this is not a trap [Rayden 5]

Elle a fini par accepter, même si je lui ai un peu embobiné la chose. Je n’ai pas vraiment menti, enfin presque. Elle n’en saura jamais rien. J’ai pourtant bel et bien demandé à un ami directeur de casting de venir aujourd’hui dans les locaux de la production pour faire passé un pré-essai à une de mes pouliches. En réalité, c’est la seule. J’ignore pourquoi je continue de me battre, j’ai encore en travers de la gorge la fin de soirée amère de l’autre fois où elle est partie après avoir attisé le désir en moi. Oui. C’est elle qui a fait ça. Du moins c’est comme ça que je le ressens. Elle a voulu jouer et s’est brûlé les ailes. J’ai eu beau faire comme si ça ne me touchait pas, ça n’est pas le cas. Avec n’importe qui d’autre, j’aurai joué les mortes, donné aucun signe de vie. Mais j’ai fait une promesse, celle d’essayer de l’aider, et je n’abandonnerai pas, parce que je crois en ses talents d’actrice. Il y en a sûrement bien d’autres, des filles comme elle qui savent jouer correctement, qui ont une belle gueule et du charisme à revendre. Mais c’est elle que je veux, et je veux que tout le monde pense et ressente la même chose que moi.

Je prépare tout ce dont nous avons besoin, une salle vide, et un dernier regard sur ma montre me fait angoisser. Elle ne devrait plus tarder maintenant. Nick fait son apparition et je lui adresse une accolade chaleureuse, commençant une discussion légère en attendant la principale intéressée. Je perds son attention et remarque son regard qui accroche quelque chose - ou quelqu’un - derrière mon épaule. « Regarde-moi cette bombe. » Je me retourne au moment même où mon assistant approche. « Miss McHalway demande à vous voir. » Cette fois c’est à mon tour de jeter un oeil derrière l’épaule de mon assistant. « Oliver, je t’ai prévenu hier que j’attendais cette jeune femme aujourd’hui à 17h. Oui. Elle peut entrer. » Je soupire et il retourne en trottinant chercher Rayan qui était restée derrière les portiques de sécurité. Et alors qu’ils approchent, je repose mon regard sur mon ami Nick. « Pas touche. Tu es là pour faire ton boulot, rien de plus. Clair ? » Je connais Nick depuis assez longtemps pour savoir comment lui parler, et puis c’est un coureur de jupons. Mais il est professionnel et on ne peut lui retirer ça. Rayan arrive et je tente un sourire, mais la situation est plutôt… étrange. « Bonjour Rayan, je te présente Nick, qui est un directeur de casting influent ici à Los Angeles, il va te mettre dans le bain. » Je prends les devants et les guide tous les deux jusqu’à la salle que j’avais gardée pour ce moment là, les laissant s’installer l’un un face de l’autre, et je prends place près de Nick, scenario en main. Je suppose que Rayan ne s’attendait pas à ce que j’assiste au pré-casting. Ça ne lui fera que plus d’expérience encore. « Faites comme si je n’étais pas là. » Bah voyons.

Je ne sais pas combien de jours se sont écoulés depuis la réunion du stage de théâtre et cette soirée en compagnie d’Eden, raison de bien des maux. Le manque de sommeil n’est pas favorable pour garder la notion du temps, et la fatigue accumulée m’a fait devenir une sorte d’automate. C’est un des moyens que j’ai trouvé pour ne pas trop penser à ce qu’il s’est passé. Parce que oui, dans le fond c’était rien ce baiser, un dérapage, une erreur peut-être et il n’y a pas de quoi en faire tout un plat après tout. Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir parvenir à m’en convaincre, mais avec tout ce que ça a chamboulé en moi, j’en suis incapable et je le savais pertinemment dès l’instant où j’ai dit à la quadra que nous n’en parlerions plus. Suite à cela s’en est suivie une nuit d’insomnie, d’autres de sommeils hachés et des journées passées à être complètement l’esprit ailleurs. J’ai réussi à me ressaisir petit à petit, mais le message d’Eden concernant le casting approchant à grand pas a fait remonter une vague de stress. Je ne me reconnais pas, ce n’est pas moi ça… Je connais le trac, la tension grisante avant un événement important, une compétition. Mais la panique, l’angoisse ? Il y a bien longtemps que je n’y avais plus été confronté. Cependant je suis une battante, j’ai toujours eu le goût du challenge et je crois que le meilleur moyen de passer outre tout cela c’est de faire face au problème. Je suis déterminée à gérer les choses et saisir cette opportunité qui se présente à moi. L’idée d’un pré-casting est une aubaine, de quoi me préparer efficacement à la vraie audition pour ce rôle auquel Eden pense que je peux prétendre. J’ai lu le scénario qu’elle m’a donné, bossé sur les traits de caractère du personnage en question et la trame globale de sa place dans l’intrigue. A vrai dire ça a m’a permis aussi de ne plus trop penser à mon erreur et le trouble engendré par celle-ci.
