Los Angeles,
A ma chère famille biologique,
Pas un jour ne passe sans que je pense à vous. Pas un jour ne passe, sans que le souvenir de votre sourire ne refasse surface. Je ne vous ai pas oubliés. Avoir une autre famille ne vous a pas effacés. Vous êtes ma famille. Ils sont ma famille. Et si votre chute a alourdi mon coeur et obscurcit ma vie, leur arrivée providentielle a pu rallumer la flamme qui brillait en moi auparavant... qui en votre absence s'était assombrie.
Eteinte.
Je ne pensais plus pouvoir rire. Je ne pensais plus pouvoir vivre. je ne croyais plus en l'espoir. J'étais seule. J'étais perdue. J'étais finie. Sans eux... Sans eux, je ne me serais jamais relevée. Sans mes deux nouveaux papas, je n'aurais su faire face à cette vie devenue morne. Sans mes nouveaux frères et soeurs, je n'aurais jamais pu entrevoir la lueur d'une suite à ma propre vie.
Sans eux tous, je vous aurais rejoint tôt ou tard...Tout est sombre... Le corps est fatigué, et la tête est assommée, alors que le sang afflue lentement. Et il y a de l'eau. Son corps est trempé. Elle tousse. Pourtant, elle ne se réveille pas. Elle ne fait que tousser. Son corps rejette l'eau salée qu'elle a absorbé. Elle a aussi une jambe cassée. Elle a eu de la chance... Enfin, c'est ce qu'on dit...
De la chance.
Rien n'est plus loin de la vérité.
La chance n'est pas d'être la seule survivante de sa famille.
La chance n'est pas d'avoir échappé à la mort en entendant le bruit sourd de l'explosion et du carnage.
La chance n'a rien à voir là-dedans.
C'est le malheur.
C'est le destin.
C'est la culpabilité. La culpabilité du survivant.
C'est un drame.
Une horreur.
Quand elle se réveille, ce sont les pleurs qui alertent les gens désignés pour s'occuper d'elle. Elle ne comprend pas. Elle panique. Elle est dans une civière. Elle ressent la douleur. Elle ressent l'angoisse. Elle crie. Demande sa mère. Demande son père. Demande son frère. Mais rien. Personne. A part les secouristes. Et la fumée, au loin. Le feu. Le bateau. Le moteur abîmé. La protection de sa mère. La fin. On voit encore la fumée. Et plus elle s'envole, plus le regard de Liam vacille.
Elle aurait dû mourir. Elle aussi. C'est elle qui voulait aller sur cette plage. C'est elle qui tenait la barre, son père lui laissant essayer. C'est elle qui criait de joie, pendant que son frère poussait la manette pour la vitesse maximal. C'est elle.
C'est elle.
C'est elle.
C'est elle qui les a tués.
Ils m'ont aimée. Ils m'aiment toujours. Ne vous en faîtes pas, je n'ai manqué de rien, sauf de vous.
Ils m'ont trouvée à l'orphelinat. Cela faisait deux mois que vous n'étiez plus. Deux mois de mutisme troublant. Et pourtant, alors qu'ils passèrent la porte de l'établissement, leurs regards conjoints se stoppaient sur moi. Je ne sais pourquoi. Etait-ce mon désintérêt total pour autrui, mon esprit fermé, troublé par votre perte, ou une coïncidence ? Toujours est-il qu'aujourd'hui je ne peux que les remercier du fond du coeur, de m'avoir donnée cette nouvelle vie. De m'avoir réappris le sens du mot famille. De m'avoir soutenue, aidée alors que je faisais votre deuil. De m'avoir choyée, de m'avoir nourrie, de m'avoir habillée, de m'avoir donnée l'amour qui me manquait. De m'avoir tant aidée. Ils sont mes papas. Ils sont mes frangins. Ils sont ma vie. Ils ont honoré votre mémoire chaque jour en m'éduquant.
Ils sont mes sauveurs.Ce bébé qu'elle tient dans ses bras. C'est sa soeur. Sa nouvelle soeur. Elle est toute petite. Et Liam a peur de lui faire du mal. Elle veut que ses papas la reprennent. Mais elle ne parvient pas à détacher son regard de sa petite bouille. Elle sourit. Pour la première fois. Depuis l'accident. Elle sourit. Elle lui sourit.
Juste un instant.
