i need you sis' (dani)

" Aaaaaarg ! " Je peste, je rumine, je vais péter un plomb c'est définitif. Elle va me rendre folle. Je ne pensais pas qu'elle serait encore capable d'avoir ce genre de pouvoir sur moi mais il faut croire que si. Sur tous les chauffeurs de taxi qui existent à Los Angeles, il avait fallu que je tombe sur elle. Nyx. Elle ne pouvait évidemment pas rester dans mon passé, enfermée, bien à l'abri. Non, ce n'était pas possible ça visiblement. Il ne faut pas que j'y pense, c'est ce que je me suis dit. Sauf que ça fait quelques jours que maintenant, mon esprit n'est envahi que par ces perles bleues qui flottent inlassablement. Oui, définitivement, elle va me rendre folle. En sortant des cours, j'ai pris l'habitude de prendre le bus. Je ne veux plus me retrouver dans cette situation. C'est un non que je clame haut et fort. Je me suis juste arrêtée avant dans une supérette non loin du lycée. Tequila, limonade, citrons, sel, choses à grignoter et une bouteille de punch si jamais il n'y en a pas assez avec le reste. Je risque de passer pour une alcoolo mais tant pis. On dira juste que c'est une prof qui veut s'amuser un vendredi soir, voilà tout. Une bonne demi heure de trajet plus tard, j'arrive au numéro 72. Je me dis que ce ne serait pas une mauvaise idée de me trouver un appartement, mais je ne roule pas sur l'or. Et je crois que j'ai plus que jamais besoin d'être proche de ma soeur. D'ailleurs, je ne compte pas boire seule ce soir. Et je ne lui laisse pas vraiment le choix. Je me suis assurée qu'elle était libre avant, avec ses trois boulots là, c'est parfois dur de se retrouver. Je la soupçonne elle aussi de se réfugier dans le travail pour ne pas penser à tout ce qui lui arrive. C'est pas la joie non plus. Ah qu'elles sont belles les filles Hawkins. Je pousse la porte et cherche à savoir qui est présent. " Hey ho ! Je suis rentrée. " Pas de réponses. J'avance vers la cuisine où je dépose toutes mes courses et mets une pizza au four. Je vois un mot sur le frigo et un autre sur la table. Mon père est à une soirée poker, ce qui est bien, il ne se laisse pas abattre, il sort, il voit ses amis. Et ma nièce, dans sa grande bonté nous indique juste qu'elle ne sera pas là ce soir ni cette nuit. Surement en soirée chez une amie ou autre. Enfin, elle fait ce qu'elle veut, je la cuisinerai demain. Mais ça veut dire qu'on est tranquilles pour la soirée. " Parfait ! " En attendant ma grande soeur, je coupe les citrons en quartiers, je les dispose dans une assiette après avoir mis la limonade au congélo pour qu'elle refroidisse plus vite. Je sors deux shooters et les place sur le plateau. Voilà, c'est prêt ou presque. Et juste à ce moment, la porte s'ouvre. " J'espère que tu n'as pas prévu de bosse demain parce que tu ne seras pas en état. " Et comme preuve de ce que j'avance je sors la limonade, la pose sur le plateau et y place également la tequila.

Je ne sais pas où est partie ma vie. Un jour, tout va bien et je me sens la force de voler vers le ciel ; le lendemain, tout s’effondre et j’ai l’impression de m’enfoncer six pieds sous terre. Quand est-ce que tout était parti à vau-l’eau ? Quand est-ce que tout avait pris feu pour ne laisser que des cendres ? Le souvenir de l’accident me traverse l’esprit et il y a la douleur dans mon épaule qui se réveille soudainement. J’observe la grande cicatrice sur mon bras – elle est encore rouge, sensible au toucher. Et j’ai comme une pierre qui me tombe dans la poitrine. C’était de là que tout était parti. C’était de là que tout s’était enfui. Et ce n’était plus qu’une virulente descente en Enfer qui ne semblait plus en finir. C’était un peu comme me noyer, lentement, cependant que je sens l’eau envahir ma cage thoracique. Je n’en peux tout simplement plus. Je me sens lasse de tout. Ma mère est décédée, ma fille me hait, le père de ma fille nous traite désormais comme des objets usagés, ma femme ne supporte tellement plus toute cette lourde ambiance qu’elle a fini par déménager. Et moi, je ne sais tout simplement pas quoi faire pour ne pas perdre pied pour de bon. Je ne sais pas quoi faire pour continuer d’avancer. J’ai l’impression de me traîner comme une âme en peine, d’errer dans un monde qui ne veut pas de moi. Ce soir, mon père est parti à une partie de poker et ma fille a décidé qu’il était plus amusant de passer la nuit en compagnie de ses amies qu’avec moi. J’ai bien essayé de la retenir mais la discussion s’est soldée par des cris de sa part et moi qui baisse encore une fois les bras face à sa haine douloureuse. J’ai voulu m’enfermer dans mon petit bureau et travailler un peu sur ms prochaines illustrations mais je n’ai pas supporté le silence de la maison.

