reaching out. (roni)

Je ne comprenais pas ce qui avait pu se passer. S’il y avait eu un problème, mes parents m’en auraient quand même parlé, non ? Je ne m’étais pas tant éloigné d’eux, si ? Je me posais la question, cependant que je fixais mon téléphone portable qui sonne dans le vide. Les questions s’enchaînaient comme à toute vitesse dans ma tête : pourquoi ma sœur n’était-elle pas partie avec mes parents en vacances, pourquoi n’avait-elle pas dit que son internat fermait cet été, pourquoi n’était-elle pas venue sonner à ma porte en sachant qu’elle n’avait nulle part où aller ? Je savais que nous n’étions pas très proches, la différence d’âge n’ayant pas aidé. Je n’avais vu Roni grandir que de loin. Elle était devenue une jeune femme sans véritablement m’avoir dans sa vie. Mais j’avais pourtant cru qu’elle se serait tournée vers moi ou bien Imelda quand elle s’était retrouvée à la rue. Chez qui habitait-elle depuis tout ce temps ? Combien de temps aurait-elle habité dans cette maison si je n’avais pas voulu lui faire une surprise pour son anniversaire ? J’avais bien tenté de la joindre pendant l’été mais je m’étais rassuré en me disant qu’elle s’amusait. Qu’elle était jeune et qu’elle voulait juste vivre sa vie, sans avoir à se préoccuper de son vieux grand frère.

Sortant de ma voiture, j’observe la demeure devant moi. Quartier de Beverly Hills et grande maison, j’étais plutôt rassurée. Je me dis qu’elle ne devait pas être si mal lotie ici et mon petit appartement faisait bien piètre mine à côté. Cependant que je me rapproche de la porte d’entrée, j’essaye de la contacter une nouvelle fois. La sonnerie retentit doucement, comme étouffée, et me conduit jusqu’au garage attenant. L’appel reste sans réponse et une petite fenêtre me permet de voir la silhouette de ma jeune sœur. Roni était là, son portable tout près en train de sonner. Elle ne pouvait pas ne pas l’entendre ou voir que j’étais celui qui l’appelait. Je ne comprenais pas pourquoi elle filtrait mes appels, comme ça. Qu’est-ce qu’elle essayait de me cacher ? Est-ce que c’était pour ne pas avoir à m’avouer qu’elle était à la rue – plus ou moins – et qu’elle ne voulait pas m’inquiéter ? Soupirant, un peu désabusé, je me mets à frapper doucement à la fenêtre pour attirer son attention. Heureusement que je travaillais pour la LAPD, j’aurais pu la chercher pendant longtemps si je n’avais pas pu traquer son téléphone portable. « Plus la peine de m’éviter, sœurette, je lâche à haute voix sans parvenir à paraître taquin ou amusé. » Au contraire, je me sentais un peu blessé. Un peu coupable aussi. Surtout. J’étais censé veiller sur mes sœurs, les protéger. Une fois encore, j’avais failli.

