il était une fois, mais pas deux. (eden)

Ses doigts tapotent nerveusement le volant de sa berline. Il a l'esprit occupé, les pensées ailleurs. Si bien qu'il a dépassé l'heure de rendez-vous d'une heure et demie, d'habitude il ramène toujours sa fille à la bonne horaire mais pas cette fois, aujourd'hui il est juste perdu dans ses pensées. C'est avec un bond sur sa chaise qu'il s'est rendu compte de son retard, qu'il a fait grimper maé en quatrième vitesse dans la voiture pour la ramener chez Eden. Et maintenant il a la désagréable impression de récolter tous les feux rouges comme pour le contrarier encore un peu plus. C'est son recours collectif qui happe toute son énergie, qui le met dans cet état. Un soupir franchit ses lèvres quand il arrive enfin à destination, il sonne à la porte de son ex-femme.
— Salut. qu'il marmonne en plongeant ses mains dans les poches de sa veste en cuir, il dépose un baiser sur la joue de sa fille avant de la voir disparaître dans le salon certainement pour rejoindre sa chambre. Désolé pour le retard. il se mord l'intérieur de la joue et plonge son regard dans celui de son interlocutrice. Il lui en a énormément voulu de s'être volatilisée comme elle l'a fait, pas forcément pour lui et leur relation chaotique mais pour leur fille qui a souffert. Jude est un grand garçon maintenant, il peut se remettre d'une rupture. Comme il est célibataire certains de ses proches s'amusent à dire qu'il n'est jamais passé à autre chose mais c'est simplement qu'il se concentre sur l'éducation de sa fille.
— Je bossais sur un dossier et j'ai pas vu le temps passer, tu sais ce que c'est d'être focus sur son boulot hein. c'est pas une réflexion qu'il est en train de lui faire, simplement qu'il se cherche une excuse. Et qu'elle est vrai, il était concentré sur un dossier et peut-être un peu sur l'étudiante qui l'aide dans son recours mais surtout sur le dossier. Il se mord la lèvre inférieure, pousse un léger soupir. Tu vas bien toi ? T'as l'air un peu fatiguée.

Les heures défilent toujours plus vite quand je travaille, et ces dernières semaines, je ressens le besoin viscéral de travailler davantage encore, comme si ça pouvait m’aider à ne plus trop penser à Rayan. Cora est un vrai courant d’air, je ne pense même pas à mal, je crois que je suis une compagne en carton ces derniers temps, entre mon boulot, ma fille, et cette Rayan qui me plombe les pensées. Les verres de vin s’enchaînent, je ne les compte plus. J’ai besoin d’une pause et lâche mes dossiers pour pianoter sur mon téléphone quand j’entends la sonnerie de la maison. Maé. Merde. Un regard à ma montre et je remarque qu’il est plus tard que prévu, j’espère qu’il ne leur est rien arrivé de grave. Je prends mon verre et file jusqu’à la porte pour l’ouvrir, tombant sur mon ex mari et ma fille qui semble être crevée. « Salut vous deux, coucou mon ange. » Je plaque un baiser maternel sur le front de ma fille et l’entoure de mon bras pour un câlin qui ne dure pas bien longtemps. « T’as l’air crevée mon bébé, va te coucher, y’a école demain. » Elle déteste quand je dis école, elle est plus à l’école, mais là elle prend même pas le temps de me reprendre et file directement dans sa chambre. « Désolé pour le retard. » Je secoue un peu la tête. « C’est pas grave. » « Je bossais sur un dossier et j'ai pas vu le temps passer, tu sais ce que c'est d'être focus sur son boulot hein. » Je lui offre un léger sourire compatissant en voyant bien qu’il cherche à se dédouaner. « C’est pas grave Jude, vraiment. Je bossais aussi, c’est juste pour elle, j’espère qu’elle va vite s’endormir. » Je me rends compte qu’on est toujours là sur le palier de la porte, et alors que j’allais lui proposer un verre de vin, il me devance en prenant la parole. « Tu vas bien toi ? T'as l'air un peu fatiguée. » J’esquisse un sourire et baisse les yeux sur mon verre de vin. « Hum, c’était pas la meilleure idée du siècle de bosser à côté d’une bouteille de vin. Tu en veux ? Il est délicieux ! » Je lui fais signe d’entrer et referme la porte derrière lui. « Fais comme chez toi, je vais te chercher un verre. » Je lui montre le canapé pour qu’il s’y installe et pose mon verre de vin sur la table basse après l’avoir terminé, et file à la cuisine pour aller lui chercher un verre. « Tu bosses sur quoi en ce moment ? » Tout pour ne pas parler de moi. Technique imparable.

