Break it. ¤ Casler

Son oreille vibrait. Casey émergea légèrement du profond sommeil dans lequel elle était plongée, un peu perdue. Pourquoi son oreille vibrait, au juste ? La question la heurta de plein fouet, avant que la réalité ne se charge d'achever le travail. Son oreille n'était pas atteinte d'une forme rare - et précoce - de Parkinson : c'était son biper, qu'elle avait oublié sous sa tête, qui était pris d'irrépressibles tremblements propres aux appels d'urgence. Elle se redressa vivement, cheveux en bataille et main tâtonnant à la recherche de son téléphone. Et ainsi qu'elle le craignait, l'écran indiquait qu'elle avait une bonne heure de retard pour prendre sa garde. « PUTAIN DE MEEEEEEEERDE ! » beugla-t-elle tout en s'extirpant difficilement des couvertures. Évidemment, elle trouva le moyen de se prendre les pieds dedans. Chuta directement par terre. Lâcha une flopée d'injures contre elle-même, le monde et l'univers, puisqu'on y était. Se releva. Attrapa au hasard une tenue pour la journée. Et fila vers la salle de bain, à grands coups de portes que l'on ouvre à la volée. Ainsi brusquement réveillée, elle ne réalisa pas tout de suite que les lieux étaient occupés et autant dire qu'elle était déjà torse-nu quand elle capta le bruit de l'eau coulant derrière le rideau. Loin de se démonter, elle se contenta de se couvrir la poitrine de son bras - au cas où son colocataire aurait l'idée de jeter un oeil dans sa direction - et s'exclama : « Grouille-toi, Tyty ! Je suis genre hyper à la bourre ! Et quand je dis 'à la bourre', c'est que si je me pointe pas à la mine dans une demie-heure, je vais être de corvée de nettoyage d'escarres en gériatrie pour le reste de la semaine ! » Soit l'une des pires perspectives pour un aspirant médecin. Dans le top trois des trucs dégueu', et de loin.

Ce matin Tyler s'était réveillé aux aurores. A peine le soleil avait commencé à pointer le bout de son nez à l'horizon, que Tyler avait émergé. Pourtant la nuit n'avait pas été des plus calmes. Comme preuve, sa petite-amie était endormie à ses côtés, dans le plus simple apparat. Nul doute que la nuit avait été... mouvementée. Après la soirée "The Voice", que Tyler prenait soin d'oublier, il avait tout de même pris la peine d'envoyer un texto à Jenna pour s'excuser de la façon dont il s'était conduit. Il lui avait dit que même si ses "raisons" étaient "légitimes" ça n'excusait pas la façon dont il l'avait traitée et rejetée. Enfin un truc du genre. La vérité c'était qu'elle lui avait cassé les couilles et que si elle était moins désireuse de sauver son âme et de le transformer en Golden Boy peut-être qu'il aurait pas pété un câble. Mais il allait tout de même pas lui dire ça. En tout cas, tout était réglé entre eux; et cette nuit ensemble le montrait bien. Mais ce n'était pas pour autant que Tyler allait rester là à la regarder dormir comme un amoureux transis. C'était clairement pas son genre. Il était dans la douche depuis cinq minutes à peine qu'il entendit Casey jurer dans la pièce à côté. Et quelques secondes plus tard elle était dans la salle de bain. « Hé, mais qu'est-ce que tu fous ? » s'exclama t-il. Elle était carrément rentrée ! Il aurait pourtant juré avoir verrouillé la porte... Quoi que. Faut dire qu'il n'est pas particulièrement pudique alors bon, c'est le genre de truc qu'il peut facilement oublier. « C'est pas parce que la porte était pas verrouillée que c'était une invitation pour autant ! Allez, sors de là ! » lança t-il ne pouvant s'empêcher de sourire. L'idée était plutôt hilarante en fait. Enfin, c'est pas comme si Casey allait venir le rejoindre sous la douche ! Dans tous les cas elle allait devoir s'y faire et attendre. Il allait pas sortir maintenant, nu comme un vers et couvert de savon. « T'es plus dans ta super villa, qu'une salle de bain ici. C'est à celui qui se lève le plus tôt ! Alors la prochaine fois t'auras qu'à te lever avant. » répliqua t-il alors. Mais il sut immédiatement que c'était une erreur. Attaquer Casey était toujours une mauvaise idée. Elle avait cette sale tendance à toujours gagner. Ou presque. Mais la plupart du temps c'était drôle. Alors quelque part, Tyler se réjouissait d'avance. Sauf qu'il n'avait encore aucune idée de ce qui l'attendait.

Sortir de là ? Il pouvait se brosser - dans tous les sens de l'expression, d'ailleurs ! Il n'avait pas entendu, ou quoi ? Des escarres ! En gériatrie ! Personne n'avait envie de subir ça. Aucune âme vivante saine d'esprit ou non. Pas même Casey Griffith, aussi discutable que fut sa santé mentale. « Tytyyyyyy s'il te plaîîîît ! » commença-t-elle par geindre, réduite à l'état de gamine pleurnicheuse sautillant sur place. Comme si elle en appelait à sa compassion, d'un être humain à un autre. Autant dire qu'elle aurait aussi bien pu pisser dans un violon. Son colocataire s'amusait beaucoup - trop - de la situation et ne semblait absolument pas enclin à écourter son passage dans la salle de bain pour lui rendre service. Il osa même lui rappeler qu'en acceptant de s'installer chez lui, elle avait aussi signé pour ce genre de déconvenues. Aucune solidarité, vraiment. La seule chose qui lui restait à faire était donc, probablement, de râler un bon coup et de sortir comme elle était venue. Puis, de se faire à l'idée de passer le reste de ses fins de journées de la semaine à écouter Mrs Tuttlemeyer radoter à propos de ses petits-enfants, pendant qu'elle parferait ses compétences en apnée. Seule solution, donc. Pour une personne lambda et raisonnable. Pas pour la Griffith. « Mais c'est qu'il a mangé un clown au petit-déjeuner notre pompier ! Ahah ! Je suis mooooorte de rire ! » Le ton aurait pu être grinçant mais à la place, il avait plutôt un écho pernicieux. Signe qu'elle préparait un mauvais coup. Confirmation : « Puisque tu veux jouer au plus malin dès le matin ... » Tant pis pour sa poitrine. Et le reste aussi, en fait. En un instant, elle s'était aussi débarrassée de son short et sa main attrapait le rideau de douche. « ... Pousse-toi et tourne-toi, j'arrive ! » Malgré ses évidentes protestations, elle le fit. Pas très pratique les yeux fermés, certes, toutefois, ça ne l'empêcha pas de grimper dans la baignoire jusqu'à ce que sa tête instantanément trempée rencontre l'eau bouillante. Pour l'un, le choc était sûrement psychologique, pour l'autre, il était de l'ordre thermique. Pour les deux, il fallait s'y attendre. Après tout, en se moquant d'elle, il l'avait presque défié. On aurait presque pu dire que c'était ce qu'il voulait, si les choses étaient différentes. « Je regarde pas ! J'ai rien vu ! » s'exclama-t-elle en cherchant le gel douche à tâtons. Pour vu que ses doigts ne rencontrent pas le "mauvais objet" ou la gênance serait à son comble. Parce que pour l'interne, se retrouver complètement nue sous la douche, avec son ex petit-ami aussi en tenue d'Adam, ce n'était pas déjà suffisamment ubuesque. « Je déteste plus les escarres que je crains que toi, tu me foutes dehors, imagine un peu ! En plus, tu l'as cherché ! » Et toc, comme dirait l'autre. Puérile. Du Casey en grande forme tout craché.

