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we’re on life support. (einar)

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we’re on life support. (einar)
Lun 30 Juil - 23:24
Je soupire doucement avant de remettre le dinosaure qui me sert de téléphone portable personnel dans la poche de mon vieux jean. Encore un message resté sans réponse de la part de Einar, mon coéquipier. J’aurais dû être habitué à ses silences – le mutisme dont il faisait preuve depuis sa mise à pieds était édifiante – mais le fait est que je me sentais incapable de les supporter. Ou même de les accepter. Parce que je n’étais pas censé les accepter, n’est-ce pas ? Ce n’était pas ce que faisait un partenaire. Ce n’était pas ce que faisait un ami. Parce que je considérais Einar comme un véritable ami. Il était même plus que ça, en réalité. À une époque où tout semblait se désagréger entre mes mains, il avait réussi à me ramener à la surface. Alors m’inquiéter pour lui en cette période d’abysse était le moins que je pouvais faire pour lui. Il semblait que c’était d’ailleurs tout ce que je pouvais faire pour lui, parce qu’il ne me laissait pas faire plus – malheureusement. Depuis qu’on l’avait mis sur le banc de touche, c’était comme s’il m’avait fermé la porte menant à lui. Et c’était une sensation plus que terrible pour moi, parce que je ne supportais pas de le voir aussi abattu. Aussi peu lui-même. Ou peut-être était-ce le visage du blond sans aucun masque, sans aucun filtre, et alors je ne me sentais pas assez fort pour le voir en face ? Je soupire à nouveau, avant de repousser ma chaise du bureau. C’était enfin l’heure de ma pause déjeuner et je savais parfaitement où je voulais aller. Ce n’était pas grave s’il n’avait pas répondu à mes textos, il ne pourrait pas refuser de me laisser entrer chez lui une fois à sa porte. Surtout que, de toute façon, j’avais les clés de chez lui.

Je me suis arrêté au chinois du coin de la rue, achetant un peu de tout sur la carte à emporter. Je suis ressorti avec quatre sacs mais j’étais d’avis que ça en valait la peine si c’était pour Einar. J’étais capable de beaucoup pour lui. J’étais même persuadé qu’il m’avait sauvé la vie. S’il était là, je sais ce qu’il dirait : que je ne devais mon quotidien qu’à moi-même, qu’à ma force de caractère et mon envie de m’en sortir. Si j’étais là aujourd’hui, c’était grâce à moi et uniquement moi – mais je n’étais pas du tout d’accord avec cette idée-là. Si j’étais là aujourd’hui, c’était parce que, quelques années auparavant, un jeune policier m’avait barré la route une nuit, après un combat de rue alors que j’avais le nez en sang et l’arcade éclatée. Ce sont les mots de ce jeune homme qui ont tout bouleversé. Qui ont réveillé en moi une envie de me battre d’une autre façon dans la vie. Repenser à cette période de mon existence ne fait plus aussi mal qu’avant. Elle reste encore douloureuse et je sens encore beaucoup de mes blessures qui continuent de saigner mais, certainement sans le savoir, Einar a aidé à panser beaucoup de plaies pendant toutes ces années. Alors, quand j’arrive devant chez lui, sa nouvelle petite maison récemment aménagée, je ne me sens plus tellement en colère ou frustré après lui. Il n’y a que l’inquiétude qui me tord l’estomac. Il n’y a finalement que l’envie de le sortir de ce trou noir qui me broie. « Room service, le déjeuner est servi, lâché-je à tue-tête, une fois la porte fermée dans mon dos. J’espère que tu as faim, j’ai dévalisé le chinois en bas de la rue ! » Tout était trop sombre chez lui, comme d’habitude depuis quelques mois. Comme s’il redoutait la lumière du jour. Comme si l’obscurité qui s’était emparée de lui devenait de plus en plus réelle et tangible. « Allez, montre-toi Einar. Faut que tu manges. Me force pas à venir te chercher. » Je détestais voir mon partenaire ainsi. C’était terrible de le voir s’enfoncer comme ça et d’être à la surface et de ne pas être certain de savoir comment l’aider. Ou même de pouvoir simplement l’aider. L’aider comme lui m’a déjà aidé.
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Jeu 16 Aoû - 11:26

We're on life support.


Son estomac se tordit, exprimant son mécontentement par la douleur, alors qu’Einar savourait tranquillement la sensation de l’eau brûlante revigorant sa peau nue. Il posa par réflexe l’une de ses paumes contre son ventre, comme si cela pouvait apaiser les cris de plus en plus assourdissants, de son corps affamé. Après deux bonnes heures passées à nager, ces signaux d’alarme ne le surprenaient guère, mais il prit quand même le temps de bien se débarrasser de tout résidu de sable ou de sel, et d’apprécier le martèlement de l’eau contre ses muscles épris d’une agréable fatigue.
Depuis qu’il avait rendu son badge, il n’était pas rare qu’il aille à la plage le matin, relativement tôt par rapport aux horaires d’affluence des touristes et vacanciers, et qu’il laisse les vagues le porter un temps avant de les fendre de mouvements contrôlés, répétés. A mesure de quatre à cinq fois par semaine, c’était un rituel sain qui lui permettait de s’aérer l’esprit et surtout de s’occuper –car l’ennui demeurait son pire ennemi. L’ennui et l’attente. L’attente de ce qu’il adviendrait de lui, du coup de fil ou du message qui l’inviterait à retrouver son lieutenant ou contacter un avocat. L’attente avant de pouvoir reprendre l’enquête, recouvrer le dossier qui l’attendait quelque part, et dont il n’avait plus de nouvelles –autant parce qu’en tant que civil, il lui était à présent impossible d’y accéder, que parce qu’il se refusait à mettre ses collègues (surtout Armenio) dans une position délicate en leur posant des questions sur le statut de l’affaire.
Rester éloigné se présentait comme la solution la plus sensée, la plus réfléchie. La plus responsable. Il avait déjà dérapé à cause de cette affaire (même  si, s’il était un peu plus honnête avec lui-même, elle n’avait peut-être pas été l’unique déclencheur) et c’était aussi pour l’en défaire qu’on lui avait tout retiré. Son badge. Son accès aux informations. Son arme. C’était pour l’évincer. Le forcer à prendre du recul. A se recentrer. A se retrouver, avant qu’il ne soit trop tard.
Sûrement avant qu’il ne s’y perde, qu’il y laisse bien plus qu’il ne l’aurait dû –ou une autre connerie du genre.
Il arrêta l’eau d’un coup sec et s’enroula dans une serviette, le peu de paix que sa matinée passée à s’oublier dans l’immensité de l’océan était parvenue à lui insuffler déjà envolée. Remplacée par cette colère qui gisait sous sa peau comme des cendres mal éteintes, qu’une étincelle saurait raviver. Ce sentiment d’injustice profonde qui pourrissait en son sein et parfois ôtait à tout ce qu’il entreprenait toute once d’intérêt.
Bien sûr qu’il avait déconné –même s’il ne s’en était rendu compte que trop tard. Mais il ressentait ce besoin irrépressible de voir le bout de cette affaire. Sa conclusion. De pouvoir regarder le  coupable dans les yeux et de savoir qu’il allait payer avec ce qui existait de plus précieux : son temps sur cette terre. Enfermé, loin de tout, en marge du reste du monde.
Et rien que la pensée que cela n’arrive pas –jamais- le faisait complètement vriller.

