Back to You | Zelana

“Répétition terminée! Vous avez quartier libre.” Ohana se redressa dans un soupir de soulagement et fit craquer sa nuque. Elle ramassa son chapeau melon et l’enfonça sur son crâne tout en rejoignant les vestiaires pour prendre une bonne douche et enfilait quelque chose de plus confortable, un body qui lui rentrait dans le postérieur n’avait rien d’agréable, surtout pendant les grands écarts. Elle rangea accessoires et tenues sur les cintres puis dans sa tenue d’Eve, elle rejoignit les douches pour plaisanter avec le reste de la troupe. Ca faisait quoi? A peine trois semaines qu’elle avait reposé son cul en ville et elle avait cette étrange impression de n’être jamais partie. L’ambiance était restée la même dans sa vie professionnelle, seul changement restait la colocation mais elle ne s’en plaignait pas, excepté pour les quelques vêtements inconnus qui traînaient dans sa chambre. Mais elle ne voulait pas se poser de questions, flemme. Elle connaissait les risques.

Elle enfila un jean boyfriend usé accompagné d’une paire de baskets blanches, un col roulé noir pour braver le froid et un manteau long tout aussi noir que ses deux tresses qui reposaient sur ses épaules. Elle posa son bonnet sur son crâne, attrapa son sac à main et traça sa route dans le cabaret. Son estomac lui fit comprendre qu’il était l’heure de s’occuper de lui et elle consulta son téléphone pour voir un peu ce qu’il y avait dans les environs. Oui parce que clairement elle avait perdu ses marques. Elle s’était déjà perdue trois fois depuis son retour. Allant même jusqu’à oublier le déménagement de la colocation. Pauvre gars qui était tombé sur une fille ivre qui tentait de défoncer la porte.

Un nom de restaurant lui sauta aux yeux et un petit sourire éclaira son visage. Elle s’empressa de faire la route et de pousser la porte pour saluer le gérant. Lui la reconnaissait, en même temps elle adorait venir dans cet endroit en compagnie de sa petite-amie. Une petite moue intérieure se forma tout de même, elles n’avaient pas eu la chance de se revoir depuis son retour. “La table habituelle s’il te plait.” Celle à l’abri des regards, pas qu’elle aimait pas les gens -un peu quand même- mais bon. “Désolé Ohana, elle est déjà occupée.” Elle fronça les sourcils et se pencha sur le côté pour observer cette fameuse table. Blonde, cheveux courts. Mais. “Je m’en occupe” lâcha-t-elle. Et sans plus attendre, la belle hawaïenne traça sa route dans le restaurant pour faire face à la blonde. Ah. Son coeur rata un battement. “Princesse?”

Les jours, les semaines, les mois passent et j’ai l’impression de stagner. Rien n’avance, rien ne change, rien ne me donne l’impression d’être en train de grandir, de pousser, de naître. Je crois que je suis dans une passe un peu délicate, ma relation avec Zora et Zach s’avère compliquée, comme elle l’a toujours été. Je crois aussi que j’ai peur du retour d’Ohana, parce que son départ a été si précipité, j’ai pas accepté l’invitation de sa grand mère, puis y’a Lexie, et Zora, et Zach, et tout ça commence à être un peu trop compliqué à gérer. Quand je me suis rendue compte que j’avais la capacité d’aimer plusieurs personnes en même temps, je me suis dit au départ que c’était une sorte de bénédiction, mais il faut croire que c’est plutôt un cadeau empoisonné. J’ai pas les épaules pour gérer ça comme il faut, je suis trop émotive, trop sensible, trop immature. Parfois j’aimerai être quelqu’un d’autre que moi.

Ce soir, j’ai rendez-vous avec une ancienne amie de New-York qui est en vacances à Los Angeles. Je m’étais toujours promis de ne jamais reprendre contact avec des gens de mon ancienne vie, ma vie avant LA. Et puis y’a eu Zach, et Zora, et maintenant Julianne. Peut-être que cette vie me manque, je suis nostalgique je crois, non ? Qu’importe, j’ai bien décidé de profiter de cette soirée convenablement, en mémoire du passé ou non, mais en mettant un peu de côté tout ce qui me tracasse, y compris cette carrière de photographe qui ne décolle pas. J’en viens à penser à changer de voie.