A l’heure convenue j’entre dans les bureaux du studio de production que possède la charismatique blonde. Etre déjà venue est un avantage, je ne me sens pas perdue et m’adresse directement à son assistant lequel m’invite à le suivre. Je m’arrête à hauteur d’un passage à accès règlementé voyant au loin Eden en compagnie d’un homme que je devine être le directeur de casting dont elle m’a parlé. L’assistant revient rapidement dans ma direction, utilisant son badge pour me laisser passer, m’indiquant que la quadra m’attend. Je le remercie et m’avance, sentant la tension monter légèrement. Respire Rayan, tu peux gérer ça, t’en as vu d’autre. Hum… vraiment ? J’esquisse un sourire poli en arrivant à hauteur de mes interlocuteurs, forcément ça me fait bizarre de revoir Eden dans ce contexte professionnel après ce qu’il s’est passé l’autre soir mais nous sommes des adultes capables de faire la part des choses. Et puis elle va sans doute me laisser avec Nick dont elle me fait la présentation. « Bonjour, merci de prendre de votre temps. » lui dis-je avec aplomb, totalement professionnelle. Mon boulot d’actrice commence juste un petit peu plus tôt que prévu. La productrice nous emmène jusqu’à une salle, je m’installe face au directeur de casting. Persuadée que la blonde allait quitter la pièce je la regarde s’asseoir avec un regard surpris, le masquant tout aussi rapidement. Elle indique de faire comme si elle était absente, je retiens un hoquet de surprise ou d’indignation, je ne sais pas trop. Elle a l’air sérieuse en plus… Est-elle seulement au courant de combien il est difficile d’occulter sa présence ? Bien sûr qu’elle le sait. Eden a parfaitement conscience de son charisme, de son influence sur les gens et elle en joue habilement j’en ai fait les frais. J’ai jusque là réussi à éviter autant que possible son regard mais cette fois je ne peux faire autrement que de le croiser. Il me fait l’effet d’une décharge électrique, même si je reste de marbre, en apparence. « C’est un challenge. » dis-je d’un ton détaché, avec le sourire, attitude de façade que je vais devoir tenir pendant dieu seul sait combien de temps.
Mon attention se porte sur Nick, lequel prend la parole, m’interrogeant rapidement sur quelques points de mon parcours afin de se faire une idée de mon expérience en tant que comédienne, puis il sélectionne une scène dans le scénario, un monologue, en guise d’échauffement. Je me concentre, j’ai travaillé, je suis en confiance et finalement me lance sans difficultés. A la fin de cette courte scène, il a l’air plutôt enthousiaste et me propose de poursuivre sur un nouvel extrait un peu plus complexe. Je commence, il me coupe son regard déviant sur Eden « Tu peux lui donner la réplique pour ces dialogues ? » je les regarde tour à tour. C’est une blague ? Non… ne pas le prendre comme ça, juste comme un défi de plus à relever. Je croise le regard de glace de la productrice, heureusement qu’il s’agit seulement d’un entrainement parce que les choses risquent de s’avérer plus compliquées que prévues

J’ai eu beau faire en sorte de ne plus penser à cet épisode la semaine dernière chez moi, sur mon canapé, j’ai eu beau me répéter mille fois que ça n’avait aucune importance, aucun impact, qu’il valait mieux oublier… c’est impossible. A peine mon regard posé sur elle, et j’ai l’impression de faire un retour en arrière de quelques jours et de sentir à nouveau ses lèvres sur les miennes. Un frisson s’empare de l’entièreté de mon corps à cet instant même si je ne laisse rien paraître. Dieu que c’est difficile. Rayan est très professionnelle, souriante, elle cache ses angoisses d’une main de maître, c’est une bonne chose pour le métier dans lequel elle semble vouloir mettre un pied. C’est toujours ça que je n’aurai pas à lui apprendre. Il y a des gens qui ont le talent, mais pas la force de caractère nécessaire à survivre dans ce monde de faux semblants. Je traverse les couloirs pour nous rendre dans la pièce réservée au pré-casting de Rayan, et m’installe près de Nick, l’air de rien, leur disant - même si c’est quand même plutôt adressé à Rayan - qu’ils ont qu’a faire comme si je n’était pas là. Mais bien sûr. Le regard rivé sur la jeune femme en face de moi, je remarque son trouble une fraction de seconde, elle ne s’y attendait pas, c’est évident, mais je pense que c’est une bonne chose d’avoir un peu plus de pression que prévu. « C’est un challenge. » lâche-t-elle finalement d’un ton détaché, me faisant esquisser un sourire amusé au coin des lèvres. C’est indéniable, elle a du talent. Une parfaite comédienne.

