vénus entre tes doigts. (leomy #2)

quelques jours depuis la reprise. le point positif c'est que je n'ai pas encore eu à faire de scène très importantes avec leonie. depuis cette soirée pour les fêtes de fin d'année, silence radio. ça a été compliqué mais je crois que j'en avais besoin. elle m'a manqué, je ne peux pas dire le contraire. bien souvent j'ai cherché son numéro pour l'appeler ou lui envoyer un message pour lui raconter quelque chose qui ce serait passer dans la journée. jusqu'à ce que je finisse par la supprimer de mes contacts. au pire si j'ai besoin de son numéro je pourrai le demander à quelqu'un en prétextant avoir changé de téléphone ou je ne sais pas quoi. ou passer par son agent... totalement anti personnel mais bon. à la guerre comme à la guerre. sauf qu'aujourd'hui, c'est compliqué. j'ai lu le script, comme elle a du le lire. première scène de sexe entre sinéad et noreen. pour cimenter leur relation, pour prouver que ce n'est pas que platonique. alors oui, je sais que c'est moi qui ait cherché, demandé, harcelé les producteurs pour que cette relation ait lieu mais franchement aujourd'hui, je m'en veux énormément d'avoir pu penser que c'était une bonne idée. surtout que dans la scène, c'est sinéad qui a le dessus. donc moi. la méchante sorcière qui contrôle la gentille. un cliché mais il parait que c'est plus réaliste. je me laisse porter par le tournage, j'ai appris mon texte, j'ai mémorisé les gestes que je dois faire. mais l'embrasser aujourd'hui, c'est compliqué. c'est surjoué, c'est exagéré, c'est pas réaliste. en bref, c'est n'importe quoi. et on doit bien s'en rendre compte sur le tournage parce qu'au bout de douze prise, on impose une pause. je soupire de soulagement et enfile mon peignoir, n'étant vêtue que de sous vêtements, avant de sortir de la zone de filmage. je respire en prenant de grandes bouffées d'air comme pour me vider de tout le stress accumulé à tenter de faire cette putain de scène. le réalisateur et le scénariste débarquent en papotant entre eux avant de m'apercevoir. " ça va toi ? t'as pas l'air dedans aujourd'hui. " c'est le moins que l'on puisse dire... " oui juste un peu de fatigue... et puis surtout... je sais pas. je commence à penser que ce rapprochement entre sinéad et noreen c'était une connerie. " je hausse les épaules, balance ça comme si je demandais un café. ils me regardent avec les yeux écarquillés. forcément depuis le temps que je les emmerde avec ça, ils ne comprennent pas ce revirement de situation. y'a des "pourquoi" et des "comment" ainsi que des "qu'est ce qu'il se passe" qui fusent autour de moi.  " c'est parce que c'est leonie ? le fait qu'elle soit hétéro ? " la question est posée plus doucement. ils savent pour ma sexualité, ils croient savoir pour la sienne. et à nouveau je hausse les épaules. " ouais certainement. elle doit pas savoir y faire, j'en sais rien. " oh que si je le sais. et elle sait très bien y faire. mais pour une fois ses mensonges vont me servir. enfin... la pause est finie, faut retourner en scène. on ne peut pas annuler la scène, pas comme ça, pas aussi abruptement. alors je vais tenter de donner le change en espérant que finalement, sinéad et noreen finissent tranquillement avec des mecs chacune de leur côté.

Partagée. Partagée entre l’envie de reprendre le boulot, le tournage, et la peur de retrouver Romy. La dernière fois qu’on s’est vues, ça a été un carnage, elle m’a beaucoup blessée, je crois que j’en ai fait autant, et j’ai passé des semaines entières à culpabiliser, autant qu’à être remontée contre elle. Et puis ça s’est apaisé, un peu, j’ai eu envie de l’appeler, souvent, mais jamais eu le courage. Je me demande bien ce qui cloche chez moi. Je sais que c’est elle, je sais que c’est elle depuis le premier jour, et je suis pas foutue de me l’avouer pleinement, et de l’assumer, surtout. J’ai passé tout ce temps à potasser le scénario pour la reprise, je connais toutes mes scènes par coeur, je connais même ses répliques à elles, c’est pour dire. Alors quand vient le retour sur les plateaux, c’est un peu difficile. La reprise, les scènes avec Romy. J’arrive à peu près à gérer pour les scènes habituelles, on ne tourne pas beaucoup ensemble, pour ainsi dire pas du tout jusqu’au jour du tournage de LA scène. Si j’étais stressée le jour où on a dû tourner la scène du premier baiser, là c’est encore un cran au dessus, et je ne suis pas du tout à l’aise. Je choisis pourtant de faire un effort, je fais ce que je peux, mais je flippe, je flippe qu’on puisse sentir à l’écran que je suis naturelle, que j’aime l’embrasser, la caresser. C’est pourtant ce qu’on me demande, de jouer la fille amoureuse. Mais merde JE SUIS amoureuse, et c’est bien là le problème. Seulement vêtue d’un ensemble de sous-vêtements très minimaliste, couleur chair, je quitte mon peignoir pour me faufiler sous les draps avec Romy. Malaise puissance mille. Mon coeur bat à tout rompre, je suis presque sûre qu’on peut l’entendre, qu’elle peut l’entendre. Je me concentre, je donne ce que je peux mais après une dizaine de prises, ça ne va toujours pas. On est pas dedans, ni elle ni moi. J’aurai préféré que ça se fasse en one shot, on en aurait plus parlé. Mais ça aurait été beaucoup trop facile, bien sûr.