Il lui adresse un petit sourire, au fond il est pas mécontent de la voir. Ils ont passé de bons moments tous les deux, certes certains plus compliqués et douloureux mais elle a eu une place particulièrement importante dans sa vie, elle est la mère de sa fille. Et du coup il comprend bien rapidement que quelque chose ne tourne pas rond, peut-être un air fatigué sur son visage ou juste une intuition. Il incline légèrement la tête sur le côté, ne dit rien dessus mais lui est reconnaissant qu'elle ne lui tienne pas rigueur pour le retard. Il lève les yeux au ciel, rigole légèrement.
— Je m'en fais pas pour ça, c'est une vraie marmotte quand elle veut. Elle va vite s'endormir. il lui adresse un clin d’œil complice. Il accepte sa proposition et entre dans sa maison, il ne refuse jamais un bon verre de vin de toute façon. Puis passer un peu de temps en sa compagnie ne peut pas lui faire du mal, discuter de tout et de rien, de leur vie respective. Peut-être même de leur fille et de ses notes par exemple. Merci. il enroule ses doigts autour du verre. Relève le visage vers elle, il a l'impression qu'elle cherche à porter la discussion sur lui pour l'éloigner d'elle.
— Sur mon recours collectif, j'essaie de redonner un procès à certains meurtriers pour les envoyer en hôpital psychiatrique. et c'est pas quelque chose qui plaît d'ailleurs, il reçoit beaucoup de critiques et parfois même des menaces parce que les gens pensent qu'un criminel n'a sa place qu'en prison, pas ailleurs. Pour jude, c'est différent. Et toi, tu bossais sur quoi avant que je débarque ?

Je n’ai pas forcément envie de parler de moi, mais si je laisse entrer Jude à la maison, c’est bien que j’ai besoin de compagnie. Pour le moment, j’élude complètement la question qui m’est destinée. Est-ce que je vais bien ? Je n’en sais bien rien moi-même. D’ailleurs, le fait que je me noie ce soir dans une succession de verres de vin n’annonce rien de très bon. Mais je garde mes oeillères pour le moment. C’est mieux comme ça. Je sers le verre de vin de Jude et le rejoins bien vite dans le salon, prenant place près de lui après nous avoir servi chacun du vin divin que j’ai commencé plus tôt dans la soirée. Je demande finalement à mon ex mari sur quoi il est en train de bosser, qui lui prend autant de temps et d’énergie. Je le connais assez pour le savoir préoccupé et fatigué. « Sur mon recours collectif, j'essaie de redonner un procès à certains meurtriers pour les envoyer en hôpital psychiatrique. » Je hoche la tête, n’ayant pas vraiment d’avis sur la question. Jude est un homme bon, avec la tête sur les épaules, et je pense que s’il se bat pour ces personnes, même s’ils ont fait quelque chose de vraiment mal, c’est qu’il ont sûrement le droit à autre chose. Il connaît mieux son métier que moi, je ne juge pas, je n’en ai pas les moyens puisque je ne connais pas le sujet. « Ça a l’air de te prendre beaucoup d’énergie en tout cas. » Je me pince un peu les lèvres en le regardant, esquissant un petit sourire avant de boire une gorgées de mon verre. Je ramène mes jambes sous mes fesses, sur le côté, et place mon bras sur le dossier du canapé, pour être face à lui. « Et toi, tu bossais sur quoi avant que je débarque ? » Je lève les yeux au ciel. « Tout un tas de dossiers de financements, de sponsoring pour des projets de films auxquels je tiens. C’est long et chiant, mais ça fait partie de mon boulot. » Je hausse un peu les épaules, commençant à sentir l’alcool qui se diffuse largement dans mon corps. D’ailleurs, j’ai chaud, et je retire mon petit gilet. « Comment ça se passe Maé en ce moment chez toi ? Je la trouve un peu dissipée ces derniers temps… » Trouver un sujet de conversation commun pour ne pas parler de ce qui me tracasse. En voilà une bonne idée.