En pleine discussion avec Julianne sur un sujet tout à fait bateau, avant d’entendre un « Princesse? » d’une voix que je ne connais que trop bien. Mon regard bifurque juste assez pour se poser sur le visage de ma petite amie, faisant naître immédiatement un large sourire sur mes lèvres. « Babe ! » Je me lève sans attendre et viens entourer mes bras autour de la brune, m’imprégnant de son parfum. C’était plus fort que moi. Si depuis son retour à LA on avait pas réussi à se voir et que j’appréhendais un peu nos retrouvailles, je crois que je suis un peu rassurée. « Tu m’as manquée. » que je murmure à son oreille avant de soupirer de bien-être. Je finis par me séparer d’elle en souriant, et me rends compte que j’ai un peu laissé mon amie devant le fait accompli. « Ah euh… Julianne, j’te présente Ohana, ma copine, et c’est Julianne, une amie d’enfance. » Toutes les deux se saluent et je regarde Ohana pour lui demander « Tu veux te joindre à nous ? » Au tour de Julianne de prendre la parole. « Non mais je vais vous laisser, vous avez sans doute des tas de choses à se dire, on se voit une prochaine fois Zee, ok ? » Je hoche un peu la tête, mal à l’aise qu’elle se sente exclue, mais au final plutôt contente de pouvoir me retrouver seule avec Ohana à notre table. Est-ce que je dois comprendre que Julianne est déçue que je lui annonce de cette manière de but en blanc que j’ai quelqu’un dans ma vie ? Ok bon… elle m’a recontactée via The Chart, je crois que ça donne un indice non ?

Quelle coïncidence de la trouver là alors qu’elle galérait à trouver un moyen de la voir depuis son retour. Bon en même temps elle n’avait pas voulu être insistante et avait appréhendé en quelque sorte les retrouvailles, faut dire qu’elle avait pas géré Ohana avec son départ et son silence radio. Bah elle était parfaite et elle comptait pas se planter là, bouche en cœur à réclamer le pardon de tout le monde. Elle assumait ses conneries et avancerait dans la vie avec. Mais Zelda ne sortit pas les griffes, au contraire, elle retrouvait sa blonde vive et imprévisible. Elle lui sauta au cou, Ohana s’empressa de lui rendre son étreinte, savourant son parfum et la chaleur de sa présence. Bordel elle lui avait manqué, c’était agréable de la sentir contre elle et de la revoir tout simplement, jouissif même. Droguée qu’elle était. « Toi aussi tu m’as manqué princesse. » souffla-t-elle en retour, ne faisant aucun commentaire sur ses cheveux même si elle en avait vachement envie. Ah ! Elle ne disait pas que ça lui plaisait pas hein, c’était juste la longueur qui changeait énormément. Bon vu que Dakota avait manqué de lui faire une boule à zéro, elle avait rien à dire. Heureusement les extensions existaient.

Son regard tranquille se posa sur la seconde demoiselle qu’elle venait seulement de remarquer. Venait-elle d’interrompre quelque chose d’intime ? Elle avait le chic pour débarquer au mauvais moment. Elle agita doucement la main et un sourire franc se plaqua sur ses lèvres. « Coucou Julianne. » Vu sa tête elle voulait pas seulement le rang d’amie. Oups. Elle ouvrit la bouche, prête à répondre mais l’amie fut plus rapide. D’accord, elle prenait la fuite, elle faisait si peur que ça Ohana ? L’Hawaïenne suivit Julianne du regard jusqu’à que cette dernière disparaisse de son champ de vision puis reporta son attention sur Zelda. « Je crois que c’était pas platonique pour elle. » plaisanta-t-elle. « Trop de charme en toi Zelda. » Elle retira son bonnet et son manteau pour les jeter sur la chaise, il faisait chaud ici. Elle entoura la taille de sa belle d’un bras doux et vint se saisir de ses lèvres pour un chaste baiser, elles étaient en public, impossible de réellement montrer à quel point elle lui avait manqué. « Serpentard hm ? » commenta-t-elle par rapport à leur chambre. Vu son départ à la Speedy Gonzales, elle n’avait pu faire de commentaire. « J’te voyais plus dans le genre poufsouffle. »

