avoir le monopole de la vie de merde ces derniers temps, et au final elle me fait de l’ombre. C’est moche. « ah bah non... j'ai quarante et un ans. joyeux anniversaire... moi. » dit-elle finalement après avoir regardé l’heure. « Joyeux anniversaire. » Je ne réfléchis pas une seconde et me laisse presque tomber mollement sur elle pour la serrer dans mes bras. L’étreinte dure un peu plus longtemps qu’une étreinte dite ‘normale’, l’alcool altérant un peu mes réflexes et ma réactivité. « pourquoi c'est si compliqué la vie ... hein ? on est là, on a des gens qui nous aiment et pourtant c'est pas suffisant. pourquoi ça l'est jamais ? » Je laisse un ricanement complètement idiot sortir d’entre mes lèvres. « Vous avez quatre heures. » Oui parce que ça ferait un bon sujet de philo pour le bac ça tiens ! Je soupire à nouveau et m’étale comme une loque dans le canapé. « J’ai pas de réponse à cette question, j’aimerai pourtant. Mais faut croire que l’être humain est jamais content de ce qu’il a déjà, il lui en fait toujours plus. On est cons hein ! » Je laisse tomber ma tête sur son épaule et lâche sans réfléchir. « En tout cas, moi si j’avais un truc reproductif entre les jambes, j’te le donnerai ce gosse. Tu ferais une bonne mère j’en suis sûre. » Ça c’est pas fin, et je pense pas nécessairement au fait que ce qui à la base était un compliment, pourrait bien la blesser. Alcool 10 - Loan 0.

" joyeux anniversaire. " et je me vois arrivée une blonde éméchée sur moi. elle se colle et j'accepte son étreinte dans cette position aussi complexe qu'étrange. mais le coeur y est, j'en suis certaine. " merci petite éponge. " totalement imbibée mais adorable quand même. mais c'est pas le moment de s'attarder là dessus. non, y'a des mots qui sortent. de ce genre de questions existentielles qui se forment sans qu'on puisse les arrêter. je ne comprends pas tout ce que je raconte d'ailleurs. mais c'est l'alcool qui commence à faire son effet ça. " vous avez quatre heures. " je ne comprends pas de suite ce qu'elle veut bien dire par là mais une fois que c'est fait je laisse échapper un léger rire. " j’ai pas de réponse à cette question, j’aimerai pourtant. mais faut croire que l’être humain est jamais content de ce qu’il a déjà, il lui en fait toujours plus. on est cons hein ! " elle a tellement raison. tellement et totalement raison. sa tête vient se poser sur mon épaule et ma propre tête se pose sur la sienne. un joli empilement de méninges. " on est cons. " comme une évidence. c'est ainsi que les choses sont faites et doivent être visiblement. " en tout cas, moi si j’avais un truc reproductif entre les jambes, j’te le donnerai ce gosse. tu ferais une bonne mère j’en suis sûre. " j'éclate de rire parce que le pire, je suis certaine qu'elle en aurait été capable. enfin je crois. et moi est ce que j'en aurais été capable ? j'en sais rien. c'est un peu compliqué tout ça quand on y pense. parce que oui, faut pas oublier qu'il faut un géniteur mâle pour faire un gosse. et ça j'en ai pas en stock quoiqu'il arrive. mais bon. ce n'est pas le moment d'y penser. " et j'aurai adoré que tu sois le père de mes enfants. vraiment. " je lui tapote sur la cuisse en souriant. vraiment on doit avoir l'air fines. " mais merci pour le compliment. toi quoique t'en dises t'es une excellente mère. regarde tes filles sont en bonne santé, aucune n'est enceinte ou droguée ou en train de danser à poil sur une barre de pole dance. c'est une victoire tu crois pas ? " et puis elles l'aiment ça c'est évident. quoiqu'elle ait l'air d'en penser actuellement.

Nieves pose sa tête sur la mienne et l’espace d’un instant, je crois que je me sens bien. Il y a longtemps que je n’avais pas ressenti cet état presque agréable, où on ne pense pas à grand chose, quasiment à rien, avec près de nous quelqu’un à qui on tient. Lorsque je suis avec mes filles c’est différent surtout depuis que je suis désormais seule à les élever, j’ai l’impression de porter un poids horrible sur mes épaules. Avant, j’avais le droit à l’erreur, je savais que Stella serait derrière moi, qu’elle réparerait mes potentielles erreurs. Maintenant, je n’ai plus de back up, je suis seule, et je dois assurer. Si je n’assure pas… je préfère ne pas y penser, d’autant que c’est exactement ce que je suis en train de faire : ne pas assurer. Finalement, je lâche sans réfléchir à mon amie que si j’avais été un mec, j’aurai été ravie de lui offrir ce qu’elle désire, à savoir un enfant. C’est con, je suis bourrée, faut pas chercher. Mais ça la fait rire, j’avais juste peur qu’elle le prenne mal ou que ça la blesse. Je préfère qu’elle en rigole. « et j'aurai adoré que tu sois le père de mes enfants. vraiment. » Mon rire se mêle alors au sien après cette dernière phrase. « mais merci pour le compliment. toi quoique t'en dises t'es une excellente mère. regarde tes filles sont en bonne santé, aucune n'est enceinte ou droguée ou en train de danser à poil sur une barre de pole dance. c'est une victoire tu crois pas ? » Alors ça, personne n’en sait rien. Il y a sûrement des tas de choses que je ne sais pas sur elles. Et ce constat me glace le sang. Je reste silencieuse un instant et me redresse finalement en soupirant. « Tu veux bien me ramener chez moi ? » C’est plus prudent que de prendre le volant dans mon état. « Je vais envoyer un message à Marley pour qu’elle fasse l’ouverture demain avec Ava. Faut que je dorme. Et que je m’occupe de mes filles. » Je crois que Nieves a agit comme un électrochoc, me faisant prendre conscience -un peu - de mes erreurs. Je me lève avec difficulté, aidée de mon amie qui m’escorte jusqu’à sa voiture, et me dépose finalement devant chez moi. Je prends un instant pour venir la serrer contre moi et murmure un petit « Merci. » à son oreille avant de quitter l’habitacle de sa voiture. Le chemin vers la porte d’entrée me semble infiniment long, et ne parlons pas de celui jusqu’à ma chambre, mais au moins je m’étale comme une merde et m’endors immédiatement.