tomber des nues (jaynon #1)

few days ago

Assise sur cette chaise d’hôpital près du lit où est allongé mon père, je laisse mon regard flirter avec le néant. « Tu ne dis rien ? » Je serre les mâchoires avant de soupirer, et me lève pour faire quelques pas, tentant en vain de diluer la rage qui monte en moi depuis quelques minutes. « Je te connais depuis cinq ans à peine, tu n’as jamais été là pour moi en dehors de cette putain de pension alimentaire, et je dois te sourire le bouche en coeur quand tu m’annonces que depuis tout ce temps tu avais simplement une autre vie avec femme et enfant ? » Je lâche un rire cynique, nerveux, avant de passer une main dans ma chevelure blonde. « Je sais même pas si je t’en veux ou si je trouve ça juste pitoyable. » Pas pour moi, je m’en fous, connaître son père à 25 ans c’est un choc, mais je n’ai jamais été proche de lui, et si je suis ici à San Francisco, c’est simplement parce qu’il est en phase terminale et qu’il ne sera plus d’ici quelques jours grand maximum. Mais ma mère, ma mère a attendu trente putain d’années qu’il revienne, parce qu’il est revenu, une fois par ci, une fois par là, lui promettant monts et merveille, lui faisant livrer des cadeaux. « J’aime ta mère Jaymes. » Je secoue la tête à la négative. « C’est pas ça aimer. Aimer c’est pas faire croire à quelqu’un qu’on veut être avec lui pendant qu’on est avec quelqu’un d’autre ! » Ça m’agace, je sais même pas pourquoi j’argumente. « Tu sais toi, ce que c’est qu’aimer ? » Machinalement, je fais tourner mon alliance autour de mon annulaire. Mon père n’est pas au courant que je suis mariée, parce qu’il n’a jamais posé la question avant aujourd’hui, et parce que je n’ai aucune envie de parler de ma femme à cet homme que je ne considère seulement comme étant mon géniteur. Manquerait plus qu’il soit homophobe et qu’il me clamse sous les yeux… « Oui je sais oui. Et je suis fidèle. Moi. » Oui, moi. Parce que Bailey, j’en suis plus tellement sûre. Je soupire d’agacement alors qu’une infirmière entre dans la chambre. « On me dit que votre femme arrive Mr Pearson. Tout se passe bien ? » Il hoche la tête et une fois partie, se tourne vers moi, attrapant ma main en profitant que je ne sois pas loin. « Ne dis rien surtout, je t’en prie Jaymes. Elle n’est pas encore au courant. » Il me dégoûte encore plus… Je n’ai même pas envie de rencontrer sa femme, je ne vais pas le supporter. Alors avant même d’avoir à croiser l’autre femme de mon père, je choisis de quitter la chambre dans un pseudo au revoir à mon père. Ce sera le dernier.

today

Je boutonne la veste de mon tailleur noir, le coeur lourd, bien malgré moi. Un regard dans le miroir, j’ajuste cette cravate blanche autour de mon cou et glisse mes mains sur mes cheveux pour être sûre que ma queue de cheval soit parfaite. Je suis prête, et même si je n’ai pas envie d’y aller, je prends mon courage à deux mains. J’aimerai que Bailey soit là, j’aimerai que tout soit différent, que mon père n’ait pas été le connard que je connais désormais. La voiture me dépose devant l’église où a lieu la cérémonie. Tout cet amas de personne qu’il connaissais, qu’il appréciait. Je sais que ma mère aurait aimé être là, mais ça aurait peut-être été trop difficile pour elle, alors je suis là pour nous deux. Je ne connais personne, et reste pour le moment en retrait. La cérémonie débute, je devine mon demi-frère, près de la veuve de mon père, cachée derrière un espèce de voile en résille très élégant, comme portent beaucoup de veuves pour ne pas que l’on remarque trop leurs traits tristes. La cérémonie se poursuit, je fais un dernier adieu à mon père en laissant glisser ma main sur le bois du cercueil et nous nous dirigeons vers le cimetière où il sera bientôt enterré. Le pas lourd, je laisse mon regard traîner un peu partout, me remémorant tous ces dimanches que je passais dans ce même cimetière où ma grand mère maternelle est enterrée, quelques allées plus loin. Seul le cercle de personnes les plus proche de mon père sont conviés au dernier adieu, et là encore je reste légèrement en retrait. Pourtant, mon corps entier se fige lorsque je peux enfin détailler le visage de la veuve. Mon coeur se met à battre plus vite, beaucoup plus vite sans que je n’ai le moindre pouvoir à ce propos. Elle retire son voile et tout s’éclaire, je manque de vaciller, ne tenant plus sur mes talons. Merde. Lennon Oakley, ma prof de patinage artistique, mon premier fantasme, la première femme à m’avoir fait ressentir ces putain de frissons au creux de mon ventre. C’est pas possible. Les minutes s’égrainent, le cercueil est finalement sous terre, recouvert. La famille et les amis se saluent, se prennent dans les bras, et moi j’hésite. Finalement, je prends mon courage à deux mains et réduis la distance qui me séparait d’elle. « Lennon ? » J’ai besoin d’être sûre, même si la marge d’erreur me semble faible, à moins que ce ne soit un sosie. Elle vrille son regard dans le mien et là je sais, je sens. C’est bien elle il n’y a plus aucun doute.