il s'doute bien que quelque chose ne tourne pas rond dans l'comportement de son ex femme. ils se sont aimés, ils ont vécu ensemble et ont même eu une petite fille ensemble alors il la connaît presque parfaitement d'puis le temps. c'est normal de repérer quelque chose qui cloche dans l'comportement de quelqu'un que l'on a l'habitude de côtoyer tous les jours ou presque. d'la même manière qu'il remarque sa manière de fuir la question mais il n'insiste pas, s'dit qu'elle a sûrement une bonne raison pour refuser de lui répondre à une question aussi simple. il s'contente donc de s'installer dans le canapé avec son verre de vin dans la main. peut pas s'empêcher d'se demander à combien la jolie blonde en est, n'a aucune envie d'la voir complètement torchée à la fin de la soirée. — ça me prend tellement d'énergie que j'en oublie de regarder l'horloge, tu vois. il lâche un petit rire histoire d'détendre l'atmosphère, c'est pas méchant d'être un peu en retard mais pourtant lui ça l'dérange quand même pas mal. il a l'habitude d'être toujours à l'heure, de ne pas tolérer même deux minutes de retard. tout ça parce que son métier l'exige. il grimace, retrousse un peu le nez à la réponse de la femme. — tu peux pas engager un stagiaire pour la paperasse ? sourire toujours sur les lèvres — ils peuvent faire autre chose qu'servir le café, tu sais. il tente d'faire un peu d'humour mais c'est quand même assez raté, jude c'pas le type le plus blagueur au monde bien au contraire, on lui r'proche plutôt d'être trop sérieux. puis il fronce les sourcils, hausse les épaules. — dissipée ? comment ça, tu la trouves dissipée ?

« ça me prend tellement d'énergie que j'en oublie de regarder l'horloge, tu vois. » Je me contente d’un hochement d’épaules, ça n’a aucune importance, du moment que Maé n’est pas seule dans la nature, tout va bien. Il me demande à mon tour ce qui me prend autant de temps et d’énergie ces derniers temps, et je lui réponds un peu las, sûrement dû à la fatigue et aux quelques verres de vin que j’ai bu avant qu’il arrive. « tu peux pas engager un stagiaire pour la paperasse ? ils peuvent faire autre chose qu'servir le café, tu sais. » Je souris, parce que Jude me connaît, qu’il sait mon caractère, j’ai toujours eu du mal à déléguer, à estimer que pour avoir un travail bien fait, je dois l’avoir fait moi-même. Au moins je sais à qui m’en prendre si ça ne me convient pas. « Tu sais comment je suis. J’ai pas changé, j’aime avoir le contrôle, surtout dans mon boulot. » Dans ma vie privée aussi, mais ça, c’est une autre histoire. Je fais dériver le sujet sur notre fille, le seul réel sujet qui nous lie encore au jour d’aujourd’hui. Le visage de mon ex mari se raidit un peu, ses sourcils froncés sans doute pas une once d’inquiétude. « dissipée ? comment ça, tu la trouves dissipée ? » Je soupire un peu en repensant à notre discussion dans la voiture. « Elle t’a parlé de sa prof de théâtre, Melle McHalway ? » Il a l’air de n’en avoir parlé que très vaguement. « Elle est amoureuse. » Mais en voyant la tête de Jude je précise tout de même. « Maé, Maé est amoureuse de sa prof. » Je secoue la tête d’un air dépité. « J’ai essayé de lui faire comprendre qu’elle n’aurait jamais ce qu’elle veut et quelle doit passer à autre chose mais tu parles. Et puis le théâtre et le cinéma, ça prend beaucoup de place dans sa tête aussi en ce moment. J’ai pas vu ses derniers bulletins, ça donne quoi ? » Jude est encore le parent principal de Maé, c’est son adresse qui est renseignée pour la personne à prévenir en cas d’urgence, avant mon nom. C’est légitime, je n’ai jamais prétendu vouloir lui reprendre cette place que j’ai perdue il y a longtemps déjà.

