cause two can keep a secret if one of them is dead (nieminsen)

Elle ouvre doucement les yeux. Regarde aux alentours en laissant ses pupilles s'accommoder à la lumière ambiante. C’est étrange, les volets pas fermés jusqu’à au bout. Si elle avait été chez elle, le soleil ne l’aurait pas réveillé. Parce que chez elle, ses volets sont toujours fermés, jusqu’en bas. Avec aucun trou, aucune fente qui puisse laisser cet agresseur matinal lui prendre les quelques minutes de plus qu’elle aurait pu passer au lit.
Elle s’étire, puis, après avoir pris connaissance de la chambre (elle n’est pas chez elle, c’est évident), elle tourne la tête vers l’oreiller à côté du sien. Et. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Pourquoi elle est pas partie, comme elle le fait d’habitude ? Elle est jamais trop fatiguée normalement, pourquoi, cette fois ci, elle est restée ? Elle commence peut-être à s’habituer, et, vraiment, vraiment, elle devrait pas, commencer à s’habituer. Parce que si Silas est un merveilleux coup, et qu’il est bon au lit, il n’est certainement pas capable d’avoir une petite amie à long terme. Puis peut-être, qu’au final, elle non plus, n’en est pas capable. Il est peut-être temps pour elle de se demander pourquoi toutes ses relations se sont terminées d’une façon si désastreuse, et si, rapide.
Elle secoue sa tête, réveille son cerveau, ce serait bien qu’elle puisse partir avant qu’il se réveille. Que ce soit pas plus bizarre que ça ne l’est déjà. Qu’il puisse pas lui demander ce qu’elle fait là. Parce que, vraiment, si elle avait le moindre doute qu’il puisse lui proposer de rester ou de lui filer un petit déjeuner, peut-être, peut-être qu’elle resterait.
Mais c’est Silas. S’il la voit, il va la mettre dehors en lui balançant ses vêtements, et lui fermer la porte au nez sans même attendre qu’elle ait fini de se rhabiller. Alors non, non, elle va pas attendre qu’il se réveille pour partir.
Elle se lève, doucement, sans faire de bruit, ramasse ses vêtements éparpillés un peu partout, trouve qu’une chaussette, mais, well, ça lui fera un trophé, ou quelque chose. Puis, doucement, très, très, doucement, se dirige vers la porte d’entrée.
S’arrête, net, quand elle voit son ordinateur. L’écran est noir, mais tourné vers le lit. Et lorsqu’elle voit la lumière de la webcam, elle se retourne énervée vers Silas. Elle va pas le réveiller pour ça, elle prendra juste le plus grand soin à plus jamais le revoir. Puis, c’est pas sa façon de faire, Louison, les confrontations directes. Elle tire la chaise face à l’ordinateur silencieusement, et bouge la souris pour faire apparaître le bureau. S’assoit pas sur la chaise, elle compte pas s’éterniser. Juste, peut-être, coder rapidement deux ou trois trucs. Pas des virus, elle a pas le matériel pour, mais changer quelques paramètres, juste pour que ça devienne chiant, pour lui, d’utiliser son PC. Et effacer cette vidéo, parce que, vraiment ? Qui, au jour d’aujourd’hui, fait encore ça ? Filmer ses ébats avec une fille, c’est ridicule. Certains couples le font certainement, d’un commun accord, et même si elle trouve toujours ça ridicule, au moins, c’est éthique. Filmer les filles sans leur autorisation, c’est…
Elle savait que Silas était un connard. Parce que tout le monde le sait, toutes les personnes qui sont passées dans ses bras, dans ses draps, le savent. Elle aurait jamais imaginé que ce serait à ce point.

