doves in the wind + liam.

Les photos défilent sur l’écran de son smartphone. Parfois, un rictus de satisfaction face à un selfie particulièrement réussi lui échappe, mais Harper continue de laisser son doigt glisser sur la surface lisse, et les images se succèdent encore et encore. Elle secoue la tête, visiblement mécontente malgré tout. Un soupir lui échappe tandis qu’elle quitte l’application d’édition d’images pour ouvrir sa messagerie instantanée. Parmi les dizaines de conversations qui s’affichent devant ses yeux, elle cherche avec impatience, et clique sur le prénom de Liam avec un soupçon d’agacement alors qu’elle le trouve enfin. Il lui semble que tous les autres patronymes qui l’ont précédé ne sont que des parasites dans sa vie. Comme l’ambition démesurée de sa mère et les pépiements incessants de ses prétendues amies au lycée, ce ne sont que des obstacles à sa réussite. A ce qu’elle parvienne enfin à sa vérité. Si seulement elle savait que c’était cela qu’elle cherche…
Elle envoie rapidement un sms à la photographe. Liam la photographie depuis des années, et l’aisance et la complicité qui s’est installée entre elles a quelque chose de magique. Harper est incapable de mettre le doigt sur ce qui fait la différence, mais elle doit bien se rendre à l’évidence : il y a quelque chose dans son sourire qui est différent lorsqu’il est capturé par l’objectif de la jeune femme. Quelque chose de sincère, d’intense… de vrai. Pas comme les sourires en plastique qu’elle a passé un quart d’heure à scruter, sur chacun des selfies successifs qu’elle a pris durant la semaine qui se termine. Elle dépose son portable sur la table du Starbucks auquel elle est installée en terrasse, et sirote son frappuccino, laissant son regard divaguer sur les passants dans l’immense rue du centre-ville, et ses pensées flotter librement. Peut-être est-ce la forme d’un nuage gris dans le ciel pâle, ou les motifs agressivement floraux de la blouse d’une jolie asiatique, ou le paysage qu’a posté une influenceuse sur Instagram ce matin là : toujours est-il que Harper réfléchit à sa sélection de fleurs pour un hypothétique futur mariage, au moment où son téléphone vibre, attirant de nouveau son attention dans le monde réel.
Elle fait glisser son index manucuré sur l’écran et le message s’ouvre immédiatement. Déjà, sans qu’elle s’en aperçoive, la magie agit. Ses lèvres s’étirent doucement, creusent une fossette dans sa joue, découvrent le blanc de ses dents. Ses yeux aussi sont touchés par la joie authentique qui se répand dans tout son organisme tandis qu’elle lit la réponse de Liam. Avec un petit rire ravi, la rousse quitte la table qu’elle occupait dans le café, et hèle un taxi pour l’amener jusqu’au point de rendez-vous. Son café fermement calé entre ses longs doigts fins, elle le sirote tranquillement durant le trajet et lance nonchalamment un billet vert au chauffeur, sans lui adresser un mot ou un remerciement en sortant de sa voiture. Elle marche quelques courtes minutes avant de distinguer la silhouette de Liam devant un graffiti mural qui a visiblement attiré son œil d’artiste. « Hey ! » lance-t-elle en s’approchant de celle qu’elle considère davantage comme une amie que la plupart de celles qui prétendent l’être. « C’est trop cool que tu aies pu me glisser dans ton emploi du temps chargé, » ajoute-t-elle avec chaleur. Et elle adresse un sourire lumineux à Liam – le premier sourire sincère de sa journée.

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Deux bises qui claquent sur ses joues, résonnent à ses tympans, et déjà tout change. Harper ne montre plus ses dents blanches pour faire ressortir son sourire par contraste ; ses lèvres se courbent gracieusement pour révéler l'émail à quelques endroits naturels. Elle ne bat plus des cils pour attirer l'attention sur ses iris chocolatées ; ses pupilles scintillent de joie et d'enthousiasme. Elle ne joue plus avec quelques mèches savamment travaillées de sa chevelure ; sa crinière rousse suit allègrement les mouvements de sa tête tandis qu'elle suit du regard Liam. Comme toujours, la photographe l'emmène aussitôt dans son univers de visions et de beauté, et Harper se laisse transporter. Elle rit face aux milles propositions qui lui sont faites en moins de temps qu'il n'en faut pour qu'une dispute éclate entre elle et sa mère - le temps d'un soupir ou d'un regard croisé.
« Je veux au moins un portrait, » répond-elle d'une voix chantante, douceur immatérielle, candeur exceptionnelle, « mais je veux surtout que tu laisses parler ton génie. » Elle ponctue cette affirmation d'un clin d’œil, mais la fossette au creux de sa joue trahit la sincérité de ses émotions en cet instant rare et précieux. Alors même qu'elle s'engage aux côtés de Liam dans la fabrication d'images truquées retouchées travaillées embellies fausses de plus d'une façon, c'est pourtant dans ce partage artistique qu'elle peut être au plus près de sa vérité personnelle, qu'elle peut frôler du doigt sans s'en douter l'essence de qui elle pourrait être.
Avec un naturel désarmant, elle laisse glisser son gobelet dans une poubelle et son téléphone au fond de son sac à main. Tout son être se transforme au contact de l'objectif de la belle brune – et de son aura, de son sourire, de son regard, de sa mémoire. Si Harper n'est jamais autant en harmonie avec elle-même que sous les flashs, celui de Liam reste particulier pour elle. C'est la première à lui avoir montré cette voie, à lui avoir ouvert cette porte. C'est celle qui la suit depuis le plus longtemps, celle qui la voit grandir et devenir une véritable princesse. C'est la seule qui la connaisse en plusieurs dimensions. Sous les directives de la King, elle n'est plus seulement la fille de sa mère. Elle est belle, elle est elle.

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