« QUOI ?! » s'exclama t-il alors que Casey venait de lui sortir un "Pousse toi j'arrive". Par réflexe il s'était retourné et avait "malencontreusement" aperçu son ancienne coéquipière - et puis surtout ex-copine - rentrer dans la douche. Enfin il avait surtout aperçu son corps nu le rejoindre sous la douche. Il s'était alors retourné pour être dos à elle, et avait fermé les yeux aussi. Même si de dos il risquait pas de la voir... Mais il fallait dire qu'il savait pas trop comment réagir dans cette situation. On pouvait pas dire que c'était le genre de trucs qui lui arrivait souvent... « Mais... Casey ! » Il ne savait même pas quoi dire à ce stade. Principalement parce qu'il avait l'image du corps de Casey gravée sur sa rétine. Parce qu'il sentait la chaleur de son corps à quelques centimètres à peine de lui. Parce qu'il se voyait soudain envahi de souvenirs tels que les courbes de la jeune femme, ses mains sur ses cuisses, ses lèvres sur sa peau... Merde. Pense à Trump. Melania Trump. Putain ! Des maths ! 3x2. Non c'est trop simple ça ! 12x7. 12x7?? Euh 7x10 = 70, 7x2 =14. Donc 12x7=84. Tyler essayait vraiment de se concentrer pour éviter de penser à Casey, sous la douche, avec lui. Mais c'était pas aussi simple. Cette situation était tellement dingue ! Même son esprit tordu n'aurait jamais pu imaginer ce genre de truc. Pourtant c'était bien en train d'arriver. Il entendait Casey tâtonner à quelques centimètres de lui. Elle était pas loin de le frôler. Il se pencha légèrement pour attraper le gel douche et le poussa pour que Casey puisse l'atteindre. Et leurs doigts se frôlèrent. Comme dans une de ces foutues comédies romantiques à la con ! Sauf que dans ces films à la noix, les deux héros ne se retrouvaient généralement pas sous la douche ensemble ! « Tu sais quoi, je vais sortir. » lâcha t-il finalement, n'y tenant plus. S'il continuait à rester là avec ces images dans la tête, ça allait mal finir... Il sortit maladroitement de la douche, pratiquement à l'aveugle. Enfin sorti de la douche il attrapa une serviette pour entourer sa taille et cacher le plus important. Il entreprit alors de rincer sa tête pleine de shampoing dans le lavabo, ce qui était loin d'être évident. « Y a pas des douches à l'hôpital ? T'aurais pu te laver là-bas non ? » lança t-il alors qu'il se contorsionnait pour rincer ces foutus cheveux. Note personnelle: toujours attendre que Casey ai pris sa douche avant de prendre la mienne. « Putain de merde ! » s'exclama t-il alors qu'il s'était mis du savon dans les yeux et qu'avec le mouvement de recul il s'était cogné la tête contre le robinet. « Sois maudite Casey ! J'espère que tu te les taperas ces escarres ! » lança t-il finalement. Mais même s'il voulait se montrer hostile, son ton trahissait la plaisanterie.

Bien que consciente de l'indécente proximité de leurs corps, Casey était surtout obnubilée par ce qui l'attendait à l'hôpital. Au-delà de cette horrible histoire de bizutage puant et suintant, elle n'en revenait pas d'avoir raté l'heure du réveil. Et se maudissait de sa bêtise. En tout et pour tout, depuis dix ans qu'elle travaillait, elle n'avait dû arriver en retard que deux fois. Pas plus. En comptant un accident qui l'avait cloué dans une avenue un matin où elle aurait dû prendre son shift à la caserne. C'était dire si elle était scrupuleuse sur ce point ! Elle n'aurait pas dû accepter ces heures supp' et encore moins de rejoindre Jack après sa garde, pour terminer à rejoindre sa chambre au radar, prenant juste le temps de se déshabiller avant de s'endormir à peine la tête sur l'oreiller. Erreur stupide qui les mettait ce matin dans une situation pire qu'incongrue. Au moins avait-elle eu l'avantage de couper le sifflet à son colocataire, qu'elle sentait quelque peu tendu derrière elle. Elle récupéra le gel douche grâce à la mansuétude de Tyler, sentit leurs doigts se frôler, réprima un frisson qu'elle n'avait pas ni le droit, ni le temps de ressentir et entreprit de se savonner vivement, peau et cheveux inclus sans distinction. Parer au plus urgent, on a dit. « Tu sais quoi, je vais sortir. » « Attend ! J'ai presque fini ! » répliqua-t-elle de l'eau plein la bouche, prise d'un très léger élan de culpabilité. Elle n'avait pas voulu le déloger non plus. Trop tard, elle l'entendit quitter le bac. La jeune femme haussa les épaules, loin d'imaginer la raison véritable de la précipitation du pompier. « Y a pas des douches à l'hôpital ? T'aurais pu te laver là-bas non ? » Un rire sarcastique lui répondit. « Et risquer que mes super potes de promo m'y trouvent et me vendent au chef pour que la semaine avec les vieux passe à deux ? Pas question ! » Il ne connaissait pas les aspirants médecins. Ambitieux, sans foi ni loi, prêts à tout pour obtenir le susucre du boss. A côté, la façon dont Tyler et elle avaient été traités en tant qu'ambulanciers, c'était du pipi de chat. Cette époque-là lui manquerait presque. « Putain de merde ! » Oh ! Son expression préférée ! Il y avait comme du mimétisme dans l'air ! « Ça va ? » Sa tête apparut hors du rideau de douche, découvrant la scène du pompier se contorsionnant sous le robinet. A cause d'elle. Hilarant, il fallait l'avouer. « Sois maudite Casey ! J'espère que tu te les taperas ces escarres ! » Cette fois, elle rit franchement. « Tant d'affection en deux petites phrases ! Dis-toi qu'à ce rythme, tes rêves pourraient bien devenir réalité ! » répliqua-t-elle pleine de dérision, clin d’œil à l'appui, pour mieux disparaître l'instant suivant. Ce petit interlude lui avait coûté une précieuse minute et elle s'empressa de finir de se rincer. Par chance, sa serviette était juste à côté de la douche, aussi n'eut-elle pas à imposer à Tyler la vision de sa silhouette dégoulinante quand elle eut terminé. Enroulée à la va-vite, elle s'extirpa à son tour de la douche - sans finir par terre, un exploit -, puis fila comme elle était venue. « Salut Jenna ! » lança-t-elle à la petite-amie de son coloc', laquelle sortait de la chambre de ce dernier quand elle la croisa, sur le point de rejoindre la sienne. Nul doute que la jeune femme dut mettre quelques secondes avant de faire le lien entre son mec dans la salle de bain ... Et son ex. Qui en revenait. Malaise qui ne frappait toujours pas Casey, véritable boule de nerfs et d'hyperactivité. « Allez ! Bordel de putain de merde ! Mais où est-ce que je l'ai foutu ?! » Dix minutes supplémentaires d'envolées, à rassembler dans le fatras de sa chambre une tenue propre. Le tout en pestant et maudissant son manque d'organisation inné. Heureusement qu'elle avait prévenu son coloc' en amont de sa tendance à être aussi bordélique que bruyante.

Quand elle émergea à nouveau, elle portait déjà sa blouse d'interne, son sac était ouvert, révélant son contenu fourré dedans à la hâte, et son téléphone était collé à son oreille encore humide - à l'image de ses cheveux attachés à la hâte. Elle rejoignit la cuisine à grandes enjambées pressées où elle piqua un fruit qui lui servirait d'unique petit-déjeuner. A l'autre bout du fil, la seule collègue avec qui elle s'entendait bien lui faisait ironiquement la morale. « 'Pas très professionnel' ? C'est toi qui me dis ça, Gigi ? Tu veux que je te rappelle la semaine dernière, quand je t'ai tenu les cheveux dans la salle de repos parce que tu vomissais tes tripes ? 'La cuite du siècle', tu te souviens ? Ouais, c'est bien ce que je pensais ! Dis que je suis en cardio avec Devila. Voilà. D'ici quinze minutes, ça devrait tenir. Attend deux secondes ! » Éloignant l'appareil, elle se tourna vivement vers Tyler, un grand sourire ourlant ses lèvres. « Désolée ! Merci ! A ce soir ! Fais attention ! » débita-t-elle, telle une mitraillette lancée à plein régime, tout en se penchant pour l'embrasser sur la joue. Du moins, c'était probablement l'endroit qu'elle visait. Ou pas. L'instinct, poussé par l'urgence, avait pris le dessus et ses lèvres atterrirent contre celles du jeune homme. Une demi-seconde seulement, un contact si rapide qu'elle ne s'en rendit même pas compte. A peine s'était-elle écartée qu'elle pivotait déjà. Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claquait derrière elle. Ce ne fut que lorsqu'elle eut dévalé les escaliers et que l'air frais de la matinée lui fouetta le visage qu'enfin, elle réalisa ce qu'elle avait fait. « Mais c'est pas vrai ! Quelle conne ! » Gigi eut beau lui assurer qu'une panne d'oreiller pouvait arriver à tout le monde, Casey, sans démentir, ne put qu'espérer que Jenna n'avait pas surpris son geste. Les escarres n'étaient peut-être pas si terribles que ça en fin de compte.