« Toi aussi tu m’as manqué princesse. » Je soupire un peu de bien-être, je crois que je n’avais pas pris conscience d’à quel point elle pouvait m’avoir manqué. C’est en la serrant dans mes bras, en sentant son odeur que je m’en rends compte. Une fois notre étreinte terminée, je fais les présentations, rapides et concises, pas la peinte d’en faire des caisses. Je dis ce qui est, Ohana comme étant ma petite amie - jusqu’à preuve du contraire c’est encore le cas - et Julianne comme étant une amie d’enfance. Ni plus ni moins. Mais la Julianne semble se sentir en trop et s’éclipse sans demander son reste. Je ne suis qu’à moitié étonnée, il faut dire que face à Ohana, peu de filles font le poids, elle a tellement de charisme… « Je crois que c’était pas platonique pour elle. Trop de charme en toi Zelda. » Je ris un peu et secoue la tête, plus amusée par sa réplique qu’autre chose.

Ohana s’installe en face de moi, comme un rappel au bon vieux temps, quand on venait déjeuner ou dîner ici en amoureuses, dans notre petit coin un peu à l’abris des regards inquisiteurs. Elle s’approche pour venir m’embrasser et je me délecte de ce baiser, ce n’est pas comme si ça faisait plusieurs mois qu’on ne s’était pas vues après tout… « Serpentard hm ? » finit-elle par demander une fois bien installée en face de moi. « J’te voyais plus dans le genre poufsouffle. » Je ris un peu et hausse les épaules. « Peut-être parce que tu ne connais pas encore mon côté sombre.. » J’ai prononcé cette phrase avec un peu de mystère dans la voix. « Et puis, j’crois que c’est surtout parce que avant que tu partes, on a tellement foutu le bordel avec nos disputes que tout le monde nous voyait vraiment comme des démons. » Je me mets à rire un peu, avec le recul, c’était idiot, on avait juste besoin de trouver notre équilibre. J’ignore si depuis nous avons réussi à le trouver, mais de l’eau a coulé sous les ponts, et nous avons toutes les deux pris du recul sur les choses. Enfin c’est mon cas, je dois dire que le retour de Zora m’a aidé à faire face à de nouveaux problèmes, et de nouveaux sentiments, aussi. « Alors toi, raconte moi ton voyage ? »

C’était si étrange et agréable de la retrouver là, dans cet endroit qu’elles avaient pris l’habitude de fréquenter pour fuir le brouhaha de la colocation. C’était comme si ces quatre mois n’avaient jamais eu lieu et qu’elle ne l’avait jamais abandonné, mais cette impression n’était que temporaire voire passagère. Ce fut Zelda qui le lui rappela et Ohana ne put que lui offrir un sourire mi-amusé mi-désolé. Elle la retrouvait loin des cris et des crises qui n’avaient finalement jamais eu de sens. « Aurais-je la chance de le trouver un jour ? » répondit-elle aussitôt sur le ton de la confidence. Avait-elle vraiment envie de le voir ce côté-là ? Clairement pas, non merci. Ses doigts s’aventurèrent sur la table pour se saisir de la main de la blonde, nouant une étreinte intime et presque timide. Fallait pas mentir sur le fait qu’elle ne savait pas trop comment se comporter, si Zelda lui avait pardonné son attitude de garce effrontée. Elle n’avait presque pas pris de nouvelles, ne savait presque rien de ses quatre mois à Los Angeles et s’en voulait sans pourtant se l’avouer. « Ca doit être ça l’amour passionnel. Fallait m’y attendre en sortant avec une tigresse comme toi. » Elle rit avec elle, secouant doucement la tête. Elles avaient été ridicules comme de jeunes adolescentes qui découvraient les folies d’un amour partagé. C’était passé de jeux innocents à pétage de voix sur des sujets qui n’avaient pas de sens. Tu parles d’une évolution.