Alors je suis sortie un moment, j’ai avancé au hasard dans les rues du quartier en espérant semer mes idées noires en chemin. Rien n’y a fait – elles m’ont poursuivie, s’agrippant à moi comme des sangsues. Dépitée, je fais demi-tour et décide de rentrer chez moi. Quitte à broyer du noir, autant le faire devant une émission idiote à la télévision. Quand je pousse la porte de la maison, je retrouve ma sœur et son petit air de friponne qui me fait toujours sourire avec douceur. Heureusement qu’elle est là, avec moi. Je crois qu’elle est le dernier petit rayon de soleil dans mon paysage. « Je suppose que je peux prendre une journée de repos, je rétorque avec amusement. Et je connais bien la co-gérante du Planet alors ça aide. » Mon sourire se fige un peu mais je me force à ne pas laisser la mélancolie m’attraper à nouveau. Je suppose que ce n’est pas le moment de penser à Nieves ; je suppose que ce n’est pas le moment de plomber l’ambiance. « Est-ce qu’on fête quelque chose ? je demande curieusement cependant que j’observe tout ce que ma sœur a pu disposer sur le plateau. Ou tu as passé une sale journée à cause de tes petits monstres ? » Je ris un peu, même si le cœur n’y est pas. Quelle importance de savoir pourquoi Logan a décidé de boire ce soir. Ça ne peut que nous faire du bien et tant pis pour demain. Tant pis pour la gueule de bois et les trous noirs. Ce n’est pas comme si j’avais à sauver les apparences devant quelqu’un désormais. Nieves ne rentrerait pas. Nieves ne rentrerait probablement jamais et ma fille se fichait pas mal de ce que je faisais.

J'ai la tête en vrac, l'estomac à l'envers et le coeur en berne. C'est le bordel mais il faut que je me reprenne. Ou que je noie tout ça dans l'alcool. C'est une idée aussi et c'est celle que je choisis. Mais comme c'est triste et totalement déprimant de le faire seule. Heureusement que ma soeur arrive. Ma proie. Elle va pas y échapper celle là. Surtout que ce n'est pas la grande forme elle non plus. Comme ça, on sera deux désespérées avec de la tequila et une pizza. Quel beau tableau. Quelle fière allure elles ont les soeurs Hawkins. Elle arrive, je la regarde, je ne lui laisse pas le choix. Non, pour ce soir elle est à moi. Et vu le programme, bosser demain ne semble pas être une très bonne idée. Je ne relève pas la remarque sur Nieves. C'est la merde en ce moment même si je ne comprends pas tout. Je sais juste que la brune n'est plus à la maison et ce depuis que j'ai emménagé. Je sais que ce n'est pas de ma faute mais je ne comprends pas la finalité de l'histoire. Peut être ce soir, peut être pas. En fait, ce serait bien que si. Que je ne pense pas à mes propres problèmes. Ce n'est pas la même chose mais c'est le même organe qui est touché. Foutu coeur à la con. Quelle peut bien être la raison de cette soirée ? Elle a tort comme elle a raison finalement. " Rien à fêter enfin je ne pense pas sauf si toi de ton côté... sinon non. " J'apporte le plateau sur la table basse du salon et le dépose avant de revenir vers ma soeur. Je colle mes lèvres sur sa joue dans un baiser bruyant. " J'ai juste besoin d'oublier pour ce soir. De boire, d'avoir mal au crâne très certainement demain, de rire et de passer du temps avec toi. " Plutôt bon résumé finalement. Puis je me connais, l'alcool va délier ma langue et probablement la sienne aussi donc surement quelques pleurs et plaintes parmi tout ça. On n'y coupera pas je pense. " Sers les premier shooters je ramène la pizza. " Je sors la bestiole du four, prédécoupe les parts et les mets dans un plat. Je prends juste des serviettes en papier, pas besoin d'assiettes, les Hawkins ne sont pas des princesses. Faut juste pas tâcher le canapé c'est tout. Mais bon avec assiette ou non, une fois qu'on aura bu tout peut arriver.

Je crois que j’aurais voulu une bonne nouvelle pour ce soir. Un truc léger, un truc qui donne le sourire. Un truc qui fasse oublier la grisaille du quotidien qui semble m’embrumer l’esprit. Mais il faut croire que la vie n’est pas tendre en ce moment avec les filles Hawkins. Je manque de soupirer de déception quand Logan m’apprend qu’il n’y a rien à fêter de son côté – c’est juste histoire d’oublier les merdes qui nous tombent sur le coin du nez. « Non, non, rien à fêter de mon côté non plus, je réponds d’un ton morne dans un pauvre sourire avant de détourner les yeux. » Qu’y aurait-il à fêter ? Je n’aurais pas le cœur à célébrer ma séparation, ma vie qui part à vau-l’eau, ma fille qui me hait pour un accident que je n’ai pas causé. Le baiser trop bruyant de ma sœur parvient à m’arracher un véritable sourire, l’espace de quelques secondes. Heureusement qu’elle était là pour me rappeler qu’il y avait des gens qui m’aimaient encore. Je l’observe silencieusement s’occuper de tout, bien contente de me laisser porter pour une fois. De lâcher prise. Ou peut-être ai-je toujours laissé les autres décider pour moi et alors c’était ce qui m’avait amenée là où j’étais aujourd’hui ? Dans le vide. Entre nulle part et un gouffre sans fond. « Ça me paraît être un bon programme, je lâche avec un hochement de tête. On aura mal au crâne à deux demain, comme ça. » Si j’avais été seule, je suppose que j’aurais simplement sorti le pot de glace du congélateur plutôt que de noyer la souffrance et les larmes dans l’alcool. Mais que ma sœur m’accompagne parvient à me déculpabiliser – un peu. Qu’est-ce que ça pouvait faire, après tout ? Personne n’en saurait rien.