Des regards attristés, des silences et des pleurs. Tous les gens sont vêtus de noir. La couleur de circonstance pour un enterrement. C'est fini, il n'est plus là. La maladie l'a finalement emporté. Et je me retrouve seule, complètement démunie. Dans le rôle de la veuve éplorée. Brisée et trahie. Sa vulgaire lettre encore froissée dans la poche. En réalité, je n'arrive toujours pas à y croire. Non, c'est impossible. Cette histoire de double vie ne peut pas être réelle. Et pourtant. Je fuis les nombreux regards, serrant fortement la main de Wyatt contre la mienne. Là, tout de suite, c'est surtout à lui que je pense. Mon chagrin passe inconsciemment au second plan. Comme si mon corps était là, mais mon esprit ailleurs. Envolé. Comme l'ombre de moi-même. Une espèce de coquille vide dénuée de toute existence. A quoi bon ? Mon monde entier vient de s'écrouler. Mais je me dois de rester forte. Pour Wyatt, pour nous. Je ne peux pas me permettre d'abandonner. La cérémonie s'achève et nous suivons le cortège jusqu'au cimetière. C'est l'heure du dernier adieu. Un dernier regard, un dernier geste en direction du cercueil avant que ce dernier soit finalement recouvert. Ça y est, c'est fini. Je balaye d'un coup de main les larmes qui viennent perler sur mon visage après avoir pris soin de retirer mon voile. Le coeur lourd, je reçois tour à tour les condoléances de chacun de mes proches. Certains me prennent dans leurs bras, d'autres me glissent quelques mots de soutien. Mais je ne suis pas réellement réceptive. J'ai simplement envie que ça s'arrête. « Lennon ? » Une voix m'interpelle alors et je fais volte face. Mon coeur manque un battement lorsque je reconnais son visage. Elle. « Jaymes ? » Avec les années, les traits de son visage ont pas mal changé. Ils ont mûri, mais son regard reste le même. Un regard à la fois perçant et troublant. Ce même regard qui a su me déstabiliser par le passé. « Je... » Mon incompréhension est totale. Pourquoi est-elle là, aujourd'hui ? Pourquoi, elle ? Pourquoi, maintenant ? Tant de questions qui viennent brusquement se bousculer dans mon esprit. Des souvenirs aussi, des images. Je perds un peu pied sentant mon corps se mettre à trembler. « Ne me dis pas que... » Dans ma tête, ça ne fait qu'un tour. Le raccourci semble évident. Mon dieu, c'est elle. Ça ne peut être qu'elle. La femme de la lettre, sa maîtresse. Je suis incapable de réagir, incapable de dire quoi que ce soit d'autre. Les mots restent bloqués au fond de ma gorge. Le coeur en vrac, je reste plantée, là, sous le choc. Je serre les poings laissant une larme perler le long de ma joue. Je tombe de haut, de très haut.