Et l'un de ses nouveaux papas la reprend dans ses bras. Et la recouche dans son berceau. Liam observe. Liam observe ses héros. Liam ne veut plus penser à sa famille biologique, ça fait trop mal. Donc Liam se focalise sur sa nouvelle famille. Elle pense qu'elle peut oublier les siens. Elle pense qu'avec un peu de volonté.
Elle pense mal.
Mais parfois ça marche.
Elle joue avec Morgan, son nouveau frère. Elle l'aime beaucoup.
Elle donne le biberon à sa nouvelle petite soeur Thaïs. Elle est très mignonne.
Elle s'amuse avec ses nouveaux frangins, plus âgés. Ils sont là pour elle.
Elle écoute avec attention les histoires de papa. Il les raconte bien.
Elle pleure dans les bras de papa suite à un cauchemar. Il est là pour elle.
Elle rencontre sa nouvelle demi-soeur Louison. Elle est très sympa. On l'appelle Louis. Liam aime beaucoup, elle est pas la seule à se retrouver nommée comme un homme.
Elle vit. Elle s'ouvre. Doucement. Très doucement. Et lentement. Mais elle s'ouvre. Aidée par sa famille. Aidée par cet amour.
Et ils m'ont poussée à réaliser des rêves. Ils m'ont inscrite au trapèze alors que j'étais petite, pour pouvoir m'envoler dans les airs, comme un oiseau. Ils n'ont manqué aucune de mes représentations, ils ont toujours été fiers de me voir au dessus du sol, m'élever, et m'ouvrir. Chaque saut semblait me rapprocher du bonheur. Chaque saut me faisait sourire. Chaque rattrapages réussis me procurait la sensation d'avoir accompli de grandes choses. Et chaque show me permettait de dévoiler au public les émotions qui m'habitaient.
J'adorais le trapèze. J'adorais voir mes deux papas dans l'assemblée. j'adorais les voir se lever en m'applaudissant à la fin. J'adorais leur faire plaisir. Je mettais un sourire sur ces héros qui m'avaient réappris à rire.
Je pouvais voir leur fierté.
Je pouvais voir leur amour.
Ils m'ont toujours éduquée avec. Moi, comme mes frères et soeurs. Ils nous ont tous aimé. Ils nous ont tous sauvés. Ils nous ont tous merveilleusement bien guidés. Je suis fière d'être leur fille.C'est le fameux repas de famille. De toute la famille. Tout le monde. Tous les enfants. Tous les parents. Liam est grande. Elle s'est adaptée. Elle a fait son deuil. Elle est heureuse. Elle les aime tous. Ses papas. Ses frangins. Et la mère et le beau père de Louison aussi. Ils sont très gentils. Et comme chaque samedi, ils mangent ensembles. Ils parlent ensembles. Ils s'amusent ensembles. Ils sont soudés. Ils forment une merveilleuse famille. Très recomposée, avec peu de liens de sang, mais cela ne change rien. Le sang ne fait pas la famille. C'est l'amour porté aux autres.
Sauf que ce samedi, Liam a un peu peur. Elle a quelque chose sur le coeur. Elle doit en parler. Pourquoi a-t-elle peur ? Pourquoi, avec tout ce qu'elle a vécu, est-ce cela qui lui fait peur ? Pourquoi ? Surtout dans sa situation. Dans cette famille en particulier.
Elle se lève. On s'arrête. On la regarde. Elle ferme les yeux. Elle souffle. On sent qu'elle a quelque chose à dire.
Elle...
Elle...
Elle aime les femmes.
Elle fait son coming out.
Elle n'avait aucune raison d'avoir peur.
Surtout avec ses papas.
Surtout dans cette belle famille.
Ils l'acceptent.
Ils l'aiment après tout.
Ils l'acceptent. Et elle pleure de joie.
Elle se fait prendre dans ses bras.
C'est beau.
Et ils ont toujours été encourageants. Surtout à mes débuts dans la photographie professionnelle. Ils m'ont demandée si c'était vraiment cela que je voulais faire, si je ne voulais vraiment pas faire d'études. La photographie est ma passion. Ils le savent, et le savaient, mais ils devaient demander. Ils ont compris que c'était plus que ma passion, que c'était ma vocation, lorsque je leur ai révélé ce que cela voulait dire pour moi.