Obéissant sans broncher lorsqu’elle me demande de servir les verres, je m’exécute avec application. J’observe le liquide ambré qui se verse dans leurs récipients, pensant automatiquement à mon travail au Planet. Et bien sûr, penser au Planet me fait automatiquement penser à Nieves. Après tout, c’était elle qui m’avait permis d’être engagée au bar, histoire de pouvoir arrondir les fins de mois parfois difficiles. Me mordillant la lèvre inférieure, je tente tant bien que mal de me recomposer un visage convenable lorsque Logan revient avec la pizza toute chaude. L’odeur est alléchante mais je sens comme un haut le cœur dans ma gorge. Je me force quand même à piocher une part, mordant à pleine dents dans la pâte molle au goût trop prononcé de fromage. Enfoncée dans les coussins du canapé, les jambes relevées contre mon buste, je mâchonne un moment en silence avant de lancer tout à trac : « Ma fille a préféré sortir avec ses copines ce soir, plutôt que de rester avec moi, sa mère. » Mais cela n’avait finalement rien d’étonnant et je ne comprenais pas pourquoi ça me blessait tellement. Ce n’était pas la première fois que Jane me crachait au visage toute sa rancœur et sa frustration – c’était mon lot quotidien depuis l’accident. Alors ce n’était pas comme si je n’avais pas l’habitude ou que je ne connaissais pas les raisons de cette situation. C’était juste douloureux. Douloureux parce que je voulais tuer cette distance entre elle et moi mais sans y arriver. Sans parvenir à atteindre à nouveau celle que j’avais mise au monde il y a dix-huit ans. Je soupire, consciente d’être finalement de mauvaise compagnie pour Logan qui avait sûrement envie d’un peu de légèreté. « Désolée, il vaut mieux parler de choses plus sympas, j’admets avec un pauvre sourire d’excuse. Tes élèves n’ont pas raconté de bêtise aujourd’hui ? » C’était toujours mieux que de me morfondre et d’entraîner ma sœur avec moi dans cette spirale infernale.

Elle non plus n’a rien à fêter. Qu’elles sont triste les soeurs Hawkins. Faut dire qu’en ce moment, j’ai l’impression que c’est un peu le bordel partout. On essaye de se concentrer sur le futur, se dire que l’année qui arrive sera toujours meilleure mais alors franchement, l’année 2018 me semble bien partie pour être une belle année de merde. Enfin, on peut toujours avoir des surprises mais j’ai du mal à être optimiste sur la suite. Mais mon programme pour la soirée semble lui convenir également. Au moins elle ne part pas s’enfermer dans sa chambre. On ne va pas refaire le monde ce soir mais au moins suffisamment boire pour avoir mal au crâne demain. C’est un programme comme un autre. Je m’occupe de la pizza, lui demande de servir les verres. Au plus vite. Qu’on puisse commencer la soirée rapidement. On attend personne de toute façon. C’est entre nous deux. Juste nous deux. Tragique quand on y pense. A 38 et 30 ans, on ne peut compter que sur sa soeur. Enfin, heureusement que je l’ai, c’est surtout ça. Même si j’ai passé cinq ans loin d’elle, je n’ai jamais rompu le contact et sa présence, même par téléphone, mails ou sms m’a toujours fait énormément de bien. Je ramène la pizza, la dépose sur la table et prends une part juste après Dani. Je l’enfourne rapidement dans ma bouche. J’ai besoin de gras, qu’il m’entoure, me protège. C’était déjà comme ça lorsque j’étais gymnaste mais je ne pouvais me laisser aller comme je le souhaitais. Mon corps était mon instrument à ce moment là, je ne pouvais pas en faire ce que je voulais. Maintenant… Okay je suis prof de sport mais je m’en fous. C’est pas moi qui fournit l’effort, ce sont mes élèves après tout. J’entends ma soeur parler de Jane et je souris doucement. ” Parce que tu voulais passer du temps avec maman quand t’étais ado toi ? Parce que moi non. “ Je ne sais pas si j’étais une ado rebelle. Peut être un peu mais il n’y avait que la gym qui comptait. Alors c’est vrai que ma mère à ce moment là, je m’en foutais un peu. Maintenant qu’elle est décédée, je ne sais pas si je le regrette réellement. C’est peut être dur de penser ça mais c’est comme ça. Oui évidemment je suis triste. Mais je ne peux pas regarder en arrière de cette façon. J’ai vécu mon rêve et c’est le principal. Je ne pense pas être égoïste pour le coup. C’est juste une manière de voir les choses. Dani dévie le sujet. J’ai l’impression qu’il va falloir bien plus d’alcool que ce que j’ai prévu. Elle me pose une question mais n’y réponds pas de suite. J’attrape mon verre et le bois à moitié. ” Dès qu’on pense à un truc qui nous rend triste ou nous fait du mal, on boit. J’pense qu’on va vite être bourrée. “ Je souris néanmoins en repensant à sa question mes élèves. Ouais, un sujet basique, pour ne penser à rien de triste. Enfin. ” Je ne les laisse pas parler, ils sont bien trop essoufflés. Même si j’en ai une qui m’a sortie qu’elle ne pouvait pas courir parce qu’elle a fait une prise de sang hier et qu’elle se sentait faible. Je sais que les gosses de nos jours sont fragiles mais là quand même… Du coup elle a rangé tous les dossards et les ballons. Je pense que c’est la dernière fois qu’elle tente de me sortir une excuse vaseuse. “ Je rigole et mord à nouveau dans ma pizza. Un soupire et je me cale bien au fond du canapé juste après avoir récupéré mon verre. ” J’ai revu Nyx. “ Et à peine le prénom est prononcé, je bois ce qui me reste en grimaçant.