La showrunner demande une pause, et Romy s’empresse de quitter le lit que nous occupions pour la scène. J’en fais de même, m’efforçant de ne pas laisser glisser sur elle mon regard au risque que quelqu’un le surprenne. Je m’éloigne un peu pour essayer de souffler, me calmer, me détendre. Mais j’entends la discussion de Romy avec un membre de l’équipe, et ça me vrille l’estomac, presque autant que le coeur. ‘Elle doit pas savoir y faire’ dit-elle. Putain pourquoi j’ai envie de chialer ? Retiens-toi Leo, c’est pas le moment. Pas le temps de repasser au maquillage. Je ravale mes blessures et mon ego, fais quelques pas pour me dégourdir les jambes et tente de me reconcentrer mais j’entends ses mots en boucle dans ma tête. Fait chier. « Leonie ? On reprend c’est bon pour toi ? » La boule dans la gorge, je me contente d’un hochement de tête et reviens prendre ma place dans le lit, alors que Romy en fait autant. Ok. On se concentre. Préparation. Action. Premier baiser, celui là passe plutôt pas mal, après quelques légères lignes de texte qui visent à faire comprendre que mon personnage est encore un peu hésitant. Mais très vite, mes gestes se succèdent, et je prends davantage d’initiatives. Comme si inconsciemment j’avais envie de lui montrer que non, merde, je suis pas celle qui ‘ne sait pas s’y prendre parce qu’elle est hétéro’. elle le sait pourtant mieux que personne.

je crois que depuis que j'ai commencé ma carrière d'actrice, c'est définitivement la pire scène que j'ai eu à tourner. pas parce que je ne connais pas mon texte, pas parce que le rôle ne me plait pas, pas parce que je n'aime pas le show. c'est juste... que c'est elle. que je dois jouer la nana amoureuse, alors que je le suis réellement. mais ça ne doit pas se voir. alors je dois jouer la nana qui n'est pas amoureuse mais qui tourne une nana amoureuse et au final c'est totalement le bordel. ma vie est un bordel. leonie est un bordel. je suis un bordel. franchement... je ne sais pas. je ne sais plus quoi faire. alors j'incrimine leonie, parce que c'est plus facile et que c'est eux qui m'ont tendu la perche. j'ai pas cherché plus loin. j'ai sauté à pieds joints. mon cerveau est dans un brouillard trop épais pour que j'invente une excuse plus plausible. alors ouais, voilà, tout est de sa faute. la pause est terminée et nous revoilà sur le tournage. je ne la regarde pas, je retire mon peignoir, je fais tout paraître la plus naturelle possible. mais clairement on dirait juste que j'ai un balai dans le cul. je m'installe sur le lit et jusqu'à ce qu'on dise "action", je reste dans cette espèce de bulle épaisse et totalement surfaite. et le mot magique arrive. le regard que je prends est celui de sinéad. sure d'elle. prête à affronter la gentille sorcière et sa folie qui va s'abattre sur elle. oui, je suis prête. je croyais être prête. je pensais être prête. mais leonie ... oh bordel je sais pas ce qu'il se passe mais leonie est différente. elle prend ma place. elle joue mon rôle. enfin elle joue toujours noreen mais c'est la gentille sorcière qui domine. loin du script, totalement à l'inverse d'ailleurs. ses lèvres sur les miennes. c'est différent. elle est réellement différente. j'aime pas ça parce que je perds pied. totalement. elle est entreprenante et me pique mes répliques. noreen devient sinéad. et je joue le jeu. parce que je suis incapable de faire autre chose. la scène se passe, ses mains sont sur moi, mes mains se posent sur elle. je la caresse, j'oublie totalement les caméras, j'ai juste envie d'elle. bordel c'est ça le soucis, j'ai envie d'elle. je ne suis plus maîtresse de mes mouvements et c'est seulement lorsque le mot "coupez" est prononcé que je réalise où je suis. j'ai le souffle court, les joues écarlates et le coeur qui bat la chamade. il faut que je m'échappe d'ici et vite. mais je suis comme figée sur ce putain de lit avec leonie au dessus de moi. j'attends qu'elle bouge, qu'elle fasse quelque chose j'en sais rien. parce que je suis totalement paumée.