Il s’efforça à inspirer calmement, lentement, pour apaiser un peu les battements fous de son cœur affolé. Badge ou pas, dossier classé ou non, cela ne l’empêchait pas de continuer à enquêter –il fallait juste qu’il demeure discret, off the grid, et qu’il s’arrange pour ne pas être dans les pattes de la police. Même si pour cette dernière, il ne se faisait guère trop d’illusions. Ils étaient déjà passés à une autre affaire quelques semaines avant qu’il ne mette la main sur le suspect qu’il avait un peu (trop) bousculé. Trop peu de pistes, de témoins, d’indices. Des intuitions qui finissaient par rencontrer un mur, du travail qui n’aboutissait à rien d’autre qu’un peu plus d’incompréhension.
Il espérait qu’Armenio n’avait pas repris le dossier –et pourtant, il ne voulait pas que ce dernier soit classé.
Ces deux envies contradictoires finirent par lui arracher un sourire dégueulasse d’ironie alors qu’il enfilait un T-shirt à manches courtes et un jean dans l’obscurité de sa chambre. Ses pensées commençaient à ne plus faire grand sens –il était peut-être temps de contenter son estomac, effectivement.
Ce fut le cliquetis d’une clé tournant dans une serrure qui l’arrêta dans son inventaire du contenu du frigidaire, grippant le mécanisme de son esprit convergeant sur les idées de plats qui peinaient à venir alors que le frigo était plein (il n’avait plus si faim, en fait). Il se tendit pendant un instant, posa sa main sur le vide contre sa hanche –son arme- avant de pousser un soupir quand il entendit les tonalités graves de la voix de son partenaire emplir l’espace.

« J’arrive ! » lança-t-il en s’obligeant à faire le deuil de la perspective d’un repas léger, reconnaissant les teintes de l’inquiétude mal camouflées dans la voix de l’autre homme.

Gagné d’une mélange de joie et d’une tristesse indéfinissable de le savoir là, il repassa la porte de la cuisine pour aviser les sacs volumineux qui dégageaient une odeur alléchante avec un haussement de sourcil perplexe (Armenio avait invité du monde ou quoi ?) avant de s’avancer vers les fenêtres du salon dans l’optique de faire un peu plus de lumière. D’habitude, il s’arrangeait pour que ce ne soit pas si sombre quand son partenaire débarquait –ce qui devenait de plus en plus compliqué étant donné que ce dernier avait la fâcheuse tendance à s’inviter à l’improviste ces derniers temps.
L’obscurité relative que lui offraient les volets entrebâillés convenait à Einar.
Peut-être un peu trop au goût d’Armenio, dont il n’eut aucun mal à surprendre le regard hésitant entre soucis et désapprobation.
Pour le temps qu’il passait à l’intérieur, de toute façon…

« T’as acheté pour un régiment, effectivement,
considéra-t-il avec un sourire amusé. T’as pas prévu une fête surprise, rassure-moi ? » taquina-t-il sans pouvoir s’en empêcher.

C’était presque facile de plaisanter dans ces moments-là. De retrouver un semblant de confort dans leur complicité mise-à-mal.
Ses yeux accrochèrent enfin réellement la silhouette de l’autre homme, s’y arrêtèrent pour autre chose qu’un passage en coup de vent. Il semblait aller bien. La gestuelle aisée, confiante dans cet espace qui lui était connu, familier. Cependant, Einar n’était pas bien sûr de pouvoir faire quelque chose pour le pli inquiet qui déformait un peu ses traits, l’ombre qui pesait dans ses prunelles d’ambre foncé. Sa situation n’y était sûrement pas étrangère, et il était aussi impuissant que l’autre homme à y remédier.
Il ne put empêcher ses prunelles de dévier plus bas –l’arme accrochée à la ceinture, le badge-, ni le spasme douloureux dont fut victime son cœur.

« Je t’en prie, fais comme chez toi, l’invita-t-il naturellement. Je vais chercher de quoi boire. »

Einar s’esquiva quelques instants en cuisine, récupérant verres, couverts et boissons fraîches sans alcool.

« Eau, thé glacé, smoothie, virgin mojito ? » proposa-t-il en vrac avant de les servir tous les deux.

Il farfouilla ensuite un peu dans les sacs pour en ressortir ce qu’il savait être les mets préférés de son partenaire et les pousser vers lui sans trop lui donner le choix, avant de sélectionner les siens après avoir gratifié le policier d’un sourire sensiblement reconnaissant –peut-être que finalement, il avait un peu faim. Cela lui occupait les mains et c’était une bonne chose ; il n’était pas bien certain d’apprécier le silence comme tiraillé de non-dits et d’inquiétudes qui étouffait entre eux.
Dédaignant la fourchette pour les baguettes, il s’en arma, détourna toute son attention vers Armenio.

« C’est sympa d’avoir ramené le repas, merci. »

Une façon plutôt pudique de le remercier d’être venu plus que d’avoir ramené chinois. Il suspectait son partenaire de croire qu’il se nourrissait mal –et ce n’était pas totalement faux, parce qu’il lui arrivait de sauter des repas lorsqu’il était trop occupé ou que l’appétit s’envolait, mais il faisait toujours la cuisine, qui restait une occupation qu’il appréciait beaucoup, pas très enclin à céder aux sirènes des restaurants à emporter ou des fast food.
Ses yeux se plissèrent un peu alors qu’il dévisageait tranquillement son interlocuteur, patient. Dans l’attente d’un mot, d’une remarque.

« Qu’est-ce que tu racontes ? »
embrailla-t-il d’un ton léger, le regard fixe.

Qu’est-ce que tu fais là, Armenio, hein ?

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Lun 22 Oct - 10:19
Je détestais voir mon partenaire dans un tel état. C’était insupportable d’être là, de faire partie de sa vie mais de ne pas être capable de l’aider. De ne pas être capable de le sortir de ce gouffre dans lequel il s’était enfoncé. À une époque, c’était lui qui avait plongé dans l’abime juste pour me remonter. On ne se connaissait pas, lui et moi ; il ne me devait absolument rien. Et pourtant, j’avais trouvé le courage de reprendre ma vie en mains grâce à lui, à de simples mots échangés entre simples inconnus. Alors comment aurais-je pu rester là, sans rien faire, à le regarder se noyer dans un mal-être profond ? J’essayais. J’essayais de l’aider sans avoir l’impression d’y arriver. La frustration que je ressentais face à la situation était brûlante comme la colère – cette colère qui m’avait animé pendant des années. Qui m’animait encore souvent, quand plus rien n’allait. « Je sais qu’il en faut beaucoup pour contenter ton estomac, je plaisante avec pourtant cet arrière-goût amer comme à chaque fois que je m’adresse à Einar. Non, ce sera juste toi et moi. » Comme d’habitude, ai-je envie d’ajouter. Parce que je sais un peu ce qu’il doit ressentir ; je sais ce dont il doit avoir envie. Et je sais aussi que me voir débarquer à l’improviste ne lui plaît qu’à moitié. Alors je vais faire semblant de ne pas le voir et rester là malgré tout. Rester à ses côtés. Je ne comptais pas l’abandonner. Je ne comptais pas le laisser seul – ce n’était pas la solution, ce n’était pas ainsi que Einar parviendrait à se relever. Je l’observe un peu, à la dérobée, comme si j’appréhendais chacune de ses réactions. Comme si je ne le reconnaissais pas – je ne le reconnaissais plus. Cette pensée même était douloureuse parce que je m’étais toujours dit que j’avais appris à connaître mon coéquipier, mieux que je ne me connaissais parfois moi-même. Alors que se passerait-il si je n’étais plus capable de reconnaître celui qui comptait tant dans ma vie ?