J’ai du mal à y croire, du mal à imaginer que lorsque mon regard s’est posé sur elle la première fois, quand je suis tombée amoureuse d’elle en l’espace d’une fraction de seconde - parce que oui, j’ai fini par mettre les mots dessus - jamais je n’aurai pu imaginer qu’elle puisse être la femme de mon père. Cette homme que je ne connaissais même pas à l’époque. Je me sens totalement retournée, je n’arrive pas à faire le point dans mes pensées, et encore moins lorsque son regard se pose finalement sur le mien, me ramenant une grande dizaine d’années en arrière. Mon souffle n’est pas serein, mon coeur encore moins. Elle n’a pas l’air d’avoir du mal à me reconnaître, elle en tout cas n’a pas changé, elle est toujours aussi magnifique. « Jaymes ? » Et cette voix, mon dieu, j’en ai les jambes qui tremblent. Je vois qu’elle est perturbée, déstabilisée, elle semble elle aussi avoir du mal à faire le point, à comprendre ce que je fais là, sans doute. « Ne me dis pas que... » Je ne lâche pas ses yeux, je peine à savoir à quoi elle pense, est-ce que mon père lui a finalement parlé, de sa double vie, de ma mère, de moi ? Une larme roule le long de sa joue. « Alors il a fini par te le dire ? » Il ne peut en être autrement. Elle sait qui je suis, et ça me bouleverse d’autant plus. Pourtant, jamais je ne pourrai imaginer ce qui se passe dans sa tête à elle, et le quiproquo qui est en train de grandir entre nous. « Il m’avait fait promettre de ne pas en parler, il voulait que ça vienne de lui, jusqu’au dernier moment j’ai cru qu’il serait lâche comme il l’a toujours été, qu’il me laisse t’en parler… » Je souffle un peu, baissant les yeux une seconde, la gorge serrée. « J’ignorais que c’était toi, enfin que tu étais sa femme, si j’avais su je… » J’en sais rien. Qu’est-ce que j’aurai fait ? Ça n’aurait rien changé. Je ne connais mon père que depuis quelques années, et je n’ai jamais vu aucune photo de son autre femme, celle avec qui il avait une autre vie, autre que celle qu’il vivait en décousu avec ma mère. Je glisse une main nerveuse dans ma nuque. « J’ai appris seulement récemment ton existence, et celle de votre fils… » Mon demi-frère donc… Cette histoire va me rendre dingue, je n’en ai pas encore réellement conscience, mais c’est pourtant une certitude.

Une claque d'un passé qui revient en pleine figure. Un passé oublié, enfoui au plus profond de mon être. Elle, le visage d'une faiblesse cachée et inavouée. Sa présence me ramène des années en arrière, à une période de vie à laquelle j'aurais préféré ne plus jamais être confrontée. Mais là, tout de suite, je ne pense à rien d'autre qu'à l'évidence qui se joue dans ma tête. « Alors il a fini par te le dire ? » C'est donc vrai. Jaymes n'essaye même pas de nier. Et c'est probablement ça le pire. « Il m’avait fait promettre de ne pas en parler, il voulait que ça vienne de lui, jusqu’au dernier moment j’ai cru qu’il serait lâche comme il l’a toujours été, qu’il me laisse t’en parler… » Je baisse la tête, incapable de regarder la jeune femme dans les yeux. Je ne réagis pas, stoïque, blessée dans mon fort intérieur. Je repense à la lettre, à lui, à elle. Tout se bouscule dans mon esprit et il est impossible pour moi d'avoir les idées claires. « J’ignorais que c’était toi, enfin que tu étais sa femme, si j’avais su je… » A cet instant là, mon regard vient s'ancrer dans celui de la blonde. Vraiment. Pour la première fois depuis que nous nous faisons face. Un regard rempli d'une haine démesurée. Une violente colère qui me ronge les entrailles. « J’ai appris seulement récemment ton existence, et celle de votre fils… » Son discours est totalement décousu. Sur le moment, je ne réfléchis pas à tous les détails. A ce qu'elle me raconte exactement, à son âge, à tout ça. Je me rends pas compte du quiproquo qui est en train de se lier entre nous deux. « Comment oses-tu ? » Le ton de ma voix s'élève un peu plus fort sans que je puisse réellement le contrôler. Si bien que les regards aux alentours viennent plonger en notre direction. Mais ça n'a pas d'importance. Je me fous de tout et je me fous du reste. Je ne peux m'empêcher de la détester du plus profond de mon coeur. Même si ce n'est pas concrètement de sa faute, même si elle ne savait pas qu'il était marié, peu importe. Il m'a trompé pendant toutes ces années avec elle et ça, c'est beaucoup trop. « T'as pas déjà foutu assez la merde comme ça ? » Il fallait qu'en plus elle se pointe à son enterrement. Et qu'elle vienne jusqu'à me confronter de la sorte. Mais merde putain. Mon regard devient de plus en plus assassin au fil des secondes. Je vois rouge. « Tu n'as pas ta place ici. » Pas auprès de tous nos proches. Pas auprès de mon fils. « Ce n'est pas parce que tu couchais avec lui que ça fait de toi quelqu'un de légitime. » Malgré tout, je reste toujours sa femme sur le papier. Aux yeux du monde, elle n'est rien. « Tu n'es rien pour lui. » Même si c'est faux, ça m'arrange bien de le dire.