il incline la tête sur le côté, plonge son regard quelques secondes dans celui de son interlocutrice. il sait qu'elle est une acharnée du travail, qu'elle consacre beaucoup trop d'heures à son travail d'après jude mais ce n'est plus à lui de s'en mêler, ils sont séparés maintenant et elle est assez grande pour mener sa vie comme elle le souhaite. puis elle risque de le renvoyer chier de toute manière, elle aurait raison. ils entretiennent peut-être des relations cordiales mais pas au point qu'il vienne lui prodiguer des conseils sur sa vie privée, sa vie professionnelle et tout le reste. et, de toute manière, il est fort mal placé pour faire des remarques ; lui aussi passe beaucoup trop de temps à son travail, ramène des dossiers à la maison pour continuer à travailler dessus jusqu'à ce que ça lui donne mal au crâne. — ouais, je me souviens de ça. mais parfois ça ne fait pas de mal de ... relâcher la pression. histoire de se détendre mais il ne compte pas s'étendre sur le sujet. il avale une gorgée de son verre, fronce les sourcils quand la discussion s'oriente du côté de leur fille. il manque de recracher le liquide quand eden lui avoue qu'elle est amoureuse, mais qui ? la professeur ou leur fille ? un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres, il s'agit donc de maé qui est amoureuse de sa professeur. — et ça t'inquiètes ? il marque une petite pause — des tonnes de gosses sont amoureux de leurs professeurs, c'est passager. dans quelques années elle tombera amoureuse d'un garçon auquel je devrais botter le cul. un léger rire s'échappe de sa gorge mais il ne plaisante qu'à moitié, il n'a pas envie de voir des garçons tourner autour de sa petite princesse. — ses notes ont un peu baissé mais rien d'alarmant ne t'inquiètes pas pour ça.  

Je préfère changer de sujet en demandant à mon ex-mari s’il a vu un changement dans le comportement de notre fille, ou dans ses notes. Parce que je sais désormais qu’elle a une nouvelle lubie : sa prof de théâtre. Je lui annonce donc cette nouvelle, qui n’a pas l’air de le choquer outre mesure. « et ça t'inquiètes ? des tonnes de gosses sont amoureux de leurs professeurs, c'est passager. dans quelques années elle tombera amoureuse d'un garçon auquel je devrais botter le cul. » Je le regarde rire un peu et me contente d’un sourire. « ses notes ont un peu baissé mais rien d'alarmant ne t'inquiètes pas pour ça. » Je soupire un peu, laisse mon regard traîner dans le vide tout en lui disant « C’est pas vraiment ça qui m’inquiète. » Je glisse une main dans mes cheveux et terminer mon verre de vin avant de m’en servir un nouveau. J’ai toute l’attention de Jude, je le sens. Est-ce que je devrais lui dire ? Nouveau soupir avant de prendre la parole. « Je… » grimace, et je reprendre. « J’entretiens une relation avec Rayan. Avec sa… prof. » Je repose mon regard sur celui de Jude. « Me regarde pas comme ça, c’était avant de savoir que Maé avait craqué pour elle. Comme quoi c’est de famille, on a les mêmes goûts. » Je laisse échapper un rire nerveux et secoue la tête d’un air dépité face à moi-même. Je ne sais même pas si Jude est au courant de notre accord avec Cora, du fait que nous avons le droit d’aller voir ailleurs etc… Enfin, quoi qu’il en soit, c’est le bordel, et maintenant il est au courant de pourquoi je suis en train de me descendre cette bouteille de vin quasiment toute seule. « Voilà pourquoi ça m’inquiète. Outre le fait qu’elle ait l’air vraiment amoureuse et que j’ai pas envie que ça fasse chuter ses notes encore plus… »