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Noah avait été particulièrement surprit quand l’association l’avait contacté. C’était une assoc comme il y en avait pleins d’autres dans le pays destiné à aiguiller et aider les jeunes amishs qui se retrouveraient un peu paumés hors de leur communauté. Noah avait souvenir d’avoir eu des contactes avec eux 16 ans plus tôt, lorsqu’il s’était renseigné sur les passerelles possibles afin qu’il puisse faire des études universitaires. Il avait assisté à quelques groupes de discussions les premières années mas, peu à peu, c’était détaché de tout cela alors que sa vie d’amish s’éloignait loin derrière lui. Il avait même cessé de fréquenter l’association quand il avait décidé de clore ce chapitre de sa vie en prenant officiellement le prénom de Noah au lieu de Jebediah.
Alors oui, autant dire qu’il avait été étonné en recevant un email de leur part, lui signifiant en gros qu’un étudiant voulait lui parler pour un projet de documentaire. Il n’en savait pas plus que cela et avait dans un premier temps décidé de ne pas donner suite. Et puis finalement il s’était dit, pourquoi pas ? Sa curiosité avait été la plus forte, il était intrigué. Et au pire, si cela lui déplaisait au final, il pourrait toujours faire marche arrière.
Il avait alors contacté le fameux étudiant et ils avaient convenus de ce rencontrer dans un café sur Westside sans que Noah n’en apprenne plus sur le sujet du documentaire en question, le jeune gars ne lui ayant pas paru très bavard durant leurs échanges de SMS.
Le jour J, Noah arriva avec un peu d’avance dans le café presque désert à cette heure. N’ayant repérer personne ressemblant à un étudiant, il s’installa à une table d’où il pouvait voir la porte et se commanda un cappuccino tout en continuant de se demander vaguement ce qu’il fichait là.
Noah n’avait pas l’habitude de parler de lui, et encore moins de ses origines. Il ne s’en cachait pas, c’était juste que le sujet était sensible pour lui car sa famille, avec qu’il il n’avait plus le droit d’avoir le moindre contact, lui manquait toujours autant. Alors du coup, il préférait simplement éviter de trop y penser. Une fois encore, c’était donc plus la curiosité qui le faisait attendre bien sagement devant la tasse fumante que l’on venait de lui servir. Qui était ce gars ? Pourquoi ce sujet ? Pourquoi l’avoir choisi lui ?
Ces questions allaient bientôt avoir des réponses, la porte vitrée venait de s’ouvrir sur un jeune gamin d’environ 20 ans. Partant du principe qu’il y avait quand même de très fortes chances que ce soit le fameux Sam, Noah lui fit un signe pour lui indiquer sa position.
Do you ponder the manner of things ? Feat Noah J. Irons
Terminant pour la troisième fois la vérification de tous les réglages de ma caméra, j’hésitai à la plonger dans ma sacoche. Je hausse finalement les épaules et la garde à mon poing. Il y aura peut-être des choses intéressantes à filmer sur le chemin. Le chemin pour aller où déjà ? Ce rendez-vous aurait sans doute rendu nerveux beaucoup de mes compères, mais pas moi. Je ne savais même pas dire si j’étais excité. Intrigué, oui, ça c’est sûr. Comment j’en étais arrivé à demander une interview à un ancien amish homosexuel ? Trois mots. Projet de dernière année. Bon, d’accord, quatre mots. Pour mon ultime année en tant qu’étudiant avant de me lancer dans le grand bain, je devais choisir un projet et le mener à bien. En rapport avec le cinéma, c’était quand même mieux. Mon idée ? Faire un documentaire - sans blague ? - sur l’acceptation de sa personne vis à vis d’une société, et les complications que cela peut entraîner en cas de rejet. Je voulais filmer les gens, les vrais gens, ceux que je ne comprenais pas toujours mais qui me fascinaient un peu. Ceux qui, comme moi, sortait de la norme.