C’était difficile de laisser l’enquêteur au poste. C’était difficile de me défaire de mon emploi, même avec Einar. C’était difficile de ne pas voir les tics nerveux, les spasmes, les coups d’œil placés là où ils ne devraient pas. « Un thé glacé, ce sera parfait. » Je vois bien que mon partenaire essaye d’être le meilleur hôte possible – pas un mot, pas un geste de trop. Tout est maîtrisé au millimètre comme s’il avait peur de déborder. Il devrait pourtant savoir qu’avec moi, il n’y a pas de peur à avoir et que rien ne changera entre nous quoiqu’il arrive. Il resterait Einar, mon ami et coéquipier. Et bien plus encore. « Je me suis dit que ce serait sympa de pouvoir discuter un peu, je rétorque avec un sourire. Je ne peux pas toujours passer te voir quand je le voudrais alors… J’ai profité de ma pause déjeuner. » À vouloir tout gérer tout seul pour ne pas m’encombrer d’un nouveau coéquipier, j’avais la tête dans le guidon. J’essayais tant bien que mal de tenir le coup jusqu’à ce qu’il revienne mais je ne savais pas encore combien de temps j’allais pouvoir rester debout sans perdre la raison. Ma présence ici, c’était un peu comme pour lui rappeler que je l’attendais. Que je l’attendrai. « Pas grand-chose, fais-je en haussant les épaules sous le regard de mon partenaire. C’est la folie au bureau, tu t’en doutes. J’essaye d’abattre le travail de deux personnes à moi tout seul pour éviter qu’on me colle un bleu dans les pattes. C’est toujours autant bizarre, sans toi. On me demande souvent comment tu vas. » Je m’autorise un sourire. « Il faut croire que tu ne manques pas qu’à moi. » Alors je suis là, à essayer de lui rappeler qu’une vie là dehors l’attend encore. Qu’il n’a pas d’autre choix que de se reprendre. Je suis là, à essayer de lui rappeler qu’il ne peut pas tout abandonner. « Et toi, tu me racontes quoi ? Comment ça va, en ce moment ? Tu es sorti un peu ? Prendre l’air, faire du sport… » Je n’étais pas doué pour faire dans le subtil. Bourru, brut de décoffrage, je mettais toujours les pieds dans le plat. Et même si je voulais ne pas le braquer, il fallait quand même un électrochoc pour qu’il puisse se rendre compte que son existence ne s’était pas – encore – arrêtée.
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Dim 18 Nov - 19:09

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Il voulait son partenaire à ses côtés –et il ne pouvait s’empêcher de vouloir le repousser tout à la fois.
L’ambivalence des sentiments qui le tiraillaient alors qu’il prenait peu à peu pleinement conscience de la présence d’Armenio à ses côtés le désarmait complètement. La joie de le voir étroitement entremêlée avec la peine de ne plus être capable de partager son quotidien autant qu’auparavant ; la culpabilité face à l’inquiétude que les prunelles cannelle taisaient mal quand elles se fracassaient contre les siennes, accrochée à  la frustration qu’embrasait ce rappel violent de sa situation que constituait l’autre –lui, suspendu démis de ses fonctions, inutile et impuissant, Armenio badge à la ceinture et les traits tirés par les journées trop longues passées à tenter de vaincre le crime. Et il ne savait que faire de cela. De ce qu’il ressentait si fort, si intensément ; de ces émotions contradictoires qui lui déchiraient la poitrine à la simple vue de son (ancien ?) partenaire, qui se nourrissaient de sa solitude et son incapacité à avancer, de cette affaire qui lui pesait bien trop sur la conscience et venait foutre en l’air les cloisons protectrices qu’il avait érigées pour se maintenir sur pieds. Il se retrouvait impuissant face à cette guerre qui faisait rage à l’intérieur de lui et prenait son palpitant en otage tout en soumettant ses pensées. C’était comme se retrouver aux premières loges d’une mise à mort –sauf que sur l’autel sacrificiel, il y avait eux. Ce lien qu’ils partageaient, précieux et unique à son cœur. Cette amitié, ce partenariat qu’il chérissait bien au-delà de leur statut de coéquipiers au travail. Ces racines profondes et solides qui entrelaçaient leurs vies l’une à l’autre –et qui pourtant lui paraissaient à chaque retrouvaille un peu plus fragiles et vulnérables.
Ce qu’il ressentait finirait par le dévorer. Sa situation finirait par les bouffer.
Les éloigner jusqu’à causer des dommages qui leur deviendraient fatals.
Et ces pensées encore faibles mais qui prenaient de plus en plus de poids dans les ombres de son esprit, dans les obscurs recoins son cœur meurtri, le terrifiaient.

Il s’efforçait, à chaque fois qu’ils se voyaient, de se raccrocher aux éclats de sentiments plus lumineux, plus chaleureux que lui inspiraient toujours la présence tangible de son partenaire dans sa vie. Le bonheur simple de pouvoir effleurer du sien ce regard qui taisait tant de douleurs, de constater qu’il se portait bien malgré tout. Le plaisir que lui apportait invariablement sa compagnie –cette complicité latente qui les liait, qui les rendait aussi efficaces ensemble, mais qui pouvait devenir faiblesse quand l’un s’égarait sur un chemin sur lequel l’autre ne pouvait suivre.
Mais ces parcelles de lumière lui semblaient de plus en plus lointaines, comme devenues peu à peu inatteignables avec le temps –étoiles rongées, consumées par l’obscurité.
Parce qu’il s’éloignait. En dépit de tous les efforts qu’Armenio déployait pour le ramener, Einar se sentait dériver. Dériver et se perdre –se perdre en des ténèbres qui le glaçaient.
« Mon sauveur. » conclut l’Islandais à la plaisanterie de l’autre homme concernant son grand appétit, le ton habillé de légèreté.
Juste toi et moi.
Etait-ce égoïste qu’Einar en ressente une certaine satisfaction ?
Il n’éprouvait nullement l’envie de voir du monde aujourd’hui. D’autres jours, d’autres nuits où il sortait pour s’oublier contre les peaux moites de désir d’inconnus sans visages ni noms, cette envie-là se faisait moins présente, moins pesante, et il s’évertuait à maintenir une vie sociale et préserver ses relations pour ne pas que l’on s’inquiète trop pour lui et parce qu’il avait besoin de maintenir ces liens qui, chacun à leur manière, participaient à le maintenir à flots. Mais en cet instant, il ne pouvait nier le contentement mêlé d’un soulagement plus diffus qui l’animait à la pensée qu’ils ne seraient que tous les deux.
Seuls.
Dans ces moments-là, il n’avait pas à prétendre que tout allait bien, à mentir à propos de ce job qui représentait énormément pour lui et qu’il s’était vu arracher par sa propre faute. Pourtant, il demeurait conscient qu’il ne pouvait trop en laisser paraître –l’œil entrainé d’Armenio, qui ne le connaissait que trop bien, devait certainement déjà le mettre à nu bien plus qu’il ne le voudrait. A qui la faute ?
S’il s’ouvrait un peu plus à l’autre homme, ce dernier n’aurait pas à se montrer à l’improviste, comme pour s’assurer qu’il ne se laissait pas dépérir. Si seulement il lui parlait plus, peut-être que le souci desserrerait un peu sa prise cruelle sur les épaules déjà accablées de son partenaire, peut-être qu’il ressentirait moins le besoin de l’observer ainsi à la dérobée –comme s’il n’osait l’affronter ou plutôt se révéler.
Plongeant ses baguettes dans les pâtes à l’odeur délicieuse qui invitait au voyage, Einar ne pouvait évincer cette impression désagréable et irritante d’être comme épié à son insu, tout en sachant qu’ils en étaient rendus là par sa faute. La nuque un peu raide, il hocha la tête d’un air compréhensif, un sourire plus timide aux lèvres en écho à celui qui animait les jolies lippes de son partenaire. Il se doutait qu’Amenio ne venait pas juste pour discuter –cela, ils pouvaient le faire au téléphone-, mais surtout pour être présent (et peut-être aussi pour vérifier qu’il prenait soin de lui, qu’il ne se laissait pas aller).
« T’as bien fait. » laissa échapper l’Islandais avec sincérité.
Une autre façon de lui dire merci. Sans vraiment poser les mots dessus.
Dégustant les nouilles avec un appétit relatif, le regard résolument accroché aux traits alourdis par la fatigue de l’autre homme, Einar l’écouta mentionner le travail (leur travail), les collègues –ce pas grand-chose qu’il désirait si ardemment. II ne put vaincre la pensée amère que maintenant étranger à ce monde-là, il ne pouvait que se contenter de ce que son partenaire voulait bien lui révéler –même s’il pouvait toujours creuser. Il haussa un sourcil quand l’autre homme mentionna avec une touchante maladresse qu’il éprouvait encore un peu de difficulté à s’adapter à la situation –à son absence-, un peu ému par cet aveu épris de pudeur, et accusant pourtant l’amertume qui se faisait sel dans la plaie que ces quelques mots sûrement en partie destinés à lui remonter le moral (personne ne t’oublie, encore moins moi) lui tailladaient dans le myocarde.
Ses traits se tendirent légèrement et ses yeux s’échappèrent un instant –il craignait d’un peu trop se trahir- avant qu’ils ne reviennent se heurter contre ceux d’Armenio, essayant de se raccrocher à la chaleur de son sourire.
Peine perdue.
« Tu devrais peut-être faire équipe avec Asher ? proposa-t-il, malgré tout inquiet que l’autre homme soit totalement débordé. Il est jeune dans l’unité, mais il a fait deux ans chez les stup ; il a un peu d’expérience à revendre, réfléchit-il, concerné. Sans oublier que c’est un gars assez ouvert –je pense même qu’il pourrait apprécier ton sale caractère et que tu pourrais apprécier le sien. » argua-t-il, le ton un peu moins grave, plus complice.
Il reposa un instant ses baguettes, comme pour appuyer un peu plus ses mots.
Il n’oubliait pas d’où venait Armenio –le dérapage avec un collègue, la réputation qu’il se trainait. Mais Asher semblait être le genre de flic à se foutre de tout ça –ou bien, à savoir être assez professionnel pour laisser ces choses de côté afin de pouvoir évoluer avec un collègue de manière efficace.
« Loin de moi l’idée de me prendre pour un agent matrimonial, mais penses-y. Sérieusement, ajouta-t-il, plus grave, après un court silence. Continuer comme tu le fais, c’est pas sain, Armenio. »
Einar n’avait pas envie d’entendre, dans les prochaines semaines, que son partenaire avait fini par craquer. Le silence s’étira quelques trop longues secondes, alors que ses prunelles plongeaient un peu plus profondément en celles de l’autre homme.
Il redoutait de le voir poussé à bout.
« Mais précise-lui bien que je te récupère dès que je reviens. »
Il lui offrit un sourire taquin, ne plaisantant en réalité qu’à moitié –c’était plus correct, vis-à-vis d’Asher, de lui préciser que ce ne serait pas une collaboration durable, et Einar comptait bien, en reprenant son badge, retrouver son partenaire.
La sincérité brutale et crue d’Armenio transcenda de nouveau l’air, agréable et agaçante à la fois.
Parce qu’il ne lui laissait aucune ombre derrière laquelle se dissimuler.
« Ça va, répondit-il franchement, pas certain lui-même de l’équilibre entre mensonge et vérité dans cette information. Tu dois t’en douter, j’ai pas grand-chose de passionnant à raconter. Je pensais que ce serait un peu comme des vacances forcées –il s’autorisa un sourire empreint d’autodérision, mais son ton demeura dans les nuances fragiles de la neutralité- mais en fait, je m’ennuie vite. »
L’ennui était un ennemi terrible –et vorace.
Affamé de sombres pensées qui ne demandaient qu’à le submerger, le faire couler.
« Je sors, maman, émit-il, préférant demeurer léger. Natation quasiment tous les jours si tu veux savoir, et j’ai une vie nocturne trépidante en comparaison avec celle que j’avais avant. »
Inutile de mentionner qu’il aurait donné beaucoup pour revenir à cette vie nocturne moins trépidante.
Les draps froissés accueillaient bien trop d’étreintes désespérées ces derniers temps.
« J’ai même le temps de lire, c’est te dire. Et de faire la cuisine tous les jours. D’ailleurs, la prochaine fois, c’est moi qui régale. »
Mentionner les prochaines retrouvailles, c’était rassurant.
Cela arrachait son cœur aux griffes acérées de l’amertume et de la frustration.
« Et la famille ? » s’enquit-il doucement.
Amenio avait-il encore le temps de voir ses sœurs ?
Qu’est-ce que les conneries d’Einar allaient lui coûter d’autre ?

