One night [Loan + Sasha]

J’ai encore du mal à m’octroyer des jours de repos. Depuis la perte de Stella, je me rue dans le travail pour éviter de trop penser. Je sais que je devrais passer plus de temps avec mes filles, mais rien que poser les yeux sur elles me rappelle à quel point leur mère me manque. Alors pour éviter de plonger un peu plus profondément dans l’alcool, je préfère bosser, et être assez fatiguée le soir pour m’écrouler de fatigue, plutôt que parce que j’ai bu quatre ou cinq verres de gin. Aujourd’hui, j’ai choisi de passer du temps avec Joy, ma petite dernière. C’est sans doute la seule à qui j’arrive à me raccrocher. Rylee ne vit pas à la maison, j’ai plus de mal à la voir, et Zoey est un vrai courant d’air. Elle était si proche de Stella que rien que dans parler l’irrite autant au moins que moi. Alors j’ai choisi de ne pas en parler. Pas encore. Il est vingt heures quand, affalée dans le canapé, je reçois un sms de Joy qui me demande d’aller récupérer un de ses classeurs de cours oublié chez son oncle Sasha. Elle est chez Roni, peut-être pour réviser, je l’ignore, elle est partie il y a un peu plus de deux heures. Résignée, je lui réponds évidemment que je vais le faire. J’appelle immédiatement Sasha, laissant un message sur son répondeur pour le prévenir que je vais passer récupérer des affaires de sa nièce.

J’arrive donc devant chez Sasha et sonne une première fois sans entendre autre chose que la musique à l’intérieur. Je sonne à nouveau et ce n’est qu’au bout de quelques minutes que j’entends un bruit de fracas derrière la porte, me faisant même sursauter. La porte s’ouvre finalement et je pose mon regard sur le corps à moitié vêtu de mon beau frête. Si j’avais aimé les hommes, il aurait pu me plaire. Ce n’est pas le cas. « Hey … Tu ne pourras pas m'enlever que je sais y faire dans le genre spectaculaire. » Je ne peux retenir un rire amusé et hoche la tête avant de me faufiler à l’intérieur comme il me le propose avec galanterie. « Ça a toujours été toi le clown de vous deux de toute manière… » Je connais Clyde depuis le lycée, et donc fatalement, son petit frère depuis tout aussi longtemps. « J'avais zappé ton message sur mon répondeur, la journée a été merdique. » Je grimace un peu et m’avance dans le salon pour le suivre. « Merde je suis désolée pour toi. » Je lui demanderai plus tard s’il veut en parler mais pour le moment il a l’air concentré sur ses recherches du classeur de Joy. Il finit par mettre la main dessus et je le récupère, le glissant immédiatement dans mon sac à main pour être sûre de ne pas repartir sans au risque de me faire décapiter. « Qu'est-ce que je t'offre ? » Je me laisse tomber dans le canapé en soupirant, réfléchissant à ce que je pourrai bien boire. « Tu as l'air aussi en forme que moi… » C’est peu de le dire ! « Ouais, pour ça que si t’as un truc corsé, je dis pas non. » En règle générale, j’aurai opté pour du vin, mais là je crois que j’ai besoin d’un remontant un peu plus serré. Peu importe ce qu’il ramènera, ça fera l’affaire. Glissant mes mains dans mes cheveux, j’essaie de me détendre un minimum, et Sasha est rapidement de retour. « Alors raconte, comment ça se fait qu’elle était aussi pourrie cette journée ? » Si je ne veux pas parler de moi, autant lui poser des questions.