Elle s’empresse d’arrêter la webcam et de supprimer la vidéo (et si elle comprenait d’autres filles qu’elle, c’est tant mieux). Et, supprimer, vraiment. Pas juste la corbeille, et vider la corbeille, non. Non, Louison sait que c’est trop facile de récupérer ça. C’est devenu une habitude de juste faire disparaître le plus possible tout ce qui est à faire disparaître. A ce niveau, il n’y a qu’un hacker comme elle qui pourrait la récupérer. Et elle a pas de soucis à se faire de ce côté là. Si y’a bien une chose dont Louison est sûre, c’est que Silas n’a rien d’un hacker. Elle ferme la fenêtre de code qu’elle a utilisé pour se débarrasser de cette foutue vidéo, et reste bloquée sur le bureau. Là, elle devrait partir, maintenant. Elle devrait aller vers la porte, l’ouvrir, sortir, et ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit.
Sauf qu’elle reste, et elle observe le bureau d’un oeil averti, un oeil de hacker. Elle pensait pas l’utiliser ici, non. Mais y’a trop de dossiers, sur son bureau. Trop qui n’ont aucun rapport avec le reste. Elle avance la souris vers un des dossiers qu’elle trouve suspect, et elle sait ce qu’il va se passer quand elle va essayer de l’ouvrir. Elle sait. Pourtant, elle double-click. Et l’annonce qui lui demande un mot de passe ne l’étonne pas.
Silas est pas juste un connard de première catégorie, et ça la fascine. Presque autant que ça l'effraie. C’est un garçon qui a des dossiers cryptés sur son ordinateur. Et qui filme les filles avec qui il couche. Qu’est-ce qu’il fait, avec tout ça ? Qu’est-ce qu’il a déjà bien pu faire, avec tout ça ?
Putain.

Cet ordinateur est. C’est pas un ordinateur d’un mec normal. Connard ou non. C’est l’ordinateur d’un type qui s’y connait, ou qui veut cacher des trucs, qui sait cacher les trucs. Peut-être qu’il connait un hacker qui lui a fait le dossier, qui lui a expliqué comment ça marchait. Oui, c’est forcément ça. Puis il doit être de ces têtes en l’air un peu stupides qui ont écrit le mot de passe quelque part, par peur de l’oublier. Pas qu’il ait l’air particulièrement débile hein. Mais, soyons honnête, il a beau être canon, il a pas l’air d’être du genre à avoir énormément de conversation. Pas qu’ils aient déjà tenté d’avoir une réelle conversation ensemble. Les mots qu’ils échangent se limitant en général à “déshabilles-toi” “plus vite” ou “c’était cool”. “Au revoir”. Il pense sûrement qu’elle n’a pas de conversation non plus. Ou alors, tout comme elle, il s’en fout. Royalement. Le code, chez les gens normaux comme Silas, c’est souvent un truc un peu débile, facile à trouver. Elle réfléchit vite mais de façon ordonnée. Est-ce qu’il a un animal de compagnie ? Si oui, quel est son nom ? Elle sait pas. Quel âge il a ? Vingt-deux ans, il est plus jeune qu’elle. Sa date de naissance ? Elle la connaît pas. C’est quoi les prénoms de ses parents ? Aucune idée. Son groupe préféré ? Elle lui a jamais demandé. Ca l’a jamais intéressé. Elle connaît rien de sa vie. Ca l’intéresse pas. C’est juste que là, Louison agit pas comme une fille, agit pas comme une meuf qu’a passé une superbe soirée, les jambes en l’air. Et qui se bat les tranches du gars avec qui elle était. Aussi régulier soit-il. Là, Louison agit comme FrKinity. Et FrKinity est curieuse, beaucoup trop.
Elle sent la présence derrière elle. Mais s’arrête pas de réfléchir pour autant. T’façon, maintenant, il l’a vu, il s’est approché d’elle, ça servirait strictement à rien de faire l’innocente, genre : “non, mais je regardai pas ton ordi hein.” Si. Elle regarde son ordi. Et si il doit y avoir confrontation concernant sa curiosité, confrontation il y aura. Elle aussi, elle a des choses à lui dire.
Elle se retourne pas non plus quand elle sent son souffle chaud dans son cou. Et si son corps se tend légèrement, qu’elle sent son bas ventre s’affoler, elle ne le laisse pas apparaître. Essaye, de ne pas le laisser apparaître. Ce n’est pas le moment de se trouver excitée par lui, pas maintenant. Et si possible, plus jamais. Elle y croit pas une seule seconde. S’il fait partie de ses coups les plus réguliers, c’est pas parce qu’elle l’apprécie, comme c’est le cas pour certains, qui sont plus des amis qu’autre chose. Lui, c’est parce qu’il arrive à déclencher un feu chez elle en faisant presque rien. Un souffle dans le cou, un médiocre souffle dans le cou, c’est tout ce dont il a besoin.
Elle doit reprendre ses esprits et se concentrer sur cet écran. Parce que Louison est en train de reprendre place, là où FrKinity s’était installée.