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Mer 30 Jan - 9:56
Est-ce que la situation entre Einar et moi avait changé depuis qu’il avait été mis à pieds ? Un peu. Peut-être plus que je n’aurais voulu l’admettre. Est-ce que notre relation avait changé ? Non, définitivement. Ne plus l’avoir à mes côtés sur le terrain, ne plus apercevoir sa silhouette dans les bureaux, ne plus entendre sa voix à travers la pièce ou dans la voiture de fonction – tout ça créait un vide à l’intérieur de moi, laissant cette sensation de manque devenue amère au fond de ma gorge. Mais ça ne changeait rien. Ça ne changeait rien au fait que cet homme restait mon partenaire, celui en qui j’avais une totale confiance. Ça ne changeait rien au fait que cet homme restait celui qui avait changé mon existence toute entière. La boule de colère et de dégoût, le feu de la violence qui m’avait animé pendant toutes ces années ; tout ça s’était apaisé grâce à lui. Grâce à Einar. Bien sûr, les cicatrices restaient ; bien sûr, les douleurs et les cauchemars avaient encore leur grippe sur moi. Mais mon partenaire et ami m’aidait à ne pas sombrer dans un gouffre trop sombre et dont je ne pourrais pas ressortir sans y laisser un autre bout de mon âme. Alors peu m’importait que l’Islandais ne soit plus véritablement mon partenaire le temps de quelques mois ; peu m’importait qu’il ne soit plus physiquement présent à mes côtés sur le terrain – même si c’était difficile sans lui, je savais que ce n’était qu’une parenthèse. Que ce n’était que passager. Je savais que rien ne changerait entre lui et moi malgré tout cela. Ce n’était qu’une pause. Ce n’était qu’éphémère. Einar reviendrait avec moi, tôt ou tard. Et Einar ne serait pas laissé seul durant cette période-là. Car s’il avait peut-être besoin de solitude, je resterais près. Comme une ombre, un peu protectrice. Comme une main sur son épaule pour lui rappeler qu’il n’est pas seul – jamais seul. Et je comprenais dans sa façon d’être et sa façon de parler qu’il était reconnaissant de ma présence. Qu’il m’acceptait dans son espace privé, le temps d’un déjeuner. « Évidemment que j’ai bien fait, je rétorque avec un haussement de sourcil satisfait. Je fais toujours bien les choses, tu devrais le savoir depuis tout ce temps. » Je laisse échapper un petit rire, à la fois d’autodérision et de soulagement en l’entendant m’accueillir ici à bras ouverts.

Je me sens un peu coupable de parler boutique, de parler de ce travail qui le nôtre mais qui lui a été enlevé si violemment. J’ai comme l’impression de le trahir ; j’ai comme l’impression de l’abandonner à la simple idée de trouver un nouveau partenaire à mes côtés. J’ai essayé, je me suis battu pour me débrouiller seul, clamant haut et fort que j’étais capable de le faire, que je pouvais arriver à abattre le travail de deux personnes. À abattre le travail de notre duo, à Einar et moi. Je savais au fond de moi que c’était impossible, que j’allais me noyer sous une montagne de paperasse et dans une vague de fatigue du corps et du mental. Mais je voulais le faire. Pour lui. Pour lui prouver que je l’attendais. Pour lui rappeler que sa place lui était réservée et que jamais je ne le remplacerai. « Faire équipe avec Asher aurait été une idée, c’est vrai, j’admets après un silence de réflexion, les sourcils un peu froncés. Mais il y a des rumeurs comme quoi un nouveau va arriver. Et que je vais devoir le prendre en charge. Donc, il ferait équipe avec moi. » Je n’étais pas certain de le vouloir. Je n’étais pas certain d’être la personne idéale pour accueillir un nouveau collègue. Je ne savais rien de lui – ou d’elle. Il était pour l’instant juste ‘le nouveau’ et c’était tout. « Mais bien sûr, tout ça ne sont que des bruits de couloir et rien n’est officiel. » Je hausse les épaules, encore assez indifférent à toute cette agitation parce que je ne désirais pas m’investir. Pas pour quelqu’un qui ne serait jamais véritablement mon partenaire à mes yeux. « À croire qu’ils ont peur de me l’annoncer, comme s’ils redoutaient ma réaction. Ils s’attendent peut-être à ce que je renverse leur bureau, ricané-je. » Après tout, j’avais mauvaise réputation bien avant même de débarquer à la vice unit. On m’avait mis en équipe avec Einar parce qu’il me connaissait, parce qu’il était le seul à pouvoir me canaliser. Il était ma soupape de sécurité. Mains maintenant qu’il était parti, ils avaient sûrement peur que ce soit à mon tour de péter les plombs. Comme si je n’étais plus qu’une bombe à retardement. « Évidemment que tu me récupéreras dès ton retour, j’acquiesce avec conviction. Il n’en sera pas autrement et ce sera très clair dès le départ pour tout le monde. À commencer par celui ou celle qu’on me collera dans les pattes. » J’étais plutôt heureux et soulagé que ces propos viennent de lui. De lui-même, Einar me précisait que son retour dans l’unité signifiait le retour de notre partenariat. De notre travail à deux. C’était bien la preuve qu’il avait envie de revenir. Qu’il comptait bien revenir – me revenir, oserais-je penser sans oser l’avouer. Je souris légèrement, le cœur un peu plus léger.

