"644" . nora .

avant, il ne buvait pas de café. román, il préfère le thé d'habitude. il en buvait déjà depuis tout petit avec sa mère. mais dans un job comme le sien, le café relève de l'indispensable. alors, chaudement préparé, il le boit, en faisant tout de même attention à ne pas en renverser sur son clavier d'ordinateur. il n'a qu'un seul clavier, mais devant lui, trois écrans. sur chacun d'eux, des informations différentes, mais toutes concernent leur future victime. román va les imprimer, chacune d'elles, sur des feuilles blanches qui constitueront un dossier qu'il donnera à nora pour qu'elle puisse bien préparer sa mission. un haut fonctionnaire d'une grande entreprise, que des associés veulent voir mort apparemment. ce n'est pas vraiment leurs affaires de chercher la raison pour laquelle leurs clients font appel à eux, mais román, en cherchant un peu, en hackant un peu, trouve toujours. encore et toujours le pouvoir et l'argent.
le ronronnement de la photocopieuse emplit la pièce aux stores constamment baissés, dont l'unique source lumineuse est le trio d'écran devant les yeux de notre tueur à gages. il aime ben l'obscurité, román, travailler dans l'obscurité est plus stimulant et productif pour lui, ça l'aide à se concentrer et à ne pas s'éparpiller. s'il ne voit rien d'autre que ce qui est à l'écran, c'est comme si rien d'autre n'existait et il ne peut se concentrer que sur cela. c'est alors sur un message d'un de leur collègue de la mafia qui a son attention. celui-ci lui dit qu'ils ont de nouvelles armes pour eux. celles qu'ils avaient commandé. lui ou nora irait les chercher demain matin à l'aube.
le ronronnement s'arrête et machinalement le jeune homme prend les feuilles, et les met dans un dossier sur lequel il écrit "644" au Sharpie, un nombre aléatoire qu'il génère grâce à un algorithme sur son ordinateur et qui désigne le numéro de dossier et le nom qu'il emploieront pour désigner l'homme que nora devra tuer. il se lève, prend le dossier, et sort de la pièce pour se diriger vers leur salon aménagé en salle d'entrainement où il penses trouver sa soeur.

Les voix résonnaient trop fortement dans les oreilles pourtant peu fragiles de la belle demoiselle, mais cette dernière avait cette envie d’être dans son monde, loin du brouhaha de la rue, cela lui permettait d’oublier la haine qu’elle avait envers cet endroit qu’elle se forçait à habiter pour économiser. Chaque sou importé, toute dépense était soigneusement calculée, son cerveau commençait lentement à fatiguer mais jamais il n’aurait de répit. Et alors que les acteurs continuaient leur jeu sur l’écran, les doigts fins et étrangement si doux, alors qu’ils étranglaient des gorgées, nettoyaient un silencieux qui avait été meurtrier la semaine dernière. Elle croisa les jambes et se redressa sur le bureau, songeant sérieusement à se racheter une chaise. Cette dernière avait été témoin de l’efficacité de son entraînement lorsqu’elle l’avait pris comme bouclier. Jamais il ne serait question de prendre de pincettes, elle ne pouvait mourir, son petit-frère avait besoin d’elle.

L’arme fut rangée dans sa mallette et Morphée vint ouvrir l’armoire qui donnait lieu à son bureau secret. Elle rangea soigneusement cet instrument de mort et jeta un bref regard à son reflet. Les sourcils se froncèrent et le cou s’allongea pour avoir ainsi une plus belle vue sur ce détail gênant. Sa main tira sur la peau de sa joue droite, dévoilant ainsi une coupure sous son oreille. Elle pesta contre sa maladresse, il fallait que ses traits restent immaculés sil elle ne voulait pas attirer l’attention sur sa personne au travail. Nora se contenta simplement d’y poser un pansement avant de regagner le terrain d’entraînement qu’était le salon. Les pièces d’à côté donnaient sur une petite salle de bain miraculeusement salubre, une cuisine avec le strict minimum puis enfin leur chambre, ils partageaient encore la même pièce, faute de mieux.