Ma sœur a raison quand elle me fait remarquer que les adolescents n’ont jamais aimé passer du temps avec leurs parents. Bien sûr, c’est l’âge rebelle, c’est l’âge des découvertes. C’est l’âge où on refuse toute autorité, où on la remet en question. Et je comprenais tout ça. Je comprenais que Jane ait besoin de liberté, de ne pas avoir sa mère qui lui colle aux basques toute la journée. Et cette idée me paraissait acceptable dans une moindre mesure. C’était seulement que mon enfant me manquait, voilà tout. « Oui, tu as raison, j’admets avec un sourire contrit. Quel ado digne de ce nom voudrait passer du temps avec sa pauvre mère ? » Je laisse échapper un léger rire, sans conviction. Parce que j’avais beau me dire et me répéter que Logan avait raison, il n’en restait pas moins difficile pour moi d’accepter que Jane ne me regarde plus que comme une étrangère dans ma propre maison. Jane me détestait. Elle me tenait responsable de son accident – un peu à raison. Alors que moi, tout ce que je désirais, c’était la retrouver. Retrouver ma petite fille, comme avant. Mais quelle petite fille irait préférer sa mère quand son père est déjà le super-héros de ses rêves ? acquiesçant distraitement à la proposition de ma sœur, je bois directement une gorgée comme dans l’espoir de faire partir la douleur intenable qui semblait avoir pris place au creux de ma poitrine. Logan avait raison : nous allions vite terminer la tête et le reste complètement retournés. Mais ce n’était peut-être pas un mal, peut-être que j’avais le droit de m’accorder cette soirée pour tout oublier. Oublier tous les problèmes qui m’étaient tombés sur le coin du nez.

C’est simple de discuter avec Logan. Tout est simple avec Logan. Parce qu’elle me comprend sans avoir à m’entendre, parce qu’elle ne me juge pas. Parce qu’elle m’accepte pour ce que je suis : une femme sans une once de confiance et qui préfère vivre dans l’ombre. Elle finirait peut-être par en avoir marre de moi un jour, comme tous les autres, mais elle était encore là. Pour l’instant, Logan était encore là. « Tu es un vrai tyran, je ris doucement quoiqu’admirative de ma petite sœur. » Elle semble toujours si confiante et si tenace. C’était sûrement le sport à haut niveau qui l’avait rendue ainsi – si pugnace. Et ça devait beaucoup l’aider face à ses élèves. Moi, je sais que je n’aurais pas pu leur tenir tête. J’avais déjà du mal à me faire respecter par une seule adolescente, qui était ma propre fille de surcroît, alors je ne m’imaginais pas devant toute une classe. « J’ai l’impression que les jeunes de nos jours parviendront toujours à trouver des excuses pour ne rien faire. » C’était ce qui ressortait souvent des récits de Logan, en tout cas. Un peu pensive, j’imite ma cadette et mords dans une part de pizza. Je manque d’ailleurs d’avaler de travers quand le prénom qui travers les lèvres de Logan tombe entre nous comme une bombe nucléaire. Nyx. Des années qu’il n’avait pas été prononcé. Des années que je n’y avais pas pensé. Des années que j’avais préféré l’oublier elle et tout ce qu’elle avait fait vivre à ma sœur. Nyx était la raison pour laquelle Logan avait tant souffert, s’était éloignée de tous – y compris de moi. Observant la blonde avaler le contenu de son verre. « C’était quand ? Où ça ? je demande, presque à voix basse. Et comment tu te sens ? Est-ce que tu tiens le choc ? » Je me revois encore, au mariage de ma sœur, à les surprendre toutes les deux. Je me revois encore, à devoir expliquer la situation à tout le monde, à devoir m’occuper d’arrondir les angles quand tout partait à vau l’eau. Dis-moi que tu ne vas pas partir encore une fois, Logan.