Je savais bien que débarquer avec mes gros sabots avait quelque chose d’agaçant pour lui. Einar était une personne discrète et parfois même secrète. Et même si j’avais appris à le connaître, il n’en restait pas moins parfois encore mystérieux – même pour moi. Mais sa nature ainsi faite ne devait pas m’empêcher de prendre de ses nouvelles, d’aller là où je savais qu’il serait mal à l’aise me voir aller. C’était important pour moi de lui poser toutes ces questions ; c’était important pour moi de le repousser un peu dans ses retranchements pour obtenir la vérité. « Tu devrais savoir que l’ennui est important, réponds-je du tac au tac. Dans une mesure saine, bien évidemment. Mais c’est bien de s’ennuyer un peu, quelquefois. Et puis, dans notre métier, on a rarement le temps ou l’occasion de s’ennuyer alors profites-en. Quand tu reviendras, tu ne risqueras pas de t’ennuyer de sitôt. » Je lâche un rire, soulagé aussi de voir qu’il ne se laisse pas totalement dépérir. Les traits un peu plus ouverts de son visage me laissent penser qu’il dit la vérité et j’ai envie de le croire les yeux fermés. Il n’aurait aucun intérêt à me mentir si ce n’est d’éviter mon inquiétude. Mais je m’inquiétais déjà assez, sans cela. Je n’avais pas besoin qu’il emballe sa réalité d’un joli paquet cadeau avec un beau nœud bien fait pour que l’inquiétude me bouffant l’estomac et la poitrine s’en aille comme par magie. « En tout cas, c’est bien. Il faut que tu sortes, que tu t’actives. De toute façon, si tu ne le faisais pas, je serais obligé de te virer de chez toi à coups de pied au cul. » Satisfait, je m’enfonce un peu plus dans le canapé où je me suis installé, ma boîte de sauté de porc à l’aigre douce sur les genoux. « Avec plaisir, tu sais bien que je ne dis jamais non à un repas à l’œil. » Il y avait quelque chose de rassurant dans le fait de parler de projets futurs. C’était peut-être qu’un simple repas. C’était peut-être qu’une heure ou deux. Mais c’était un projet. Einar parlait au futur. Et rien que ça, c’était rassurant. C’était apaisant. « Outre le fait que je n’ai pas beaucoup de temps à leur accorder ces derniers temps, j’ai appris que ma plus jeune sœur avait menti à toute la famille, je soupire, un peu las. Elle était censée partir avec mes parents cet été mais elle n’a pas voulu alors elle est restée ici. Elle a dit que son internat l’accueillerait sauf que j’ai appris, trop tard, qu’il avait fermé. Je l’ai retrouvée chez une de ses camarades, à dormir dans le garage. Clandestinement parce que les parents de ladite camarade n’étaient pas au courant. » Je soupire une nouvelle fois, m’empêchant de lever les yeux au ciel. J’étais encore en colère après Roni, après moi-même aussi pour toute cette histoire. « C’est n’importe quoi… » Le mouvement robotique, je fais tourner mes baguettes dans la boîte en carton, l’appétit soudainement quelque peu coupé. « De l’autre côté, Imelda m’a construit une machine sur laquelle je peux cogner et me défouler alors ça aide beaucoup. » Je ris doucement. « Ça lui évite de jouer les infirmières, je suppose. »
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we’re on life support. (einar)
Jeu 16 Mai - 20:19

We're on life support.


Bien sûr qu’imaginer son partenaire avec un autre n’était pas sans amertume.
Si Einar n’avait pas dérapé, il ne se sentirait pas dans l‘obligation de rappeler à Armenio qu’il ne pouvait continuer d’abattre le travail de deux personnes sans manquer le burn-out, de lui suggérer de trouver un coéquipier parce qu’en plus de la charge de travail, travailler à deux sur les affaires était souvent bien plus efficace et permettait d’échanger idées et hypothèses (et tant d’autres choses encore, indispensables à la dynamique d’un partenariat probant). Si Einar n’avait pas dépassé les limites, écrasé les frontières de la légalité, abusé de la position que son badge lui conférait, ils n’en seraient pas là, à se parler en s’épiant mutuellement, à la recherche de ce que l’autre taisait, refusait de trahir aux regards d’autrui. Si Einar n’avait pas tout fichu en l’air, attentant dangereusement à sa carrière (et aussi à celle de son partenaire, car ils évoluaient à deux, chose pour laquelle il se sentait encore terriblement coupable), ils n’auraient pas à avoir cette discussion à la saveur âpre de l’inquiétude.
Et si, et si…
Comme une litanie qui n’en finissait jamais, et qui commençait à lui fracasser douloureusement le crâne à force de ricocher dans ses pensées.
« Un nouveau, répéta-t-il lentement, plongé dans ses reflexions suite aux révélations de son (ancien ?) partenaire. Ce ne serait pas si surprenant. L’unité a un homme en moins depuis que je ne suis plus là, et les crimes, eux, sont toujours plus nombreux. C’est plutôt logique qu’ils cherchent à renflouer les effectifs. D’ailleurs, on en aurait sûrement besoin d’un peu plus qu’un seul. » observa-t-il, pragmatique, en fronçant les sourcils.
L’indifférence mêlée d’incertitude qui assiégeait l’expression d’Armenio ne laissait entendre qu’une seule chose : il était loin d’être ravi à la perspective de devoir faire équipe avec un petit bleu dans l’unité.
Et Einar ne parvenait pas à réprimer cette petite part de lui qui trouvait en cette réaction un peu de réconfort.
« Ce serait embêtant pour eux, ils auraient certainement à te coller au bureau et ça serait totalement contre-productif, émit-il avec humour, un rictus amusé aux lèvres lorsque l’autre homme supposa que leurs supérieurs gardaient peut-être l’information de cette nouvelle arrivée pour eux par crainte de sa réaction. Enfin, c’est un commissariat, les rumeurs sont vives à se répandre et pas toujours bien fondées, alors va savoir. »
Il esquissa un sourire plus doux mais criblé de tristesse.
La conviction inébranlable qui habitait les intonations graves de son interlocuteur avait quelque chose de rassurant, mais aussi –et c’était bien rare, sur les lèvres d’Armenio- d’idéaliste. Einar avait gardé un ton léger, mais cela couvrait une réalité bien moins amène. Il aurait aimé que les choses soient aussi simple. Qu’il revienne à ses côtés comme s’il ne l’avait jamais réellement quitté. Mais dans la pratique, il se doutait bien que cela serait différent. Très différent.
Et même s’il sentait son cœur obstruer sa gorge à la pensée des mots qui allaient s’échouer contre ses lippes, il se devait de ne pas trop nourrir ses illusions. Il entendait retrouver sa place aux côtés de l’autre homme –mais à vrai dire, rien n’était moins sûr.
« Ce n’est pas ta décision, Armenio, lâcha-t-il un peu brutalement. Ni la mienne, d’ailleurs. »
Un soupir las s’évada de sa poitrine, alors qu’il sentait la douleur familière s’enrouler un peu plus fermement autour de son palpitant, l’étouffer comme un serpent qui peu à peu resserrerait sa prise mortelle autour de sa proie. Prunelles forêt contre prunelles orage, il sentit ses propres traits se crisper sensiblement.
« C’est eux qui auront le dernier mot, tu le sais aussi bien que moi. Si je suis réintégré, tu peux être sûr qu’ils vont m’encastrer dans un bureau pendant un bout de temps, avança-t-il d’un ton plus dur qu’il ne le désirait. Et honnêtement, ça se comprend. » concèda-t-il d’une voix un plus fatiguée.
Einar ne se faisait pas d’illusions à ce propos ; il ne reverrait pas le terrain avant un bout de temps. Mais il entretenait encore le fragile espoir de ne pas être séparé d’Armenio. Ils avaient une bonne dynamique, se complétaient sur le plan professionnel, ce qui découlait de leurs personnalités complémentaires. C’était quelque chose dont il savait leurs supérieurs conscients, tout comme il savait qu’à leur place, il chercherait aussi à protéger la carrière du brun –et le remettre avec son partenaire temporairement destitué de son badge pour faute professionnelle et abus d’autorité, ce n’était pas ce qui allait l’aider sur la voie des promotions, surtout après tout le bruit qu’avait fait sa suspension (ses circonstances, surtout).
Au fond, il se doutait un peu qu’Armenio se fichait de tout ça.
Mais lui non. Et leur hiérarchie encore moins.