Pourquoi sortais-je de la norme ? Sans doute car j’étais un connard insensible - selon les dires de mon ex petit ami - incapable d’avoir la moindre compassion. De l’amertume ? Oui j’en avais un peu. Le célibat me convenait assez bien, à dire vrai, je n’étais pas fais pour me coltiner quelqu’un à longueur de journée, mais mon ego avait été quelque peu malmené par les paroles de celui à qui j’avais fais l’erreur d’offrir mon coeur. Enfin, pour revenir au sujet initial, c’était donc dans le but de réaliser ce documentaire que je m’étais intéressé aux communautés amish. Mes recherches à leur sujet m’avait ouvert les yeux sur un monde bien particulier, dans le rejet de la modernité, et donc d’un certains nombres d’avancées sociales, comme l’acceptation de l’homosexualité. J’étais bien placé pour savoir qu’être gay n’était pas une maladie -merci maman de ne pas m’avoir jeté de la maison après mon coming out improvisé - je m’étais donc immédiatement questionné sur ce qu’il advenait de ceux qui voulait assumer leur orientation différente.
Quelques coups de fil à une association aidant les jeunes amish à s’intégrer dans la société moderne, et plusieurs texto plus tard, le rendez-vous était pris. L’association m'avait proposé plusieurs profils, mais c’était celui de ce Noah Irons qui m’avait intéressé. Un mec de 35 balais, ayant rejeté la communauté amish pour appréhender son homosexualité, mais qui était resté visiblement proche de certaines valeurs. C’était le sujet d’étude idéal. Ma curiosité sans limite pouvait me faire oublier que c’était à un être humain que je m’adressais, je ne devais pas oublier les notions élémentaires de politesse et de courtoisie. C’était mal barré. Je poussais la porte du café, ayant fais le chemin perdu dans mes pensées et étant arrivé sans même m’en rendre compte. Le type était déjà attablé, et me fit un signe de la main pour attirer mon attention. Ma caméra toujours dans la main, je me dirigeai vers lui.
- Vous êtes Noah Irons ? Demandais-je d’un ton calme, presque ennuyé. Samuel Taylor. L’étudiant. Cru-je bon de préciser.
Je m’installai en face de lui et posai ma caméra sur la table, tourné dans sa direction. Elle n’allait rien louper du spectacle. Je sortai mon calepin où j’avais rassemblé mes questions les plus pertinentes, que je consultais une nouvelle fois pour m’assurer que je n’avais rie oublier, et j’enchaînai :
- Je vous remercie d’avoir accepté de me rencontrer. Comme je vous l’ai brièvement expliqué, je réalise un documentaire pour ma dernière année d’étude en cinéma, et mon sujet est l’acceptation de sa différence au sein d’une communauté. Et puisque vous êtes ici, c’est que vous en savez quelque chose, je présume.
Je fis signe à la serveuse de m’apporter un café, et reportai mon attention sur Noah.
FRIMELDA
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Mar 2 Oct - 18:46
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C’est bien moi, répondit-il en voyant l’étudiant approcher. Par politesse, Noah se leva à moitié pour le saluer avant de se réinstaller devant son cappuccino.
Samuel Taylor avait exactement la tête de l’étudiant geek en cinéma/documentaire que Noah s’était imaginé. La tête du gamin pas encore vraiment adulte et qui semble aimer particulièrement ses écrans et la technologie en générale. Une passion que Noah ne partageait clairement pas. Il avait une télévision qu’il n’allumait presque jamais, un pc qu’il utilisait encore moins et un téléphone par obligation et encore, même s’il avait quand même dépassé le stade du Nokia 3310 pour un smartphone, son Samsung n’était de loin pas un dernier modèle. Contrairement à beaucoup d’autres, Noah attendait que ses appareils meurent pour les changer, et non pas qu’ils soient remplacés par de nouveaux gadgets très coûteux. Cette surabondance de consommation presque obscène l’avait toujours dépassé.
Par contre, Noah ne s’était pas attendu à voir Sam sortir directement la caméra. Pas de préliminaires, donc, d’accord. Laissant le gars s’installer, Noah observait l’appareil avec curiosité. Il n’avait pas l’habitude d’être filmé. Il avait d’ailleurs mis des années à s’habituer à être prit en photos.
En plus, le Sam avait même le petit calepin et tout. Très pro. Cela fit sourire Noah qui en oublia pour un instant qu’il avait un objectif dirigé vers sa tronche L’acceptation de sa différence au sein d’une communauté…, répéta-t-il en hochant doucement la tête. Je vois.
Enfin il n’était pas exactement sûr de voir mais il pensait saisir l’idée générale du truc. Après, si l’étudiant avait espérer avoir le récit d’une réussite et bien… Ce n’en n’était clairement pas une.