Nora glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et tourna lentement la tête, les bruits de pas ne lui avaient pas échappé. Son frère quittait enfin sa tanière et pour une seule raison, elle le savait. Autrefois, il venait lui réclamer une leçon de piano ou une partie d’un quelconque jeu qu’ils avaient en leur possession, mais malheureusement ces derniers temps, il ne se levait de sa chaise que pour lui fournir des contrats. Elle attrapa un pull à capuche qu’elle enfila rapidement pour ne lui laisser le temps d’observer son corps en simple brassière. Des cicatrices marquaient sa peau, des souvenirs du merveilleux traitement de la Mafia. Elle n’avait le droit à l’erreur, ni même son frère, mais elle cachait les nombres de fois où elle s’était accusée à sa place pour qu’il ne subisse pas le prix de ses erreurs. « Tu as une sale mine. » lâcha-t-elle en se saisissant du dossier. « Tu ferais mieux de dormir, le café ne va pas te sauver éternellement. » Elle glissa son contrat sous le bras et braqua son regard clair dans celui tiraillé par la fatigue de son frère.

Elle s’inquiétait pour lui, il avait tellement changé depuis quelques temps, il grandissait, perdait le peu d’innocence qu’elle avait su lui conserver. Elle lui attrapa délicatement le poignet et le fit asseoir sur un des tapis de sport, elle le rejoignit rapidement, posant la chemise à plat devant eux. « Je ne fais pas tout ça pour rien, je veux que tu prennes soin de toi Roman. »

détournement de regard. les deux török ont beau vivre ensemble, dormir ensemble, manger ensemble, s'entraîner ensemble, peaux nues aérées en sueur, ce qui pourraient faire parler des gens sur le type de vie qu'ils mènent, mais román et nora, ils restent des personnes très pudiques qui tiennent à leur pudeur et respecte celle de l'autre. vivre dans la misère, la rue, ça change les perpectives, les points de vues, les relations entre les personnes. ils ne peuvent pas comprendre combien ils ont besoin l'un de l'autre tant qu'ils n'ont pas vécu ce par quoi ils ont dû passer. alors ils peuvent parler, eux connaissent la vérité.
en relevant les yeux vers sa soeur, román remarque le pansement sous son oreille. il ne fait pas de remarque. grâce aux caméras qu'il installe sur le lieu du crime avant que celui-ci ne soit commis, il a une idée de comment elle aurait pu se faire cela. il lui tend le dossier. « tu as une sale mine.» qu'elle lui dit dans leur langue natale.
- tant que ça ? demande-t-il.
il n'a jamais été un très beau garçon, en très bonne santé, bien bâtit, contrairement à sa soeur. il n'a donc jamais vraiment eu "bonne mine". « Tu ferais mieux de dormir, le café ne va pas te sauver éternellement. »
- j'ai jamais eu besoin de trop dormir de toute façon.
l'énergie lui manque tellement qu'il se laisse faire sans résistance lorsque nora l'assoit par terre. « Je ne fais pas tout ça pour rien, je veux que tu prennes soin de toi Roman. »
- promis, dès qu'on termine cette affaire, je me force à dormir trois journées entière, dit-il sans vraiment le penser mais pour rassurer sa soeur.
il ouvre la chemise devant eux.
- bon, je me suis dit que la meilleure façon, ce serait de le tuer chez lui.
il lui montre alors des photos de la maison.
- faire croire à un suicide. j'ai fait des repérages, je sais d'où est-ce que je peux superviser. y'a des caméras mais, comme d'hab je peux les freezer. le gars semble pas avoir de compétences en combat, donc pas trop de problème avec ça.
il énumère les faits, comme à son habitude. ils savent comment travailler ensemble. ils sont une équipe après une famille. mais ils sont d'abord une famille.