Elle retira sa main de la sienne quand on leur apporta les cartes et Ohana posa son regard sur le Menu sans réellement le lire. « J’ai appris à m’occuper d’une garderie, à pêcher et à vivre sans les réseaux. » Un résumé comme elle les aimait. Finalement elle opterait pour le plat du jour, pas trop envie de se prendre la tête pour satisfaire son estomac. « C’était magnifique, le paysage, la langue, la tradition… J’ai été dépaysée et pourtant… Si heureuse de découvrir mes vraies origines. » Elle allait pas chialer quand même, mais ça foutait un coup au cœur. Pauvre orpheline du Bronx avait eu la découverte de sa vie en partant sur les plus belles îles du monde. « D’ailleurs… » Elle attrapa son sac et prit quelques secondes pour fouiller dedans avant d’en sortir un paquet rectangulaire, parfaitement emballé. Elle le prenait toujours avec elle, elle qui croyait au hasard des rencontres. « Je t’avais promis un cadeau. » Elle le fit glisser sur la table. Il s’agissait de deux colliers qu’elle avait façonné avec l’aide des anciens du village. L’un était fait d’un corail récupéré sur la barrière, l’autre de bois de palmier.

« Aurais-je la chance de le trouver un jour ? » Je me penche un peu au dessus de la table pour rester dans une dynamique de confidence et lui répond sans tarder. « Je te le souhaite pas. » Je ris un peu, et c’est vrai. Il y a un côté sombre qui sommeille en moi. En réalité, elle l’a déjà un peu vu, parce que cette fille jalouse presque maladive, ce n’est pas celle que je suis en réalité. Je suis quelqu’un de passionné certes, mais de tolérant aussi, je suis compréhensive, et par dessus tout joviale. Et c’est vrai que notre première année de couple avec Ohana n’a pas été de tout repos. J’aurai aimé que les choses se passent autrement. J’aurai aimé qu’elle ne parte pas comme une voleuse, aussi. « Ca doit être ça l’amour passionnel. Fallait m’y attendre en sortant avec une tigresse comme toi. » Je mime un petit rugissement avant de rire un peu. La retrouver me fait du bien, c’est indéniable, parce que mes sentiments pour elle ont toujours été très forts. Pourtant, je sens que quelque chose a changé, peut-être une forme de réticence de ma part, une maladresse de la sienne, aucune idée. Toujours est-il que les choses ne seront plus vraiment les mêmes maintenant. Et si elle est revenue, que j’en suis heureuse, le temps a filé et en quatre mois il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie. Je préfère ne pas parler de moi, à la place je lui demande de me raconter son voyage, au moins dans les grandes lignes. Elle me parle de pêche, de vie sans internet, elle s’est retrouvée proche de la nature, de toute évidence, et ça a l’air de lui avoir plutôt bien réussi. Ses yeux pétillent lorsqu’elle parle de son expérience, de ce qu’elle a vu et vécu, et je ne peux m’empêcher de sourire en voyant cet épanouissement sur son visage. Elle a l’air étrangement apaisée, et ça me fait chaud au coeur. Elle en avait besoin, et elle avait surtout besoin de vivre ça seule. Je ne sais même pas si sa grand mère lui a dit qu’elle m’avait invité et que j’ai refusé la proposition. « Je t’avais promis un cadeau. » finit-elle par lâcher alors qu’elle sort de son sac un paquet enroulé dans du papier qui ressemble à s’y méprendre à quelque chose de tout à fait bio et équitable. Ce fameux cadeau qu’elle doit me donner depuis qu’elle est rentrée, et qu’on a même jamais réussi à trouver un moment pour se voir. Quel couple atypique n’est-ce pas ? « C’est quoi ? » que je lui demande avec des yeux d’enfant, m’empressant de déballer le paquet tout en faisant quand même attention, au cas où ce soit fragile. J’ouvre la boîte et découvre deux colliers disposés l’un sur l’autre. Mes doigts glissent sur les matières naturelles avant que je ne relève les yeux sur elle. « C’est toi qui les a faits ? » J’imagine, sinon la valeur ne serait pas la même. Elle acquiesce et mon sourire s’élargit. « Merci, ils sont superbes. Tu m’aides ? » Je les sors de la boîte et les donne à Ohana, me levant tout en dégageant ma chevelure pour qu’elle puisse les attacher dans mon cou. Une fois fait je me retourne et viens l’embrasser tendrement.

