cheyenne - Dessine moi un mouton

Injuste, voilà ce que c'était, injuste.
Lorsque Maëlle était occupée, elle n'avait pas besoin de réfléchir mais lorsque c'était le cas, elle cogitait et radotait comme une vieille grand-mère esseulée. Taylor lui manquait et elle lui en voulait de l'avoir accaparé tout son temps mais rien n'équivalait le manque qu'avait percé sa mère, en mourrant. Depuis, ses amies avaient pris leur distances mais comment leur en vouloir ? Au début, elle ne vivait que pour cette femme mariée alors elle rejetait les invitations même à la dernière minute pour la voir. En même temps, une femme mariée avait forcément un emploi du temps over-booké. Et puis, il est arrivait ce mystérieux événement parce que sa mère était décédée, tuée dans cet « accident.. ». Aujourd'hui, elle n'avait plus rien et elle s'en mordait les doigts. Encore une leçon de vie qu'elle n'aurait jamais eu si elle n'avait pas été mise en pied du mur. Premièrement, femmes ou hommes mariés, plus jamais. Deuxièmement, elle ne faisait plus confiance à personne. Troisièmement, penser à elle et qu'à elle. Elle allait essayer en fait.. Elle s'était complètement oubliée et elle ressentait les effets maintenant. Intriguée, Maëlle s'était donnée pour objectif de provoquer un petit peu le destin alors c'était avec un petit pactole en poche qu'elle se rendit à une adresse trouvée sur internet. Une voyante, ou plutôt « une diseuse de bonnes aventures » proposait ses services pour lire l'avenir. Autant qu'elle essaie au moins une fois pour savoir si les choses pouvaient être réelles. Tout en prenant son courage à deux mains, elle toqua à la caravane, peu rassurée, n'ayant jamais établie ce genre de contact : «Bonjour, je suis Maëlle. On s'est parlée quelques minutes au téléphone... » La porte de la caravane s'ouvrit et la blonde tomba née à née sur une rouquine. Elle ne savait plus où elle en était alors elle voulait tenter sa chance dans le futur. Peut-être qu'au final, Maëlle se cherchait une attache, n'importe laquelle, celle qui pourra lui donner la sensation de ressentir à nouveau quelque chose d'autre que de la colère...  Surtout que, depuis sa rencontre avec Hina, son destin allait probablement changer à jamais et elle devait vraiment bien réfléchir à la décision qu'elle lui donnera...

Lorsque je m’étire ce matin, je prends conscience que je suis seule. Nolan n’a pas dormi là, elle n’était pas là lorsque je me suis endormie, et n’est toujours pas là. Même si elle a l’habitude de dormir ici depuis quelques temps, elle n’y est pas non plus obligée, et surtout elle n’a aucun compte à me rendre. Nous ne sommes pas un couple, elle reviendra me voir quand elle aura envie, et je ne pourrai même pas lui en vouloir si elle décide de ne même pas revenir. Quoi que, je me suis quand même pas mal attachée à elle, mine de rien. Je me lève pour me faire couler un café, avant de passer à l’arrière de la caravane pour m’installer sur une chaise et regarder l’immensité qui s’offre à moi. La vue est à couper le souffle, ce n’est pas pour rien que j’ai choisi ce terrain pour y laisser ma caravane. Je ne sais pas combien de temps ça durera, mais le temps que je serai ici, je ne cesserai de profiter de chaque seconde, comme depuis que je suis née. J’ai une pensée pour la soeur jumelle qui elle a choisi une vie plus normalisée, dans un appartement. Je ne la blâme pas, chacun fait bien ce qu’il veut, mais moi, j’ai décidé de poursuivre l’éducation que m’ont donné mes parents.

Je me souviens que j’ai aujourd’hui un rendez-vous avec un client, ou plutôt une cliente. Une copine d’Indiana avait réussi à me bidouiller un truc sur internet pour me faire de la pub, et depuis j’ai quelques passages de clients imprévus, plus besoin d’aller montrer ma frimousse sur les marchés et distribuer des prospectus écrits à la main. Je prends le temps d’une petite douche après mon café, brossage de dents, je m’habille d’une robe simple et légère, glissant mes doigts dans mes cheveux pour remettre en place plus ou moins mes boucles. On frappe déjà sur la carrosserie de la caravane, et je fais le tour, puisque j’étais dehors de l’autre côté en train de ranger. « Bonjour ! » je m’adresse à la demoiselle d’un large sourire enchanteur. « Bonjour, je suis Maëlle. On s'est parlée quelques minutes au téléphone… » Je hoche vivement la tête et viens lui tendre ma main pour sentir la chaleur de la sienne. « Enchantée Maëlle, je suis Cheyenne, je t’en prie, entre. » Je passe en premier après avoir lâché sa main, et l’invite à s’asseoir en face de moi autour de la petite table ronde. L’endroit n’est pas bien grand, et pas forcément super rangé non plus, la décoration très hippie est révélatrice de qui je suis, mais ça suffit pour recevoir mes clients et faire mon travail. « Tu es restée très vague au téléphone, tu as des réponses particulières que tu voudrais avoir ou simplement être rassurée sur quelques propos ? » Je sonde ses expressions, la lueur de son regard, m’attarde sur ses traits, ses mimiques, j’essaie de sonder son âme en un rien de temps.