Elle est d’accord avec moi quand je lui dis que nous plus jeunes, nous n’avions pas forcément envie de passer du temps avec notre mère. C’est dans l’ordre des choses, c’est comme ça. Bon, il y a des adolescents plus chiants que les autres. Mais dans l’idée, ça s’est toujours bien passé chez les Hawkins. Et ce n’était pas couru d’avance avec six filles à la maison. Pour ça, mon père est un héro. Définitivement. Sept blondes au tempérament de feu. Ca n’a pas été facile tous les jours. ” Faut que tu te reprennes. Ca va aller, Jane va se calmer. “ C’est vrai qu’elle n’hésite pas du tout à tacler sa mère la gosse. Et faire tampon entre les deux c’est parfois compliqué. Je ne perds pas confiance. Je sais que ça s’arrangera entre elles deux. Les blessures doivent juste se refermer. Le pansement, c’est elles deux. Ca doit juste faire tilt dans la tête de la gosse. En attendant et bien… buvons. L’alcool résout tous les problèmes parait-il. On verra bien si c’est vrai. On parle de mon boulot, je lui raconte la dernière excuse à laquelle j’ai eu droit. ” Que veux-tu, faut bien les bouger. “ Je rigole mais bon je n’ai pas à me plaindre non plus. ” Au moins j’ai toujours les garçons de mon côté ce qui n’est pas le cas pour d’autres profs. “ Non, ça c’est sur. Les garçons aiment le sport et j’ai l’impression que même les plus timides l’apprécient aussi. Peut être parce que les filles sont dans des tenues plus moulantes, ça les motive. Y’a de quoi, c’est certain. Je fais en sorte de rester assez sobre dans mes tenues mais bon, je ne vais pas faire du sport en sac poubelle. Et puis vient le sujet tant redouté. Nyx. Je lui dis simplement que je l’ai revu. J’évite pour l’instant les détails. Non, je me contente de boire. Bordel il va me falloir trois bouteilles pour oublier ce qu’il s’est passé dans ce taxi. Et encore, ce ne serait pas assez. ” Y’a pas longtemps… “ Je n’ai pas prévenue Dani tout de suite, j’avais besoin de faire le tri dans mes pensées bien trop en bordel pour sortir quelque chose de cohérent. ” Tu vas rire… Mais en sortant de cours, j’ai pris un taxi. Et le chauffeur et bien.. c’était elle. “ Tout simplement. Une putain de coïncidence. ” Ca va… Enfin je crois. Disons qu’on a parlé un peu avant que la voiture ne tombe en panne. Ouais, elle m’a fait le coup de la panne t’y crois toi ? Bon y’avait vraiment un soucis avec la voiture. Mais quand même. “ Je lève les yeux au ciel et me ressert un verre. ” Etj’aicouchéavecelleàl’arrièredelavoiture. “ Je prononce cette phrase d’une traite, dans un murmure presque inaudible que je finis de noyer avec le verre que j’avale d’un seul coup encore une fois. Je vais être morte demain, pas de doutes la dessus.

J’aurais aimé pouvoir croire ma sœur, croire que tout allait s’arranger. J’aurais aimé croire que Logan avait raison quand elle me disait que Jane allait se calmer. Mais Logan ne voyait. Elle ne voyait pas tout le mépris, toute la déception ; elle ne voyait pas toute la rancœur qu’il y avait dans les yeux de ma fille chaque fois qu’elle me regardait. « J’ai gâché sa vie, Logan, je rétorque presque muettement. Comment veux-tu qu’elle se calme ? Jamais elle ne me pardonnera pour l’accident. » Comment aurait-elle pu, d’ailleurs ? Comment aurait-elle pu me pardonner de lui avoir ôté tout espoir de percer dans la musique, de devenir une musicienne professionnelle ? Je soupire, le regard baissé sur mes propres mains. Si j’avais pu, si je le pouvais encore, je les lui donnerais sans hésiter une seconde. Je n’en avais pas besoin – pas autant qu’elle. Et même si ça signifiait ne plus pouvoir dessiner, ne plus pouvoir écrire pour moi, ça n’avait pas d’importance. Ma fille était, de toute façon, promise à un plus grand avenir que le mien – je n’avais pas le droit de l’en priver. Mais il y avait eu l’accident. Il y avait eu les blessures. Et il y avait maintenant ce fossé entre mon enfant et moi qui ne faisait que devenir plus grand, plus profond à chaque fois. J’aurais voulu trouver une solution, une solution qui permette à ma fille de se retrouver.

Entendre ma sœur me parler de Nyx me change un peu les idées. Me permet de penser à autre chose, de me concentrer sur quelque chose qui n’est pas Jane ou ma culpabilité. Dire que je suis étonnée que Logan ait revue Nyx serait mentir. Je me suis toujours douté qu’elles finiraient par se retrouver, surtout depuis que ma petite sœur était revenue parmi nous. Est-ce que savoir qu’elles se sont effectivement revues m’inquiète ? Oui. Un peu. Assez pour sentir comme un nœud dans mon estomac. La dernière fois que Logan avait vu Nyx, elle avait envoyé balader son mariage et une centaine d’invités pour partir au bout du monde et je ne l’avais pas revue pendant des années. Il avait fallu que notre mère décède pour qu’elle revienne auprès de sa famille. Je ne lui en voulais pas et ne lui en ai jamais voulu, seulement je n’étais pas prête à la perdre encore une fois. Pas maintenant. Pas alors que j’avais besoin de sa présence. Machinalement, je bois une longue gorgée de mon verre avant de sentir le liquide supposé me brûler délicieusement la gorge se coincer quelque part dans mon œsophage. J’essaye de contrôler une quinte de toux, le regard fixé sur la blonde qui semble dans ses petits souliers. Logan a toujours eu ce petit air coupable chaque fois qu’elle savait avoir fait une bêtise. « Pardon ? je lâche, les sourcils arqués, m’empêchant tout de même de sourire un peu d’amusement. Tu sais que tu n’as pas commis un crime, hein ? Tu ne vas pas aller en prison pour ça, rassure-toi. » Ce qui m’inquiétait plutôt, c’était que Nyx puisse profiter de ma sœur. Pourquoi profiterait-elle de Logan ? Je n’en savais rien. Je ne connaissais pas Nyx. Mais Logan était ma petite sœur, mon bébé de sœur et il était évident que Nyx arrivait toujours à la troubler plus que de raison. « Et comment est-ce que tu te sens par rapport à ça ? je demande finalement, les sourcils un peu froncés. Est-ce que tu regrettes ? Est-ce que tu penses que tu vas la revoir ? Tu lui as reparlé depuis ? » Est-ce qu’il me fallait sortir la fourche et aller frapper à sa porte ? Logan savait bien que je n’étais pas douée pour la bagarre mais j’aurais été prête à tout pour ma sœur.