Elle l’admirait alors qu’elle déballait le cadeau. Son regard caressa tendrement les traits singulièrement séduisants de son visage, traça le contour de ses lèvres pulpeuses et l’éclat de ses iris. Elle l’aimait tellement, ça n’avait pas changé avec le temps, elle pourrait le répéter encore et encore, mais comment agir avec elle désormais ? Il fallait que la conversation ait lieu mais Ohana voulait profiter de cette douce situation. Un large sourire étira sa bouche quand les colliers furent dévoilés. Elle se souvenait des rires des enfants en la voyant galérer et les mains noueuses de sa grand-mère qui l’avait aidé à tailler le coquillage. « Oui j’ai failli y laisser un doigt. » Elle rit et montra la petite cicatrice sur son petit doigt. « Avec plaisir mon cœur. »

Ohana se leva et se saisit des colliers pour venir les glisser à son coup, ses mains caressèrent sa peau, frissonnant au contact de cette épiderme chaude, douce. Elle déposa un baiser contre sa nuque et se détacha en souriant. Ses bras s’enroulèrent autour de sa taille et vint prolonger le baiser, respirant de nouveau en la sentant contre elle. Elle ne voulait pas la lâcher, elle voulait la retrouver complètement, renouer cette complicité. « Tu m’as terriblement manqué Zelda… » murmura-t-elle en plongeant son regard dans le sien. « Je t’aime. » Elle avait voulu le dire, le répéter, le lui faire souvenir. Elle lui offrit un nouveau baiser et vint s’asseoir pour ne pas trop attirer l’attention.

L’hawaïenne attrapa la carte, sélectionna un plat au hasard puis posa le menu sur l’assiette. Elle tapota ses couverts du bout des doigts. « Et toi alors ? Il s’est passé quoi pendant quatre mois à Los Angeles ? » Elle voulait savoir, par curiosité et aussi par crainte -légère certes mais elle était présente- Elle était pas conne et naïve Ohana, elle connaissait comment ça se passait la vie de couple, enfin peut-être.

Ohana laisse sembler que la fabrication de ce cadeau n’a pas été une mince affaire, et ça le rend d’autant plus touchant. Je la laisse attacher les colliers dans ma nuque, frissonnant légèrement à son souffle, son contact, et la chaleur de son corps si près du mien. Une fois retournée, je viens la gratifier d’un baiser pour la remercier, et Ohana ne tarde pas à prolonger l’instant, me gardant tout près d’elle. « Tu m’as terriblement manqué Zelda… Je t’aime. » Mon coeur se serre légèrement en entendant ses paroles. Il y a eu une forme de manque, c’est vrai, je ne peux pas le cacher. Mais ce sentiment s’est aussi longtemps mêlé à la colère et à l’incompréhension de son geste, de son départ si précipité, et son retour presque fuyant. Il a fallu qu’on se retrouve par hasard pour arriver à se voir et se parler. « Moi aussi… » que je réponds dans un souffle. Je n’ai jamais aimé cette réponse, ni la dire ni l’entendre, mais présentement, je ne me voyais pas dire autre chose.

Nous reprenons nos places respectives, un silence s’installe le temps de choisir ce que nous allons manger, et une fois fait, je repose le menu sur le côté, pour signifier au serveur que nos choix sont faits. « Et toi alors ? Il s’est passé quoi pendant quatre mois à Los Angeles ? » Wow. Gros dossier. Question pas tant innocente, venant d’Ohana, je ne peux la qualifier comme tel. Je hausse un peu les épaules, cherchant rapidement à peser les pour et les contre de lui raconter vraiment ce qu’il s’est passé. « J’ai fait une croisière ! » J’esquisse un sourire, tripote un peu nerveusement ma serviette, fais jongler mon regard entre mon assiette et le regard d’Ohana, avant de poursuivre. « C’était cool, et puis là bas j’ai retrouvé mon meilleur ami d’enfance, et ma première copine. Mon premier amour, en fait. » Mon coeur se serre un peu en pensant à Zora, à mes sentiments qui n’ont jamais changé pour elle, et à la possible réaction d’Ohana. Mais ce n’est pas tout. « On était comme trois doigts de la main quand on était au lycée, les inséparables… c’était cool de se retrouver là ! » Bon, je lui épargne toute l’histoire, elle a pas besoin de savoir, et puis c’est trop compliqué de toute manière. « D’ailleurs Zora a un peu squatté la coloc pendant que t’étais pas là… » Bon. Ça c’est fait. « Et voilà, sinon le boulot rien de neuf, je livre toujours des colis en scooter, pas d’expo de prévue… un jour peut-être ! » Je hausse les épaules et repose finalement mon regard dans celui de ma petite amie, la peur au ventre face à sa réaction concernant Zora.