Lorsqu’il parle, Louison sourit. Cette voix. FrKinity sourit aussi, pour une toute autre raison. Mais les deux se mettent vite d’accord pour ne pas lâcher l’écran des yeux. Et pour ne pas lâcher la souris, non plus. Pour garder l’autre main sur le clavier, comme elle l’était.

- Je la connais pas.

Elle se décide finalement à se retourner, se retrouva face à Silas, le dos contre le bureau où est l’ordinateur. Elle est à moitié assise dessus, les bras croisés sur le torse, juste au dessus de l’estomac. Et elle le sonde, essaye, de le sonder. Ce mec est bizarre. Genre, vraiment bizarre. Elle lui demande pas pour les vidéos, parce qu’il lui répondrait pas, ou parce qu’elle a peur de sa réaction si il lui répondait. Elle lui demande pas non plus pour le dossier crypté. Mais pour une autre raison. Elle est pas censée savoir ce que c’est, un dossier crypté. Personne connait son identité sur le net, tout le monde la connaît sous le pseudo de FrKinity.
Et Silas est bien la dernière personne à qui elle se sentirait de confier son identité. Il serait le premier à la répéter à tout va. Alors elle reste juste là, devant lui, même plus exactement devant l’ordinateur, plutôt à côté, et elle détaille son visage avec son regard.
Il est beau, Silas.
Genre, vraiment, vraiment canon.

A la question ce qu’elle recherche, elle serait incapable de lui répondre, même si elle le voulait. Et soyons honnête, elle a aucune envie de lui répondre. Silas était pas le genre de gars a qui elle faisait confiance, de base. Mais alors là, c’est encore pire. Lorsqu’elle l’a rencontré, il était juste canon, et elle avait juste besoin d’un bon moment. Depuis, c’est resté comme ça, et elle a découvert un peu plus Silas. Et ce qu’elle a découvert, au fil du temps, lui a pas donné envie de lui faire confiance. Mais Louison s’en foutait. Parce qu’il est beau, et doué, et que vraiment, c’est les deux choses qui l’intéressent chez lui. Mais avec ce qu’elle a compris ce matin, elle avait juste juste envie de partir, et de plus jamais revenir. Puis y’a eu le dossier crypté, qu’est la raison pour laquelle, finalement, elle reste, au lieu de faire un homerun évident et rapide vers la porte de sortie. Et elle le défie, d’un regard certain. C’est pas le regard de la gentil Louison, c’est le regard de la suspicieuse FrKinity. Et elle voit ses yeux, à lui, elle sait que quiconque d’un peu intelligent, et avec un instinct de survie, même minime, sortirait de chez Silas, sans faire de bruit, sans rien dire. Elle, elle le fait pas. Elle reste là, le cul quasiment assis sur la table derrière elle, les bras croisés, et le regard dans celui de Silas. Elle voit qu’il dérive vers le bas de son visage, parfois, et si, d’ordinaire, ça l’aurait fait sourire, et ça aurait été le début d’un nouveau round, cette fois, c’est pas le cas. Ca la dérange pas, parce qu’elle reste Louison, qu’est plus ou moins tout le temps attirée physiquement par lui. Mais ça l’excite pas forcément non plus, comme ça le ferait, normalement.