Je sais qu'elle se sent responsable de ce qu'il s'est passé. Je ne peux pas la rassurer à ce sujet. Enfin, si je peux la rassurer mais je ne sais pas si ce serait dire la vérité. L'accident a été causé, ça c'est certain. Maintenant de là à dire qu'elle a gâché sa vie, je n'y crois pas. " Tu n'as pas gâché sa vie, elle a juste pris un autre chemin. Elle est en vie sans graves séquelles, tout comme toi. Oui c'est dommage, mais vous êtes en vie. " J'ai toujours été optimiste, c'est dans ma nature. J'ai réussi à rebondir après ma blessure et même si ça a pris du temps, je l'ai fait. Et si j'ai pu le faire, mon adorable et casse couilles de nièce y arrivera à son tour. C'est juste le soucis avec son père qui coince. Et si c'est un abruti, ce n'est définitivement pas de la faute de Dani. A part d'avoir procréé avec lui. Enfin.. C'est fait, c'est fait. Je suis certaine que Jane peut arriver à trouver autre chose ou même rejouer un jour. Peut être pas au niveau auquel elle était mais avec de la volonté... Malgré son côté bourrin et chieuse, ça reste une gamine perdue. Je soupire. Je ne sais pas si un jour j'aurai des gosses. Pas à cause de ma nièce, pas à cause de tout ça. Juste parce que je ne sais pas si j'arriverai à leur parler. Et avec mes soeurs j'ai moyen d'être la tatie cool. Je me contenterai de ce rôle là.

Je sais que de dire à ma soeur que j'avais couché à nouveau avec Nyx ne serait pas chose aisée. Même moi je trouve que ce n'est pas une bonne idée. Mais elle a une emprise sur moi, encore, malgré toutes ces années. " Pardon ? " Je n'ose pas la regarder. Je n'y arrive pas. Je me cache derrière ce verre vide en espérant être suffisamment dissimulée. " Tu sais que tu n’as pas commis un crime, hein ? Tu ne vas pas aller en prison pour ça, rassure-toi. " Je soupire. Je sais que je n'ai tué personne mais c'est quand même pas super glorieux. J'ai tout quitté à cause d'elle, j'ai changé de ville, je me suis exilée, je me suis éloignée de ma famille. Et là, je retombe dans ses filets, comme si de rien n'était. " Et comment est-ce que tu te sens par rapport à ça ? Est-ce que tu regrettes ? Est-ce que tu penses que tu vas la revoir ? Tu lui as reparlé depuis ? " Une avalanche de questions qui me tombent dessus. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Mon cerveau est en bordel depuis cette virée en voiture. " Je... " ... capitule. Je pose mon verre sur la table et me ressers. La bouteille ne va pas être suffisante, j'espère que le bar est rempli. " Pour être honnête ? J'en sais rien. Je sais pas si je vais la revoir, je sais même pas si j'en ai envie. Et si je regrette ? Non, pas vraiment. Mais je ne peux pas dire si c'était une bonne idée comme ça, dès la première fois où on se revoit. " Je vois mon verre et m'étale sur le canapé, la tête sur les genoux de ma grande soeur. " Je peux redevenir une enfant ? C'était simple quand il n'y avait que la gym qui comptait. " Les histoires de cul c'est compliqué mais si on rajoute le coeur à l'équation, ça devient hiroshima. " T'as des nouvelles de Nieves ? " Parce que là aussi, y'a du bordel. On est douées chez les Hawkins, vraiment.

Je savais que, quelque part, ma sœur avait raison pour Jane et moi. Oui, nous avions eu cet accident et oui, nous avions été toutes les deux blessées. Et oui, sa carrière dans la musique était (momentanément ?) terminée. Mais nous étions en vie. Nous étions encore de ce monde. Et c’était sûrement une bénédiction. Cependant, ma fille ne le voyait pas comme ça. Elle ne voyait pas la situation de la même manière, bien au contraire. Elle ne voyait que son futur gâché ; elle ne voyait que sa pauvre mère qui ruinait absolument tout. Surtout quand on me comparait à mon ex-petit-ami, ce père si formidable et parfait. À côté, j’étais juste une mère moyenne et peu habile. Jane préférait même Logan à moi. Parce que Logan était jeune et ‘cool’ et rigolote. Parce que Logan était la tante qui avait visité de supers endroits dans le monde, qui avait ramené avec elle des tonnes de souvenirs et d’histoires à raconter durant les dîners en famille. Je n’étais pas jalouse de ma sœur, juste un peu envieuse. Envieuse de ne pas être aussi ‘cool’ qu’elle. Envieuse de ne pas être aussi courageuse qu’elle. Je lâche un soupir, finalement sans répondre à ma cadette. Que pouvais-je lui répondre, de toute façon ? Il n’y avait rien à répondre, parce qu’il n’y avait rien à dire sur le sujet. Rien de plus que ce qui avait déjà été abordé.