Nick commence sans plus tarder le casting visant à entraîner la jeune femme en face de nous, ou plutôt à lui donner un aperçu de ce qui l’attend. Je connais assez bien Nick pour savoir qu’il ne prendra pas de pincettes, autant lui donner du fil à retordre et que le vrai casting semble alors plus simple. Il lui pose quelques questions, je connais les réponses pour lui avoir déjà posé ces mêmes questions au préalable. Elle ne me regarde pas, fait comme si j’existais pas, et j’assiste à l’échange comme si j’étais un fantôme, c’est grisant. Les choses sérieuses commencent avec le plus gros monologue de son personnage, qui est intéressant mais ne donne pas forcément beaucoup d’indices sur la qualité de son jeu d’actrices. Elle relève le défi haut la main et j’attends la suite, parce que je sais que Nick ne s’arrêtera pas là. Cependant, je ne m’attendais pas à ce qu’il me demande de prendre le relais pour lui donner la réplique. Un petit pic d’adrénaline s’immisce en moi et je récupère le script entre mes doigts fins. « Si tu veux oui. » Je n’ai pas le talent de la jeune femme, mais lire quelques lignes ne devrait pas être trop difficile. Evidemment, le passage choisi est celui dont j’avais parlé à la jeune femme quelques jours plus tôt, celui bourré de nuances qui surgit après la scène d’amour. Je commence alors à lui donner la réplique, et de ce fait, elle me regarde pour me répondre. Les lignes auraient pu être écrites pour nous si elle était restée la dernière fois, si elle avait lâché prise au lieu de vouloir garder le contrôle. Les répliques s’enchaînent, je la sens au départ sur la réserve et elle finit par se lâcher, donnant ce qu’elle a dans le bide, et c’est beau. J’entre directement dans le personnage face à son jeu maîtrisé. C’est Nick qui nous arrête à la fin de la scène, tout en hochant la tête. « C’est bon pour moi, j’ai vu ce que j’avais à voir. Merci Melle McHalway. » La jeune femme pose son regard sur moi et je fais signe à Olivier à travers la baie vitrée qu’il peut entrer. « Fais patienter Rayan dans mon bureau le temps que je discute avec Nick. Sers lui quelque chose à boire. J’arrive. » J’adresse un hochement de tête à Rayan et la porte se referme, je peux finalement parler avec Nick pour le débriefing rapide de ce qu’il en a pensé. Une fois terminé, je le remercie et laisse mon assistant le raccompagner jusqu’à la sortie alors que je rejoins Rayan dans mon bureau. « Comment tu te sens ? »

Je me suis considérablement compliquée la tache avec mes conneries… tout serait bien plus simple si je n’avais pas, par je ne sais quel élan de folie, fait cette connerie d’embrasser Eden. Je crois que c’est une des choses les plus cons que je n’ai jamais faite, mais peut-être l’une des plus grisantes aussi. Il est bien là tout le problème, je suis partagée entre l’idée que c’était une erreur, tout en gardant ancrée en moi ce profond sentiment de libération lorsque j’ai laissé cours à mes envies les plus enfouies. J’aurais dû expérimenter ça avec quelqu’un d’autre, une personne avec qui cela n’aurait eu aucune conséquence… mais en aurais-je seulement eu le désir ? Pas sûr. La productrice à réveillé quelque chose en moi parce qu’elle a cette aura particulière, laquelle m’a frappé