Quand Casey sortit de la douche, Tyler venait juste de  finir de rincer ses cheveux dans le lavabo. Il était à peu près sûr de s'être déglingué le dos pour la journée avec ces stupides contorsions ! Il attendit qu'elle sorte de la salle de bain pour se décaler du lavabo. Il avait pris soin de cacher les effets qu'avaient eu cette petite séance sous la douche... ça aurait été bien trop embarrassant. Mais pas plus embarrassant que Casey qui lâche un "Salut Jenna" en sortant de la salle de bain. Il était bon pour une nouvelle dispute, ou explication, ou une mise au point, enfin bref, un truc qu'il n'avait vraiment pas envie de faire peu importe le nom. « Euh, il s'est passé quoi là au juste ? » « Casey avait besoin de la douche. » « Donc quoi, vous avez pris une douche ensemble ? » lâcha Jenna. La colère transparaissait parfaitement dans son ton malgré le fait qu'elle chuchotait pour pas que Casey entende. De toute façon elle avait l'air occupée vu le bordel qu'elle fichait dans sa chambre... « Non, non, bien sur que non ! Je suis sorti de la douche ! ... Ecoute on parle plus tard ok ? » lança t-il en désignant Casey - ou plutôt en faisant un signe de tête en direction de la chambre de cette dernière. Déjà que les engueulades et explications le soulaient alors avec du public en plus... Et puis c'était pas n'importe qui en plus ! Casey.

Tyler s'empressa de sortir de la salle de bain, laissant le champ libre à Jenna. Après un petit tour rapide dans sa chambre pour s'habiller, il ressortit, ses ardeurs calmées. D'ailleurs il était plutôt content d'avoir réussi à détourner l'attention des filles pour qu'aucune ne le remarque ! Il s'était alors dirigé vers la cuisine, à la recherche de n'importe quoi pour calmer son estomac qui commençait à crier famine. Il fallait nourrir la bête ! Il attrapa un carton de pizza qui traînait au frigo. C'était ça ou le reste d'indien de la veille. Et du poulet tandoori ou des nouilles au curry dès le matin c'est pas vraiment l'idéal. Alors que la pizza c'est une valeur sûre: du pain et du fromage. Il venait de sortir le carton du frigo quand Casey débarqua, l'oreille collée à son téléphone. Sans qu'il ne comprenne ce qu'il se passe elle s'était retournée pour lui souhaiter une bonne journée, l'avait embrassé et était partie. Il resta figé, tout penaud, pendant ce qui lui sembla être une éternité. D'autres souvenirs envahirent son esprit. Le goût des lèvres de Casey sur les siennes, la douceur de sa peau, ses soupirs, ses cris. Non, il n'avait pas le droit de penser à ce genre de choses, et pourtant il ne pouvait pas s'en empêcher. Il était envahi de souvenirs divers et variés, il revoyait leurs ébats, leurs flirts, leurs petits jeux. C'était peut-être il y a une éternité mais dans son esprit ça n'avait aucune importance. Du moins jusqu'à ce que la voix familière de sa petite-amie actuelle ne le fasse revenir sur terre. « Non mais c'est une blague je rêve ! Tu va encore me dire que ce n'est rien ? » « Je, hein ? C'est elle qui m'a embrassé, tu va quand même pas me le reprocher ! » « Elle t'aurait sûrement pas embrassé si vous ne flirtiez pas. D'abord la douche, ensuite le baiser pour dire au revoir, c'est quoi la prochaine étape ? Je vous chope en pleine action dans un de vos lits ? » Tyler se garda bien de lui dire que les lits n'étaient pas forcément l'endroit qu'ils privilégiaient avec Casey pour faire des galipettes... D'après ces souvenirs, ils avaient majoritairement traumatisés des placards et des commodes plutôt que des lits... Mais ce n'était certainement pas judicieux de dire ça à Jenna. « Peut-être qu'elle elle flirte mais pas moi, ok ? Je n'ai d'yeux que pour toi, tu le sais ça... » dit-il d'une voix rassurante en se rapprochant d'elle, usant évidemment de son sourire spécial charme. Ce petit sourire en coin qui faisait fondre les demoiselles. Son arme secrète. Il s'approcha un peu plus d'elle, lui attrapa la main et l'attira contre lui. « Et je peux le prouver... » murmura t-il dans son cou, avant de se coller un peu plus contre elle, lui laissant tout à loisir de sentir l'effet qu'elle avait sur lui. Enfin, elle n'était pas censée savoir que ce n'était pas elle qui lui faisait cette effet... Il savait bien qu'une partie de jambes en l'air ne réglerait pas tout, ne réglerait rien même, mais au moins ça lui ferait oublier ces histoires pendant un moment et ça retarderait la dispute ou explication bref, ça. Et elle gagnait même un orgasme au passage, c'était du gagnant-gagnant !

Finalement Jenna était partie après sa petite partie de jambes en l'air bonus. Le tout sans même être revenue sur l'histoire avec Casey. Tyler savait bien que ce n'était qu'une question de temps, mais d'un autre côté il s'inquiétait pas plus que ça, à vrai dire ça lui passait carrément au dessus. C'était un jour de congé pour lui aujourd'hui, alors il allait pas se tracasser avec des trucs futiles pas vrai ? Il avait donc passé la journée à jouer aux jeux vidéos, à regarder des films, - bien sûr il n'avait pas raté l'épisode de sa série bidon dont il était à présent accro - avant de s'endormir sur le canapé, étalé de tout son long, vaguement réveillé par le bruit de la porte quand Casey rentra de l'hôpital.

« Griffith. Gériatrie. » Et même si c'était à prévoir, Casey eut envie de pleurer. Fort. En se roulant par terre de frustration. Sauf que dans la mesure où elle n'avait plus cinq ans, son caprice matinal aurait été du plus mauvais effet. Aussi, croisant brièvement la mine navrée de Gigi - dont les dons pour le mensonge allaient avoir besoin d'être encouragés -, puis celle, agacée de son chef, l'interne ne put que s'avouer vaincue. Les escarres, ce serait pour sa pomme jusqu'à la fin de la semaine. « Ça vous apprendra à être à l'heure. » ajouta le chef de service avant de se détourner. La jeune femme se retint de lui présenter son majeur et n'eut plus qu'à se diriger vers l'ascenseur, non sans jeter un dernier regard nostalgique aux urgences. Journée de merde.