 « Y'a pas mort d'hommes. Rien de bien grave, y'a des jours où le boulot te donne juste envie de vite retrouver ton lit douillet aussitôt arrivé. » Je hoche la tête. Je connais ça. Enfin, pas forcément au boulot, parce que pour ma part ça se passe plutôt bien dans l’ensemble, ça doit aider d’être son propre patron. J’ai longtemps fait des boulots qui me plaisaient pas, avant de trouver ma voie. Et ça a pris du temps. Je demande à Sasha quelque chose de fort, j’en ai besoin, surtout depuis la mort de Stella. Mais je n’ai pas envie d’en parler, pas envie non plus d’y penser. Une fois calée dans le canapé, je lui propose de me parler de ce qui le tracasse. Loin de moi l’envie de jouer les psy, je m’enquiert juste de sa vie, comme l’amie que je suis. Il me raconte alors ses histoires de boulot. Je suis attentive même si j’y comprends rien, je ressens juste son agacement. Sasha n’est pas vraiment branché technologie de ce que j’ai pu comprendre, c’est un choix que je respecte. Je tente de boire doucement mon verre même si j’ai un peu envie de les enchaîner pour continuer de faire taire mon cerveau, mais ça se fait pas, alors je me la joue cool. « Raconte moi un peu, qu'est-ce qui se passe de ton côté ? » Je secoue un peu la tête et lève les yeux au ciel. « Oh, rien de bien fou, la vie qui continue son cours alors que je me demande encore pourquoi elle et pas moi, tu vois, ce genre de trucs quoi. » Ce genre de trucs auquel on n’échappe pas quand on perd quelqu’un de cher. On se demande toujours pourquoi eux et pas nous. C’est difficile à gérer. Je termine mon verre et regarde Sasha chercher quelque chose dans un léger bordel qui semble un poil organisé. Un poil. « Tu te rappelles de ça ? » me demande-t-il en me tendant un photo. Joy et Rylee déguisées en animaux sauvages, pendues par les pieds à un arbre. Je me mets à rire tout en récupérant la photo pour la regarder. Joy n’avait que quatre ou cinq ans et Rylee était une pré-adolescente, il me semble de mémoire que c'est Zoey qui prenait la photo, déguisée elle aussi. Les moments de cette période étaient heureux, ils l’ont tous été, jusqu’à mon divorce avec Stella, jusqu’à ce que Zoey cherche à me renier, jusqu’à l’accident, jusqu’à la mort. Tout me ramène à la perte de Stella et c’est une boule dans la gorge que je finis mon verre pour m’en re servir un nouveau. « T’as pas des photos de l’anniversaire de Joy, celui où elle avait voulu aller le fêter à Disney et qu’elle s’était mise à pleurer d’avoir pu rencontrer une princesse… Elle avait à peu près le même âge, peut-être juste un peu plus vieille. » Finalement, ce n’est pas plus mal de me remémorer ces souvenirs avec Sasha.

 « J'devrais te frapper de plomber l'ambiance comme ça » C’est moi qui le frappe d’un coup de coude pour avoir dit ça tout naturellement. C’est vrai que je plombe un peu l’ambiance, mais en même temps je ne suis pas au mieux de ma forme, et j’ai du mal à faire semblant. Je devrais essayer parfois, mais quand vient le soir c’est encore plus difficile. Sasha me montre une photo de mes filles et je retrouve un peu le sourire, lui demandant s’il en a d’autres, notamment celles de l’anniversaire de Joy à Disney qui est mémorable pour toute la famille. « Bon sang, elle qui pleurait et moi qui riait à gorge déployée, arguant que je la renierais si elle voulait devenir une princesse et encore plus à l'image d'un Disney. » Je ris avec lui, je dois dire que ça fait du bien, j’en avais besoin. Sans vraiment m’en rendre compte, je continue pourtant d’enchaîner les verres d’alcool, tout en feuilletant l’album avec lui. En voyant le visage de Stella, nouveau verre, cul sec. « Ça vous avait fait marrer vous, de me voir terrasser par deux mômes. Le lendemain je recrachais encore de la pelouse … » Je glousse légèrement. « En même temps, voir un balaise comme toi battu à plates coutures par trois enfants. Ça donne de quoi alimenter les souvenirs jusqu’à la fin de leurs vies ! » Nous continuons de regarder les photos, et plus je vois Stella et plus je me sens mal. Je finis par grimacer un peu, lâchant un soupir, le forçant à refermer l’album de souvenir. « Bon, si on changeait de sujet ? » Ma tête commence à tourner un peu, je crois que ça me fait du bien. C’est l’effet agréable de l’alcool. « Et toi alors raconte… C’est quand tu que nous fais des gosses ? » Je ris un peu. Je suis sûre qu’il serait un bon père, il a toujours été très proche de mes filles, joueur, à l’écoute. Mais de là à vouloir devenir père c’est tout autre chose…