Il répète sa question une deuxième fois. Mais Louison peut toujours pas y répondre. Parce qu’elle sait pas ce qu’elle cherche. Elle cherche ce qu’est dans ce dossier crypté. Et pour le moment, elle sait pas ce qu’il y a à l’intérieur. Mais c’est pas grave qu’elle pense, Louison. Parce que, après tout, elle pourra toujours essayer de trouver son ordinateur à distance, et le hacker, de chez elle, pour voir son dossier. Faut juste qu’elle connaisse son adresse IP. Mais ça, c’est pas gagner. Et puis, elle est pas censée avoir toutes ses connaissances, alors actuellement, ça se joue entre sa curiosité et son anonymat. Quitte à choisir, elle préfère rester neutre. Pas faire l’idiote (de toute façon, il la connaît assez pour savoir qu’elle ne l’est pas), sans jouer l’experte (il faut jamais qu’il apprenne qu’elle l’est). Il s’approche un peu plus, à quelques centimètres d’elle, de son visage, surtout. Et la tension est évidente. Évidente et pesante. Parce que, même si elle a, dans son esprit quelque part, cette webcam, ces vidéos, et le dossier crypté, elle a surtout le visage de Silas à quelques centimètres du sien. Et même si la vibe est pas du tout à la rigolade, l’entente à la bonne ambiance, y’a un truc qui se passe dans son corps, une réaction, et ça la dérange.

- Ta webcam était allumée. Je l’ai éteinte. Et j’ai vu ce dossier, il avait un nom qui était bizarre par rapport aux autres, alors j’ai été curieuse. Je cherche rien.

Elle crève d’envie de lui demander ce que lui, cherche à cacher, mais elle le fait pas. Une autre question vient en remplacement, une dont elle connait la réponse, veut juste l’entendre de ses lèvres. Une qui pourrait lui donner le coup d’pieds aux fesses pour lui filer l’envie de se casser de cette villa à l'ambiance franchement malsaine. Mais dans laquelle elle aime tant être.

- T’as d’autres vidéos ? De moi ?

Et finalement, elle sait pas trop ce qu’elle ressent à propos de tout ça, Louison. Parce qu’il a forcément des vidéos de toutes ses conquêtes, non ? Et ça, c’est la partie qui la dérange, celle où elle se dit qu’il filme des filles à leur insu. Mais y’a ce tout petit bout d’elle qui se dit que c’est un souvenir qu’il garde, peut-être. Ce petit bout là est naïf, elle le sait. Elle l’enterre d’ailleurs sous des tonnes de raisons pour lesquelles Silas serait incapable de vouloir garder des souvenirs. La première étant que les souvenirs, c’est pour se rappeler un tant qui nous est chers.
Et rien ne lui est cher, à Silas.

Et le truc, c’est que, vraiment. Elle sait pas ce qu’elle fait encore là. Parce que, ok, ce qu’il y a sur l’ordinateur de Silas l’intéresse, mais est-ce que ça vaut ce qu’est en train de se passer ? Elle a pas peur, pas vraiment. Parce que si ça dégénère, si elle voit que ça commence à dégénérer, elle pourra toujours partir, courir vers la porte, et s’enfuir. Mais pour le moment, c’est pas le cas. Et elle a envie de savoir. Pas juste parce qu’elle est curieuse, mais aussi parce que… Si seulement elle avait deux minutes sur son ordi, elle pourrait voir le code du dossier, elle pourrait savoir qui l’a créé, voir la signature, et peut-être, en voyant le pseudo, voir le genre de personne à qui Silas demande des trucs. Le pseudo de Hei_Shadow lui vient à l’esprit. Mais probablement parce que, en ce moment, chaque chose relié au piratage lui rappelle ce type. Il est arrogant, et méchant. Et juste tellement détestable. Rien que de penser à lui, ça lui donne envie de retrousser son nez de dégoût. Elle le fait pas. Silas pourrait le prendre pour lui. Ce qui serait con dans la situation, probablement mal interprété, puis surtout, complètement faux. Si y’a bien un truc qui lui inspirera jamais Silas, c’est le dégoût. Physique, en tout les cas. Parce que garder des vidéos sexuelles de ses partenaires c’est franchement pas très cool.
Il se met à parler, et vraiment, elle l’écoute. Attentivement. Sourirait presque parce que la seule chose qu’elle en retient, c’est que ça parle d’un mari et de sa femme, et que certes, dans un vrai couple, doit y avoir de la confiance. Mais qu’entre eux deux ? Aucun besoin. Et c’est pas après avoir compris ce qu’il faisait et avoir vu qu’il avait un dossier crypté qu’elle va se mettre à lui faire confiance. Bien au contraire. Le peu de confiance qui avait pu s’instaurer au fil des nuits a été désintégré en quelques secondes, ce matin. Puis même, la confiance dans le couple, d’accord. Mais vraiment, découvrir que son mari est un assassin ? Quitte à ce que ça coûte la vie, c’est bon à savoir. Elle le connaît, ce conte. Ses parents s’amusaient à lui raconter quand elle était petite. Sa mère le connaissait par coeur. Parce que fan de la France et tout ce qui va avec, Louison s’est tapée tous les contes français. Elle est presque étonnée que lui, connaisse. Pas qu’il ait pas l’air instruit, c’est juste qu’elle s’attendait pas à ce que ça l’intéresse.