dès la première fois où je l’ai vu. Celle-ci même que je vais devoir gérer pendant ce pré-casting puisque Mrs Lewis a décidé d’y assister. Ma solution ? Prendre ça comme un challenge à relever. Après tout si je suis capable de m’en sortir ici et maintenant, alors que ma tête est un innommable bordel, je crois que je pourrai tout surmonter le jour J. L’exercice du monologue est plutôt facile, je n’ai qu’à me concentrer sur le personnage, sur ma diction et les émotions que je veux faire passer. Mission accomplie si j’en crois la réaction du directeur de casting qui propose que nous passions aux choses vraiment sérieuses. Le vrai test c’est cette scène dont m’a parlé Eden l’autre soir, je l’ai travaillé aussi, en vu du casting à venir. Pour rendre l’exercice plus vivant et significatif, Nick demande à la blonde de me donner la réplique. Durant un quart de seconde j’ai comme un moment de flottement, je me reprends avant que la peur ne se fasse une place. Je me lance, j’essaye de faire abstraction que ça soit Eden face à moi et me mets dans la peau du personnage. Le dialogue est troublant, peut-être un peu trop en lien avec toutes ces émotions qui parasitent mon esprit depuis des jours. Je peine un peu à entrer pleinement dans la scène durant les premières répliques. Heureusement j’arrive à finalement me mettre vraiment dans mon jeu, jusqu’à occulter totalement tout le contexte autour de nous. Je vis la scène, habite le dialogue et tout devient fluide.
Lorsque le directeur de casting reprend la parole il me ramène à la réalité dont je m’étais coupée durant les dernières minutes. Mon regard bifurque vers Eden, j’avais presque réussi à l’oublier. Son assistant entre, je dois attendre dans son bureau. Je salue Nick et le remercie à nouveau avant de docilement me laisser guider vers le bureau de la productrice. On me propose à boire, je réclame seulement un verre d’eau et c’est en prenant ce dernier que je me rends compte que mes mains tremblent légèrement. Conséquence de toute la tension contenue jusqu’ici et qui cherche une issue pour être évacuée. Je me passe une main sur le visage et soupire, j’ai soudainement l’impression d’avoir couru un marathon. Redoutant déjà le moment où Eden va arriver, je me concentre sur l’affiche d’un film, accrochée là sur le mur. Je lis et relis les noms des acteurs et actrices, celui du producteur, du réalisateur, le titre. La porte du bureau s’ouvre, je sursaute légèrement. Mon cœur s’accélère. Comment je me sens ? Difficile à dire. Je remets mon masque et me tourne pour adresser un sourire à la quadra « Bien. » je hausse les épaules « J’ignore ce que ton ami en a pensé, mais je me suis sentie plutôt bien. » dis-je avec une légèreté qui contraste avec mon état actuel. Je fais tourner mon verre d’eau presque vide entre mes doigts « Merci encore d’avoir organisé ça. Au moins je sais à quoi m’attendre samedi. » j’échappe un léger rire, un peu nerveux « Enfin, je suis même encore mieux préparée… je ne pensais pas que tu resterais. » voulant éviter d’être dans le reproche j’ajoute « Parce que tu dois avoir mille choses à faire. ». J’ignore totalement combien de temps je vais pouvoir jouer ce rôle, assez peu sans doute, mais je dois tenir et donner le change.