Bien qu'elle fut accueillie avec force de « bonjour, presque-docteur ! » par ses petits malins de vieux patients, Casey dut véritablement prendre sur elle pour être d'agréable compagnie. Pas tant à cause des escarres. Elle avait eu beau en faire tout un foin, elle en avait assez soigné durant ses différentes pérégrinations pour que ses sens se soient habitués à ces horreurs de la nature. Non, le problème venait plutôt de l'épisode du baiser accidentel qu'elle ne cessait de se repasser en se demandant, un, pourquoi ? et deux putain mais pourquoi ?! Devait-elle envoyer un message à Tyler pour s'excuser ? Ou ne pas en faire cas ? Peut-être que lui-même avait déjà oublié. Que Jenna n'avait rien vu. Et qu'ils feraient l'autruche, parce qu'au final, c'était ce qui leur réussissait le mieux. Elle appréciait vraiment de vivre avec lui, en tant qu'amis, sans ambiguïté pour parasiter leur relation et aurait été attristée que ce réflexe stupide, sorti de nul part, mette leur cohabitation - ou pire, son couple à lui - à mal. De fait, elle conclut que le mieux à faire était ... De ne rien faire, justement. « Dylan va passer me voir aujourd'hui ! » lâcha Mrs Tuttlmeyer, faussement détachée. Revenant sur terre, Casey haussa un sourcil. « Votre arrière-petit-fils ? » La vieille dame, dont elle soignait le bras, acquiesça joyeusement. « C'est une très bonne nouvelle, ça ! Vous avez déjà lancé les paris avec Mr Huntington sur combien de roses il vous apportera, cette fois ? » Elle ne l'avait jamais rencontré, mais paraissait-il que le garçon était très attentionné. Quelle chanceuse grand-mamie ! « Il dit six, je parie sur une douzaine. On est en début de mois, il aura eu sa paie ! Mais restez dans le coin, presque-docteur, vous vérifierez par vous-même ... » Un simple sourire répondit à Mrs Tuttlemeyer. Elle la voyait venir à trois miles, avec son regard brillant. Et la dernière chose dont Casey avait besoin, c'était d'une rencontre gênante supplémentaire.

Finalement, on l'avait rappelé à la mine. Les punitions, ça valait bien quand la charge de boulot des collègues restait acceptable. Sauf qu'un accident de bus sur le périph' plus tard, il avait fallu mobiliser jusqu'à la dernière paire de bras disponible dans un rayon de deux kilomètres. Résultat, elle dut s'occuper de pas moins de trois ados amochés d'affilé, dont un qui, commotion oblige, eut la gentillesse de lui vomir son petit-déjeuner dessus, pendant que sa copine lui hurlait dessus que « mais faites-lui passer un scan ! ils font toujours ça dans Grey's Anatomy ». Encore une qui avait trop regardé la télé. « Oui bah, vois ça avec le Docteur Karev, ma jolie. » Le temps que la gamine comprenne qu'elle venait carrément de se moquer d'elle, Casey s'était détournée pour aller nettoyer les dégâts et effectivement, programmer un scan. Sans Docteur Karev dans les parages pour l'aider en lui arrachant sa blouse, de préférence. Dans la mesure où elle avait remis le couvert avec Jack la veille, on aurait pu croire que la fin de son désert sexuel avait aussi mis un terme à ses pulsions intempestives patinées de flash de souvenirs malvenus - qui n'incluaient pas le frère de sa meilleure amie, ni un personnage de fiction, plutôt son colocataire, en réalité. Sauf que visiblement, ce n'était pas suffisant. Ce qui n'avait, évidemment, rien à voir du tout avec les événements de la matinée. Non. Absolument pas. La fatigue. C'était juste la fatigue.

De retour « chez elle » après cette journée de folie, elle aperçut brièvement Tyler très occupé à faire une sieste sur le canapé pendant que le poste braillait quelques sons incompréhensibles. Autant dire qu'elle se garda bien de le déranger, et pas seulement parce qu'elle l'avait assez fait un peu plus tôt. Puisqu'elle était supposée retrouver Jack un peu plus tard, elle prit plutôt le chemin - oui, encore - de la salle de bain. Non sans vérifier que Jenna n'était plus dans les parages. Le pompier n'était pas le seul à vouloir s'épargner une conversation embarrassante. Tout en pianotant sur son téléphone, elle repoussa la porte de la salle de bain sans la fermer complètement, puis commença à se déshabiller, toujours les yeux rivés sur l'écran, sourire aux lèvres. Son compagnon du moment avait l'art, surtout par écrit, de rappeler à quel point il était impatient de la revoir. Plus flatteur qu'excitant, disons-le, toutefois, pour le peu qu'elle attendait de leur « relation », c'était amplement suffisant. Ne restait à notre interne que les dernières heures à effacer grâce au contenu du bac, qu'elle n'expédierait pas en quelques minutes, pour le coup. Cette fois, elle comptait bien prendre le temps de se détendre. Surtout qu'ainsi que chacun sait, même en solo, les moyens pour arriver à cette fin sous la douche étaient ... Plutôt étendus.

On ne pouvait pas dire que sa journée avait été productive. Mais d'un autre côté, il donnait tellement au boulot, et puis on pouvait pas dire que sa vie sociale et amoureuse était particulièrement tranquille non plus ces derniers temps. Alors Tyler avait bien droit à sa petite journée de repos bien mérité ! Mais même cette petite sieste imprévue ne l'avait pas libéré de ses... soucis actuels. Il pensait à Casey. A ce "baiser" qu'elle lui avait donné quelques heures plus tôt. Qu'est-ce que c'était que ça ? C'était pas vraiment un baiser, enfin si... Le genre de baiser habituel que mari et femme se font avant d'aller bosser. Sauf que Tyler ne pouvaient pas être plus éloignés de ça ! Et puis il y avait l'épisode de la douche. Ce n'était pas anodin ça non plus, si ? Est-ce que sans le remarquer il s'était à tel point rapproché de Casey que c'en était devenu du flirt ? Non, c'était pas le genre de Casey de se faire des films pour rien. C'était juste... un malentendu. Ouais, un simple malentendu, rien de plus. Et il allait bien falloir le dissiper, s'ils voulaient rester colocataires. Parce que ça se passait si bien ! Tyler ne s'imaginait pas avoir autre colocataire que Casey. Alors il fallait en parler. C'était la chose "adulte et mature" à faire. Du moins c'est ce que Tyler avait en tête quand il se leva du canapé pour se diriger vers la chambre de Casey. Il était sur le point d'entrer quand il entendit l'eau de la douche dans la salle de bain. Un petit sourire s'inscrit sur le visage de Tyler. Après tout, la salle de bain était devenu un endroit de partage depuis ce matin pas vrai ? Il ne prit pas la peine de toquer et entra donc. Il n'avait pas encore dit un mot qu'il entendit quelque chose qui ne ressemblait certainement pas à quelqu'un en train de se savonner... Du moins c'est ce qu'il avait cru entendre. Il aurait pu faire demi-tour, sortir de la salle de bain et faire comme s'il n'avait rien entendu, comme s'il n'avait pas bougé du canapé. Mais au lieu de ça il resta planté là quelques secondes avant de finalement fermer la porte de la salle de bain d'un bruit sec pour bien montrer sa présence. Appuyé contre la porte, son sourire redoubla. Il aimait bien l'idée d'avoir piégé Casey comme elle l'avait piégé ce matin. Bon, certes, ce matin il n'était pas en train de se "divertir" mais bon... « Besoin d'un coup de main ? Paraît que j'ai un bon... doigté... » lâcha t-il s'amusant de sa petite plaisanterie. En quoi c'était un comportement adulte et mature ? En rien du tout. Mais après tout, depuis quand leur relation reposait sur ces critères là ?