Lorsque à sa question, il lui répond non, Louison n’en croit pas un mot. Ce serait pas logique qu’il ait filmé que cette fois ci. Ce serait pas logique qu’il ait pas filmé les autres fois qu’ils ont couché ensembles. Les nombreuses fois. Silas est actuellement le coup d’un soir le plus régulier qu’elle ait. Elle croit pas une seule seconde que ce qu’elle a effacé était la seule chose qu’il ait sur lui. Et ça l’inquiète. Parce qu’elle sait ce que ça peut faire d’une réputation, une vidéo comme ça. Elle le sait d’autant plus que parfois, elle est celle à les mettre en ligne. Quand on lui demande. Que c’est pour dénoncer un connard. Et qu’elle est bien payée.
Elle hausse les sourcils finalement, hausse les épaules, se décale sur le côté pour ne plus être face à lui, et elle respire déjà mieux. Elle est toujours appuyée à la table, mais plus éloignée de l’ordinateur, et plus éloignée de Silas. Elle prend un grand bol d’air et l’expire bruyamment, elle se sent un peu mieux. Moins frustrée, moins avec l’impression d’être enfermée dans une bulle de désir étrange qu’elle arrive pas à percer. Moins dans un mystère qu’elle arrive pas à éclaircir. Et surtout moins en danger.

- J’suis contente de voir que tu penses que je suis pas idiote. C’est probablement le plus beau compliment que tu m’ais fait. Depuis notre rencontre.

Son sourire est moqueur, pas encore condescendant, mais c’est sur ce chemin là. Elle a ce truc qui la titille dans l’estomac, dans ses poumons, dans son bas ventre, qui l’empêche de juste partir. Parce que ce serait tellement plus simple de juste le laisser seul. Mais elle peut pas, non, elle veut pas. Sauf qu’elle comprend pas pourquoi.

- Tu devrais préciser : “endroit sous vidéo-surveillance”.

Elle sourit plus vraiment, elle a plus vraiment envie de sourire non plus. Parce que ce qu’il fait, c’est pas exactement une violation du droit de l’image, mais c’est pas bien. Vraiment pas.

