sweetener + roni.

La porte claque derrière elle, et Harper se laisse glisser le long de la paroi. Elle se retrouve assise par terre, le front sur ses genoux tremblants, une esquisse de larme mouillant sa peau. D’un geste sec, elle essuie la traître marque de sa faiblesse, avant de serrer ses petits poings manucurés. Elle se force à se redresser et à ravaler l’amertume qui lui monte dans la gorge, lui donne envie de vomir, de hurler, de pleurer, de fuir. Au lieu de cela, elle s’observe un instant dans son gigantesque miroir mural, réarrange ses mèches rousses autour de l’ovale de son visage, redresse le menton et ressort de sa chambre, après avoir fourré dans un sac à main les maigres provisions qu’elle a accumulé dans la journée pour son invitée secrète. Elle ignore ostensiblement sa mère, et récupère une bouteille de smoothie dans le frigo avant de lancer nonchalamment qu’elle sort. Sa mère hausse seulement les épaules avant de se replonger dans ses papiers – Harper sent son coeur se serrer et ses entrailles vriller, mais elle garde le regard fier et fait claquer ses talons jusqu’à la porte principale de la ville.
Tentant d’oublier qu’elle n’est dans le fond qu’une déception perpétuelle pour Alayna, Harper se dirige ensuite vers le garage et s’y glisse en prenant soin de ne pas faire de bruit. Il ne manquerait plus que sa mère découvre qu’elle héberge Roni dans leur garage, sans lui avoir dit. Elle n’adresse pas un mot à sa camarade, se contentant de lui tendre le sac. Avant de préciser, avec un petit sourire narquois : « Ton repas est dedans. C’est pas un cadeau. » Le sac est bien trop cher et précieux pour la Reynolds, il détonne entre ses doigts qui le fouillent avidement. Sans savoir vraiment ce qu’elle attend, Harper s’adosse à un mur, les bras croisés sur sa poitrine, et observe Roni sans bouger alors que cette dernière observe les paquets de biscuits de régime, la pomme, le smoothie d’un vert trahissant ses ingrédients, et les quelques autres provisions qu’elle lui a apporté aujourd’hui. « Demain je me débrouillerais pour t’apporter un vrai repas, » promet-elle alors. Une gentillesse inattendue dans leur relation.

CODAGE PAR AMATIS

Je les entends les cris. Et pas qu’un peu. Quand elles se disputent les Jones elles ne font pas semblant. J’ai tenté d’écouter un peu ce qu’il se passait, je sais que ce n’est pas bien mais je suis curieuse. Et puis bon vu le décibel des mots prononcés, je pense que toute la rue les a entendu. Je me replonge dans mon livre lorsque le calme revient.
Mais ce n’était qu’une passade et bien vite j’entends la porte s’ouvrir. J’ai toujours cette appréhension et dans le doute je reste sur mes gardes. Je ne m’autorise à relâcher la pression que lorsque je vois le visage de Harper dans mon champ de vision. ” Ton repas est dedans. C’est pas un cadeau. “ J’attrape ce qu’elle me tend sans pour autant relever sa petite pique. ” Merci. “ Heureusement que je ne suis pas une grosse mangeuse de base parce que c’est compliqué de garder des trucs comestibles quand on n’a pas de frigo. Lorsque je peux sortir je m’approvisionne en gâteaux et tout ce que je peux mais je n’ai pas pu quitter le garage depuis quelques jours maintenant. ” Demain je me débrouillerais pour t’apporter un vrai repas “ J’attrape la pomme et croque dedans tout en la regardant. Je prends le temps d’avaler ma bouchée tout en hochant la tête face à cette remarque légèrement inattendue. ” D’accord. Merci. “ C’est difficile de savoir ce qu’elle pense réellement.
Elle reste ici, contre ce mur. C’est en la détaillant plus attentivement que je peux déceler qu’elle a pleuré. Harper elle ne laisse pas ses émotions transparaître. A part le dégoût et le sarcasme. ” Je vous ai entendu… “ Je lâche ces quelques mots doucement, sans aucune animosité. Juste pour lui dire ce qu’il en est. ” Ca va ? “ Y’a deux cas de figure possible. Soit elle m’envoie chier, soit… Okay, je ne vois pas d’autre issue possible mais le fait qu’elle soit toujours là est déjà une surprise en soit. Alors pourquoi pas...

CODAGE PAR AMATIS

Qu'est-ce que je fais là?

La question tourne en boucle dans l'esprit de Harper. Pourtant, ses pieds restent vissés au sol gris du garage, son dos s'enfonce inconfortablement dans le mur auquel elle est adossée, et ses yeux ne se détournent pas une seule seconde du visage de Roni. Elle observe la brune fouiller dans le sac avec des gestes irrévérencieux face au précieux de l'objet, puis croquer dans la pomme sans aucune grâce. Impassible, Harper ne peut cependant s'empêcher de plisser les lèvres en une pour désapprobatrice. Roni n'a pas intérêt à tâcher le sac du jus du fruit. Pourtant les mots cinglants ne fusent pas depuis ses lèvres tels un projectile vers leur cible.