Je remercie mon collaborateur - que je ne considère pas réellement comme un ami, dans ce métier, c’est plutôt difficile de nouer de réelles relations basées sur la confiance - et retourne dans mon bureau pour y rejoindre Rayan. Elle s’est réellement bien débrouillée, mais avant de lui dire, je lui demande comment elle se sent, je crois que c’est important pour elle de lâcher un peu la pression, même si j’imagine qu’en ma présence c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. « Bien. » lâche-t-elle en guise de réponse, trahissant son stress encore présent. « J’ignore ce que ton ami en a pensé, mais je me suis sentie plutôt bien. » Je lui adresse un sourire sincère, sans pour autant lui donner d’information sur ce sujet, pour le moment. Je suis un monstre de la laisser languir de cette manière ? Sans doute, mais je crois que j’adore ça. « Merci encore d’avoir organisé ça. Au moins je sais à quoi m’attendre samedi. Enfin, je suis même encore mieux préparée… je ne pensais pas que tu resterais. » Je plonge mon regard dans le sien et penche très légèrement la tête sur le côté comme pour lui demander de préciser sa pensée. Etait-elle gênée de ma présence ? J’imagine que oui, et c’était mon but d’ailleurs. J’ai seulement besoin qu’elle le dise. « Parce que tu dois avoir mille choses à faire. » Elle ne le dira donc pas. J’esquisse un sourire et m’éloigne d’elle pour rejoindre mon bureau, la laissant légèrement en plan au milieu du bureau. « Oui c’est vrai, j’ai mille choses à faire. Mais la curiosité était beaucoup trop importante pour que je loupe ça. » Je souris de nouveau sans pour autant la regarder, et réorganise un peu mon bureau pourtant déjà bien rangé, c’est seulement pour m’occuper les mains - et le regard. « Je ne serai pas là samedi, je fais confiance au showrunner et au directeur de casting. Ils prendront la bonne décision en ce qui concerne leur film. » Mon ton est légèrement plus froid qu’il n’a été, et largement plus que la dernière fois que nous nous sommes vues d’ailleurs. « Tu penses que si ça avait été le vrai casting tu aurais été sélectionnée ? » Cette fois je redresse les yeux vers elle. Je me doute bien qu’elle ne donnera pas un oui franc, elle est trop humble pour ça. Je refais le tour du bureau pour m’approcher d’elle à nouveau, soufflant comme à mon habitude le chaud et le froid. « Tu t’es très bien débrouillée Rayan. Malgré ma présence. » Je lui offre un sourire on ne peut plus sincère, avec peut-être un peu trop de tendresse d’ailleurs. « Si ce n’est pas ce film, ce sera un autre. Nick a beaucoup aimé ce que tu dégageais. Tu as du potentiel, tu y arriveras. » Je viens attraper le bout d’une mèche de ses cheveux, laissant glisser mes doigts sur cette dernière avant de la lâcher. Mon attitude est on ne peut plus charmeuse, comme je l’ai souvent été avec elle, c’est plus fort que moi. « Tu as du temps là ? Il y a quelqu’un d’autre à qui je voudrais te présenter ? » Info ou intox ? La vérité, c’est que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’elle reste un peu plus longtemps près de moi…

Ce n’est l’affaire que de quelques minutes, juste le temps de débriefer un peu de ce pré-casting et je prendrais congé. Penser cela est la seule manière que j’ai trouvé pour avoir l’énergie nécessaire de remettre mon masque de neutralité. J’ai été très professionnelle jusqu’ici et je compte le rester, à vrai dire c’est la seule attitude que je souhaite désormais avoir dans ce contexte là et en présence d’Eden. Ça ne sera pas facile, surtout maintenant alors que des bribes de la soirée me reviennent en tête. Les souvenirs sont frais, beaucoup trop pour que je puisse en faire totalement abstraction et pourtant il le faut. La productrice s’enquiert de mon état, elle sait que ce genre d’entretien peut être éprouvant. Hors de question qu’elle sache pour cette bataille intérieure livrée en sa présence, elle s’en doute probablement déjà… sûrement un de ses pouvoirs de créature presque surnaturelle. Je reste positive, souriante et j’attends de la blonde qu’elle me livre ses impressions. Mais rien, elle sourit, c’est tout. Je la remercie une nouvelle fois pour sa démarche, elle n’est pas obligée de m’aider même si elle m’a dit qu’elle le ferait. Je laisse sous-entendre que sa présence était une difficulté supplémentaire mais face à son regard je me dégonfle un peu et mets en avant combien elle doit être occupée. Eden s’éloigne, je lis dans son attitude une réelle prise de distance et cette fois c’est son tour de s’adresser à moi avec un professionnalisme un peu froid. Je retrouve la quadra de notre première rencontre, prenant alors un peu plus conscience de ce qu’il m’a été donné de voir en la côtoyant un peu. Elle réclame mes impressions sur ma prestation. Ai-je été à la hauteur selon moi ? Mériterais-je le rôle si ça avait été le vrai casting ? « Ce n’est pas à moi de le dire. J’ai fait ce que j’avais à faire… » déclaré-je dans un haussement d’épaules.