Se détendre, donc. Considérant qu'elle l'avait bien mérité après les heures douloureuses qu'elle venait de s'enquiller, personne ne pourrait lui reprocher d'abandonner Jack à ses fantasmes libidineux pour s'occuper des siens. La première étape était bien entendu de se débarrasser des nœuds dans ses épaules - et de probables résidus de vomi - grâce à l'eau bouillante, laquelle dévalait son corps depuis son crâne tout aussi fourmillant. Toutefois, après qu'elle ait senti ses muscles se dénouer, il lui fallut admettre qu'aucune salve d'onde ne pourrait calmer l'autre feu qui l'habitait. Aussi sa main s'aventura-t-elle plus bas, un peu plus bas ... Jusqu'à rencontrer cette partie d'elle-même dont nul autre qu'elle ne savait aussi bien s'occuper. A défaut de beau médecin bodybuildé pour l'accompagner, elle laissa ses pensées la mener vers un bien-être amplement recherché. Problème étant qu'au fur et à mesure, le Docteur Karev - quoi ? c'était son petit plaisir, après tout ! - dut s'effacer au profit de quelqu'un de tout à fait réel. Mais après tout, mieux valait qu'elle songe à la personne en question durant ces moments-là, plutôt que quand il se trouvait dans la même pièce. Ça n'impliquait rien, pas plus que pour une femme hétéro de se sentir émoustillée devant une scène de sexe lesbien. Ce n'était pas pour rien qu'on appelait ça un fantasme, après tout. Ils n'avaient pas pour vocation à s'inscrire dans la réalité. D'ailleurs, aux dernières nouvelles, il dormait bien sagement à l'autre bout de l'appartement. En somme, aucun risque. Du moins le crut-elle jusqu'à ce que le bruit de la porte ne la surprenne. « Besoin d'un coup de main ? Paraît que j'ai un bon... doigté... » Excepté s'il décidait de lui rendre la monnaie de sa pièce matinale, plutôt. Ses craintes confirmées par cette hilarante intervention, elle s'interrompit aussitôt. Deux solutions s'offraient à elle : mourir de honte sous le filet d'eau. Ou assumer. Voire carrément rentrer dans son jeu, puisque Tyler initiait une nouvelle partie. Enfin, une vraie, pas celle qu'elle avait honteusement débuté dans sa tête et qu'il continuerait d'ignorer jusqu'à la fin des temps. « Maintenant que tu le dis, ça me rappelle vaguement quelque chose ... » rétorqua-t-elle alors que ses traits dégoulinant apparaissaient par le rideau de douche qu'elle avait légèrement rabattu. A peine. Elle n'allait pas pousser le vice jusqu'à carrément l'ouvrir, non plus. Toutefois, sa respiration encore emballée, ainsi que son visage encore rougi, additionnés à son regard brillant, trahissaient sa lasciveté. « Je sais que je l'ai légèrement cherché vu la façon dont j'ai débarqué ce matin mais ... Tu viens d'interrompre un truc du genre, super intéressant. Et ça, c'est pas sympa ! » feignit-elle de s'agacer face au regard malin de son colocataire. S'il savait ... Mais il ne saurait jamais. Voilà. Finalement, elle éteignit le robinet et, le corps toujours protégé par le rideau de douche, tendit la main vers sa serviette de bain. Pas de chance, cette fois, elle avait oublié d'anticiper et le précieux tissu n'était pas à portée. Plutôt à celle de Tyler. « Tu peux me la passer ou ... ? » Ou ? Tu sais que sinon, je sors de là à poil et 'faudra pas te plaindre ? Ou mieux - non, pire - tu m'aides à finir ce que j'ai commencé ? Interprétation laissée libre à chacun en fonction de son état d'esprit.

Il jouait avec le feu, comme il l'avait toujours fait avec Casey. Mais il valait sûrement mieux arrêter ces jeux dangereux avant que ça ne dégénère. C'était plus ou moins ce qu'il s'était passé la dernière fois. Et il n'avait pas envie que Casey disparaisse de nouveau. Il fallait donc être sage, sensé, mature, adulte. Tout ce qu'il n'était pas, du moins pas avec elle. Et elle ne l'était pas avec lui non plus. Elle aussi jouait le jeu, lui balançant des répliques tout aussi indécentes. Des répliques qui le replongeaient vers un passé où leurs journées étaient rythmées par leurs ébats. Non, il ne fallait pas penser à ça. Enfin, pas ENCORE y penser. « Et qui te dit que t'as pas interrompu quelque chose de "super intéressant" ce matin ? On sait bien que, de nous deux, le plus discret c'est moi ! » répliqua t-il du même ton. Bon, certes elle n'avait rien interrompu. Mais elle n'était pas non plus forcément obligée de le savoir ! Comme elle n'était pas non plus obligée de savoir qu'il avait pensé à elle à différentes... occasions. Notamment quelques heures plus tôt alors qu'il était avec Jenna. Non, Casey n'avait pas à savoir ça. Adulte, mature, platonique, c'est bien ça ? « Justement je voulais te parler de ça... enfin non, pas de "ça". Mais de.. ce matin. » commença t-il alors que Casey éteignait le robinet et que sa main jailli soudain de derrière le rideau de douche avant de lui demander de lui passer sa serviette. Il envisagea une seconde de ne pas la lui passer et de se débrouiller, mais il valait peut-être pas mettre de l'huile sur le feu et éviter d'autres "incidents". Alors il attrapa la serviette et la lui passa. Sauf qu'en passant la main derrière le rideau, il était à peu près sûr de l'avoir frôlée. Son bras, son bras ou son épaule. Pitié que ce soit son bras ou son épaule. Tyler se racla la gorge avant de poursuivre comme si de rien n'était. « Je crois qu'on sera tous les deux d'accord pour qu'on verrouille la porte quand on est dans la salle de bain ? Et je vais envisager l'éventualité de te laisser la priorité sur la salle de bain... » lâcha t-il finalement en soupirant. Mieux valait faire ça plutôt que de prendre le risque que ça arrive de nouveau mais que cette fois il n'arrive pas à se tenir. Que cette fois au lieu de sortir de la douche, il se retourne, qu'il pose ses lèvres dans son cou, ses mains sur sa peau... Reprends-toi Alcott ! Allez, il y était presque ! Il essayait de mettre les choses au clair, il y arrivait. Presque. C'était vraiment très difficile. Pour la simple et bonne raison qu'au fond il n'en avait pas envie. Il avait envie de jouer ce jeu stupide et dangereux, il avait envie de penser à Casey, il avait envie de la rejoindre dans cette douche et de l'aider à finir ce qu'il avait entendu quelques minutes auparavant. Il en mourrait d'envie. Mais il résistait. Pour une fois il ne voulait pas tout faire foirer, il voulait faire les choses bien. « Par contre, tu peux me dire ce que c'était que ce baiser ? Est-ce qu'on est censé en parler ou je ne sais quoi ? » demanda t-il. Oui il essayait de faire les choses bien, mais personne n'a dit qu'il savait comment s'y prendre ! En tout cas c'était certainement pas en la regardant fixement se tenir à quelques centimètres de lui vêtue d'une simple petite serviette qui serait si facile à faire glisser...

Non, ce n'était pas son épaule, ni son bras, qu'il avait frôlé par mégarde. Cependant, Casey ne moufta pas - si l'on exceptait sa respiration, laquelle se bloqua par réflexe dans sa poitrine. Comme si ses poumons cherchaient à retenir la sensation et sa tête, à la chasser aussi vite que possible. Une drôle de dualité qui la perturba l'espace d'un instant, sa serviette à la main. Heureusement, elle ne tarda pas à s'ébrouer en s'admonestant intérieurement et s'enveloppa dans le tissu éponge avant de sortir de la douche. L'essentiel étant dissimulé, elle n'avait plus rien à craindre. En théorie, à tout le moins. « Je crois qu'on sera tous les deux d'accord pour qu'on verrouille la porte quand on est dans la salle de bain ? Et je vais envisager l'éventualité de te laisser la priorité sur la salle de bain... » Le sourire de la jeune femme redoubla. « Si j'avais su que pour obtenir ça, il fallait s'incruster quand tu y étais, je l'aurais fait dès le premier jour ! » L'atmosphère était un peu trop pesante à son goût, aussi n'avait-elle rien trouvé de mieux que de faire de l'humour. Pas sûre qu'elle ait fait mouche, mais au moins, l'intention y était. Et leur proximité soudain évidente n'aidait pas franchement à remplir l'objectif non plus. Le mieux était sans doute qu'elle se dépêche de sortir de là, comme lui l'avait fait plus tôt. Elle l'aurait fait, d'ailleurs, s'il n'avait pas repris : « Par contre, tu peux me dire ce que c'était que ce baiser ? Est-ce qu'on est censé en parler ou je ne sais quoi ? » « Non ? » Le mot sous forme d'interrogation avait jailli sans crier gare. Certainement une surprise pour tous les deux. Surtout qu'elle n'y avait pas mis sa dérision coutumière. Au contraire, elle semblait quelque peu ... Confuse. « Je veux dire, non, je sais pas ... On doit en parler ? » Toute une belle assurance évaporée en une phrase. Ça aurait pu être magnifique. Si ce n'était pas un brin pathétique. Elle soupira à son tour en levant les yeux au ciel un instant. Pour peu qu'elle se dérobe, le malentendu persisterait entre eux. Elle n'avait pas envie de ça avec lui. Elle avait envie d'un paquet de trucs avec lui dont il était hors de question, mais pas de ça. Du nerf, Griffith ! Personne n'est mort, alors reprend-toi ! « J'ai pas réfléchi. J'étais pressée, en retard, au téléphone à essayer de sauver ma peau, t'étais là et ... C'était un réflexe vraiment pourri pour te dire au revoir. Je m'en suis rendue compte une fois dehors seulement. Que je t'avais embrassé, je veux dire. Et que c'était une connerie, évidemment. Je suis désolée si ... Ça a mis un froid. Ou un truc du genre. » Parce que c'était bien ce qu'il attendait, non ? Des excuses. Qu'elle lui assure qu'il n'y avait rien de plus derrière ce baiser qu'une erreur involontaire. Même si elle n'en pensait pas une syllabe, cela allait sans dire. « Je veux pas mettre le bordel dans ta vie, Tyler. Je vois que tu t'en es très bien sorti sans moi dedans et j'en suis vraiment contente pour toi ! » Ouh ... Ce n'était peut-être pas la chose à dire. Elle avait voulu bien faire, dédramatiser la situation, sans savoir qu'elle touchait probablement une corde sensible. En même temps, elle n'était pas supposée le savoir non plus. D'ailleurs, elle souriait bêtement, persuadée d'avoir dit exactement ce qu'il voulait entendre.