La situation dans laquelle elle est. Dans laquelle ils sont. La surprend. Parce qu’elle devrait se sentir effrayée, et elle devrait se sentir en danger. Mais qu’au fond, elle a juste très envie de rester. Alors elle peut bien s’inventer les raisons qu’elle veut. Elle peut bien se dire que c’est la curiosité de FrKinity qui lui demande de rester. Que c’est sa fiertée qui l’empêche de partir, mais c’est autre chose. C’est un peu de ça, ok. Mais c’est surtout d’autre chose. Et cet autre chose, c’est que finalement, elle aime bien ce Silas là, aussi. Elle le trouve attirant. Presque plus attirant que lorsqu’il est calme, lorsqu’ils sont ensemble, d’habitude. Ou peut-être que ça n’a rien à voir avec Silas, et que c’est Louison, FrKinity juste, qui aime le danger. La sensation de danger. Elle sourit en coin, un peu, lorsqu’il lui répond. Lâcherait presque un ricanement ironique. Le fait pas. Parce qu’elle a pas envie. Puis parce que c’est pas le moment, surtout. Elle pourrait être blessée par ses mots. Et sans aucun doute que n’importe quelle fille un peu gaga de Silas le serait. Louison est même pas vraiment certaine que ça existe, les filles gaga de Silas. Elle, ce qu’elle retient. C’est que c’est peut-être le premier et le dernier. Pas probablement, pas sûrement, peut-être. Et Louison aime quand les mots, même pas forcément choisis, disent beaucoup. Elle aime aussi souvent s’imaginer des choses qu’ils veulent finalement pas dire, du tout. Mais voilà, il l’a dit. Et Louison, c’est ça, qui la fait un peu sourire.
Et lorsqu’elle continue, c’est lui, qui lâche un petit rire. Et le sourire de Louison se reconstitue dans sa totalité. Et vraiment, sourire est probablement la dernière chose qu’elle devrait être en train de faire, là, de suite. Parce que, sourire ? Vraiment ? Dans cette situation ? Mais pourtant, elle est là, bright smile, à regarder Silas lui répondre. Lui parler de sa célébrité. Lui dire que des magazines l’ont déjà probablement prise avec lui, ou en bas de son immeuble. Et Louison se dit que oui, peut-être. Peut-être que les magazines ont des photos d’eux, ensemble. Mais ça la dérange pas, parce que, vraiment, pourquoi ça la dérangerait ? Et il compare ça à la vidéo, et c’est au tour de Louison de lâcher un petit rire. Et elle crève d’envie de continuer la conversation, de continuer le débat. De lui dire que ça n’a rien à voir. Que les magazines la prennent pas nue. La prennent pas en photo en train de coucher avec lui. Que de voir deux personnes ensembles, même si ça insinue quelque chose, ça n’a rien à voir avec le fait de le montrer. Puis de lui rappeler que, finalement, à ce qu’elle sache, elle n’a jamais vraiment vu de photos, dans aucun magazine, avec elle dessus. Qu’elle fait des recherches, souvent, pour être sûre que son identité de FrKinity reste intact. Mais elle peut pas lui dire ça, bien sûr, qu’elle peut pas lui dire ça. Mais Louison dit rien. Elle dit rien, parce qu’elle a plus rien envie de dire. Elle garde son sourire, bien que moins évident, sur les lèvres, et se décolle de la table, passe à côté de Silas, s’arrête à son niveau. Tourne la tête vers lui, et sait pas trop ce qui lui prend, mais se tourne vers lui.

- Ok, très bien. T’as raison. J’ai tord.

Dire ce genre de truc lui prend toujours beaucoup de force. Mais elle a apprit à le faire à ses dépends. Après des discussions sans fin avec des gens bornés incapable de changer d’avis sur un truc. Elle a apprit à juste, laisser tomber, à accorder une “victoire”, à mettre son égo de côté, pour quelques instants. Pour calmer le jeu. Pour pas gâcher du temps dans une conversation à sens unique.

- Est-ce que tu veux que je m’en aille, maintenant ?

Et Louison s’étonne de sa question, n’en laisse rien paraître. Ses lèvres ont bougé avant qu’elle n’y pense, les mots se sont formés sans qu’elle y réfléchisse. Parce qu’après tout, elle, elle sait. Elle a pas trop envie de s’en aller. Malgré tout ça. Malgré les vidéos. Malgré le fait qu’un seul bout de ces vidéos pourrait la ruiner pour toujours, la détruire. Elle a pas envie de partir. Parce que quelque part, aussi surprenant, et aussi décadent que ça paraisse. Tout ça, ça l’excite.