Un rire amer, résonnant de failles, lui étrangla la gorge lorsqu’Armenio mentionna l’importance de l’ennui. Fugace et aussi vif qu’une détonation trouant l’air, s’enfonçant dans les chairs. Ses prunelles s’assombrirent ; sa bouche se tordit en une moue douloureuse.
« Tu m’excuseras si je ne partage pas ton opinion là-dessus. » avança-t-il d’une voix plus lourde.
L’ennui, c’était clairement l’ennemi, à ses yeux. Il lui laissait trop de temps pour penser, pour ressasser, pour réfléchir et sombrer dans ses obsessions malsaines. Ou il le conduisait entre les bras d’inconnus, à s’abimer dans leurs étreintes jusqu’à en oublier tout le reste –jusqu’au lendemain matin, où la réalité lui brisait à nouveau le dos, écrasait sa colonne vertébrale.
Il s’efforça à prendre une respiration plus calme pour apaiser son cœur qui pulsait un peu trop vite et s’essoufflait. Et il se rattacha à ses autres activités, celles qui lui procuraient du plaisir malgré tout, tentant d’insuffler un peu de légèreté dans l’atmosphère. Les lueurs d’inquiétude qui déchiraient le bleu des iris de son interlocuteur semblaient s’éteindre peu à peu, mais demeuraient pourtant, comme un brasier agonisant qui refusait obstinément le trépas.
Einar se détestait pour lui infliger cela. Et il avait conscience qu’Armenio n’approuverait certainement pas toutes ses activités s’il était au courant pour les photos qui décoraient les murs de son bureau, pour les trop nombreux corps qui visitaient ses draps au parfum-désespoir.
Jouant de ses baguettes, il avala une nouvelle bouchée de nouilles sautées, attrapant un piment au passage –dépourvu de son piquant par la cuisson.
« Et c’est pour mon estomac qu’on s’inquiète, je rêve. » plaisanta-t-il quand Armenio accepta l’invitation prochaine à diner ensemble avec sa franchise si frappante mais agréable.
La perspective de cuisiner pour lui lors de prochaines retrouvailles faisait crépiter un sentiment plus doux et léger au creux de ses entrailles. Il se promit qu’il n’attendrait pas que l’autre homme débarque à l’improviste, cette fois-là. De faire l’effort d’entretenir le contact plus régulièrement. Pour Armenio, mais aussi pour lui. Pour eux.
Ses iris s’attardèrent un peu plus longtemps sur le visage soucieux de son partenaire lorsqu’il mentionna ses sœurs, son absence auprès d’elles. Une nouvelle fois heurté par cette réalité dont il était sûrement plus que coupable, Einar délaissa ses baguettes pour reprendre un peu plus confortablement place sur le canapé, l’expression plus sombre. Ses sourcils se froncèrent quand l’autre homme mentionna les mensonges de sa plus jeune sœur, le ton fatigué mais aussi tiraillé par un mélange de frustration et de culpabilité, de restes d’une colère bien ancrée que son visage trahissait.
« Elle t’a expliqué pourquoi elle avait menti ? » s’enquit-il doucement, le ton plus grave.
Einar disposait de trop peu d’éléments pour comprendre les motivations de la jeune femme, mais il s’inquiétait qu’Armenio n’en ait pas bien plus pour faire sens du comportement de sa sœur. Il savait à quel point l’autre homme tenait aux deux femmes de sa vie, comme il les appelait parfois. Le choc de la découvrir dans cette situation avait dû être terrible et douloureux. La frustration de n’avoir rien pu faire, mais aussi de se retrouver démuni face à cet enchainement d’évènement qu’il n’avait pu éviter comme il n’avait jamais rien su en premier lieu.
Avait-il seulement obtenu ses explications vis-à-vis de ce silence ?
L’Islandais ne put retenir un petit sourire plus tendre quand l’autre homme mentionna son autre sœur –l’ingénieure, se souvint-il-, charmé par le rire spontané qui gagna les lèvres de son partenaire. Avant qu’il n’hausse un sourcil perplexe, le regard plus prudent.
« Parce qu’elle en a encore besoin, de jouer les infirmières ? »
Difficile de contenir l’agitation qui perça dans sa voix.
Il craignait sincèrement ce que ces mots signifiaient entre les lippes d’Armenio, la possibilité qu’il ait repris (ou jamais arrêté ?) les combats illégaux –là où ils s’étaient trouvés- extrêmement vive dans son esprit.

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Sam 18 Mai - 12:30
La simple idée d’un nouveau partenaire à mes côtés me laissait angoissé et nerveux tout à la fois. Je m’étais habitué à Einar, je m’étais habitué à notre duo, à comment nous fonctionnions tous les deux. Je m’étais habitué à ses réactions, à ses gestes. Devoir réapprendre tout ça avec un ou une inconnue m’était totalement impossible. Je me sentais comme intimement bloqué. Comme si un cadenas avait enfermé quelque chose à l’intérieur de ma poitrine et que je ne pouvais plus l’ouvrir maintenant que mon partenaire était parti. « Je ne suis pas contre avoir des nouveaux dans l’unité, ce n’est pas un problème, je rétorque, un peu avec humeur et un froncement de sourcils. Mais qu’on m’en colle un dans les pattes ? Non. Juste non. » J’avais un peu l’impression de trahir Einar en acceptant de collaborer avec quelqu’un d’autre que lui sur le terrain. Je me sentais coupable de devoir accepter ce nouveau partenaire sur ordre de nos chefs alors que je ne le désirais pourtant pas. Et si le châtain pensait que j’allais l’oublier ? Le remplacer ? Et s’il se sentait encore plus mis sur la touche – plus qu’il ne l’était déjà ? « Je crois que je préférerais être collé à un bureau plutôt que de devoir avoir quelqu’un d’autre que toi sur le terrain. » Et ce n’était qu’une moitié de vérité. Car si j’étais fait pour bouger et aller sur le terrain et non être assis derrière un ordinateur à remplir des papiers, je savais aussi que je tenais bien plus à mon partenaire qu’à ce travail sans lui. Mais Einar continuait d’avoir raison et même s’il m’était difficile de l’admettre, je devais reconnaître que tout ça n’était encore qu’une vague rumeur entendue au détour d’un couloir et que rien de concret n’avait été annoncé pour le moment. Je ne pouvais m’empêcher d’espérer que cette information ne reste qu’à l’état de fausse rumeur mais j’étais conscient que continuer à tout abattre seul allait me rendre complètement fou et surtout inutile pour mon unité. Un jour ou l’autre, ils finiraient par m’imposer quelqu’un pour m’épauler dans le travail. Attendre le retour de Einar était impossible, même si je l’aurais voulu. J’aurais voulu que tout soit simple. J’aurais voulu pouvoir avancer le temps à toute vitesse et enfin retrouver le seul partenaire que je désirais avoir à mes côtés.