C’est un anniversaire comme un autre et c’est même un jour comme un autre. Si je n’avais pas eu mon téléphone qui s’était mis à vibrer depuis minuit, je pense que je m’en serai même pas souvenue. Demain je répondrai à tout ça, des “merci” polis que je pense bien sur mais bon. Si je n’ai pas à y répondre autant dire que ça ne me dérangerait pas. J’ai bien évidemment répondu à l’appel de mes parents, le seul d’ailleurs. Ils sont loin, ils s’inquiètent un peu. Heureusement qu’ils ne sont pas au courant de tout. Je ne leur en veux pas d’être partis en Afrique du Sud pendant les vacances, pas du tout même. Je n’ai juste pas aimé leur forcing pour m’y amener également. Lorsque j’ai appris un mois avant qu’ils ne partent que l’internat serait fermé, c’est évident que j’aurai pu leur dire mais j’étais bien trop certaine qu’ils auraient voulu m’emmener avec eux. Et ça, c’était pas possible. Los Angeles c’est ma maison, mes amis sont ici, j’ai tout dans cette ville. J’aime ma famille bien évidemment mais quitter ma terre natale pour deux mois, non, ce n’était pas envisageable. Beaucoup trop long. Chez Harper ça se passe bien. Enfin mieux que je ne l’aurai espéré. Je ne sais toujours pas pourquoi elle m’a proposé de venir habiter dans son garage mais je ne vais pas m’en plaindre. On va dire que c’est la solidarité de l’école hein… J’en ai marre de me poser trop de questions à son sujet. Elle est bien trop étrange pour moi. Quoiqu’il en soit, cloîtrée dans son garage à l’abri de sa mère, je grignote le paquet de chips qu’il me reste de mon excursion d’hier. J’ai dessiné aujourd’hui mais rien qui n’aurait avoir avec la mode. Ce ne sont que des croquis rapides de visages inventés. Perdue sur les traits que je trace, je jette un coup d’oeil à mon téléphone qui se met à sonner. Nino, mon grand frère. J’ai pas franchement envie de lui parler maintenant, j’ai toujours eu du mal à lui mentir. Peut être parce qu’il est flic qui sait. Je lui enverrai un sms plus tard. Enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que j’entende frapper à la fenêtre. Je sursaute, lâchant mon crayon et sentant mon coeur s'accélérer dans ma poitrine. Je me tourne et le vois. Bizarrement ça ne me rassure qu’à moitié. Je me lève et enfile mes chaussures avant de le rejoindre dehors. ” Qu’est ce que tu fais ici ? “ J’attrape son bras et le tire pour l’éloigner le plus possible de la maison. Si on nous croise, on pensera qu’on est juste deux personnes qui discutent dans la rue. Et pas que l’une de ces deux personnes vit illégalement dans un garage. Je me mords la lèvre inférieure en continuant de regarder autour de moi, nerveuse. ” Je ne t’évite pas… “ Ou peut être juste un petit peu.

Sans rien dire, je me suis laissé traîner, éloigner de la maison dans laquelle je l’ai trouvée. Qu’est-ce que ma sœur benjamine fait ici ? Je n’en sais rien. J’ai l’impression de ne rien savoir d’elle, ces derniers temps – comme si elle s’éloignait. Comme si elle se cachait de moi. Est-ce que c’est le cas ? Je ne peux m’empêcher de penser, le cœur serré. Mais pourquoi ? Lui ai-je donné une raison de partir ? De se fermer à moi, de penser que je ne l’écouterais pas si elle avait besoin de moi. Alors je reste un peu figé, face à Roni, à observer son visage tiré par le malaise. Je ne sais pas si j’attends parce que j’aimerais qu’elle s’explique ou bien parce que je ne sais finalement pas quoi lui dire désormais. « Pas la peine de mentir, Roni, je lâche dans un froncement de sourcils. Tu n’as jamais su et je fais face à beaucoup de menteurs dans le cadre de mon travail. » J’aurais voulu pouvoir la rassurer ou lui faire comprendre qu’elle trouverait toujours une oreille attentive en moi. Peut-être Imelda aurait trouvé les mots qu’il fallait. Peut-être Imelda aurait été la personne qu’il fallait aujourd’hui à Roni. « Écoute, que tu n’aies pas répondu à mes appels, ce n’est pas un drame, continué-je plus doucement. Tu as le droit de ne pas avoir envie de parler à ton grand-frère. »

Il y avait parfois tant d’écart entre elle et moi que je ne m’étonnais plus de penser que Roni préférait se tourner vers quelqu’un qui ne serait pas moi si elle avait un problème. « Mais je voudrais quand même savoir ce que tu fais ici, et pourquoi tu n’es pas partie avec Papa et Maman comme c’était prévu. Enfin, ça aussi c’est ton droit de ne pas vouloir partir avec les parents, j’ajoute, passant une main sur ma nuque. Tu es grande maintenant, tu as le droit à ton indépendance. » Ni moi ni nos parents ne pourraient empêcher le temps qui passe ou empêcher Roni de grandir. « J’aurais juste voulu être courant, pouvoir te joindre pour être certain que tout allait bien. Je croyais que tu étais censée rester à l’internat ? » Et je la retrouvais dans le garage d’une maison inconnue, à la voir vivre comme si elle était une immigrée clandestine. Il n’y avait qu’à observer son attitude défiante et nerveuse, sa façon de laisser ses yeux vagabonder çà et là sans même arriver à se poser sur moi. Ma jeune sœur avait honte – oui, mais de quoi ? « Alors qu’est-ce qu’il se passe, exactement, Roni ? »