Elle contourne son bureau pour revenir se planter devant moi, plus chaleureuse à nouveau en saluant la qualité de ma performance, et cela malgré sa présence. Je savais qu’elle l’avait fait exprès, un test de plus, pas seulement une question de curiosité j’en suis persuadée. J’essaye de passer outre son sourire, son regard, restant fidèle à la même attitude depuis qu’elle est entrée dans son bureau. J’ai enfin le droit de connaître l’avis du directeur de casting, il a aimé ma façon de jouer et ça peut être une porte ouverte pour un futur rôle. Sa main s’avance dans ma direction, je suis tentée de reculer mais comme paralysée je ne bouge pas, laissant ses doigts entrer en contact avec une mèche de mes cheveux. Mon regard suit son geste pour éviter son regard, et pour pouvoir anticiper une tentative de rapprochement plus franche. Mon rythme cardiaque s’est subtilement accéléré. A quoi est-ce qu’elle joue ? Je pensais que nous étions tombées d’accord sur le fait de mettre tout ça derrière nous, d’oublier, de plus en parler ni y penser. Et que fait Eden ? Elle remet son jeu de séduction en marche… elle joue avec moi, comme un chat s’amuse avec une souris avant de la mettre à mort. C’est donc ça son plan ? Sa question m’arrache à mon trouble, je relève le regard dans sa direction, suspicieux. « Qui est-ce ? » demandé-je en arquant un sourcil « Tu souhaites réellement me présenter quelqu’un ? » lâché-je d’un ton neutre « Ou c’est un piège ? », j’ajoute dans un souffle « Encore un… ». Je suis un peu sur la défensive, mais cette lutte m’épuise, je me sens sur le point de laisser tomber le masque et d’avouer à quel point c’est difficile d’être face à elle ou ne serait-ce que dans la même pièce, tant ça déclenche une vague d’émotions troublantes et contradictoires dans tout mon être. Je suis sur la brèche, dans un équilibre que je pensais stable avant de la rencontrer, avant qu’elle ne commence à jouer, et qui désormais semble plus précaire que jamais.

« Ce n’est pas à moi de le dire. J’ai fait ce que j’avais à faire… » me répond-elle assez froidement. Je me doutais bien qu’elle ne répondrait pas clairement à la question, elle n’a rien de ces personnes qui donnent l’impression d’être sûres d’elles. Je n’ai pas non plus envie de la laisser dans le flou, elle a le droit de savoir que Nick a été conquis, comment ne pas l’être en même temps. Elle ferait tourner la tête de n’importe qui j’en ai peur, et c’est sans doute ce qui l’aidera à gravir des montagnes dans son métier. Elle n’est pas juste belle, elle a une gueule en plus de ça. Je ne me retiens pas d’être à nouveau charmeuse, bien consciente de souffler le chaud et le froid, mais je ne sais plus comment me comporter, il est rare que je me sente autant perdue face à quelqu’un. Mon attitude plus ambiguë reprend le dessus sans que je ne cherche à la contrôler, mais le retour escompté ne viendra pas il faut croire. Rayan est aussi froide qu’un glaçon. « Qui est-ce ? Tu souhaites réellement me présenter quelqu’un ? Ou c’est un piège ? » Je fronce les sourcils en comprenant ce qu’elle s’est mis en tête. Et elle rajoute deux mots laissant comprendre le fond de ses pensées. « Encore un piège. » Si elle voulait mettre une distance de sécurité entre nous, elle a trouvé le bon moyen. « Encore un piège… » Je m’éloigne et me retourne, lâchant un rire acerbe. « Qu’il est beau de me rendre compte de la façon dont tu me vois. »[/color] Finalement, elle est peut-être comme les autres. Ça me fait mal rien que d’y penser. « J’imagine que je n’ai pas besoin de te rappeler que j’ai bu par ton initiative, et que tes lèvres sont arrivées sur les miennes pas par l’opération du saint esprit mais parce que TU as baissé les barrières une fraction de seconde. » Je refais le tour de mon bureau et me laisse tomber dans mon siège. Mon ton est devenu sec et cassant, un ton que je n’avais encore jamais utilisé avec elle jusqu’à maintenant. « Si ça te met tant mal à l’aise d’être attirée par une femme Rayan, il va falloir que tu te poses les bonnes question. » Je ne prends même pas la peine de relever les yeux vers elle, parce que ce serait trop difficile. Parce que je suis simplement en train de prendre conscience de l’ampleur des choses, de l’ampleur de mon attachement envers elle, et peut-être même que je pourrai bien parler de sentiments. Je n’ai pas l’habitude qu’on me résiste, encore moins qu’on me repousse, et si la première fois j’ai laissé de côté mon ego, cette fois il a repris les rênes en guise de protection. « J’espère que tu t’en sortiras bien samedi. Je te souhaite de réussir ici ou ailleurs. Maintenant j’ai du travail, je te souhaite bonne continuation. » Ah oui ne passons pas par les courbettes et les potentiels mensonges concernant un avenir qui pourrait un tant soit peu se rejoindre, même professionnellement. J’ai rempli ma part du marché, réalisé ma promesse, je ne lui mettrai pas de bâtons dans les roues, mais je crois que j’en ai assez entendu. J’ai l’habitude qu’on me prenne pour un dragon, une sorcière, une manipulatrice. Je peux l’être, mais lorsque je n’ai jamais été mal intentionnée envers quelqu’un et que cette personne me le ramène en pleine face, il est clair que je n’apprécie pas. Je vais devoir passer à autre chose et me faire une raison.