Après la larme qui a roulé sur sa joue, je la vois se contracter, ses mâchoires en sont la preuve. Et j’ai la sensation qu’à mesure que je m’exprime, elle a envie de me tuer. C’est désagréable, d’autant que notre passé commun ramène à quelque chose qui n’a été facile pour personne. « Comment oses-tu ? » Son ton est cassant, elle a élevé la voix comme une mère engueulerait son gamin, mais avec beaucoup moins d’humanité, beaucoup plus de haine. Alors on en est là ? Je vais payer pour les erreurs de son mari ? Merde. Je suis née avant qu’il se mette avec elle quand même ! Je ses des regards se poser sur nous, alors que le mien est toujours rivé sur le visage fermé de Lennon. Mon ventre se tord en voyant ces expressions déformer son si joli visage. « T'as pas déjà foutu assez la merde comme ça ? » Je fronce un peu les sourcils, pas sûre de vraiment comprendre. Je n’y suis pour rien là dedans, je n’ai pas choisi d’avoir un père qui menait une double vie, qui mentait, et qui était làche en plus de ça. « Attends tu… » Je n’ai pas le temps de m’exprimer, elle semble hors d’elle, prête à exploser véritablement. « Tu n'as pas ta place ici. Ce n'est pas parce que tu couchais avec lui que ça fait de toi quelqu'un de légitime. Tu n'es rien pour lui. » Alors celle là c’est la meilleure ! Nerveusement, je lâche un rire idiot. « Quoi ? » Je secoue vivement la tête, tombant totalement des nues. « T’es sérieuse là ? Tu crois que je couchais avec ton, avec mon… oh mon dieu… » Je souffle un peu pour reprendre mes esprits, mais n’attends pas trop, par peur qu’elle me fuit ou j’en sais rien, sans avoir le fin mot de l’histoire. « Lennon je suis sa fille ! » Son regard change instantanément, passant de la colère à l’incompréhension, du moins c’est ce que j’y lis. Je secoue à nouveau la tête. « Qu’est-ce qui t’est passé par la tête au juste ?… »C’est complètement lunaire cette histoire. « Je comprends que tu sois bouleversée, triste, en colère, tout ce que tu veux, mais jamais je serai venue te voir si j’avais été… quelle horreur. » Je soupire, ne sachant plus où me mettre, rien que d’imaginer qu’elle ait pu croire ça une seule seconde… « Je le connais que depuis cinq ans, j’étais pas au courant de toute cette histoire, et je connais ton existence et celle de Wyatt que depuis une poignée de semaines tout au plus. » Et encore, j’ignorais que la Lennon de mon père était aussi la mienne. Enfin.. la ‘mienne’…