Ma communauté n’accepte pas mon genre de… différence comme vous dites.
Au point où Noah avait préféré cacher à ses propres parents les raisons de son départ, afin qu’ils n’aillent pas à endurer la honte d’avoir un fils homosexuel. Comment ça se passe exactement ? Vous allez me filmer et me poser pleins de questions ou est-ce que je dois vous raconter ma vie… ? Je n’ai absolument jamais fait ça, je l’avoue. Et je n’ai pas vraiment l’habitude de… ce genre de truc, ajouta-t-il en riant, un peu gêné, en désignant la caméra. C’était idiot, il avait quitté la communauté Amish depuis 16 ans maintenant, il avait eu le temps de s’habituer à la vie normale. Mais certaines vieilles habitudes restaient tenaces.
Do you ponder the manner of things ? Feat Noah J. Irons
En attendant que la serveuse ne m’amène une tasse de boisson chaude – que je consommais sans doute beaucoup trop abusivement ayant un rythme de sommeil décadent – je détaillai mon sujet du regard. Un grand type, cheveux courts, petite moustache, bien battit. Ses traits étaient marqués, et son visage paraissait plutôt expressif. Quelqu’un de joyeux et vivant, à en juger par les rides de son front. Pas moche, si on aimait ceux qui s’approchaient de la quarantaine. Ce qui n’était pas tellement mon cas. Quoique, un vieux pourrait peut-être davantage me supporter qu’un gamin… Enfin ce n’était pas la question du jour.
- Ma communauté n’accepte pas mon genre de… différence comme vous dites.
Je levai un sourcil devant l’euphémisme de sa répartie. Il ne semblait pas vouloir prononcer le mot à voix haute, ce que je trouvai personnellement idiot. Autant appeler un chat un chat. Je vis son regard glisser sur ma caméra, et craignis un instant qu’il me demande de la ranger. Sans images, mon documentaire n’aurait que bien peu d’intérêt, et je voulais en avoir un maximum, le plus spontanément possible. Pouvoir capter les réponses dans tout leur naturel, sans avoir à les lui faire répéter avec un faux beau sourire. Je voulais le réel.
- Comment ça se passe exactement ? Vous allez me filmer et me poser pleins de questions ou est-ce que je dois vous raconter ma vie… ? Je n’ai absolument jamais fait ça, je l’avoue. Et je n’ai pas vraiment l’habitude de… ce genre de truc.
Ah oui, à ce point donc. Je haussais un sourcil, en levant les yeux de mon calepin, et je vérifiai mon cadrage. L’angle n’était pas mauvais, un peu décalé, il donnait un genre négligé, comme hasardeux, que j’affectionnai. Mon café apparu devant moi à cet instant, et j’en avalai une gorgée brûlante avant de répondre.
- Faites comme si elle n’était pas là. Dis-je en désignant la caméra du revers de la main. En premier lieu oui j’aimerai que vous me racontiez votre parcours dans les grandes lignes, et ensuite j’affinerai avec des questions.
Nouvelle gorgée du liquide noir et chaud. Il fallait vraiment que je dorme plus, mes cernes commençaient à avoir des cernes. Je n’avais de toute façon plus personne avec qui passer mes nuits, alors à quoi bon être éveillé ? J’avais sans doute juste pris l’habitude de laisser mon esprit errer au rythme d’une play list aléatoire, dans la pénombre de mon petit studio. Croisant les bras devant moi, j’ajoutai d’un air las :
- Parlez librement et n’ayez pas peur des mots. Je ne suis pas ici pour porter un jugement sur votre expérience, je laisse ce loisir à ceux qui regarderont mon documentaire. Votre vécu m’intéresse, j’en veux une version complète, pas édulcorée.
Je me retenais d’ajouter qu’aimant moi-même les garçons, j’étais loin d’être le mieux placer pour jouer les juges. Je n’étais cependant pas ici pour parler de moi. Mon histoire n’était pas intéressante, contrairement à la sienne.