Il fallait bien s’accrocher à quelque chose même d’intangible. Maëlle en avait besoin avant de lâcher prise, et de se faire un aller et retour dans quelque chose d'irréparable, dont elle n’aura aucun contrôle. Elle en voulait à la terre entière et elle voulait décimer toute la ville pour dénicher les meurtriers présumés et leur apprendre la vie. C’était encore trop tôt mais la jeune fille savait que ce n’était pas le temps qui manquait pour se peaufiner. C’était pourquoi elle avait cherché quelque chose pour lui occuper l’esprit. Seule depuis bien longtemps maintenant que Taylor et sa mère avait déserté de sa vie, elle se retrouva devant une caravane d’une diseuse de bonnes aventures. En toquant, elle s’annonça et ce fut une jolie rousse qui l’accueillit. Il était inutile de dire comme cette chevelure flamboyante n’avait pas impressionnée la Doherty. “Enchantée Maëlle, je suis Cheyenne, je t’en prie, entre.” Elle obtempéra avec un petit sourire nerveux. Ne pouvant pas s’empêcher de découvrir ce qu’elle avait autour d’elle, elle arrêta cependant d’essayer de nominer tout ce qu’elle pouvait toucher du regard. Il y avait beaucoup trop de chose et derrière elle, la rousse lui adressa la parole : “Tu es restée très vague au téléphone, tu as des réponses particulières que tu voudrais avoir ou simplement être rassurée sur quelques propos ?” En s’asseyant, elle retira sa veste, dévoilant un t-shirt blanc, avec en lettre noire : «H.O.P.E...» C’était un peu ironique lorsqu’elle y repensait mais ces derniers tmeps, elle ne faisait pas du tout attention à elle : “Oui, je sais. Je suis dans le brouillard et je ne sais pas trop comment ça marche…” Elle regarda de nouveau autour d’elle et comprit que ce n’était pas seulement le lieu de travail pour Cheyenne mais également son lieu de vie : “ça fait longtemps que vous faite ce métier ?” demanda t-elle en retrouvant le regard noisette de Cheyenne.

Chaleureuse et souriante comme à mon habitude, c’est vrai que je n’ai pas forcément le look des autres diseuses de bonne aventure, ces femmes généralement plutôt vieilles qui ressemblent plus à des sorcières qu’autre chose. Il faut dire que ce monde un peu ésotérique pourrait pousser à se renfermer pour en apprendre encore et encore sur nous-même et sur les autres, grâce à ces ‘pouvoirs’ que nous acceptons. J’ai l’intime conviction que nous avons en chacun de nous quelque chose de particulier, mais beaucoup ne creusent pas assez profond pour le découvrir, ou ne l’assument pas en le découvrant. Moi, j’assume qui je suis, et même si j’en rajoute parfois des caisses, juste pour avoir un peu plus d’argent, ça ne m’empêche pas d’aimer ce que je fais. L’être humain est fascinant, et j’aime découvrir de nouvelles personnes, de nouvelles histoires régulièrement. « Oui, je sais. Je suis dans le brouillard et je ne sais pas trop comment ça marche… » Je penche la tête légèrement sur le côté en souriant à la jeune femme. Comment ça marche ? La voyance ? « ça fait longtemps que vous faite ce métier ? » demande-t-elle, comme si elle avait besoin de poser des questions pour ne pas se laisser engouffrer par les miennes. Je souris à nouveau, continuant de sonder la demoiselle, de ses mots à ses gestes, en passant par les micro expressions de son visage et de ses rictus nerveux. « Plusieurs années, ma mère lisait dans les cartes et m’a aidée à assumer mes dons particuliers. » Je penche la tête légèrement sur le côté. « Je sens l’appréhension en toi, on peut y aller à ton rythme, il a des choses qui te font peur ? » Généralement, ce qu’on ne connait pas nous fait peur. J’ai des clients qui viennent avec appréhension et d’autres non. Mais cette jeune femme a quelque chose de particulier, je sens chez elle à la fois une grande force et une grande fragilité. Je sens que je vais adorer creuser en elle pour trouver ce qui bloque. Elle n’aura pas besoin de parler. « Tu veux me dire pourquoi tu es venue me voir ? »