« Oh, oui, bien sûr, c'est... t'inquiètes, c'est rien. Pas besoin de t'excuser. » lâcha t-il mécaniquement, un peu gêné. Pourquoi se sentait-il déçu d'un coup ? Comme s'il s'était attendu à... quelque chose de plus. Comme s'il voulait quelque chose de plus. Comme si au fond il espérait que ce n'était pas juste une "connerie". Mais évidemment que c'était une connerie, un simple réflexe idiot, un truc qui n'aurait jamais du arriver et qui ne se reproduira pas. Parce qu'ils étaient amis, parce qu'il était en couple, parce que l'eau avait coulé sous les ponts et qu'ils étaient passés à autre chose. Mais tout ça sonnait faux. Pourtant c'était bien la réalité. Ils étaient amis. Il était en couple. Et ça s'arrêtait là. Il fallait que ça s'arrête là. Tyler allait donc devoir repousser ces pensées qui l'envahissaient, ces images, cette envie de franchir cette barrière invisible entre eux. C'était peut-être ça avoir un comportement adulte et mature. Putain ce que ça pouvait craindre... « Non, non, tu met pas le... bordel, dans ma vie. T'en fais pas, tout va... bien. » Est-ce que ses mots sonnaient aussi faux dans sa bouche qu'ils le faisaient dans sa tête ? Parce qu'il ne pensait pas un mot de ce qu'il venait de dire. Elle chamboulait sa vie, et il aimait ça, parce que non tout n'allait pas bien, non il s'en sortait pas aussi bien que ça. Enfin si, il allait bien. Mais ce n'était rien comparé à...Stop, ça suffit Alcott, ressaisis toi ! Il n'avait d'autre choix que de faire semblant. Semblant d'être d'accord avec les mots de Casey, ses mots qu'il ne voulait pas croire mais que jusqu'à preuve du contraire... il n'avait pas tellement le choix que de s'y plier. « Mais, hum, content que tout soit... clair. C'était une... connerie. Et... ça ne se reproduira pas. » répondit-il maladroitement espérant secrètement que l'esprit de contradiction de Casey referait surface avant qu'il ne se résigne à sortir de cette pièce qui commençait à lui paraître de plus en plus étroite.

« Non, non, tu met pas le... bordel, dans ma vie. T'en fais pas, tout va... bien. » Elle aurait dû se sentir soulagée. Rassurée par le fait qu'il lui dise ce qu'elle attendait de lui, au final. Alors pourquoi, durant un instant, était-elle restée dans l'expectative ? Suspendue à ses lèvres, comme si ... Comme s'il pouvait lui dire qu'elle se trompait lourdement, qu'on était loin de la perfection, que ce soit avant ou maintenant. Que quelque chose manquait et que c'était « eux » ce quelque chose. Mais que t'es conne, ma pauvre fille. Sa conscience, loin de vomir des arc-en-ciel en forme de cœurs et pas fleur-bleue pour deux sous, se rappela à elle assez violemment. En choisissant de partir, elle avait fait un trait sur toutes les potentialités entre, exceptée leur prime amitié. Elle avait laissé sa place à une personne qui correspondait davantage à Tyler. Avec qui il pourrait sans doute faire sa vie. Ce n'était pas elle et ne le serait jamais. Point barre.  « Mais, hum, content que tout soit... clair. C'était une... connerie. Et... ça ne se reproduira pas. » « Ça se reproduira pas. » répéta-t-elle en souriant gentiment. Malheureusement pour Tyler, la jeune femme n'était pas décidée à rendre les armes aussi aisément. Dans son altruisme stupide, elle pensait davantage aux torts qu'elle pourrait causer en révélant la vérité. « J'ai ... Un rendez-vous. 'Faut que je m'habille ou je vais encore être à la bourre. » Cette fois-ci, elle le contourna, s'efforçant de ne pas le fuir. Même si c'était ce qu'elle faisait, elle ne devait pas le laisser à le penser. « Preum's pour la douche demain ! » balança-t-elle donc avant de claquer la porte de sa chambre, dans un nouvel essai d'humour. Il fallait retrouver une ambiance normale. Et vite. Par n'importe quel moyen.

Chose promise, chose due, la jeune femme ne fit pas long feu non plus ce soir-là. Cette fois, elle le salua sans « réflexe pourri » et partit rejoindre Jack à l'appartement qu'il venait juste de louer - encore un qui ne supportait plus les ébats bruyants des jeunes mariés. Il avait d'ailleurs vaguement prétexté que Casey était bien sûr invitée pour l'aider à défaire ses cartons, ce à quoi elle avait répliqué qu'ils étaient mal embarqués, dans la mesure où elle n'avait jamais défait les siens nul part. Néanmoins, la blague était restée, voilà pourquoi elle lança un joyeux « La déménageuse est là ! » quand le battant de l'entrée s'ouvrit. Mais pas sur Jack. « Trish ? » Plutôt sur sa sœur. Laquelle arborait une mine furieuse qu'elle ne lui avait, clairement, jamais vu. « Euh ... Je dérange ? Je peux vous laisser en famille, hein ... » Une dispute fraternelle ? Si tel était le cas, elle préférait ne pas servir de médiatrice. Cependant, la blonde s'effaça afin de la laisser entrer. « Pas la peine. C'est toi que j'attendais. » Pas de « mon petit coeur en sucre » ou de « ma chérie » ? Ouh, ça sentait mauvais ça ! Surprise, l'interne ayant pénétré dans le salon - étonnamment vide - pivota vers son ancienne colocataire. « Moi ... ? Pourquoi ? » Mauvaise question. Les traits de l'adorable Cooper se durcirent un peu plus. « Tu oses demander pourquoi ?! Pfff ! Franchement ! Tu me prends pour une conne, en fait, c'est ça ? » L'accusée haussa les sourcils, levant les mains en signe de totale perplexité. « Wowowo ! Trish, je sais pas, mais alors pas du tout, de quoi tu me parles ! » Un ricanement mauvais, si peu naturel chez Trish, lui répondit. « Ah bah non, c'est pas moi qui suis conne, en fait ! C'est toi ! Parce que tu vois absolument pas où est le problème, n'est-ce pas ? Je veux dire, passe encore que tu prennes tes affaires avant même que je sois rentrée de lune de miel et que j'apprenne par un mot laissé sur la table que tu pars vivre ailleurs. D'accord, ça, je peux faire avec. Après tout, je te connais. » Secoué, ses yeux s'ouvrirent grands comme des soucoupes. « Quoi ? Attend, c'est censé vouloir dire quoi, ça ? Et puis, à quoi tu t'attendais ? Tu t'es mariée, j'allais pas rester vivre chez toi éternellement ! » Bien qu'effectivement, elle aurait pu faire les choses, disons, autrement. « Chez nous, Casey, c'était chez nous depuis que tu avais emménagé, même s'il y avait Igor, même si tu étais partie du jour au lendemain ! C'était ça que je voulais dire quand je disais que je te connaissais : tu ne t'installes jamais où que ce soit, tu vivotes dans un endroit et dès que ça se complique, tu disparais dans la nature ! Mais je te dis, je l'ai accepté. Parce que j'avais bien compris qui tu étais quand j'ai décidé de devenir ton amie. Par contre, ce que je ne peux pas accepter, c'est que tu recouches avec mon frère alors que tu en aimes un autre. » Pour le coup, la brune fut estomaquée. Qu'est-ce que c'était que ce guet-apens ? Et ce procès, tout à coup ? Sa voix ne fut qu'un filet douloureux : « Trish, qu'est-ce qui te prend ? » Son amie avait les larmes aux yeux. Cette conversation paraissait aussi déplaisante pour la Cooper que pour Casey. Voire plus. Chaque mot lui coûtait. « J'essaie de protéger mon petit frère, ma chérie. Et toi aussi. Parce que je ne sais pas ce que tu fais, mais je crois que tu ne prends pas les choses dans le bon sens. » La pente se faisait de plus en plus glissante. Pour se rattraper, l'ex-infirmière ne sut que montrer les dents. « Je te propose de te mêler de ton cul, si ça te dérange pas. » Jamais elle n'aurait pensé parler comme ça à la blonde. Pas si écervelée que ça. Point que Casey n'ignorait pas, naturellement, mais dont elle n'avait pas pris toute la mesure jusqu'ici. En détournant le regard, elle réalisa enfin que Jack était adossé contre l'encadrement de la porte du salon, certainement depuis le début. Leurs yeux se croisèrent. Il semblait plus désolé qu'autre chose. Ça lui faisait une belle jambe. « Sympa le piège. Je vais y aller, maintenant. » « Casey ... » Elle leva un index en riant méchamment, l'interrompant avant que ça n'aille plus loin. « Non, Trish. Je crois que tu en as ... Assez dit. Pour ce soir. » Son émotion trahie par son ton, elle la planta là sans une œillade pour les deux traîtres.