FRIMELDA
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Mer 3 Oct - 16:47
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Sam semblait accaparé par son calepin alors que Noah l’interrogeait sur la marche à suivre. Sa seule expérience de mise en scène était celle de la petite chansonnette que les élèves de sa classe interprétaient au spectacle de fin d’année de l’école. Après, il était absolument persuadé que réussir à faire rester sur scène et en déguisement le temps d’une chanson des enfants de 3 à 5 ans était là un exploit que peu de metteurs en scènes de cette ville étaient capable de reproduire. Déjà rien que de réussir à leur apprendre à tous une chanson et à les faire chanter à l’unisson était un exploit en soi.
Raconter son parcours dans les grandes lignes. Ok, c’était dans ses cordes et puis après tout, c’était bien pour cela qu’il était-là. Noah n’était pas du genre à se confier ou à passer des heures à parler de son passé mais après, si cela pouvait aider d’autres jeunes. Du moins, il avait espoir que tout cela puisse un jour servir au moins à une personne. Enfin en plus qu’à Sam et à l’obtention de son diplôme. Sam qui semblait légèrement au bout de sa vie d’ailleurs vu l manière dont il semblait vénérer son café. Son teint cireux et ses traits tirés n’étaient peut-être pas les signes d’une vie de geek finalement.
Buvant une gorgée de son propre cappuccino, Noah écoutait les encouragements bienvenus de Sam… Jusqu’à ce qu’il manque de s’étouffer quand ce dernier lui affirma que seuls ceux qui regarderaient le documentaire se permettraient de le juger. Voilà qui me met tout de suite plus à l’aise, merci, dit-il avec une pointe de sarcasme avant de reposer sa tasse et de prendre une grande inspiration. Très bien… Allons-y. Je suis né dans la communauté de Lancaster, en Pennsylvanie. A l’époque, on m’a appelé Jebediah Noah Irons. J’ai échangé légalement mais deux prénoms après avoir quitté la communauté. J’ai mené une vie d’amish normale… école le matin, tâches l’après-midi, lecture de la bible le soir. Pas d’électricité, pas de télé, pas de téléphone, pas de fêtes... et mes contactes avec le monde normal étaient très limités et réglementés. Ma mère à mit au monde 8 autres enfants après moi et je l’aidais à s’en occuper quand je ne travaillais pas avec mon père comme charpentier.
Noah eut un petit sourire à ces souvenirs. J’imagine que pour le reste du monde, ce genre de vie doit paraitre barbante à mort mais franchement ? J’étais heureux, vraiment. Et ça me manque… Parfois je regarde cette ville bruyante où tout va tellement vite et j’ai juste envie de retourner chez moi-même si je sais que cela m’est impossible. Mais c’est pas le sujet qui vous intéresse, je crois, ajouta-t-il avec un petit sourire. Je savais ce qu’était l’homosexualité. Les amishs vivent en communauté mais ne sont pas totalement coupé du monde pour autant. Seulement chez nous, c’est un sujet tabou. Dieu a voulu que l’homme et la femme ne fassent qu’un dans le but de se reproduire et il n’y a aucune reproduction possible entre deux personnes du même sexe.
Haussant des épaules, Noah bu une gorgée, étant parvenu à oublier la caméra assez facilement finalement. Je crois que j’ai toujours su qu’un truc clochait chez moi mais quand on est élevé de cette manière, on n’envisage même pas de se demander si on est gay ou pas. On pense juste au fait de se trouver une gentille épouse qui ne soit si possible pas une cousine et de lui faire pleins d’enfants. J’ai vraiment pris conscience de ma sexualité lors de mon rumspringa, lorsque j’ai eu ma première expérience homosexuelle et sexuelle tout court même au demeurant. A partir de là, j’ai dû faire un choix. L’homosexualité est un pêché pour les miens mais le mensonge l’est tout autant. Alors quant à vivre comme un pêcheur, autant choisir au moins celui qui me permettrait d’être moi-même. Malgré les contraintes qui vont avec.
Do you ponder the manner of things ? Feat Noah J. Irons
Mes paroles ne semblèrent pas avoir tout à fait l’effet escompté sur mon interlocuteur. Je ne pouvais toutefois pas lui mentir. Évidemment qu’il allait être jugé par ceux qui regarderaient le documentaire, c’était un fait. La communauté amish était vu avec un certain scepticisme par le commun des mortels et les homosexuels subissaient encore de nombreux préjugés, alors il suffisait d’imaginer combiner les deux pour avoir un regard plus qu’interloqué de la plupart des gens. Moi-même devais admettre ne pas trouver le mode de vie amish à mon goût, mais je me gardais de tout commentaire, tout le moment. C’était moi qui avais décidé de me pencher vers eux comme sujet d’étude, entre autre, après tout. Alors, malgré ma méfiance, je devais reconnaître qu’ils avaient quelque chose de fascinant, qui attirait mon attention. Peut-être était-ce dans ce rejet des avancées, autant technologique que sociale, ce besoin de rester accroché à des valeurs fondamentales, rassurantes, que je trouvais à la fois étrange et pourtant, quelque peu, compréhensible.