Faut qu’elle se sorte de cette situation, Louison. Pas parce que c’est dangereux, pas parce qu’il lui fait peur. Pas même parce que le fait qu’il l’ait filmé nue, et en complète perte de ses moyens. Mais parce que Louison aime pas du tout ce que son corps ressent là, à ce moment précis. Parce que Louison a toujours pensé être une jeune fille normale, qui appréciait les parties de jambes en l’air normales, et avec des désirs normaux. Mais que là, la sévérité dont il fait preuve, et la colère qu’il ressent avec évidence, son corps y réagit, Louison. Son corps y réagit un peu beaucoup trop. Et elle aime pas ça. Se rendre compte de ça. Un mélange de culpabilité et de dégout pour elle-même qu’est désagréable. Elle veut s’en aller, son esprit lui dit : “Ok, maintenant tu te casses et tu remets plus les pieds ici.” Son corps lui susurre : “Reste, va te rallonger sur son lit, c’est là que t’es le mieux.” Elle a envie de les faire taire, et c’est compliqué. Elle a posé la question à Silas, et attend sa réponse, avec une impatience toute nouvelle. Parce qu’elle prie qu’il lui demande de partir. Il prie pour qu’il la jette dehors. Il devrait peut-être, elle a fouillé dans son ordinateur, après tout. Elle garde dans un coin de sa mémoire le dossier crypté, elle trouvera un moyen, un jour, de voir ce qu’il y a dedans. Avant de prendre la décision de ne plus jamais le croiser. Ce qu’il lui fait ressentir lui fait peur. Elle veut partir. Elle doit partir. Non. Il doit lui demander de partir. C’est comme ça que c’est censé se passer. Elle a peur de pas réussi à s’en aller s’il la fout pas dehors.
Putain. C’est quoi ce délire.
Elle veut se donner des claques. Juste pour juste imaginer pouvoir penser des trucs pareils. Silas filme ses conquêtes, garde les films sur son ordinateur. It’s sick. Et pourtant, elle est là, elle a pas encore prit ses clics et ses clacs, elle a pas encore claqué la porte. Elle se rassure, se dit que c’est la curiosité du dossier. Bullshit. Elle le sait. Et c’est violent pour révélation. Il faut qu’il lui dise de se casser. Là. Tout de suite. Qu’il lui demande de partir et de ne plus jamais revenir.
Mais non.
Non, parce que, de toute évidence, ça aurait été trop simple. Parce que de toute évidence, Silas a autant envie qu’elle de prendre des décisions sur ce qu’il se passe là. Et que, merde quoi, c’est pas censé être si compliqué que ça. Ils sont pas en couple, ils couchent ensembles, elle a fouillé dans son ordinateur, c’est intolérable, next. Voilà, c’est ça qui devrait se passer. Ou mieux, encore. Ils sont pas en couple, ils couchent ensembles, il les a filmé pendant l’acte, c’est plus qu’intolérable, next. C’est ça qui devrait être en train de se passer. Pas un jeu tordu de : je reste ou je reste pas. Non. Elle devrait pas rester. Dans aucun cas, cette situation est censée se terminer sur un : je reste ou je reste pas. Aucun !
Il se remet à parler. Et il répond toujours pas. Ce qu’il dit est juste une raison de plus pour elle de partir. Parce qu’il a raison. Il a plus que raison. Mais well. Il aurait pas dû filmer, en premier lieu, Louison accepte moyennement qu’il lui mette tout sur le dos. Et alors que vraiment, vraiment, ça devrait être une douche froide pour elle, genre. Il réduit ce qu’ils ont à rien. Mais Louison là, actuellement, pourrait pas être plus d’accord, et plus heureuse, de tout ça. Parce que c’est ça, c’est exactement ça. C’est rien. Elle doit se calmer, reprendre ses esprits, et sortir d’ici. Parce que eux, c’est rien.
Alors elle le regarde, et sourit. Et c’est ce genre de sourire qu’elle adresse aux garçons qu’elle croise pour une nuit, aux garçons comme Silas, qu’elle croise parfois pour plus. Un sourire d’après, un sourire de “bye et à jamais, mais j’te laisse avec un beau sourire.”

- T’as raison. J’connais la sortie.

Elle retourne rapidement vers le lit, où elle avait laissé traîner ses chaussettes, et repasse devant Silas pour atteindre la porte de la chambre. Elle se retourne pas une dernière fois pour lui sourire ou lui faire coucou. Un truc s’est passé dans cette chambre qui lui a fait peur. Pas Silas, pas sa colère, pas ce dossier crypté. Un truc dans elle, qui l’a titillé. Et elle veut pas que ce truc prenne le dessus si jamais elle décidait de lui envoyer un dernier geste. C’est hors de question. Elle ouvre la porte, sort de la chambre. Et sans aucune hésitation, court jusqu’à la porte d’entrée. De sortie. Elle a besoin d’air.