Elle s’était fait plaisir en ajoutant une bouteille de vin blanc à leur repas et remercia le serveur quand il l’amena à la table. Ohana se permit de les servir toutes les deux en attendant la réponse de sa petite-amie, mais sa nervosité ne lui échappa pas et elle ne put s’empêcher d’arquer un sourire, retenant l’impatience qui lui brûlait les lèvres. Quoi ? Elle était enceinte ? Elle avait fait une connerie financièrement parlant ? Tant de questions idiotes qui lui traversaient l’esprit alors qu’elle but une gorgée de vin, gardant le verre entre ses doigts fins et désormais anxieux. Elle n’était pas conne l’Hawaïenne, elle savait que quatre mois c’était extrêmement long et que beaucoup de choses pouvait arriver, mais elle avait joué les idiotes en s’empêchant de penser à ça une fois à Hawaï. Elle avait peur du changement à certains niveaux, boulot et tout le bordel elle s’en foutait énormément, mais relationnellement parlant, elle était aussi expérimentée qu’un gamin en maternelle.

Une croisière. Pas mal, plutôt tranquille oui. Elle but une nouvelle gorgée et posa son verre pour de bon, croisa les bras sur la table et ne quitta pas Zelda du regard. Elle n’allait pas être nerveuse pour un gros bateau sur l’eau. Ah, non mais par contre les gens qui étaient dessus… Meilleur ami. D’accord. Premir amour. Error 404. Ses lèvres s’entrouvrirent mais aucun son ne s’en échappa. Elle continuait d’écouter alors que ses neurones s’entrechoquaient sous la panique. Elle était peut-être jalouse, bon d’accord jalouse tout court de savoir ça. Elle était conne aussi d’avoir pensé qu’une chose pareille n’arriverait pas pendant son absence. Elle avait bien dit à Zelda qu’elle n’était pas unique, ça allait dans les deux sens, à elle maintenant d’avaler la pilule.

Elle a squatté. Elle pensa à son lit et eut la soudaine envie d’aller à la laverie. Ses yeux avaient quitté Zelda pour se poser sur un point de vue imaginaire. Sa main s’empara machinalement de son verre de vin pour qu’elle le vide d’une traite et se servit immédiatement un second verre qu’elle ne toucha pas pour autant. Zora, premier amour, CQFD. Elle pensa brièvement à Célia mais oublia aussitôt ce détail. « Plutôt cool tout ça, t’as pas chaumé. » Le ton était neutre, un sourire naquit machinalement sur ses lèvres alors que c’était un sacré bordel dans son cœur. « Tu m’avais déjà parlé d’elle, contente qu’elle soit revenue, tu semblais tenir à elle. » Oui elle s’enterrait elle-même et alors ? « Elle va continuer de squatter ? Est-ce que je dois me faire à l’idée de devoir découcher ? » Merde, presque un sans faute. Putain Ohana. Au moins, elle avait eu l'intelligence de le dire sur un ton léger.