Noah débuta alors son récit, et je lui prêtais une oreille attentive. La caméra allait tout capter, je n’avais donc pas besoin de prendre des notes puisque j’aurai tout le loisir de revoir les images à l’infini. Tandis qu’il parlait, j’imaginais déjà le type de musique que je pourrai mettre derrière ses paroles, pour en amplifier la portée. J’envisageai aussi d’aller filmer des paysages champêtres, pour les rajouter au montage, et donner une dimension rêveuse et mélancolique. Car, il ne pouvait le nier, l’homme face à lui semblait, dans sa manière de l’évoquer, regretter une partie de son ancienne existence. Je ne parvenais à comprendre ce qu’il y avait de si merveilleux à vivre d’une façon aussi simple, moi qui ne pouvais pas vivre sans ma caméra. Enfin, sans doute aurais-je une pensée différente, si j’avais été élevé de la même manière que Noah. Je gardai mon avis pour moi-même, me contentant de l’écouter sans l’interrompre. J’étais plutôt bon à ça, au silence.
Il aborda rapidement le sujet de l’homosexualité, l’appelant enfin par son nom, et mon intérêt se fit plus manifeste. Je me penchai légèrement en avant, yeux plissés, enregistrant mécaniquement tout ce que mon interlocuteur disait. Je le laissais terminer, aller jusqu’au bout de son histoire, et j’hochais finalement la tête, en reposant mon dos contre le dossier de ma chaise. Je regardais ma liste de question, et décidai finalement de poser d’abord celle qui me venait en premier, celle que son récit m’avait évoqué.
- Estimez-vous aujourd’hui que votre homosexualité - et/ou celle des autres - est un pêché ? Il n’y avait aucun jugement dans ma voix, tout aussi calme qu’à mon habitude. Pensez-vous que l’éducation que vous avez reçu, et le regard de vos proches, ont rendu l’acceptation de ce que vous êtes particulièrement difficile ?
Je plantai mon regard dans le sien, attentif et curieux de ses réponses. Nous étions arrivés très vite dans le coeur de ce qui m’intéressait, et cela me convenait très bien. Je n’aimais pas perdre mon temps en bavardage inutile. Peut-être était-ce pour cela que mes relations se terminaient toujours de manière catastrophique…
- Comment votre communauté a-t-elle pris votre départ ? En connait-elle les raisons exactes ?
C’était assez personnel, comme interrogation, mais toutes mes questions l’étaient. Je n’étais pas ici pour parler de la pluie et du beau temps cependant, mais bien pour avoir un retour pertinent et réel sur l’expérience personnelle de Noah. Je n’avais plus qu’à espérer qu’il joue le jeu.
FRIMELDA
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Dim 7 Oct - 11:14
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Raconter son parcours dans les grandes lignes avait été plutôt rapide et, dans le fond, assez rapide. Ce n’était pas comme s’il en parlait pou la première fois, loin de la même. A chaque fois que quelqu’un apprenait ses origines, il avait droit à un flots de questions sur sa vie d’antan. Après tout, les amishs quittant leur communauté était – étrangement aux yeux du monde – quelque chose d’assez rare. Et pourtant, cela n’étonnait pas le principal intéressé. S’il n’y avait pas eu ce souci d’orientation sexuelle, Noah serait aujourd’hui toujours Jebediah. Il travaillerait très certainement comme charpentier, métier pour lequel il avait été doué à l’époque, porterait la barbe traditionnelle, serait marié et père de famille. Il ne serait pas parti au terme de son Rumpsringa. Mais tout cela ce serait produit dans une toute autre vie.