Maëlle était dans un brouillard les plus complet et il n’était pas difficile de s’en rendre compte. Tout était entrain de se chambouler dans sa vie à commencer par l’arrêt brutal de sa relation interdite, par la perte tragique de sa mère et puis, sa rencontre avec cette Hina. Elle ne savait pas trop sur quel pied danser mais pas encore ce qu’elle voulait faire. N’ayant jamais tenté ce genre de système, qui était loin des croyances de sa défunte mère, elle avait sauté le pas. Complètement perdue, elle cherchait quelque chose à quoi se raccrocher, et le surnaturel, quelque chose d’abstrait, l’aiderait sûrement à y voir plus clair. Surement. « Je sens de l’appréhension en toi, on peut y aller à ton rythme, il a des choses qui te font peur ? » Oui bon, ce n’était pas un don de clairvoyance ça, ça se lisait parfaitement dans ses gestes et sa mine soucieuse depuis le moment où elle avait franchit le seuil de cette caravane : « Je n’ai jamais fait ça, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Ne crois que je suis fermée, je suis juste, un peu apeuré par ce qui va en sortir de cette consultation... » expliqua sincèrement la jeune héritière qui regardait maintenant la rouquine se mouvoir avec habileté. Son visage inspirait à la fois l’innocence et la connaissance, ses réponses étaient parfaite. Alors, Maëlle tente de se détendre lorsque Cheyenne lui demanda : « Tu veux me dire pourquoi tu es venue me voir ? » La brunette se passa une méche de cheveux derrière son oreille tout en restant concentrée sur ce qu’elle voulait savoir. Tout était évident, elle cherchait des réponses mais encore fallait-il qu’elle choisisse judicieusement ce qu’elle voulait demander : « J’ai perdu quelqu’un il y a quelques semaines et rencontré une femme la semaine dernière alors que je revenais de Pasadena. J’aimerai savoir si tu pouvais me faire un ressenti sur cette femme et… cette femme. » Maëlle sortit une feuille A4 où une photo en paysage d'une femme. La femme, brune d’apparence asiatique, le regard inquisiteur scrutait un point impossible à deviner au dessus du viseur, la photo a été clairement prise sous la table : «Evidemment, je te paierai en conséquence. »

 « Je n’ai jamais fait ça, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Ne crois que je suis fermée, je suis juste, un peu apeuré par ce qui va en sortir de cette consultation… » Je remarque qu’elle passe naturellement d’un vouvoiement à un tutoiement, c’est un premier pas, une bonne chose pour la suite. Avant de chercher à creuser en elle, j’attends surtout de voir ce qu’elle a dans le ventre, ce qu’elle sera prête à lâcher. Les traits graphiques de son caractère se dessinent peu à peu dans ma tête. Je cherche à la rassurer, utilise pour elle la douceur dont je peux faire preuve, et garde mon côté plus sauvage dans un coin de cette caravane. Je lui demande si elle veut me donner la raison de sa venue, le but n’est pas qu’elle me raconte sa vie, je ne suis pas psy. « J’ai perdu quelqu’un il y a quelques semaines et rencontré une femme la semaine dernière alors que je revenais de Pasadena. J’aimerai savoir si tu pouvais me faire un ressenti sur cette femme et… cette femme. » La jeune femme sort une photo d’une femme et je me redresse légèrement, sentant un frisson parcourir ma colonne vertébrale. Ça n’annonce rien de bon. «Evidemment, je te paierai en conséquence. » Je n’entends qu’à moitié ce qu’elle vient de dire même si cette phrase s’imprime quand même dans mon cerveau. Je pose ma main à plat sur le papier pour le tirer à moi mais retire mes phalanges bien rapidement, sentant comme une brûlure sous ma peau. « Ce n’est pas quelqu’un de bien. » Je prends le papier cette fois sur les côtés et regarde un peu mieux la photo. « Cette femme est une menteuse. Elle cache au fond d’elle quelque chose de bien plus noir que l’image qu’elle donne au monde. » Cette fois je glisse le bout de mes doigts sur le visage de l’asiatique avant de secouer la tête. « Tu crois qu’elle a quelque chose à voir dans le soit-disant accident de ta mère, c’est pour ça que tu viens me voir hein ? » Je n’ai pas menti, même si j’escroque parfois un peu les gens qui ont de l’argent, je suis aussi un peu douée dans ce métier…