Je sais pas ce qui me prend, c’est un putain de coup de mon ego ça encore, celui qui supporte pas qu’on me colle une étiquette, celui qui jubile quand il a la possibilité de ‘montrer que’. Je le déteste. Et il fait sa foire depuis qu’il a entendu ce qu’on racontait sur moi, ce qu’elle raconte sur moi. Je veux lui prouver le contraire, je veux lui montrer qu’elle a tort, et à eux tous aussi, parce que non je suis pas juste cette fille coincée. Je peux les surprendre, je le sais. A vrai dire, eux, je m’en fous, je les ai déjà oubliés, à l’instant même où mes lèvres ont pris d’assaut celles de Romy. La scène se déroule, je montre un nouveau visage, ou du moins offre à l’équipe un nouveau visage du personnage que je joue. Noreen n’est pas seulement une gentille sorcière sage et bien à sa place. Preuve en est. Je prends des libertés, ça ne me ressemble pas. Je me fous d’entendre un ‘coupez’ parce que ce n’est pas ce qu’ils voulaient. Au moins je lui aurai fait comprendre à elle que je ne suis pas juste une fille coincée et ‘hétéro’ pour le public. Merde à la fin. La température grimpe, les secondes s’égrainent et je ne joue plus, je crois que c’est ça le problème. Et je crois qu’elle non plus ne joue plus. C’est comme si notre bulle nous avait retrouvées, comme si on l’avait laissée nous embarquer avec elle, laissant tout le reste disparaître petit à petit. Mon souffle est saccadé, je suis à la limite de glisser ma main dans son sous-vêtement couleur chair lorsque j’entends le mot ‘coupez’ pile au bon moment, ce qui me réveille instantanément de ce moment. Putain. Je me redresse, reprends conscience avec la réalité. Je suis quasi nue, au dessus d’elle, et l’équipe autour. « C’était très bien, génial même, complètement inattendu mais on garde. » On garde on garde. Quoi ? Mais non attendez c’est pas prévu comme ça ! Je me décale et m’assieds dans le lit près de Romy, tirant le drap pour cacher ma poitrine, cherchant à calmer mon souffle qui n’est pas le fruit de mon jeu d’actrice. Je me racle un peu la gorge, mal à l’aise. « On va juste refaire le début, avant que tout s’emballe, pour avoir un autre angle plus axé sur Sinead. Le reste on a ce qu’il faut, on vous épargne de la refaire. » Super. Merci. Trop aimable à vous. Je demande un verre d’eau, histoire de me calmer un peu. J’ose même pas regarder Romy, c’est trop bizarre. Je bois un coup, me racle la gorge, prends une grande inspiration et quand on nous demande si c’est bon pour nous, je hoche la tête et tourne cette dernière vers Romy pour vérifier que c’est bon aussi pour elle. J’espère qu’après ça on pourra avoir une pause parce que ça me retourne un peu trop le cerveau.

j’ai beau être actrice depuis une décennie, je me rends compte qu’il y a encore des choses qui me mettent à l’épreuve. ou bien c’est juste elle. juste elle qui me met à l’épreuve. j’en viens à oublier qu’on est en train de jouer, ça devient grave quand même. mes mains sur ses hanches, je suis à bout de souffle. je sens sa main sur mon ventre, je sais parfaitement où elle allait se glisser. et mon dieu que j’en crève d’envie y’a pas à dire. mais la réalité nous rattrape. on n’est pas seules. et même si voir deux nanas qui s’envoient en l’air ça peut faire du buzz, la série n’est pas devenue tout à coup un porno. elle a l’air aussi paumée que moi mais l’une comme l’autre, on ne doit pas le laisser voir… parce qu’on n’est pas censées ressentir quelque chose. même si c’est compliqué avec léonie, je sais très bien qu’elle ne jouait pas là. que c’était bien elle et pas noreen qui me surplombait. leo demande de l’eau et j’en profite pour me redresser et me recoiffer un peu. histoire de ne pas avoir de faux raccord. parce qu’au début de la scène je n’étais pas autant décoiffée que là. ” pas de soucis. je suis prête. “ je veux juste qu’on en finisse et que je puisse passer sous la douche pour me remettre de tout ça. une fois que leo est prête, on reprend. ça passe assez vite pour le coup. pas d’autres prises et le dernier “coupez” me soulage vraiment. c’est fini pour aujourd’hui. et j’en suis ravie. ” parfait. à lundi alors. “ j’attrape le peignoir qu’on me tend et m’enfuis le plus rapidement possible vers ma loge. être à l’abri et pouvoir souffler en toute discrètion. parce que j’ai l’impression d’avoir retenu ma respiration depuis bien trop longtemps. et je suis loin d’être une championne d’apnée. ” putain de bordel de merde. “ ça sort tout seul et ça fait du bien. j’extériorise, je souffle, je peste. tout ce que je n’ai pas pu faire là bas. j’évite juste de tout casser parce que je tiens bien trop à mes affaires. le week end va me faire du bien. une pause bien méritée. et pour la première fois, je suis presque contente de ne pas devoir travailler.