je sais pas mentir. je n'ai jamais su mentir. et encore moins à mon grand frère. parce que c'est nino et pas parce qu'il est flic. je m'en fiche de ça. c'est juste que je n'aime pas mentir déjà. je suis plutôt honnête et d'ailleurs je dis trop souvent ce que je pense. mais cette fois ci j'ai du mentir. et n'ayant pas l'entraînement nécessaire bah ça ne se passe pas très bien. puis bon vu qu'il m'a vu ici, je peux difficilement trouver un mensonge potable. " pas la peine de mentir, roni. tu n’as jamais su et je fais face à beaucoup de menteurs dans le cadre de mon travail. " c 'pas la peine qu'il me sorte le refrain sur le flic qui fait subir des interrogatoires, je le sais déjà ça. " écoute, que tu n’aies pas répondu à mes appels, ce n’est pas un drame. tu as le droit de ne pas avoir envie de parler à ton grand-frère. " c'est même pas ça. il comprend pas. j'suis pas sure qu'il puisse comprendre en fait. " mais je voudrais quand même savoir ce que tu fais ici, et pourquoi tu n’es pas partie avec papa et maman comme c’était prévu. enfin, ça aussi c’est ton droit de ne pas vouloir partir avec les parents. tu es grande maintenant, tu as le droit à ton indépendance. " j'suis quand même face à une sorte de discours moralisateur paternaliste assez étrange. j'hausse un sourcil en l'écoutant parler, comme si c'était la première fois. " j’aurais juste voulu être courant, pouvoir te joindre pour être certain que tout allait bien. je croyais que tu étais censée rester à l’internat ? alors qu’est-ce qu’il se passe, exactement, roni ? " les voilà les questions. posées comme ça, sans artifice. je lève tout d'abord les épaules avant de les laisser retomber. " ça va faut pas t'inquiéter. j'vais bien. " après tout c'est vrai ça. j'suis en vie, je dors avec un toit au dessus de la tête et puis j'ai de la nourriture quand la harpie n'oublie pas. " j'avais pas envie de partir avec papa et maman, c'est pas des vacances avec eux puis je voulais rester avec mes amis. " surtout après ce qu'il s'est passé pour joy. je me voyais pas partir deux mois en étant loin de ma meilleure amie après l'accident de sa mère et de sa soeur. " je pensais rester à l'internat mais ils font des travaux alors bah harper m'a proposé de rester chez elle. mais sa mère est chiante du coup j'dors dans le garage. mais j'suis bien là hein. " bon c'est pas tout à fait la vérité mais juste en gros résumé. au moins il a des réponses à ses questions. enfin j'crois.

Il était difficile de voir ma petite sœur si éloignée. J’avais pourtant toujours eu ce besoin presque viscéral de la protéger, de veiller sur elle. D’être là quand elle se réveillait d’un mauvais rêve, quand elle avait besoin de voir les monstres de son placard être chassés. Mais mes propres cauchemars et mes propres monstres avaient fini par me rattraper, m’engloutir et je suppose que je m’étais trop renfermé sur moi-même pour voir au-delà de mes problèmes. Au-delà de ma douleur. Je suppose que je m’étais éloigné moi-même avant que ce soit Roni qui, grandissant, n’avait finalement plus besoin de son grand-frère pour garder un œil sur elle. « Bien sûr que je m’inquiète, je rétorque doucement, presque blesser qu’elle puisse s’imaginer que son bien-être ne soit plus important à mes yeux. Je m’inquiéterai toujours pour ma petite sœur… » N’était-ce pas mon rôle ? N’étais-je pas censé être le grand-frère un peu trop encombrant, un peu trop embêtant. Celui censé faire fuir les petits-amis et les petites-amies portentiel.les, celui censé faire peur à toutes celles et tous ceux qui s’approchaient un peu trop de ses sœurs. Il fallait croire que Roni n’en ressentait pas le besoin – et cette pensée est douloureuse. Car sans mon rôle de grand-frère, j’ai parfois l’impression de n’être rien.