Il n’était pas dans son intérêt de mentir alors autant être franche dès le départ. Sinon, à quoi cela lui aurait servie de venir jusqu’ici pour ne pas jouer le jeu jusqu’au bout. Et puis, il fallait se dire ausi qu’elle ne savait pas à quoi se raccrocher. Seule, elle n’avait pas l’habitude de l’être. Vivre sans sa mère, sans repère, Maëlle était complètement perdue dans les méandres de l’incompréhension, de l’incertitude. Sur son chemin perdu, elle avait rencontré quelques personnes mais suite à son incapacité à faire ses propres choix toute seule, elle s’était juste laissée trainée jusqu’à Cheyenne. Entrant dans le vif du sujet, l’ancienne étudiante posa une photo prise sous la table. Une asiatique qui l’avait raccompagné et qui lui avait attiré l’attention. Peut-être par son épaule qu’elle lui avait tendu, sa main aussi et puis, il y avait ces choses qui ressemblaient à l’espoir de retrouver quelque chose de normal. “Ce n’est pas quelqu’un de bien.” Les sourcils de Maëlle se fronçèrent devant la vivacité de la rouquine. Elle s’étonnait même de s’être laissée surprendre à la dérober du regard. Heureusement, l’attention de la voyante était rivée sur la photo : “Comment ça ?” “Cette femme est une menteuse. Elle cache au fond d’elle quelque chose de bien plus noir que l’image qu’elle donne au monde.” Le regard de la Doherty se détourna de la voyante pour se poser sur la photo imprimée. Je réfléchissais mais rien ne se mettait dans l’ordre et puis, hop!, encore une fois, Cheyenne leva un nouveau doute tout haut ce qu’elle gardait tout bas : “Tu crois qu’elle a quelque chose à voir dans le soit-disant accident de ta mère, c’est pour ça que tu viens me voir hein ?” Plongée dans ses pensées, Maëlle se fixa un point invisible sur quelque chose qu’elle ne voyait pas en réalité. En revenant à elle : “Je n’en sais rien.” lâcha tout simplement la brunette. Et puis elle avait tellement d’autres questions à poser mais ne sachant pas comment faire. Elle ne savait plus à qui ni à quoi faire confiance : “Elle n’avait pas l’air si affecté quand je lui en ai parlé.” lâcha t-elle en reportant son attention sur la photo. "Tu penses qu'elle serait liée à tout ça alors ?"

La jeune femme semble bouleversée, et la photo qu’elle me donne n’annonce rien de bon. Si bien souvent j’en rajoute des caisses dans le jeu de la diseuse de bonne aventure, il a des fois où les messages m’apparaissent comme évidents. Comme maintenant. Elle n’a pas parlé de la personne qu’elle a perdue, ni même comment elle l’a perdue. Mais mes mots ont largement fait comprendre que je savais, que j’avais vu. Cette photo en dit long, et la jeune femme en face de moi est facile à lire, encore faut-il savoir déchiffrer. « Je n’en sais rien. » lâche-t-elle visiblement déjà perdue dans le fil de ses pensées. « Elle n’avait pas l’air si affecté quand je lui en ai parlé. » Je grimace légèrement et marmonne, plus pour moi-même qu’autre chose. « Ce genre de personne n’est pas affectée par grand chose. » Ça m’en foutrait des frissons dans le dos. « Tu penses qu'elle serait liée à tout ça alors ? » demande-t-elle finalement en pointant la photo du menton. Je repose ladite photo sur la table et la fais glisser dans sa direction. « C’est difficile à dire. Peut-être pas directement non. Mais elle est malveillante. Tu dois t’en tenir éloignée le plus possible Maëlle. » Je capte son regard et attend d’elle comme une approbation. Comme pour me rassurer qu’elle a bien entendu ce que je viens de lui dire. Je soupire un peu et attends qu’elle revienne un peu à elle, pour lui demander avec un peu plus de légèreté. « Tu veux me poser des questions sur des sujets précis ? Savoir si tu vas rencontrer l’amour cette année ? Si tu vas réussir à oublier cette prof.. » Je fronce un peu les sourcils avant de reprendre. « Elle était prof n’est-ce pas ? »