La première question de Sam fit cogiter Noah. On ne le lui avait jamais demandé de manière aussi directe. En générale, on le faisait en sous-entendu, comme si on craignait de l’offenser. Et il en profitait pour répondre de la manière la plus évasive possible. Pendant que Sam posait sa seconde question, Noah buvait une nouvelle gorgée de son breuvage caféine. Pour répondre à votre question disons que c’est assez compliqué. Au début, oui, j’estimais vivre dans le pêché. Il m’a d’ailleurs fallu un moment pour enfin accepter de me mettre en couple avec un homme. Parce que oui, on m’a toujours élevé en me disant que c’était un pêché que d’être homosexuel. Avoir des rapports uniquement pour le plaisir, c’est le pêché de luxure, l’un des sept pêchés capitaux. Les pêchés qui vous envoi immédiatement en Enfer. Mais j’ai appris à relativiser depuis. Je suis toujours quelqu’un de pieu mais j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens auprès de ma nouvelle congrégation qui m’ont permis de voir les choses autrement. Maintenant je ne pense plus que l’homosexualité soit un pêché. Après tout, Dieu lui-même n’a-t-il jamais cessé de prôner l’Amour avec un grand A ? Mais c’est une manière de pensée relativement moderne si je puis dire, donc plutôt en contraste avec mon ancienne communauté.
A la question suivante, Noah détourna le regard une seconde, inconsciemment. L’image de sa famille lui revenait en mémoire. Du moins, de sa famille à l’époque, 16 ans plus tôt. Il se souvenait encore de la dernière de ses cadets qui n’avait qu’un an à l’époque. Elle n’était qu’un bébé. Il se demandait à quoi elle pouvait bien ressembler à présent.
Je n’ai pas dis à mes parents les réelles raisons de mon départ. Le fait que je parte était déjà assez dur pour eux. Si en plus ils avaient appris que leur fils les quittaient pour vivre dans le pêché justement, ils en auraient eut bien trop honte. Après, les départ se passent toujours de la même manière dans cette communauté. Dès qu’un amish décidé de partir alors… il disparait. Il n’a plus le droit d’avoir le moindre contacte avec la communauté et celle-ci fait comme s’il n’avait jamais existé…
A ces mots, Noah termina son cappuccino le temps de faire une courte pause avant de reprendre. Quand je suis parti, j’avais une petite sœur qui avait à peine 1 an. Sarah… Un bébé adorable qui n’arrêtait pas de rire. Elle a 17 ans maintenant et si ma famille s’en est tenu aux règles strictes alors elle doit totalement ignorer mon existence. Elle ne sait probablement pas que quelque part, elle a un frère aîné de 35 ans.
Tout en parlant, Noah observait le fond de sa tasse.
Do you ponder the manner of things ? Feat Noah J. Irons
Ma cuillère formant des petits ronds dans le liquide noir, j’évitais minutieusement que le métal ne touche la tasse. Le bruit aurait dérangé la captation, et il m’aurait fallu des efforts techniques pour le retirer au montage. Je portai finalement la tasse à mes lèvres, buvant silencieusement une gorgée pendant que Noah réfléchissait à mes questions. Il n’avait pas l’air spécialement offusqué par les interrogations, ce qui me soulageait un peu. Je n’avais pas envie de devoir prendre des pincettes, surtout sur un sujet comme celui-ci. Je m’agaçais même qu’il soit aussi délicat, alors qu’il n’aurait pas dû l’être. A croire que le mot homosexuel était aussi interdit que Voldemort, pour certains… Au moins cela ne semblait pas être le cas pour mon interlocuteur, et ce malgré une éducation plus que particulière. Je me retenais de lancer que la façon de vivre amish était terriblement discrimante pour les minorités qu’elle refusait d’accepter, préférant le laisser poursuivre. Je n’étais pas ici pour exprimer mon propre avis, après tout.
Il exposa donc sa propre vision des choses, donnant également celle des amish, qui considéraient les plaisirs de la chair comme un pêché absolu. Cette fois, je levai les yeux au ciel, ne parvenant pas à comprendre que certains puissent encore partager de telles idées. Chacun était libre de penser comme bon lui semblait, bien entendu, mais lorsque des jeunes gens étaient endoctrinés, un problème d’éthique se posait, à mes yeux du moins. Enfin, Noah avait visiblement réussi à se défaire de ces carcans et à ne pas vivre dans la culpabilité quotidienne, ce qui devait néanmoins arriver dans certains cas. Encore une fois, je pris sur moi pour retenir tout commentaire, ne voulant pas interférer avec l’enregistrement. C’était le point de vu de Noah qui m’intéressait après tout, il n’était pas question de partir en débat sur le bien fondée de la position amish. Je devais admettre être un peu soulagé lorsqu’il affirma qu’aujourd’hui l’homosexualité n’était plus un pêché selon lui. Voilà au moins une bonne nouvelle.