Je n’avais pas pensé en arriver là et pourtant je mets en place un mécanisme de défense face à Eden. Je ne dirais pas qu’elle n’y est pour rien, mais je réplique sans doute plus intensément que nécessaire. La blonde représente un certain danger, j’aurais dû m’en rendre compte plus tôt, avant qu’elle ne vienne tout chambouler dans mon esprit. En parlant de piège je lui prête une volonté de me manipuler… mais n’est-ce pas un peu ça la séduction ? Charmer l’autre, obtenir ses faveurs en mettant en avant ses atouts et l’inciter à les apprécier. Avant même qu’elle ne réponde je lis comme de la déception dans son regard. L’ai-je blessé ? Un rire amer s’échappe d’entre ses lèvres tandis qu’elle s’éloigne, mes sens jusqu’ici en alerte s’apaisent un peu. Là où Eden se trompe c’est que je ne la vois pas comme un monstre, j’aimerai, ça me faciliterait les choses. Je jette le blâme sur elle, parce que je projette le problème sur elle, son image, son charme… tant de choses auxquelles j’ai fini par céder. La productrice ne se gêne d’ailleurs pas pour me le rappeler, mettant également l’accent sur le fait que je sois responsable si elle a bu l’autre soir. C’est vrai je suis celle qui l’a embrassé, après une lutte interminable face à son jeu de séduction « L’alcool… la bonne excuse. Tu n’as pas attendu de boire un verre de trop pour jouer de tes charmes. » répliqué-je dans un élan de justice à mon égard. Nous partageons les torts, mais nous nous renvoyons la balle, rien n’avancera, la discussion est vouée à la stérilité. Je découvre une nouvelle facette d’Eden, celle qui lui vaut sans doute sa réputation. Sèche, froide, tranchante comme la glace, elle me met face à mon vrai problème. Mon estomac se noue, elle jette ça sans ménagement, pique banale sur un sujet qui n’a rien d’anodin me concernant. « Waw. Je te dois combien pour l’analyse ? » lâché-je avec bien moins de panache que je ne l’aurais voulu. Elle peut être contente, elle vient de fissurer le masque, ce n’est qu’une question de seconde avant qu’il n’éclate totalement.
Les bonnes questions… je les ai fuis, longtemps, trop probablement, mais elles m’ont rattrapées et depuis cette soirée je n’ai fait que penser à cela. Eden a repris sa place, son regard braqué sur son écran ou les documents sur son bureau. Sans un regard elle me souhaite de réussir samedi, ou plutôt de réussir tout court, à l’avenir. Une sorte d’adieu ? Tout du moins une très nette volonté de me voir déguerpir, et visiblement me sortir définitivement de son monde. Croit-elle vraiment que nous n’allons plus jamais nous croiser ? Nul doute qu’elle est capable de tout mettre en œuvre en ce sens. Je reste un instant immobile, la fixant, observant ses traits durcis par ce que je pense être de la colère, de la fierté peut-être. « Et bien… merci ? » dis-je, alors que je sens ma gorge se serrer légèrement « Pas pour le bordel dans ma tête. Non ça, je m’en serai passée… mais pour le reste. » dis-je dans un petit rire ironique. C’est le moment, je dois partir, me retourner et quitter ce bureau, mettre tout ça derrière moi. Cependant pour je ne sais quelle raison stupide je reste encore un quart de seconde, suffisamment de temps pour croiser une dernière fois le regard de glace de la productrice. Je crois que j’avais besoin de ça, voir si elle allait continuer à totalement m’ignorer ou daigner une dernière fois croiser mon regard. « Bonne continuation à toi aussi. » soufflé-je à ce moment là avant de me décider à me retourner enfin et me diriger vers la porte de son bureau. C’est lorsque je pose la main sur la poignée que je me rends compte que j’ai toujours le verre d’eau à la main, je pourrais le laisser dehors, à son assistant mais au lieu de ça je fais demi-tour pour le poser sur le bureau d’Eden, sur un dessous de verre prévu à cet effet.