Je suis anxieuse. Je suis anxieuse parce que mes sentiments pour Ohana sont toujours mal malgré ces quatre mois qui se sont écoulés, malgré le retour de Zora et de Zach dans ma vie. Je n’ai jamais pensé pouvoir l’oublier d’un revers de main, mais j’ai peut-être cru qu’avec la douleur qui a irrité mon coeur pendant quelques semaines après son départ, aurait suffit à la balayer, juste assez pour ne pas me sentir trop mal. Ne pas trop culpabiliser de laisser Zora dormir dans ce lit que je partageais avec Ohana. Et puis en la retrouvant là, je me rends compte que je suis réellement amoureuse d’elle, et que si mes sentiments ont changé, ils sont quand même toujours là. Je déteste blesser les gens que j’aime, et pourtant je me devais d’être honnête avec elle, alors qu’elle ne l’a pas toujours été avec moi, ou parfois trop tardivement à mon goût. Notre relation est difficile, depuis le début. On a du mal à se comprendre à bien des égards, et il y a pourtant cette connexion impalpable, indescriptible chaque fois qu’elle pose son regard dans le mien. Son regard que j’ai perdu au fil de mes ‘nouvelles’ à lui dire.

Je me doutais bien que ça ne serait pas facile, mais il fallait en passer par là. J’ignore ce qu’il adviendra de nous, j’ai peur de la perdre, c’est une certitude, tout autant que j’ai peur de perdre Zora nouvellement retrouvée. Pourquoi c’est si compliqué les relations amoureuses. Non, je reprends. Pourquoi c’est compliqué les relations quand on s’appelle Zora ? « Plutôt cool tout ça, t’as pas chaumé. » J’ai perdu le contact visuel depuis quelques minutes déjà, Ohana vide son verre et en reprend un, j’aime pas ça, je me sens mal. « Tu m’avais déjà parlé d’elle, contente qu’elle soit revenue, tu semblais tenir à elle. » Je me pince les lèvres et hoche la tête légèrement. C’est vrai, je me souvenais même pas que j’avais déjà parlé d’elle. C’est vrai qu’elle a compté, et qu’elle compte encore. « Elle va continuer de squatter ? Est-ce que je dois me faire à l’idée de devoir découcher ? » Mon coeur se serre face à sa question. Fait chier. « Elle a un appartement… c’était juste… pour me tenir compagnie, le temps que t’étais sur ton île quoi… » Je soupire un peu, je déteste cette sensation de malaise. « Je t’ai pas remplacée Ohana, j’ai juste… j’en sais rien, j’ai essayé de vivre normalement le temps que t’étais pas là. Et si t’avais été là ça aurait rien changé de toute manière, Zora est ce qu’elle est pour moi, son retour m’aurait quand même chamboulée. Que tu sois à L.A. ou à Hawaï… » Je sais plus comment m’y prendre, trop maladroite, trop sincère aussi sans doute…

Elle ne sortirait pas les griffes, elle n’hausserait pas le ton, elle avait laissé tout ça derrière elle. Les disputes étaient nocives, dangereuses et les emmenaient trop près de la falaise. Elle se refusait à revivre cette angoisse constante qui avait compressé sa poitrine, les non-dits qui avaient rendu les étreintes étranges. La surprise avait fait qu’elle n’avait su retenir ses paroles, mais elle avait repris le contrôle rapidement. La jalousie pouvait certes toujours grogner dans sa tête, elle ne la laisserait plus s’exprimer. C’était fini les réactions d’adolescente, même si elle aimait pas ça, elle se devait de grandir et accepter l’autre.

Elle décroisa les bras, ne se ferma plus à la discussion et regarda celle qui continuait de la rendre folle dans tous les sens du terme. Une baffe mentale manqua de lui couper le souffle et la douleur put se lire sur ses traits pendant une fraction de secondes. Ses dents mordirent l’intérieur de sa joue, ses poings se fermèrent quelque peu. Elle était responsable, elle le savait. Le départ précipité, l’absence de nouvelles, on le lui avait rabâché. Jamais son départ n’aurait dû se faire aussi vite, elle aurait dû prendre le temps de leur dire au revoir, de panser les plaies avant de disparaître dans l’avion. Mais elle avait fui comme à chaque fois dans sa vie, une putain de lâche. Elle se pinça le lobe d’oreille, tourna sept fois sa langue dans sa bouche. Elle cherchait les mots, les bons. « Je comprends. » C’était vrai, simple et efficace, elle ne pouvait le dire autrement.