Ce n'est pas le lieu ni le moment de faire un esclandre. Et pourtant, c'est plus fort que moi. Confrontée à celle que je pense être la maîtresse de mon mari, je perds totalement mes moyens. Ma colère est probablement décuplée dû au fait que nous avons un passé commun. Si c'était une autre femme, peut-être que la situation aurait été différente. Mais c'est elle justement. Et ça me rend dingue. J'ai clairement du mal à rester lucide par rapport à toute cette histoire. C'est un conflit d'intérêt en plus de tout le reste à gérer. Comme si ce n'était déjà pas assez compliqué comme ça. A cet instant, je ne remarque même pas l'incompréhension qui peut se lire sur le visage de la jeune femme. Non, tout ce qui compte maintenant, c'est que je puisse cracher mon venin. C'est le seul moyen d'évacuer cette putain de douleur qui me consume de l'intérieur. « Quoi ? T’es sérieuse là ? Tu crois que je couchais avec ton, avec mon... oh mon dieu... » Hein, quoi ? Mon visage change de couleur, le regard perplexe. Je ne comprends pas tout de suite où elle veut en venir. « Lennon je suis sa fille ! » Les mots à peine prononcés résonnent en moi comme un écho. Sa fille ? « Quoi ? » C'est tout ce que j'arrive à murmurer d'entre mes lèvres comme par réflexe. Il me faut quelques instants pour assimiler la nouvelle. Alors c'est vraiment sa fille. Je glisse une main nerveuse dans mon cou avant de fuir son regard, honteuse. « Qu’est-ce qui t’est passé par la tête au juste ?… Je comprends que tu sois bouleversée, triste, en colère, tout ce que tu veux, mais jamais je serai venue te voir si j’avais été… quelle horreur. » Obnubilée par mon propre chagrin, je n'ai même pas pensé une seule seconde à cette possibilité. « Je le connais que depuis cinq ans, j’étais pas au courant de toute cette histoire, et je connais ton existence et celle de Wyatt que depuis une poignée de semaines tout au plus. » Le regard fuyant, je me confonds très vite en excuse. En réalité je me sens encore plus conne que jamais. Dans ma tête c'est les montagnes russes depuis tout à l'heure. « Je... je suis désolée. J'ai cru que... enfin je n'ai pas vraiment réfléchi. » Elle n'y est pour rien et ne mérite pas ma colère. Tout comme moi, c'est un peu un dommage collatéral elle aussi dans toute cette histoire. « Je crois que j'ai besoin de souffler un peu. » Je suis à fleur de peau, et c'est le moins que l'on puisse dire. Trop d'émotions à gérer, mon corps ne va pas supporter. Je sens d'ailleurs mes jambes vaciller et je m'assoies très vite sur un banc à proximité pour éviter de sombrer. D'un coup je ne me sens vraiment pas bien. Les autres sont déjà en train de rejoindre le parking. Mais Jaymes reste là me soutenant par le bras. J'ai besoin de quelques minutes pour reprendre mes esprits. La tête entre les mains, je relève finalement mon regard sur la jeune femme. « Alors tu es vraiment sa fille... je... j'ai encore du mal y croire. » Une grimace s'installe alors au coin de mes lèvres quand je repense à notre baiser échangé il y a de ça plus de dix ans. Putain, merde.