« Tu sais que t’es emmerdant à avoir tout le temps raison ? je grogne, sans pouvoir m’empêcher d’avoir un sourire un peu amer sur les lèvres. Je sais bien que la décision ne nous revient pas… » Mais j’aurais préféré que ce soit le cas. Car lui comme moi étions conscients que le retour de Einar dans l’unité ne serait pas une partie de plaisir. Nous savions tous les deux que sa punition ne se terminerait pas le jour où il retrouverait enfin son badge. J’aurais bien voulu pouvoir envoyer notre hiérarchie au diable, ou pire encore, et leur prouver par a + b que Einar était probablement le meilleur élément qu’ils aient jamais eu. Que le coincer derrière un bureau pendant encore des mois après sa réinsertion était complètement contre-productif, que j’étais moi-même moins performant sans lui pour m’accompagner. « Je veux juste qu’on me laisse travailler à nouveau avec mon partenaire. Le vrai, j’avoue avec fermeté. C’est tout. » Mais il y avait certains détails que nous ne contrôlions pas – que nous ne contrôlerions jamais, en vérité. Et à trop faire de vagues, ça ne ferait qu’empirer la situation pour lui. Alors j’allais devoir rester dans mon coin, ne rien dire et accepter le fait que le châtain ne serait pas de retour avant un long moment. Que si nos supérieurs ne comprenaient pas pourquoi il leur fallait reprendre Einar parmi leurs rangs alors nous n’y pouvions rien et c’était leur faute – pas la nôtre. Bien sûr, tout ça ne nous empêcherait pas de nous voir en dehors, de garder contact. Ça ne m’empêcherait pas de veiller sur lui comme il l’a fait pour moi toutes ces années durant. Bien sûr, j’allais le coller aux basques jusqu’à la fin parce qu’il m’avait toujours épaulé même dans les pires moments. Même quand je n’étais qu’une loque en sang, le visage et les poings tuméfiés, il avait été là. II avait toujours été là. Et le voir au fond du trou, et le voir déchiré par son monde dévasté, c’était pire encore que toutes les blessures qui s’étaient inscrites sur mon cœur. Je le regarde manger, les sourcils froncés et le cœur au bord des lèvres. J’avais l’impression de le laisser filer. J’avais l’impression de le laisser tomber. Et la culpabilité était brûlant sur mon palpitant dérouté. « Tu sais que tu as juste à m’appeler, hein ? Tu m’appelles et j’arrive. On n’a pas besoin d’aller bien loin, rien que dans ton jardin. Tu feras de la balançoire et je te pousserai. » Un fin sourire craquelle mes lèvres mais malgré l’humour des mots, il y a surtout cette vérité sous-jacente qui brûle dans chaque syllabe : Einar n’avait qu’un mot à dire et je lâchais tout. Pour lui.

Au moins, je pouvais sentir à nouveau sa présence malgré tout. Et même si mon partenaire semblait encore loin, je le sentais avec moi. Je le sentais revenir vers moi, petit à petit. Pas à pas. Je le sentais dans sa façon de vouloir faire des plans futurs, je l’entendais dans sa voix qui était plus posée. Et sans doute était-ce encore trop factice mais ça me suffisait pour le moment. Ça me suffisait parce que ça me prouvait que Einar n’était pas totalement parti. N’avait pas totalement disparu derrière l’océan de misère de ses iris glacées. « Elle ne voulait pas nous déranger, Imelda ou moi. Ni nous inquiéter, je réponds d’un air pensif alors que se rejoue dans ma tête ma conversation d’avec Roni. Mais je trouve ça encore plus inquiétant, justement, de la retrouver chez quelqu’un que je ne connais pas sans en être informé. » Je soupire légèrement, fixe le restant de mes nouilles au fond de la boîte. « Cela dit, on se voit désormais tous les vendredis pour dîner ensemble chez moi. Ça me donne une chance de veiller sur elle sans en avoir l’air et de prendre de ses nouvelles régulièrement. » Ça ne rattrapera pas tout ce que j’ai pu manquer mais j’étais un peu plus présent dans sa vie. J’étais un peu plus un grand-frère que je ne l’avais été auparavant. « Je suppose que c’est difficile pour elle de venir vers moi, avec notre différence d’âge, déploré-je tout en comprenant le sentiment malgré tout. » Parce que ça ne m’empêchait pas de l’aimer comme un fou, d’aimer mes deux sœurs comme un fou. Et j’aurais tout donné pour elles mais je suppose que j’avais toujours eu une drôle de façon de le leur montrer – en ne le leur montrant finalement presque jamais ou de façon bien trop subtile. Est-ce qu’elles aussi pensaient comme moi que j’étais probablement un piètre grand-frère ? Je parviens difficilement à repousser cette pensée pour parler à Einar de Imelda et je vois quelque part au fond de son regard comme une lueur d’inquiétude prudente que je n’avais pas vu depuis longtemps. Très longtemps. Lui adressant un sourire qui se veut rassurant, je secoue lentement la tête de gauche à droite en signe de négation. « Non, plus depuis longtemps. » Einar avait été l’un des premiers à observer cette déchéance de violence dans laquelle je m’étais enfoncé. Il avait été le premier aussi à voir par-delà la rage et la colère. « Bon, d’accord, il n’y a pas longtemps, j’ai mis un poing dans une porte de meuble de ma cuisine, j’admets certainement avec plus de légèreté que je n’aurais dû. Mais j’étais frustré, j’étais énervé. Et si j’avais pu, je me serais soigné tout seul mais manipuler les bandes à une main… » Je grimace un peu, presque avec cet air d’enfant pris en faute, avant de reprendre un peu de mon sérieux. Je braque automatiquement mon regard dans celui de mon partenaire, un fin sourire à peine visible sur mes lèvres. « Je t’ai promis d’arrêter, je tiens ma promesse Einar, soufflé-je. Tu m’as tiré de là, ce n’est pas pour y retomber maintenant. » C’était probablement parce que je le lui avais promis que je tenais encore aujourd’hui. Que je parvenais à contrôler la bête assoiffée de rage en moi, parce que l’idée même de le décevoir ou de rompre mon engagement était encore plus douloureuse que la colère qui m’habitait depuis toutes ces années. « Je ne te dis pas que ça ne me manque pas quelquefois, que je n’éprouve pas l’envie d’y retourner, juste une fois, pour expulser tout ce qu’il y a encore à l’intérieur de moi. Mais je t’ai fait promesse et je compte bien la tenir. » Sa situation ne me permettait pas d’être faible ou instable. Elle ne me permettait pas de ne pas être solide, de ne pas être l’épaule sur laquelle il pouvait s’appuyer. « Cette fois, c’est à mon tour d’être le roc de nous deux. Je ne te laisserai pas tomber, je lâche doucement, mais les lèvres fermes contre mes mots. » Autrefois, il était venu me chercher jusqu’en Enfer – c’était à mon tour de l’en tirer désormais.
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we’re on life support. (einar)
Ven 31 Mai - 15:56