De fait, on aurait pu croire qu'après cette petite intervention impromptue de la part de celle qu'elle considérait comme l'une de ses plus proches amies, la jeune femme serait lasse des montagnes russes. En débarquant chez Jack, elle pensait que la soirée lui ferait oublier le reste de sa journée - et a contrario, elle avait pris le revers de karma qui la guettait depuis déjà un bon moment. Sur le chemin du retour, elle se repassa en boucle sa dispute avec Trish, oscillant entre la colère et une sorte d'abattement. Elle aurait pu appeler Sonja, ou encore se réfugier entre les murs de l'hôpital. L'un comme l'autre saurait l'accueillir sans poser de questions, ou du moins, ne pas insister face à sa moue contrariée. Seulement, le problème était qu'elle n'avait envie d'aucun des deux. Pire, la seule personne qu'elle voulait voir était la dernière personne qu'elle devrait vouloir voir. En tout cas, pas à ce point. « A quel moment ça s'est compliqué comme ça, Poppy ? » Et en plus, elle se mettait à parler à sa voiture. Sa vieille guimbarde empestant le patchoulis et dont le plastique du volant lui collait aux mains, ainsi qu'au front qu'elle avait reposé dessus. Sale temps pour Casey Griffith.

Elle soupira. Trish avait raison. Elle s'y était prise comme un pied, mais ... Elle avait visé juste. Dans le mile, plus exactement. Le tout était de déterminer ce qu'elle allait faire de ça. Probablement rien pour les prochaines heures, en conclue-t-elle tandis qu'elle rejoignait son appartement d'un pas lourd. Son téléphone ne cessait de vibrer et elle se décida à l'éteindre quand elle rentra chez elle. A sa grande surprise, Tyler n'était pas couché, ou parti chez Jenna. Étonnamment, elle était persuadée qu'elle trouverait les lieux silencieux en rentrant. Histoire de déprimer en toute quiétude. Cela dit, elle aurait aussi bien pu l'éviter. Pourtant, quand elle le vit, les attaques de la jeune épouse lui revinrent en mémoire. L'assaillirent plutôt violemment, à dire vrai. Plantée là, juste à l'entrée du salon, les bras ballants. « C'était vraiment ... Une journée de merde. » Elle n'en revenait toujours pas, que la loi de Murphy soit à ce point vérifiable. Quoi que moins que ce qu'elle lâcha en suivant : « Je suis pas partie parce que je t'aimais pas assez pour rester, Tyler. Je suis partie parce que je t'aimais trop pour le faire. » Elle haussa les épaules. Vaincue. Pardon Jenna. Pardon Tyler. Pas de problème, elle allait remballer ses affaires. Enfin, les rares qu'elle avait sorti des cartons.

« Amuse-toi bien ! » Qu'il avait balancé d'un ton joyeux quand Casey s'était éclipsée pour se réfugier dans sa chambre, prête à aller à un rendez-vous. Amuse-toi bien... Non mais quel idiot ! Mais y avait-il vraiment une réaction appropriée à cette situation ? Deux ex qui se rapprochent dangereusement, qui mettent les choses au clair et ensuite vont vivre leur vie de leur côté. C'était peut-être lui qui s'était fait des films au final. Tyler s'était réfugié dans sa chambre lui aussi, il y avait passé le plus clair de sa soirée à regarder des films et séries sur Netflix, à zapper de l'un à l'autre dès qu'une scène faisait bizarrement écho à de vieux souvenirs. Il avait beau essayer de dormir, de sombrer pour oublier cette journée pour le moins décevante, rien n'y faisait. Il n'arrivait pas à se vider l'esprit. Finalement il ferma l'ordinateur, ne prenant même pas la peine de l'enlever du lit, et retourna dans le salon où il fila directement vers le frigo. Il attrapa la bouteille de jus d'orange et en plus plusieurs lampées à même la bouteille - comme si du jus d'orange allait l'aider à s'endormir. Finalement il échoua sur le canapé pour regarder la télé. Rien de mieux que les programmes télévisés pour abrutir quelqu'un et l'endormir tout à fait. Tyler s'efforçait de ne penser qu'aux problèmes de faux ongles, faux cils, brushing ou chihuahua de ces filles, peu importait le nom de cette télé-réalité. Sauf qu'il regardait sans regarder. Si bien que quand la porte d'entrée s'ouvrit à nouveau pour laisser entrer Casey, Tyler tourna immédiatement les yeux vers elle se détachant complètement de l'écran que, mécaniquement, il éteignit.

« Est-ce que ça va ? » demanda t-il un peu inquiet, fronçant les sourcils, devant la mine déconfite de Casey. Elle n'avait pas l'air d'aller si bien. Si le type avec qui elle avait rendez-vous lui avait fait du mal... Bon Tyler savait que si tel était le cas, Casey s'en serait occupée. Mais ça ne l'empêcherait pas de lui casser la gueule quand même, histoire de faire bonne mesure. « Oh. » répondit-il simplement. Il avait lui même trouvé la journée assez décevante, enfin, surtout la fin de la journée. Mais de là à dire que c'était une journée de merde... Putain, pourquoi se sentait-il presque vexé ? Ou est-ce qu'il était encore plus déçu ? Allez, ça suffit Alcott, c'est terminé. Et c'est là que Casey lui fit un aveu auquel il ne s'attendait pas et qu'il n'avait absolument pas vu venir. D'un coup la déception de la journée s'était transformé en... amertume et regrets ? Parce que s'il avait su à l'époque, ça aurait peut-être tout changé. Ou pas. Après tout les choses se passaient pour une bonne raison non ? Tyler commençait un peu à s'embrouiller, il n'était pas prêt pour ça. Pourquoi d'un coup elle lui balançait ça ? Qu'elle avait quitté la ville - le pays, le continent même ! - parce que quoi, c'était trop dur de l'aimer ? Bon, pour être honnête il comprenait parfaitement ce qu'elle voulait dire. Parce qu'au fond il avait fait la même chose.