J’ai du mal à croire qu’elle me prenait pour la maîtresse de son mari, son mari qui se trouve être mon père. Quelle horreur. Mon visage se déforme sous une moue de dégoût avant que je ne lui dise qui je suis réellement, et que le quiproquo prenne fin. Elle tombe des nues, pas étonnant. Nous avons un passé commun elle et moi, et tout concilier, remettre les choses dans leur contexte, ça devient compliqué. Surtout maintenant. Surtout après ce qu’elle vient d’apprendre, et de vivre. « Je... je suis désolée. J'ai cru que... enfin je n'ai pas vraiment réfléchi. » Je secoue la tête, pour lui dire que ce n’est rien, je ne lui en veux pas, c’est compréhensible qu’elle soit totalement perdue, elle me fait de la peine. Et pourtant, je sens bien que le palpitement dans ma cage thoracique n’a rien à voir avec la situation en elle même. C’est sa simple présente qui provoque ça en moi. « Je crois que j'ai besoin de souffler un peu. » Elle chancèle et ne tarde pas à trouver sa place sur un banc à deux pas. Je l’accompagne pour la soutenir, le coeur serré de voir à quel point tout ça la chamboule, et je le comprends parfaitement. Je la soutiens et reste près d’elle, au cas où, un malaise n’est jamais bien loin dans ce genre de situation. « Alors tu es vraiment sa fille... je... j'ai encore du mal y croire. » Je soupire un peu, m’asseyant finalement près d’elle, glissant mes mains moites sur mes cuisses. « Oui… moi aussi j’ai du mal à y croire… » Croire que c’est elle, que c’est avec elle que mon père menait une double vie, qu’il a volé la vie que j’aurai rêvé d’avoir avec elle. Elle a été mon fantasme si longtemps, j’ai eu du mal à m’en séparer, et aujourd’hui encore, je prends conscience que ce n’est pas réellement terminé. Il faut croire que la légende dit vrai, on n’oublie pas son premier amour. Je suis profondément heureuse avec ma femme, mais Lennon restera à tout jamais un point clé de mon histoire. Le silence s’installe un instant avant que je ne lui demande finalement. « Il t’a dit, pour moi ? Enfin qu’il avait une fille… ou il t’a écrit une lettre ? J’ai essayé de le dissuader de le faire avec une lettre… » C’est la vérité, lorsque je suis allée le voir à l’hôpital et qu’il a parlé d’écrire une lettre à cette femme qu’il aimait pourtant profondément, je lui ai dit que ce n’était pas du tout une bonne idée, s’il voulait partir sans laisser de gros dégâts. Mais bon, il a vécu toute sa vie en faisant des dégâts alors ça de plus ou de moins… Sans trop réfléchir, je viens poser ma main sur son genou tout en lui demandant « Ça va aller ? » Mais je me prends vite compte de mon geste et retire ma main à la hâte en me raclant la gorge. Malaise bonjour…

C'est un putain de cauchemar, c'est pas possible autrement. J'ai embrassé la fille de mon mari. Cette phrase ne cesse de tourner en boucle dans mon esprit. Enfin concrètement c'est elle qui est venue s'emparer de mes lèvres ce jour-là mais j'ai été incapable de la repousser pour autant. Ce baiser m'a hanté pendant longtemps... très longtemps même. Je ne pensais plus qu'à ça, je ne pensais plus qu'à elle. Il fallait que ça s'arrête. Et si j'ai difficilement réussi à tirer un trait sur cette période de ma vie, la retrouver là devant moi me ramène tout en pleine figure. Le passé, les souvenirs... même les sensations de ses lèvres sur les miennes. Je repense à tout. A elle, à nous, à cet attachement évident que je n'ai jamais su expliquer. « Oui… moi aussi j’ai du mal à y croire… » Un silence troublant s'installe entre nous alors que je tente de calmer mon palpitant. En réalité c'est le chaos à l'intérieur de mon coeur. Il y a tous un tas de sentiments inattendus et incontrôlés qui surgissent de tous les côtés. « Il t’a dit, pour moi ? Enfin qu’il avait une fille… ou il t’a écrit une lettre ? J’ai essayé de le dissuader de le faire avec une lettre… » Je sors par réflexe le bout de papier froissé de ma poche avant d'ajouter. « Il ne t'a apparemment pas écouté. » Mon ton est étrangement calme, comme résigné. Après tout, à quoi bon ? Il n'est plus là maintenant, ce n'est pas comme s'il était possible de changer le cours des choses. « Ça va aller ? » Mon coeur manque un battement lorsque je sens la main de Jaymes se poser sur mon genou. Je me raidis brusquement par réflexe. « Je... » Un simple geste qui me fait perdre tous mes moyens. Comme si Jaymes avait encore de l'emprise sur moi. Comme si nous étions revenues des années en arrière. « Oui... merci, c'est bon. » En fait, on s'en fout. Fuir. Là, tout de suite, c'est tout ce qui m'importe. Je ne peux pas rester là avec elle. J'ai besoin d'air. « Il faut que j'aille retrouver Wyatt. » L'excuse de mon fils. Je n'ai rien trouvé de mieux pour me justifier. Normalement ça marche à tous les coups... ou pas. A croire que prendre la fuite est tout ce que je sais faire de mieux. « Je suis désolée. » Désolée pour tout. Aussi bien de l'avoir pris pour sa maîtresse tout à l'heure que de la planter lâchement comme je suis en train de le faire. Tel mari tel femme. Je tourne rapidement les talons sans prendre la peine de me retourner. En réalité je n'ai pas le courage de croiser à nouveau son regard.