Sasha est adorable. Lorsque ma gorge se serre en voyant les photos de Stella, il vient me chercher pour déposer un baiser sur ma tempe, et me dire des mots gentils. J’ignore s’il a raison, si elle veille vraiment sur moi, sur les filles, si elle m’aime toujours ou pas. J’ai beaucoup de regrets, et j’ai bien peur que ça me poursuive jusqu’à ma tombe. Mais il est temps de changer de sujet si je ne veux pas sombrer dans un bad mood. Alors je lui demande s’il nous fera un jour des gamins lui aussi, histoire d’agrandir un peu notre jolie famille. « J'en ai déjà trois il me semble » répond-il en souriant, ce qui me fait esquisser un sourire aussi. Parce qu’il a toujours été proche de nos filles, et même si elles ne sont pas de lui, il a toujours été un oncle en or. « Je me consacre pleinement à leur accorder du temps tu sais, avoir un môme ne ferait que leur nuire ... et puis on ne peut imiter la perfection. » Je secoue un peu la tête, amusée, parce que ses arguments ne sont pas forcément bons, mais ils sont touchants. Il n’aurai peut-être jamais d’enfant, mais s’il n’en ressent pas le besoin, alors pourquoi se forcer ?

Sasha se jette d’un coup sur la table sans que je comprenne réellement pourquoi. Chercher la bouteille peut-être, et je me fous royalement de sa gueule. On a peut-être un peu trop bu, mais au moins je ne sens plus le poids du deuil sur mes épaules. C’est pour cette raison que l’alcool est mon ami depuis la mort de Stella. Mais il est aussi mon ennemi et ça, je n’en ai pas encore pris conscience. Il avoue avoir un peu trop bu, on est deux. Mais le voir là étalé sur la table, je ne peux m’arrêter de rire, et c’est pire encore quand il me demande de l’aide parce qu’il n’arrive pas à se relever. Je tente de l’aider, comme je peux, mais à cause du rire et de l’alcool, mes forces ne sont plus ce qu’elles étaient. Je lui grimpe dessus et récupère la bouteille avant qu’elle ne finisse de se vider sur le sol. « J’crois que ton tapis est flingué. T’as tout intérêt à l’emmener au pressing demain si tu veux pas que ton salon sente l’alcool pendant des mois ! » Je bois quelques nouvelles gorgées et referme le bouchon avant de poser la bouteille sur la table, et j’attrape le bras de Sasha pour le tirer et le ramener sur le canapé telle une loque humaine. « Je croyais que tu tenais mieux à l’alcool que ça camarade ! » Sauf que ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’en réussissant à le ramener sur le canapé, il s’affale littéralement sur moi. Ok. C’est bizarre là nan ? Et puis pourquoi je louche sur sa bouche ? Ça fait quoi d’embrasser une moustache ? L’idée m’a toujours repoussée, mais étrangement pas ce soir. Je dois vraiment être totalement bourrée.