Comme pour me changer les idées ou ne plus y penser, j’avale une gorgée de mon verre que je manque de recracher lorsque Logan me parle de Nyx et de leurs retrouvailles insensées. Je m’étais toujours demandé si la vie allait faire en sorte que leurs chemins se croisent à nouveau. J’avais bien compris que ma sœur avait beaucoup aimé Nyx, à l’époque. Après tout, c’était à cause de Nyx qu’elle avait tout quitté – mariage, ville, famille. Vie toute entière. Et on ne quittait pas tout du jour au lendemain pour quelqu’un qui ne comptait pas un minimum. « Peut-être que c’était une mauvaise idée, peut-être pas, je lâche en réponse. Ce qui est fait est fait maintenant. L’important désormais, c’est que tu saches ce que tu veux faire à présent. Tu es sûre de ne pas savoir si tu as envie de la revoir ? » Je ne pensais pas être d’accord avec le fait qu’elle puisse revoir celle qui avait tout brisé parce que j’avais peur que ma sœur ne s’enfuie à nouveau loin de moi alors que j’avais besoin d’elle plus que jamais. Mais je ne pouvais pas non plus aller contre sa volonté et contre ce que lui dictait son cœur. J’étais sa sœur, mon rôle était de la soutenir quelles que soient les décisions qu’elle prenait. Cependant qu’elle s’allonge, tête sur mes cuisses, j’observe son minois de petite fille et caresse tendrement ses cheveux avant de lui sourire. « Tu sais bien que c’est impossible, je lâche avec un regard désolé. On ne revient jamais en arrière. » Parce que si j’avais eu ce pouvoir-là, je l’aurais utilisé il y a bien longtemps déjà. Je soupire alors, sentant mes épaules s’affaisser un peu quand la benjamine des Hawkins me demande des nouvelles de mon épouse. « Non, pas vraiment. Je l’aperçois de temps à autre au Planet mais elle comme moi faisons en sorte de nous croiser le moins possible. » C’était un peu comme un accord tacite. Comme si nous éviter rendait la situation plus aisée. « Elle a laissé quelques affaires ici, j’ajoute sans trop savoir pourquoi – peut-être parce que l’idée me rassure quelque peu. Je suppose qu’elle viendra les chercher si elle en a besoin. En attendant, je la laisse… Je lui laisse de l’espace. » Même si ce n’est pas de ça dont elle a réellement besoin.

Je lui ai tout dit. Je devais le faire parce que c’est Dani, parce que c’est ma grande soeur, parce que même si c’est compliqué tout ça, je sais qu’elle ne me jugera pas. Je n’ai pas du tout besoin de ça, je me juge déjà assez moi même. ” Peut-être que c’était une mauvaise idée, peut-être pas. Ce qui est fait est fait maintenant. L’important désormais, c’est que tu saches ce que tu veux faire à présent. Tu es sûre de ne pas savoir si tu as envie de la revoir ? “ Je ne sais pas. J’en sais rien, ça c’est clair et net. je me remémore ça en tête depuis ce jour où je l’ai revu. ” Pour le moment non. Enfin je suis sure que je ne veux pas la revoir mais… Enfin… Peut être plus tard… “ Parce que je n’ai jamais pu me la retirer de la tête ça c’est certain. Oui, ça j’en suis certaine. Parfois j’aimerai que tout redevienne comme avant. Quand tout était simple. C’est pour ça que je me pelotonne contre elle, que je m’écrase contre son corps comme quand j’étais petite. Dani a toujours su me rassurer, toujours su prendre soin de moi. Je sais que c’est le rôle de la grande soeur que de faire ça mais ça me fait toujours plaisir. Je sens sa main qui me caresse les cheveux et je souris doucement. Oui, comme au bon vieux temps. Même si ses paroles brisent totalement la bulle dans laquelle je m’étais réfugiée. ” Tu sais bien que c’est impossible. On ne revient jamais en arrière. “ Je souffle d’un coup puis soupire. ” T’es pas drôle Dan… “ Alors je tente de changer de sujet. Je tente de balayer mes quelques problèmes en m’intéressant aux siens. Oui, je sais, c’est pas très fair play mais ça m’intéresse quand même un peu. Parce que même si la grande soeur doit être là pour la plus petite, je me dois d’être là aussi pour elle. ” Non, pas vraiment. Je l’aperçois de temps à autre au Planet mais elle comme moi faisons en sorte de nous croiser le moins possible. “ C’est pas cool tout ce qui leur arrive, c’est clair. Et ça me rend triste pour Dani. ” Elle a laissé quelques affaires ici. Je suppose qu’elle viendra les chercher si elle en a besoin. En attendant, je la laisse… Je lui laisse de l’espace. “ Je soupire à nouveau et me pelotonne à nouveau contre elle. ” Oui, tu as raison. Je crois… “ Oui, vraiment pas. Mais bon, j’espère que ça s’arrangera pour elle en tout cas.