Tyler était resté silencieux, assis sur le canapé, depuis bien trop longtemps. Il n'avait toujours pas répondu à Casey et il la connaissait assez pour savoir qu'elle allait filer faire ses bagages et disparaître. Il fallait qu'il dise quelque chose. Ce n'est qu'une fois que Casey se soit mise en mouvement - pour aller dans sa chambre - que Tyler se leva d'un bond du canapé. « J'y étais ce jour là. A l'aéroport. J'étais à l'aéroport le jour où tu es partie. Je t'ai vue avec tes bagages dans la file d'attente. » Il n'avait parlé à personne de ce jour-là. De ce geste "incroyablement romantique" qu'il avait renoncé à faire. Aux rares personnes à qui il s'était confié il avait raconté qu'il avait renoncé à la retenir, mais il n'avait jamais dit qu'il s'était rendu à l'aéroport. Qu'il l'avait vue s'enregistrer. Qu'il avait pris un billet juste pour pouvoir passer la sécurité. Qu'il l'avait vu passer les portes de l'embarquement. Qu'il avait vu l'avion décoller. « Je voulais faire comme dans ces comédies romantiques à la noix, quand le héros cours à travers la ville pour arriver à l'aéroport juste à temps pour dire à la fille de pas partir parce qu'il l'aime. » Il allait vraiment falloir qu'il arrête de regarder des comédies romantiques parce que franchement ça lui brûlait le cerveau. Mais c'était un péché mignon, un plaisir coupable. Comme quoi, sous sa carapace c'était un tendre au fond. Bon ok, vraiment au fond, parce que les comédies romantiques il les regarder surtout pour s'en moquer, mais bon... « Je voulais te retenir, te dire de rester. Et si je l'ai pas fait c'est parce que je t'aimais. Je t'avais fait souffrir, je t'avais fait du mal, je m'en étais fait aussi et... de quel droit j'aurais pu t'empêcher de partir faire le boulot de tes rêves, ce que tu as dit toi-même être "ta place" ? Pire encore, de rester pour moi, qui.. l'année dernière, n'était clairement pas prêt pour ce genre de choses... » Sous-entendu "en un an j'ai évolué"... Il ne savait pas vraiment ce que ces aveux impliquaient. Après tout ils parlaient de sentiments passés. Rien à voir avec le présent, si ? Quoi qu'il en soit, ça faisait du bien de dire tout ça, ça lui donnait l'impression d'enlever un poids de sa poitrine, un poids que jusque là, il ne savait même pas qu'il avait. Mais, aussi incongrue et inconvenante cette conversation puisse sembler, elle était libératrice. Peut-être qu'en se montrant honnête pour une fois, les choses allaient enfin bouger et avancer. Espérons simplement qu'elles aillent dans le bon sens...

Le silence face à l'aveu. Pas de réaction. Pas un mot, ni un geste. En un sens, elle ne s'attendait pas non plus à ce qu'il explose - de joie ou de colère - face à cette révélation tombée tel un cheveu sur la soupe. En réalité, elle n'espérait pas grand-chose. Elle avait juste eu besoin de le dire, qu'importaient les conséquences. Et il aurait pu rester muet qu'elle ne lui en aurait pas voulu le moins du monde. Tout comme elle ne parvenait pas à garder rancune contre Trish : si elle avait ignoré ses appels, c'était parce qu'il lui fallait du temps pour assimiler ce que la blonde lui avait dit. Peut-être était-ce ce dont Tyler avait besoin lui aussi. Quoi qu'il en soit, elle allait repartir. Pas définitivement, pas comme ça, sur un coup de tête. Pas après ce dont son amie l'avait accusé. Certainement juste pour souffler un peu et remettre de l'ordre dans ses esprits. « J'y étais ce jour là. A l'aéroport. J'étais à l'aéroport le jour où tu es partie. Je t'ai vue avec tes bagages dans la file d'attente. » Elle avait fait demi-tour. Geste inverse pour se retrouver face au pompier. La surprise était totale. Il était ... Venu ? Dans quel but ? Elle se rappelait parfaitement ce jour-là. Elle avait retrouvé un autre bénévole et attendu plusieurs heures avec lui, discutant de tout et de rien, surtout de ce qui les attendait une fois là-bas. Elle avait fait mine d'être seulement excitée par la perspective du voyage à venir, mais en réalité, elle était surtout fébrile, ne cessant de jeter des coups d’œil dans la foule. Comme si Tyler allait débarquer. Ce qu'il avait fait. Mais elle l'avait raté. Ils s'étaient ratés. « Je voulais faire comme dans ces comédies romantiques à la noix, quand le héros cours à travers la ville pour arriver à l'aéroport juste à temps pour dire à la fille de pas partir parce qu'il l'aime. » La jeune femme ne put retenir un léger sourire à l'évocation de ces films stupides, ceux dont ils adoraient se moquer. Un instant seulement, jusqu'à ce que ce mot, le dernier, ne la frappe. Celui qu'il réitéra en continuant ses explications, alors qu'elle le regardait, non plus surprise mais presque ... Choquée. Il l'aimait. Ou plutôt l'avait aimé. Puisqu'il s'agissait bien de ça, n'est-ce pas ? De sentiments révolus. D'actes manqués. Elle aurait pu lui demander pourquoi il avait gardé toutes ces choses pour lui, cependant, ça aurait été d'une mauvaise foi absolue. Elle aussi s'était tue. Pire, elle avait pris un aller simple pour l'autre bout de la planète. « Je sais. Et je comprends. » fut tout ce qu'elle trouva à répondre, pour mieux soupirer en conclusion. Que pouvait-elle ajouter de plus ? Et lui ? Maintenant qu'ils avaient crevé l'abcès, la porte pouvait être refermée. Le chapitre clôturer. Et ils pourraient reprendre leur cohabitation, emplis de cette certitude qu'il y avait eu quelque chose d'à présent clôturé. N'était-ce pas le mieux à faire ? Ne s'en sortaient-ils pas très bien de cette manière ? « Il me faut un verre. Ou une bouteille, tiens. » Elle lui passa devant, le frôlant au passage, et rejoignit la cuisine d'où elle extirpa du placard la première bouteille qu'elle trouva. Du whisky. Ça ferait l'affaire. Elle les servit et fit glisser un verre jusqu'à Tyler, avant de s'assoir à même le plan de travail. Toutefois, la morsure de l'alcool n'aida pas à défaire le nœud qui lui serrait toujours la gorge. Parce que non, elle ne s'en sortait pas si bien que ça. Parce qu'elle était restée sur une demie-vérité et que la plaie suintait toujours. Le temps était venu de cautériser une bonne fois pour toutes. « Je me suis ... Engueulée avec Trish, ce soir. Ou plutôt, elle m'a passée le savon du siècle. » reprit-elle soudain, en lorgnant vers le fond de son verre. Ses lèvres formèrent une moue contrariée. Elle avait vraiment du mal à réaliser qu'elle s'était brouillée avec son amie. « Elle a appris que je revoyais Jack et ... C'est pas très bien passé. Apparemment, elle pouvait accepter ma tendance à jouer les anguilles, moins s'agissant de son frère. » Elle se tortilla légèrement sur son siège de fortune. Courage Griffith ! Tu peux le faire ! Tu y es presque ! « Parce qu'elle pense qu'il ne m'intéresse pas vraiment. Que je suis toujours amoureuse de toi. » Une pause. La dernière. Enfin, elle releva les yeux vers Tyler. « J'ai pas réussi à lui donner tort. J'ai essayé, mais c'est pas sorti. Et ça me tue, parce que tu mérites pas ça. » Du passé au présent. Sous-entendu, au grand désespoir de leur amitié et cohabitation, Trish avait visé juste. Pourvu qu'il ne déteste pas son ex-coéquipière pour ça.