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Il ne se rend pas compte de ce qu’il dit.
C’est ce que se répète intérieurement Einar pour ne pas laisser exploser son amertume et sa frustration lorsqu’Armenio laisse entendre qu’il préférerait être collé à un bureau qu’endurer la présence d’un autre que lui sur le terrain. Cette énième preuve d’une loyauté aux limites presque dangereusement absentes lui creuse douloureusement la poitrine. Une part de lui se sent égoïstement rassurée de voir son partenaire si tenace et intraitable, peut-être parce qu’elle pressent déjà le choc interne que constituera le retour au commissariat s’il y en a un –l’Islandais l’espère avec tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, mais les jours qui s’égrènent contre sa peau nourrissent une angoisse sourde qu’il enterre sans parvenir à complètement l’ignorer. Mais l’autre part de lui, bien plus écrasante et étouffante, souffre de ces mots qu’il reçoit comme une énième fissure dessinée contre la chair de son myocarde. Armenio, tout comme lui, trouve véritablement sa place sur le terrain, pas ailleurs. C’est ainsi qu’il est façonné, en tant que policier. Pour la rue, pour la traque des pistes qui les guident jusque dans les plus beaux quartiers ou dans les tréfonds de la ville. Pour le contact avec les suspects et les victimes, les témoins et les informateurs, l’horreur et les larmes, les rares joies et la détresse. Rien de devrait se mettre entre cela et lui.
Pas même Einar, même s’ils sont partenaires, mêmes s’ils évoluent parfois à deux comme s’ils n’étaient qu’un.
« Je sais. » affirme-t-il avec gravité, les traits alourdis par le sérieux –car en dépit du trait léger d’humour d’Armenio pour contrebalancer ses paroles, Einar sait qu’il en pense chaque intonation.
Qu’un coup de téléphone est la seule chose qui les sépare.
Alors pourquoi sent-il son cœur se broyer ainsi, lui murmurer tout bas que ce sont des mensonges dont il se nourrit pour se rassurer –qu’au fond, il y a bien plus, bien trop de choses qui les éloignent aujourd’hui ?
Pourquoi ce gouffre entre eux qui persiste, et survit même à ces retrouvailles ?

La discussion glisse naturellement hors du contexte du travail, ce qui détend un peu le blond, l’aide à se focaliser sur autre chose que les émotions qui le torturent et l’étranglent depuis l’annonce de sa suspension –celles qu’il tente de dissimuler au regard trop perçant de son partenaire, celles qu’il fracasse contre les corps qui s’enchainent contre le sien lorsque la nuit a enveloppé la ville. Même au contact du brun, qui sait tout des raisons qui lui ont coûté (temporairement) son badge, le sujet demeure sensible. Le réconfort qu’il éprouve à entendre des nouvelles des collègues ou même juste parler du travail auquel il s’est tant dévoué reste terriblement fragile, vogue sur les eaux troubles et tumultueuses d’une colère latente envers lui-même et d’une souffrance bien trop grande, tel un bateau ivre qu’un rien pourrait aspirer dans les fonds obscurs de sa peine.
Retrouver le terrain aux apparences plus stable de la vie en dehors des responsabilités et du devoir qui leur incombent distille pourtant quelques inquiétudes dans son cœur, cueille quelques fleurs flétrie dans le terreau trop riche de sa culpabilité. Bien sûr qu’il s’en veut –Armenio pourrait certainement passer un peu plus de temps avec ses sœurs s’il n’avait pas à abattre la charge de travail normalement indiquée pour deux personnes. Il sait à quel point elles sont nécessaires, indispensables à l’équilibre mental et moral de son partenaire, quel rôle crucial elles y jouent certainement bien malgré elles, parce qu’elles ont toujours tenu une place particulière en son cœur, lui qui demeure si proche d’elles. Elles sont certainement les seules à véritablement le connaître et pouvoir se sentir réellement proches de lui, émotionnellement parlant.  Lorsque le brun évoque sa relation devenue plus complexe à sa plus jeune sœur, Einar l’écoute avec attention, concerné par ce qu’il partage avec cette pudeur qui lui est propre.
« C’est déjà plutôt encourageant si vous avez trouvé le moyen de vous retrouver une fois par semaine, souligne-t-il posément, bienveillant. Je ne suis pas sûr que ce soit la différence d’âge, tu sais. En grandissant, elle se sentira peut-être un peu plus proche de toi. Elle est dans une période de transition… »
L’équilibre frêle entre l’âge adulte et l’adolescence. Mais Einar ne peut que comprendre l’inquiétude qui s’enroule autour des inflexions d’Armenio, assiège ses iris si clairs, demeure malgré les retrouvailles régulières ; étant donné le silence alarmant de sa sœur, comment aurait-il pu en être autrement ?
Un souffle plus laborieux au cœur lui arrache une grimace vite réprimée. Hel. Se serait-il éloigné d’elle en grandissant, alors qu’ils avaient toujours été si soudés durant ses plus jeunes années ?
Il ne le saura jamais.
Détournant le regard quelques instants, il inspire un peu plus profondément avant d’avaler une nouvelle bouchée de pâtes, l’appétit malmené par ses pensées, et définitivement coupé lorsque l’autre homme laisse entendre à demi-mots qu’il n’a peut-être pas cessé les combats –c’est ainsi qu’Einar, piégé dans le tourbillon de ses tourments, ne peut s’empêcher de l’interpréter, loin de toute raison qui l’encouragerait spontanément à faire confiance à son partenaire pour ne pas replonger dans l’étreinte de ses démons.  Le regard fiché dans le sien, prudent mais terriblement grave, il observe sa réaction avec une attention trop marquée, sensible à la moindre trace de mensonge qui pourrait s’immiscer dans les iris ou l’attitude du brun. Mais ce dernier reste calme, assuré.
Les prunelles rassurantes qui accueillent les siennes lui lacèrent le cœur.
Bon sang, Einar. Sur la défensive, vraiment ? Bien sûr qu’Armenio n’a pas replongé.
Il n’est pas comme toi.

Il tue l’insulte qui a pris spontanément possession de sa chair de lèvres lorsque l’autre homme plaisante à propos d’un pauvre placard maltraité, soupire juste en lui concédant un regard plus sévère, qui s’adoucit et s’apaise lorsque le brun lui répète qu’il ne compte pas briser la promesse qu’il lui a faite, il y a bien des années. Loyal à sa parole.
« Tu t’en es tiré parce que tu l’as voulu, Armenio, corrige-t-il, la voix bien plus sûre. Au mieux, je t’ai peut-être donné un petit coup de pouce, ou bien une bonne claque pour te faire ouvrir les yeux, mais c’est grâce à toi que t’en es sorti. Personne d’autre. »
Ce n’est par humilité qu’il le lui rappelle, mais parce qu’il s’agit de la vérité, à ses yeux. Si Armenio s’est extirpé des combats illégaux et de leur violence salutaire, c’est parce qu’il s’en est donné les moyens, parce qu’il l’a fait pour lui-même. Pour se sauver. Pour se donner une chance à autre chose.
Sa mâchoire se serre lorsqu’il l’entend lui dire que cela lui manque parfois ; la tristesse gangrène ses prunelles. Il sait, au fond, que l’autre homme ne peut s’être totalement défait de ce qu’il tatouait sur la peau des autres lors de ces rixes organisées. Qu’il vit encore, à ce jour, avec ces monstres de ténèbres qui paressent au creux de ses veines, dans les ombres de son cœur, et trouvent toujours le moyen de le torturer malgré les chaines qui les restreignent. Mais cela n’en est pas moins douloureux de l’écouter lui confier ces quelques mots.
Il repousse la nourriture, prunelles fuyantes, lèvres closes.
A mon tour d’être le roc de nous deux.
Il s’écroule, et cette réalité, dans les mots transpirant de fermeté, enveloppés d’un serment silencieux, d’Armenio, lui bondit à la gorge une nouvelle fois, l’égorge. Bien sûr que son partenaire ne l’abandonnera pas. C’est peut-être, finalement, ce qui lui coûtera bien trop. Son abnégation envers lui.
Mais comment le lui dire ? Quand l’Islandais le contemple, si sûr, si déterminé, cela lui semble contre-nature. Jamais le brun ne l’écoutera, ne daignera même l’entendre.
« Moi non plus. » promet-il.
Moi non plus, je ne t’abandonnerai pas.
La seule certitude qui survit à tout le reste.

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