J’accueille ma sœur contre moi, comme quand elle était petite. Comme quand j’étais celle vers qui elle se réfugiait à chaque bobo au cœur qu’elle recevait. J’ai l’impression de la revoir, petite poupée blonde aux grands yeux pleins de larmes et ma sœur n’a finalement pas changé. Pas totalement. À mes yeux, elle restera sûrement toujours la petite fille de mon enfance – celle que je devais absolument protéger envers et contre tout. Logan est perdue. Elle est comme engloutie sous des vagues de questionnements et d’angoisses qu’elle ne parvient pas à gérer. Le retour de Nyx dans sa vie, alors qu’elle ne s’y attendait pas, alors qu’elle n’y était pas préparée, a tout chamboulé. A tout renversé. C’est un peu comme si les fondements de son quotidien s’étaient retrouvés ébranlés, d’un coup, et qu’elle avait aujourd’hui peur de voir tout s’écrouler. « Alors prends le temps, je lui conseille doucement. Prends le temps d’y réfléchir, de peser le pour et le contre. Prends le temps de te poser les bonnes questions et d’y trouver les bonnes réponses. » Je ne savais pas vraiment si se rapprocher à nouveau de cette Nyx était une bonne chose. J’avais peur que ma sœur s’y écorche le cœur et le corps à nouveau. Elle avait déjà tant perdu, elle avait déjà tout quitté à cause d’elle. Je n’étais pas prête, égoïstement, à voir ma sœur s’en aller à nouveau. Mais je savais aussi que la brunette avait une importance certaine dans la vie de Logan. Qu’elle avait laissé sa marque en elle. Qui étais-je pour lui dire de tout oublier, de tirer un trait sur ce bout de son passé encore bien présent ?

Elles étaient belles, les sœurs Hawkins. Elles étaient belles, à se morfondre. Elles étaient belles, à observer les morceaux épars de leurs vies en chantier. Je me sens soupirer, emplie de lassitude. « Certains jours, j’ai peur de l’avoir perdue pour toujours, avoué-je. D’autres, je me dis qu’elle a encore des affaires ici alors ça doit être le signe que tout n’est pas vraiment terminé. » Je me mords la lèvre inférieure, tic nerveux. Je m’en voulais de ne pas avoir été capable de la retenir quand elle en avait eu besoin. Je m’en voulais de ne pas avoir été capable de lui donner ce qu’elle désirait tant. Il n’avait tenu qu’à moi de ne pas tout faire capoter et voilà que je me retrouvais entourée de solitude et de tristesse. Entourée de douleur aussi. « Si seulement j’avais bien voulu lui donner cet enfant, je soupire, entre colère et résignation. On n’en serait pas là si j’avais accepté. » Mais tout avait été si compliqué. Tout était si compliqué depuis l’accident. Et je voyais Jane m’échapper petit à petit, s’éloigner de moi. Se détourner de moi. Je n’étais pas capable de vivre ça une nouvelle fois. « Mais je ne veux pas qu’un autre de mes enfants me haïsse… Je ne veux pas qu’un autre de mes enfants ait honte de qui je suis… » J’aimais pourtant Jane plus que de raison et j’aurais donné ma vie sans hésiter pour elle. J’aurais tout donné, absolument tout, si elle me le demandait. Mais le fait est qu’elle ne me voulait pas comme mère, elle ne me voulait plus. Elle aurait sûrement voulu quelqu’un plus comme son père. Plus comme son père et moins comme moi.

On avait vu plus drôle comme soirée. Deux soeurs Hawkins à boire comme des puits sans fond pour essayer d’oublier tous leurs maux. Et vu le débit de boisson, y en avait un paquet. Mais faut croire que c’était ce dont on avait besoin. De vider notre sac et de pouvoir se soutenir l’une l’autre. Je me suis toujours reposée sur Dani, et j’ai toujours été là pour elle, ou du moins tenté de l’être. Comme ce soir, j’essaie de la soutenir comme elle le fait, j’essaie de la conseiller aussi. Mais je crois que ce soir il n’y a pas de meilleur conseil que “finis ton verre”. Mais je l’écoute et j’essaie quand même de l’aider comme je peux. “On mettrait Paris en bouteille avec des “Si”. Et si ma tante en avait ce serait mon oncle. Enfin, notre oncle du coup.” Je crois que l’alcool commence à faire effet. “Ne vis pas dans les regrets. Tu peux pas changer ce qu’il s’est passé, il faut que t’ailles de l’avant et juste que… tu assumes les choix que tu as fait. Mais tu peux pas contrôler l’avenir. Attends c’est quoi la phrase déjà ?” Je me tais plus pour boire une nouvelle gorgée que pour réfléchir à cette citation puis je reprends. “Ah oui voilà ! Hier est derrière, demain est un mystère et aujourd’hui est un cadeau, c’est pour ça qu’on l’appelle le présent. C’est de la tortue ninja dans Kung-Fu Panda. Oh, t’as qu’à nous mettre ça comme film, moi je vais chercher une autre bouteille !” Après être allée chercher quelques ravitaillements, la soirée s’est poursuivie tranquillement au rythme des films, des tintements de verre et, malgré tout ce qu’on a pu ressasser au cours de la soirée, quelques rires ont réussi à émerger. C’est comme ça avec Dani. On a beau s’appitoyer sur notre sort ou boire pour oublier, ça finit toujours en une super soirée entre soeurs.