Elle s’affala un peu plus dans sa chaise. « Je suis partie comme une voleuse. » Fallait pas être un génie pour le comprendre. « J’aurais dû m’excuser avant de partir. » Elle ne savait pas trop quoi faire Ohana. Ses mains étaient toujours sur la table alors que son cœur lui hurlait d’aller chercher celle de Zelda pour dissiper le malaise, mais quelque chose la freinait et elle ne pouvait mettre le doigt dessus. Elle se contenta de secouer la tête. « T’as rien à te reprocher Zelda, absolument rien. Je veux dire on savait toutes les deux à quoi s’attendre en sortant ensemble, c’est peut-être bizarre sur le coup mais j’vais ‘y faire, comme t’as dû t’y faire quand… » Elle ne voulait même plus prononcer son nom, cette fille c’était du passé, définitivement.

Elle lui offrit un sourire, un sincère quoique maladroit. « Je suis heureuse pour toi princesse, vraiment et même si ça fait mal sur le coup, je sais que ça passera. » Finalement sa main attrapa la sienne, comme pour se rassurer, comme pour franchir le fossé qui s’était creusée entre elles. Elle avait fait des erreurs Ohana, elle le savait, elle voulait les rattraper, les effacer, construire par-dessus pour retrouver cet équilibre qui l’avait rendu heureuse. « Je veux nous donner une seconde chance. »

J’ai l’impression de ressentir les blessures que je suis en train de lui infliger, mais a-t-elle seulement ressenti celles qu’elle a pu me faire en partant comme ça si subitement ? Je l’ignore, peut-être que oui, peut-être que non. En attendant, je me dois d’être sincère, et même si c’est dur, c’est nécessaire. Mes sentiments pour elle sont toujours présents, ils ont toujours été très forts, et n’auraient de toute manière pas pu disparaître en quelques mois d’absence. J’ai seulement besoin de lui faire comprendre certaines choses, comme pour remettre les pendules à l’heure avant je l’espère un nouveau départ plus sain. Pour elle comme pour moi. Elle dit comprendre. J’espère qu’elle est sincère. Je sens le malaise, la gêne dans chacun de ses gestes. Peut-être de la culpabilité aussi ? Mais de l’amertume surtout. Ce que j’avais à dire ne doit pas être agréable à entendre. Je l’admets volontiers. « Je suis partie comme une voleuse. J’aurais dû m’excuser avant de partir. » Je ne dis rien, me contente d’un infime hochement de tête. Effectivement, elle aurait sans doute dû faire les choses d’une autre manière, surtout si elle avait voulu que je ne me sente pas abandonnée comme une vieille chaussette esseulée. « T’as rien à te reprocher Zelda, absolument rien. Je veux dire on savait toutes les deux à quoi s’attendre en sortant ensemble, c’est peut-être bizarre sur le coup mais j’vais ‘y faire, comme t’as dû t’y faire quand… » Je me pince les lèvres. Oui. Quand… Quand il y a eu Lexie, quand il y a eu Célia… On a dû grandir ensemble, parce que si j’avais fini par accepter mon côté polyamoureuse, j’étais pas encore prête à partager les personnes avec qui je sortais. Le monde à l’envers, je sais. Je me suis découverte lionne à son contact, d’une jalousie sans failles, et je m’en veux aussi. Mais j’ai appris. J’ai changé. J’ai grandit. « Je suis heureuse pour toi princesse, vraiment et même si ça fait mal sur le coup, je sais que ça passera. » Je la sens sincère, et je crois que c’est ce que j’avais besoin d’entendre. Je sens une boule se nicher dans ma gorge, me rendant compte de l’émotion qui me submerge d’un seul coup. « Je veux nous donner une seconde chance. » Je ferme les yeux, serre délicatement sa main dans la mienne et me contente pour le moment d’un sourire, un fin sourire qui traduit sans doute à quel point je suis rassurée. Rassurée de l’entendre me dire tout ça, j’appréhendais tellement son retour… Je réouvre alors mes yeux légèrement humides pour lui répondre. « J’accepte tes excuses, merci d’avoir laissé ta fierté de côté pour me les présenter. » Je lui offre un sourire cette fois plus complice. « Et moi aussi je suis pour nous donner une seconde chance. » Je suis incapable de savoir ce que ça pourra donner, mais mes sentiments pour elle sont réels, bien que légèrement changés depuis notre rencontre.