Qu'est-ce que j'attends?

Elle l'ignore, la furie rousse. Peut-être fuit-elle seulement ce qui l'attend derrière elle, là où elle sent l'aura travailleuse de sa mère, son désintérêt déçu, son exigence insatisfaite. Mais elle a mille endroits où se rendre pour se distraire de l'éternel conflit qui l'oppose à Alayna. C'est ici qu'elle est, qu'elle reste, qu'elle se sent comme magnétiquement attachée à un potentiel en devenir. Son coeur bat la chamade quand Roni reprend la parole. Elle sert les dents et croise les bras plus fort. Ses faux ongles rentrent dans la chair de ses bras comme les serres d'un oiseau de proie. "T'écoutes aux portes maintenant? C'est comme ça que tu me remercies?" La provocation initiale, voilà tout ce qu'elle attendait, visiblement.

Pourtant, au lieu de l'habituelle satisfaction, du rictus victorieux qu'elle arbore usuellement après ce genre de remarques, elle sent l'amertume envahir son palais et l'angoisse remonter en fusée dans son ventre. Les larmes rageusement refoulées dans sa chambre menacent de faire leur grand retour. La question de Roni se superpose dans ses tympans au timbre grinçant de sa propre voix et elle se tend toute entière rien qu'un instant. Elle pourrait lâcher les armes, s'autoriser la sincérité dans le cadre de leur secret mutuel. Mais ses poings se referment à nouveau. "Fais pas comme si tu en avais quelque chose à cirer, Reynolds."

CODAGE PAR AMATIS

Je sais pas comment me comporter avec elle. Depuis le début du lycée d’ailleurs j’en sais rien. Parfois c’est blanc, parfois c’est noir. Y’a des jours avec et des jours sans. Je n’ai pas encore réussi à percer le mystère qu’est Harper. Et je dois bien avouer que ça m’intrigue. Je suis curieuse, elle est secrète. Ce sont des choses qui ne vont pas ensemble mais alors vraiment pas. Elle me gonfle quand elle m’envoie chier pour rien, elle me fait de la peine lorsque je vois ce voile triste dans ses yeux, elle me fait sourire quand elle marche avec cette assurance si spéciale dans les couloirs, comme si rien ne lui fait peur. Mais ce soir, je ne sais pas trop. La dispute a duré, les cris ont fusé et il serait tout à fait normal qu’elle soit triste ou autre. Pourtant j’ai la harpie face à moi, celle qui ne se laisse pas démonter. Comme si c’était impossible pour elle de montrer ses faiblesses. Tout le monde en a, ce n’est pas bien étrange. Et nos faiblesses peuvent être nos forces si on sait bien les maîtriser. Je la remercie pour le repas et lui fais part de ce que j’ai entendu. Cette deuxième partie ne semble pas lui plaire. ” T'écoutes aux portes maintenant? C'est comme ça que tu me remercies? “ Qu’elle est fatigante… Pourtant je sens que ma question l’a touché. Son attitude a changé et d’une position de force, elle s’est recroquevillée sur elle même. Je le vois à sa posture, c’est assez évident. Sa carapace s’est formée autour d’elle. Foutue carapace tiens. ” J’ai pas eu besoin d’écouter aux portes, je pense que tout le quartier a pu profiter de vos voix mélodieuses… “ Comme si j’avais que ça à faire que de jouer les espionnes. Oui j’aimerai en savoir plus sur elle, la véritable Harper, mais faut pas déconner j’suis pas une fouine. " Fais pas comme si tu en avais quelque chose à cirer, Reynolds. " Tiens, la harpie n’est jamais loin malgré la carapace. Je recroque dans ma pomme sans détacher mon regard d’elle. Je la fais attendre encore quelques secondes le temps d’avaler ma bouchée et je reprends. ” Si je te pose la question c’est que ça m’intéresse Jones. “ Même ton qu’elle, mimétisme à la fois moqueur sans perdre son sérieux. ” Ca me prouve au moins que t’es humaine. Les disputes mère-fille ça arrive à tout le monde mais c’est jamais cool. “ On a beau en vouloir à nos parents pour x raisons, pourtant ça reste nos parents. Les miens je les aime même s’ils me pompent parfois. Ok, souvent. Mais ils me manquent quand ils ne sont pas là. ” Si t’as pas envie de parler je comprends mais j’ai rien à faire le temps de déguster ce fabuleux repas alors n’hésite pas. “ Elle peut partir si elle le souhaite, après tout je ne lui ai pas mis de laisse. Mais dans l’idée, je préfèrerais qu’elle crache enfin ce qu’elle a sur le coeur.

CODAGE PAR AMATIS