C’est ridicule. Je me sens comme une gamine capricieuse qui pète un plomb parce qu’on vient de lui refuser quelque chose qu’elle attendait depuis longtemps. Mais là il ne s’agit pas d’un jouet, pas même d’un jeu, il s’agit d’un être humain, et de sentiments qui naissent en moi sans que j’en ai le pouvoir. « L’alcool… la bonne excuse. Tu n’as pas attendu de boire un verre de trop pour jouer de tes charmes. » J’esquisse un sourire nerveux. Nous y voilà. C’est de ma faute, encore. Je préfère ne pas répondre au risque d’être réellement méchante. Je me contiens, mais blessée dans mon ego je suis capable de bien des choses que je regrette souvent plus tard. Je n’ai pas envie d’être blessante, juste lui mettre le nez dans ses problèmes. Si encore j’avais été à l’initiative de ce baiser, mais non. Elle ne peut s’en prendre qu’à elle même après tout. « Waw. Je te dois combien pour l’analyse ? » Je découvre à mon tour une nouvelle facette de Rayan, un petit côté piquant en guise de défense face à une attaque maîtrisée. Elle n’aurait pas pu se contenter d’encaisser sans un mot, non, elle est beaucoup trop intelligente et intègre que ça. Je devrais sûrement faire en sorte qu’elle ne remette plus jamais les pieds dans le coin, ruiner sa carrière avant qu’elle n’ait commencé. Mais je n’en ferai rien même si je suis bien consciente d’en avoir le pouvoir. « Et bien… merci ? Pas pour le bordel dans ma tête. Non ça, je m’en serai passée… mais pour le reste. » Et voilà qu’elle remet sur le tapis que je suis à l’origine du bordel dans sa tête. Quelle joie. Je relève les yeux sur elle une fraction de seconde, espérant qu’elle ne tardera plus à quitter ce bureau parce que je commence à saturer. C’est beaucoup plus dur que ça n’y paraît d’être froide avec elle, de changer de comportement du tout au tout, de la virer comme une malpropre juste parce qu’elle a osé repousser mes avances. Si j’avais été un homme, sûrement que j’aurai pu être destituée de mon poste pour moins que ça. En attendant, je n’estime pas avoir fait quelque chose de mal la concernant, je ne l’ai forcée à rien, et lui ai donné une belle opportunité, à elle de la saisir désormais, je n’interviendrai plus dans cette esquisse de carrière au risque d’y laisser plus de plumes que ce n’est déjà le cas, même si je ne veux pas encore me l’avouer. « Bonne continuation à toi aussi. » « C’est ça. » que je marmonne entre mes lèvres à demi-mots, les yeux rivés sur un dossier qui ne m’intéresse pas le moins du monde. Elle se dirige vers la porte alors que mon coeur se serre sans que je n’ai le pouvoir de le contrôler. Et je le sens finalement s’accélérer lorsque Rayan fait demi-tour. Empêcher mon esprit d’avoir de l’espoir est peine perdue, je ne sais pas ce que j’imagine, peut-être simplement qu’elle vienne m’embrasser à nouveau, qu’elle baisse les barrières une bonne fois pour toutes. Quelle conne. Au lieu de ça elle pose sur mon bureau le verre qu’elle avait entre les mains. Je croise son regard une fraction de seconde et elle se retourne à nouveau. Est-ce que je devrais la retenir ? Je ne crois pas, manquerait plus qu’elle porte plainte. Je crois que ça suffit les conneries. Elle disparait derrière la porte et je lâche un long soupir après avoir retenu ma respiration depuis quelques secondes. Fait chier.