Son regard de pierre glissait sur les lignes du dossier et enregistrait chaque information utile à sa mission. Elle se souvenait encore de son premier contrat, de sa main tremblante et de son visage éclaboussé de sang. Les traits effrayés de sa première victime, le crâne explosé et sa cervelle répandue sur le sol. Elle avait vomi toutes ses tripes ce soir là et avait pleuré sous le jet brûlant de sa douche. Puis au fil des meurtres, son innocence avait succombé aux coups de la froideur. Elle était devenue ce que tout Etat s’arrachait, ce que tout chef souhaitait, une machine à tuer. Mais au fond, là où personne ne pouvait s’aventurer, là où le cœur pompait le sang pour nourrir les organes, là étaient les sentiments soigneusement cachés. Et seul Roman possédait la clé.

Ses doigts fins caressèrent le visage de la proie et son imagination fonctionnait déjà à plein régime sous les indications de son petit-frère. Elle écoutait toujours ses conseils parce qu’il était stratège et elle rusait. Il ne lui fallait pas plus de dix minutes pour esquisser la structure d’un plan et une bonne heure pour le finaliser. Puis le reste n’était que repérage et maquillage. Elle tourna les pages puis tourna la tête dans sa direction dans un petit sourire en coin, ce même sourire que possédait Morphée quand elle savait qu’elle ôterait une vie.

« Est-ce que je peux me faire passer pour une employée de maison ? A-t-il des rendez-vous professionnels chez lui ? » Elle se pencha sur le dossier et regarda de plus près les quelques informations concernant la cible. La première idée fut la pendaison mais c’était bien le plus dur à mettre en place, peut-être les flammes pourraient se nourrir de lui ? L’empoisonnement était le plus propre et invisible. Ce n’était pas les moyens qui lui manquaient. « Marié ? Divorcé ? Des enfants ? Je dois trouver un motif pour le suicide.» Elle rédigerait elle-même la lettre.

il ne parlait autant qu'en présence de sa soeur et lorsqu'il s'adressait à elle. même lors des rendez-vous en face à face ou par téléphone avec les clients lorsque ce n'était pas l'organisation qui les envoyait en mission il se contentait du strict minimum verbal.

- il avait une femme de ménage mais il l'a renvoyé,répond-il a la première question de son associée. il est très méfiant et paranoïaque en ce moment, parce qu'il sait que son rival professionnel va employer n'importe quels moyens pour le saboter. je pense - mais après c'est à toi de voir - que la meilleure option serait l'intrusion par effraction. Si tu peux l'attendre et le prendre par surprise, ce serait l'idéal.

à la seconde question de sa soeur, román cherche la feuille du dossier sur laquelle sont réunies ses informations personnelles. beaucoup de tueurs à gages ne se donnent pas la peine de faire des recherches sur la vie personnelle de leurs victimes, parce qu'il en résulterait plus difficile de séparer les sentiments de leur job, parce que ce ne sont pas leurs affaires, et pour éviter d'avoir des remords lorsqu'on considérait que cette personne ne méritait pas de mourir. mais Sherlock et Morphée eux, devaient tout savoir. parce qu'ils ne se contentaient pas de tuer un nom sur un bout de papier, mais une personne et tous les petits détails qui vont avec. c'est comme ça qu'on leur a enseigné le métier. peut-être est-ce plus cruel, mais román peut voir l'efficacité et la minutie que cette méthode apporte. et c'est pour ces qualités qu'on fait appel à eux.

- une ex-femme, aucun enfant. légitime du moins. on espère que son suicide sera associé au stress du travail et à sa paranoïa croissante.

c'est ce qu'ils espéraient, parce que leur victime n'avait rien d'un être faible qui renonce au moindre obstacle. un tyran fou, de ce qu'il avait comprit de son profil, mais probablement assez fêlé pour se suicider sur un coup de tête.