Lorsqu’il évoqua la honte que ses parents auraient ressentie, je ne pus m’empêcher de fermer mon point autour de ma tasse. Je n’étais pas spécialement engagé, comme personne, autour des causes LGBTQ+, malgré mon homosexualité, mais l’idée qu’on puisse voir mon attirance pour les hommes comme une honte, quelque chose dont j’aurai dû être embarrassé, m’emplissait de dégoût. J’achevai mon café en grimaçant. J’avais décidément bien choisi mon sujet. Je retrouvais rapidement un visage plus inexpressif, ne voulant pas influencer mon sujet avec mes réactions. Encore une fois, mon but n’était pas de juger son expérience ou sa vie, mais d’en faire le récit. Je fus néanmoins assez surpris lorsque Noah enchaîna. Ainsi, lorsqu’un individu quittait la communauté amish, il cessait simplement d’exister ? Comme s’il n’était jamais venu au monde ? Quel triste sort. J’hochais de nouveau la tête et remis de l’ordre dans mes idées. J’avais de nombreuses questions en tête, et je devais les organiser de façon logique et cohérente. J’enchaînais donc :
- Lorsque vous avez découvert votre homosexualité et ainsi pris la décision de quitter la communauté amish, avez-vous envisagé de rester et d’essayer de faire changer les mentalités ? Ou pensiez-vous qu’il s’agissait de quelque chose d’immuable ?
Un seul individu pouvait-il faire changer une société – aussi petite que celle des amish pouvait être ? C’était une vaste question. Noah seul n’aurait peut-être rien pu faire, mais si toutes les personnes différentes, que ce soit par l’orientation sexuelle ou d’autres choses, tentaient de rester dans la communauté et de modifier les mentalités, peut-être était-ce possible, alors. Mais, ces valeurs conservatrices et traditionnalistes, même sur le plan social, n’était-ce pas ce qui faisait la base toute entière de la vie amish ? Que resterait-il alors, une fois cela retiré ?
- Vous arrive-t-il de regretter votre décision ? D’envisager que vous auriez pu rester là-bas, en acceptant de cacher ce que vous êtes ? Que diriez-vous à un jeune homosexuel amish, si vous pouviez le conseiller ?
Des questions assez personnelles encore une fois, mais Noah avait répondu avec honnêteté aux précédentes, et cela m’encourageait. J’étais assez enthousiaste, je devais le reconnaître, devant la tournure que prenait l’entretient. Le sujet était délicat, évidemment, et l’émotion était présente, mais c’était justement ce que je recherchais. Avec les réponses de mon interlocuteur, mon idée de base évoluait, grandissait, et s’affinait en même temps.
FRIMELDA
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Ven 12 Oct - 16:58
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Noah avait désormais totalement oublié la caméra braquée sur lui. Il était trop focalisé sur le passé pour cela à présent. 16 ans, il s’était écoulé 16 ans depuis son départ et pourtant, il s’en souvenait encore comme si c’était hier. La discussion avait eu lieu dans la cuisine, seule pièce commune de leur petite maison, et avait été très difficile.
Le regard accusateur de Benjamin, le second enfant de la famille et de juste 1 an son cadet. Benjamin, son meilleur ami qui l’avait regardé comme s’il venait de le trahir et dans le fond, c’était un peu le cas. Les larmes de sa mère, le suppliant de revenir sur sa décision. Les larmes, plus discrètes, de son père quand il l’avait serré dans ses bras pour une ultime étreinte le jour de son départ. Et ses autres frères et sœurs, certains désorientés, d’autres encore trop petits pour comprendre ce qu’il se passait. Noah se souvenait d’absolument tout et sentait sa gorge se serré comme à chaque fois qu’il y repensait. Aujourd’hui, il ne savait même pas si ses parents étaient toujours en vies ou s’il avait des neveux et nièces.