Je me fous littéralement de sa gueule, parce que c’est drôle, que voulez vous ! Il n’arrive pas à tendre sa main correctement pour attraper une bouteille d’alcool. Je suis presque sûre que je tiens mieux que lui. Pourtant je suis une femme, mais faut croire qu’en ce moment, je suis pas mal habituée. « Avouons que pour une fois, j’en tiens une sévère ! » Je continue de me marrer bêtement. Quand on est bourré on a tendance à rire pour rien, c’est un fait. « J’avoue que là t’es complètement torché ! » Je ne pèse pas mes mots, je n’ai pas besoin. J’arrive à le tirer pour qu’il revienne sur le canapé mais dans la manoeuvre, j’ignore comment, il s’avachit complètement sur moi. Wow, je m’y attendais pas à celle là. Est-ce que… c’est ce que je sens ? Non parce que je connais pas ça ! Je sens ses lèvres qui s’approchent, pourquoi je ferme les yeux ? Mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine et une de mes mains vient même se poser dans le creux de son dos, naturellement. Naturellement guidée par l’alcool ouais ! On ne peut pas appeler ça un baiser, il y a eu frôlement oui, mais là par contre, son visage dans mon cou, je me surprends à pencher la tête pour lui laisser plus de place, le laisser m’embrasser. C’est une belle connerie mais ça me fait de l’effet sans que je ne comprenne pourquoi. « Stop ! Bordel ! Ça part complètement en vrille là » dit-il en se levant d’un bond, prenant de la distance pour arrêter ces conneries. Wow. Ouais, quand même. Je me redresse un peu et le laisse s’échapper, passant mes mains sur mon visage, et dans mes cheveux. « Lo ... ! Oublie ce léger dérapage, ok .. Pas de malaise entre nous, ok ? » Ça a l’air de l’avoir plus bouleversé que moi, de toute évidence. « Toi ou une autre, c'était juste l'appel du désir. Et je ne veux pas de ça avec toi. »[/color] Je lève les yeux au ciel et réponds du tac au tac « Merci ça fait plaisir ! » Je sais que c’est maladroit mais pas méchant, il veut juste me rassurer sur le fait qu’il n’ait jamais eu une attirance pour moi, c’est juste la situation qui a dérapé, c’est pas grave. « J'ai pas l'esprit tranquille à l'idée que tu rentres chez toi dans ton état. Tu peux dormir dans la chambre d'amis ou au moins t'y reposer le temps de aheum ... "décuver", y'a pas d'autres mots. » Je ricane un peu - l’alcool sûrement - et me lève en prenant appui sur le dossier du canapé. J’attends une seconde de réussir à trouver un équilibre - bien qu’un peu précaire - et le rejoins à la fenêtre en sortant une cigarette de mon paquet. Je l’allume à la fenêtre une fois près de lui. « Arrête de te justifier, il s’est rien passé. Et je vais dormir dans ta chambre d’amis oui, c’est plus judicieux t’as raison. » Il est pas question que je fasse de mes filles des orphelines. Perdre une mère c’est amplement suffisant. « Mais j’ai quand même une question. Enfin chez vous c’est… immédiat ? J’veux dire, enfin tu parlais de l’appel du désir, enfin j’ai bien senti ça a pris trois secondes… » Je baisse les yeux une seconde sur son pantalon et replonge dans son regard. « C’est donc plus mécanique que psychologique au final alors ? » Faut bien que je sois bourrée pour parler de ça comme ça.

Je l’avais pas vue venir celle là, faut dire qu’on est bien explosés aussi, on a (un peu) trop bu, et ça se fait sentir dans nos comportements. Sasha s’écroule sur moi, et moi je pose des questions bêtes. Mais ça m’intéresse. Ce sont des questions que j’ai déjà posé à son propre frère - qui lui n’a jamais essayé de m’embrasser - et j’aimerai avoir sa version des faits. « A croire que ça t'asticote un peu du côté des hommes … Non mais sérieux, si à l'avenir tu dois t'aventurer du côté obscure de la force, ce sera sans moi. » Je ris et secoue la tête. « Ça m’asticote que dalle, c’est de la curiosité pure et dure ! Et j’ai pas besoin de toi je te remercie ! » Je lui donne une claque sur le haut du bras avant de terminer ma clope, et Sasha m’emmène avec lui dans la cuisine où il a fait couler du café. « J'y renonce de mon côté, tant pis, à part si tu en veux une tasse. Je n'ai qu'une envie là, c'est m'effondrer sur mon lit. » Je secoue la tête. « Si je bois un café maintenant, je dormirai pas, et là je crois que j’ai juste besoin de sommeil. » C’est plus judicieux. Alors je le laisse me guider jusqu’à la chambre d’amis, et lui demande de me prêter un t-shirt pour la nuit. On dirait une putain d’ado dans le t-shirt de son boyfriend, mais merde j’ai pas loin de 50 balais ! Je m’effondre comme un bébé dans les draps pour une nuit profonde comme je les aime. En ce moment, c’est exactement ce dont j’ai besoin.

FIN