Et... C'est vous. La photographie, c'est le reflet du passé. C'est la communication, le lien, l'émotion liée à l'instant, qui le rend éternel. Qui le rend immortel. Et je n'ai pas les vôtres. La maison que nous habitions ne m'a pas été autorisée d'accès, à votre mort. Je n'avais aucune photographie. Je n'avais aucune image de votre visage à garder à jamais avec moi. Mais je me souviens. je me suis toujours souvenue. Peut-être pas à la perfection, mais je me souviens encore de tes cheveux, maman. Je me souviens encore de ta voix, de ton toucher. Et c'est justement pour imprimer l'instant. Pour figer le temps. Que la photographie me passionne. Pour sauver le passé.
Et mes papas m'ont offert pour mon dix-huitième anniversaire un appareil photo. Comme d'habitude, ils étaient là. Ils étaient là, lorsque j'ai remporté un prix, le second prix de la plus belle photographie d'une galerie, pour mon cliché de la forêt en pleurs - au milieu de saules pleureurs -. Ils ont toujours été là. Et avec moi, cet appareil ne se perd jamais. Il est, depuis quatre ans, presque quatre ans, mon trésor. C'est avec lui que je prends chaque cliché, et je ne sors jamais sans lui.
C'est un cadeau précieux, fait par mes parents adorés.
Un cadeau que je garderais.
A jamais.Elle court. Elle grimpe. Elle saute. Elle bouge son corps. Elle est agile. Très agile. Vraiment souple aussi. Ses années de trapèze lui ont retiré toutes traces d'un quelconque vertige, alors que ses muscles se sont retrouvés soumis à une souplesse forcée au quotidien. Désormais, elle est naturellement souple. Rapide. Rapide aussi. Et ambitieuse. Elle attrape la corniche, elle se hisse sur le toit. Elle court, et elle saute en posant ses mains sur une hauteur, avant d'atteindre le grand saut. Elle saute. Sans peur. Elle l'a déjà fait. Plein de fois. Elle parvint de l'autre côté. Elle sourit, s'étire, puis de son perchoir, elle observe. Elle a son sac, elle a son appareil photo. Son sac est protégé, des tonnes de mousse pour amortir les chutes et les chocs. Son appareil photo ne saurait être abîmé. C'est son bien le plus précieux. Le cadeau d'amour de ses papas adorés. Elle zoome. Elle clique. Et hop. Cliché. Cliché. Cliché. Elle en a eu trois. Trois de cette starlette qui se cache pour tromper son mec. Liam aime bien arrondir ses fins de mois avec ce genre de clichés dévastateurs. Parce qu'elle déteste l'infidélité. Bien fait pour cette starlette.
Ces clichés vont valoir une petite fortune. Et grâce aux talents en parkour de Liam, elle est probablement la seule paparazzi capable d'une telle prouesse.
C'est parfait.
Juste parfait.
En plus c'est bientôt l'heure.
L'heure d'aller voir Chloé.
Elle est vraiment trop belle cette fille.
Liam n'arrête pas de penser à elle.
Elle file. Contente. Heureuse. Elle a ses clichés. Elle aura son fric. Elle donne une leçon à la tromperie. Et elle va rejoindre la belle Chloé.
Une journée parfaite.
Alors... à mon papa biologique. Sache que mes papas ne t'ont pas remplacé. Tu resteras toujours mon troisième papa. Tu resteras toujours dans mes souvenirs. Comme celui qui m'a emmenée nager la première fois. Comme celui qui me mettait sur ses épaules. Comme ce papa charmant qui m'aimait...
A ma maman biologique. Tu es dans mon coeur. Mon quatrième parent. Tu es ma maman magique. Qui me tartinait de crème, malgré mon teint de peau, sous le soleil. Qui me faisait des tresses. Qui me chantait des chansons. Tu resteras à jamais ma maman parfaite et si belle, à qui j'espère ressembler un jour.
A mon frère biologique : Tu n'as jamais été remplacé non plus. Thaïs. Morgan. Louison et les autres... Ne t'ont pas effacé. Tu es toujours avec moi. TU es toujours mon grand frère qui me volait mon nez. Mon grand frère qui me chatouillait le menton. Mon grand frère qui jouait avec moi et mes peluches. Mon grand frère qui me faisait rire...
Je vous aime. Je vous aimerais toujours.
Mais je ne suis plus rivée vers le passé. Vous ne hantez plus que mes rêves, que mes souvenirs les plus heureux. Vous avez votre place à cette table que nous partageons chaque samedi.
Je vous aime.
Et je les aime.
Mes papas et mes frangins seraient tellement contents de vous connaitre.
Vous... Vous tous. Parents biologiques et adoptifs.
Je vous aime.
A la folie.
Merci d'être ma famille. Merci du fond du coeur.Liam King