« Tu aurais pu venir t’installer à l’appartement, lâché-je, passant une main dans mes mèches foncées. Je sais qu’il est pas grand, mais t’aurais… » Je m’interromps, repense à la maison dans laquelle je l’ai trouvée. Même le garage où elle vivait présentement était mieux agencé et surtout plus grand que mon propre appartement. Roni aurait fini par se sentir à l’étroit. Elle aurait fini par penser que je la fliquais ou l’espionnait, empiétant sur sa liberté. Je soupire un peu, malgré tout un peu triste de ne finalement pas pouvoir être là pour elle. « Sûre que ça te convient de vivre dans ce garage ? je demande après un silence même si je me doute que la réponse à ma question ait changé. » Et ce n’était pas comme si la brunette avait l’air malheureuse ou affamée. Peut-être un petit peu fatiguée mais je mettais ça sur le compte des soirées et des nuits blanches qu’elle devait passer avec son amie. « Bon, puisque je suis là, je t’invite manger une glace ? Ou ce que tu préféreras, je propose avec entrain. Après tout, il paraît qu’une petite fille devient grande aujourd’hui. » Je laisse échapper un rire léger, retenu, avant d’entourer ses épaules frêles de mon bras pour venir déposer un baiser sur le front de ma sœur cadette. « Bon anniversaire, princesse, je souffle. »

" bien sûr que je m’inquiète? je m’inquiéterai toujours pour ma petite sœur… " un léger sourire prend place sur mes lèvres. évidemment ça me fait plaisir de l'entendre dire ça. je l'aime mon frère. parce que c'est mon frère. même s'il a le double de mon âge mais chut faut pas lui dire. je m'en fiche de l'âge mais c'est que forcément, on n'a pas grandi ensemble. mais je l'aime. c'est le plus important. alors je lui explique tout. de toute façon je peux difficilement lui faire croire que je suis là pour une nuit, il a vu mes affaires par la fenêtre. je le laisse assimiler tout ça en espérant ne pas me faire engueuler. " tu aurais pu venir t’installer à l’appartement. je sais qu’il est pas grand, mais t’aurais… " il ne termine pas sa phrase et je ne comprends pas pourquoi. " je voulais pas te déranger. " après tout il a sa vie nino. se coltiner son ado de soeur quand on a sa vie d'adulte, c'est pas génial. même si je suis certaine qu'il n'y aurait vu aucun inconvénient. puis j'avais pas vraiment envie qu'il parle de tout ça aux parents. j'ai juste eu peur. " sûre que ça te convient de vivre dans ce garage ? " non, ça ne me convient pas forcément. je vis dans un garage il l'a bien dit. qui peut aimer vivre dans un garage... personne. mais bon, je ne suis pas non plus mal lotie. " oui t'en fais pas. " je hoche la tête et lui souris. " bon, puisque je suis là, je t’invite manger une glace ? ou ce que tu préféreras. " ah voilà quelque chose qui m'intéresse et mon visage s'illumine. " après tout, il paraît qu’une petite fille devient grande aujourd’hui. " ah oui c'est vrai, mon anniversaire. je l'avais presque oublié avec tout ça. il m'entoure de ses bras et je me blottie contre lui. " bon anniversaire, princesse " passant mes bras autour de lui, je profite quelques secondes encore de sa chaleur corporelle. ça fait longtemps que je n'ai pas eu un contact humain de la sorte. " merci nino. " encore quelques secondes et je me détache de lui. " bouge pas j'vais vite me changer et j'arrive. " puis laisser un message à harper au cas où elle rentre avant que je ne sois revenue. j'enfile un short, un débardeur, mes baskets en toile et n'attrape que le strict nécessaire. téléphone, clés, et mon porte feuille quand même. histoire d'avoir ça sur moi. j'attache mes cheveux en courant pour rejoindre mon frère. " on peut y aller je suis prête. " prête à passer du temps avec lui et à m'amuser en famille.