Les réactions de Sam n’échappèrent pas à Noah, surtout quand l’étudiant leva les yeux au plafond. Noah ne s’en offusquait pas le moins du monde. Il était logique que quelqu’un ayant toujours connu la liberté de pouvoir être qui il voulait ne comprenne pas ce genre d’éducation très stricte. De même qu’il eut un petit sourire amusé et fugace en voyant la grimace de son interlocuteur. Cet étudiant avait quoi ? 20 ans ? Il avait la chance d’être de ceux qui sont nés en pleine révolution pour l’acceptation de tous. Cette génération qui oubliait que pas plus loin qu’à l’époque de leurs propres parents, l’homosexualité était encore un sujet tabou.
Noah n’avait jamais été un militant. Il avait été une fois à une gay pride pour faire plaisir à son ex mais il ne s’était jamais senti à sa place dans ce genre de manifestation. Il assumait pleinement son homosexualité mais il n’avait pas envie d’en faire un flambeau qu’il agiterait en tout sens pour se faire voir et entendre. Il voulait juste mener sa vie de manière normale, comme n’importe qui, qu’il soit gay ou pas.
A la question de Sam, Noah fut incapable de retenir un léger rire assortit d’un sourire amusé digne d’une publicité.
Les amishs roulent encore dans des carioles tirés par des chevaux et s’éclairent aux bougies dans des maisons dont les toilettes se trouvent au fond du jardin… Je n’ai même pas essayé. Cette… Manière de vivre est ce qui fait toute la communauté amish. La religion anabaptiste, la vie simple, le rejet de la technologie et des mentalités modernes. Si un amish veut faire l’université pour devenir médecin et revenir au sein de la communauté ensuite, il le peut, mais la majorité ne font pas la moindre étude supérieure. Depuis tout petits on nous dit qu’il faut être pieu, travailler, rester humble, se marier et fonder une famille. Il n’y a aucune place pour un changement de mentalité, encore moins un changement de cette envergure. Mais les amishs en sont parfaitement conscient de cela, c’est une décision, un choix, pas juste un aveuglement idiot. Ils ne veulent juste pas changer. Il y a des amishs qui travaillent en ville, le plus souvent dans des boutiques, et qui rentre le soir. Mais même au travail ils gardent la tenue traditionnelle. Ils se mêleront aux autres, iront peut-être même boire un café au Starbucks durant la pause. Rigoleront avec les collègues… Mais garderont toujours la même mentalité. C’est comme ça.
Noah haussa des épaules pour ponctuer sa phrase. On ne pouvait pas changer quelqu’un qui refusait de changer, c’était peine perdue.
A la question suivante, Noah resta silencieux plusieurs longues secondes en observant Sam, cherchant les mots qui expliquerait le mieux.
Les amishs se marient jeunes en général. A Lancaster, il y avait cette fille, Annie. Elle avait quelques mois de moins que moi. On se connaissait depuis toujours et elle était douce, gentille, excellente cuisinière et nos familles avaient déjà décrété que nous nous marierions. Les mariages vraiment arrangés sont devenus plus rare de nos jours mais les parents continuent de mettre leur grain de sel et n’hésitent pas à influencer leurs enfants dans leurs choix. Et je m’étais fait à cette idée même si j’avais déjà parfaitement conscience d’être attiré par les hommes et non par les femmes. Je m’étais naïvement dit qu’une fois marié, je m’y habituerai et que tout irait pour le mieux… Mais durant ce break, j’ai pris conscience que non. Que je ne pourrais jamais être vraiment heureux en refoulant ce que je suis, en luttant tous les jours contre mes attirances et mes envies. Alors oui, je regrette d’être parti parce que ma famille me manque horriblement mais sincèrement, je ne sais pas quel genre d’homme je serais devenu aujourd’hui si j’avais été obligé de lutter contre ma sexualité, et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Ce genre de frustration peut rendre n’importe qui extrêmement amer et je pense qu’au final ni moi, ni Annie, ni nos enfants aurions été heureux.
Noah marqua une petite pause. Il n’avait pas l’habitude de s’épancher sur son histoire, ni même sur lui de manière générale, et craignait un peu de se montrer ennuyeux à mourir.
Pour ce qui est du conseil… Chacun est différent. Je crois que je lui conseillerais juste de faire ce qui lui semble être le mieux pour lui et pour les siens, tout simplement.