Refugee | Tara

Alexis n’était pas la personne la plus chanceuse du monde, ça, ça n’avait rien de nouveau, mais parfois ça tournait à la poisse monumentale. C’était notamment le cas en cet instant : elle venait de tirer des mains d’une femme un sac à main à l’air lourd, pédalant alors comme une furieuse pour s’enfuir, jusque là rien de malchanceux, le truc c’était qu’une patrouille à vélo parcourait les rue à cet instant même.
Et que la dite patrouille avait tout vu.
Oops.
Habituellement semer les flics à pied ou en voiture, c’était plutôt facile, surtout au centre de L.A. mais là ça devenait plus compliqué. Même passer dans un parc plein de marche ne suffirait pas, ni une allée.
Ca n’empêcha pas Alexis de pédaler furieusement bien sûr. Elle gardait une bonne tête sur la police, assez pour concocter un plan quand en entrant dans une ruelle elle vit une benne ouverte et un magasin juste en face.

Sans ralentir, elle se redressa sur son vélo et en descendit, courant alors pour le soulever et le jeter dans la poubelle. Elle aurait presque voulu pleurer : elle tenait à la bête de course mais elle n’avait pas vraiment le choix pour le coup. Après quoi elle poursuivit sa course et entra dans le magasin, capuche rabattue sur son visage malgré le soleil rayonnant.
Une fois à l’intérieur elle jeta un rapide coup d’œil dans la boutique. Malgré le nom, il s’agissait d’une librairie apparemment. La déception. En tout cas elle ne voyait pas de caméra. Elle retira sa capuche à ce moment là pour paraître moins suspicieuse et offrit un sourire à la clientèle avant de se diriger dans les rayons. Elle se posta de façon à voir dans la rue sans qu’on puisse forcément la voir.
Autant dire qu’elle se fichait bien des bouquins qui se trouvaient là. Elle n’aimait pas lire. Ou plutôt, elle n’avait pas envie de fournir l’effort pour lire.

Obnubilée par son attente du passage des policiers elle ne remarqua pas la personne qui la rejoignit dans le rayon de livres et surtout qui lui adressa la parole. Elle n’enregistra pas immédiatement les mots – même pas du tout – et elle resta avec un air bête cinq bonnes secondes avant de se dire qu’elle devait agir.
« Oh, euh… Ouais, euh… j’ai trouvé ce que je cherchais. Là. »
Elle attrapa un livre au hasard et l’ouvrit pour cacher son visage derrière, se rendant à peine compte qu’il était à l’envers.

Tara tira sur son pull trop grand en laine grossière et se passa une main dans les cheveux, lâchant un sourire aux clients qui s’installaient dans un sourire. Elle bondit par-dessus le comptoir, ne prenant pas la peine d’ouvrir la petite porte pour quitter la partie employés. Petit calepin en mains, Tara notait les commandes tout en faisant des commentaires sur les nouveaux ouvrages du moment, charmant les passionnés qui cherchaient à diversifier leurs horizons. Elle donna les commandes à celle qui gérait le coin boissons et fila entre les étagères pour trouver les livres demandés par les clients. Et voilà que la routine s’installait encore et encore dans une bonne humeur qu’elle appréciait particulièrement. Elle avait eu peur sur le coup, de faire faillite ou de se lasser de son travail, mais au contraire, le défi était tel qu’elle se réveillait chaque jour avec l’ambition de conquérir le monde.

Les aiguilles de l’horloge approchaient de midi et l’irlandaise jeta un coup d’œil dans le coin où fauteuils et canapés étaient disposés, personne n’avait besoin de rien parfait. Il ne lui restait plus qu’à ranger les derniers cartons, la livraison qu’elle avait oublié de ranger la veille. Avec force, elle attrapa le premier et regarda le papier qui indiquait de quel genre d’ouvrages il s’agissait et fila vers le rayon fantastique. Elle commençait déjà à ranger quand la clochette l’avertit de l’arrivée d’un nouveau client. Elle se pencha légèrement en arrière pour apercevoir une silhouette encapuchonnée qui semblait aussi sereine qu’un treader de Wall Street. Elle la vit filer dans un coin et fronça les sourcils, Tara ne voulait pas de problèmes dans sa boutique alors elle la suivit sans plus tarder, abandonnant ce qu’elle avait à ranger.

« Je peux vous aider ? » La tête de l’inconnue fut tournée dans sa direction dans un air bête qui lui fit penser qu’il s’agissait peut-être d’une échappée de l’asile et qu’elle était bonne pour appeler les hommes en blanc. Une idée qui fut encore plus appuyée par le fait qu’elle s’était saisie d’un livre au hasard, le tenant à l’envers et devant son visage comme pour disparaitre. « Le kamasoutra des grenouilles hm ? » Oui, Madison avait fait cette commande et Tara s’était vue obligée de les proposer à la clientèle. « Vous le tenez à l’envers. » Elle affichait un sourire amusé alors qu’elle croisait les bras.

Le kamasutra des… what ?
Alexis baissa le livre en fronçant les sourcils pour regarder le tire longuement, arrivant à peine à lire le premier mot avant d’abandonner et de regarder la femme face à elle. Brune, les cheveux longs, son visage possédait une beauté particulière qu’on retrouvait rarement aux Etats-Unis. Doux malgré les angles sévères et un regard chaleureux. Et puis se cheveux encadraient délicatement le tout.
Alexis était charmée.
D’un autre côté, il suffisait en général d’avoir des seins pour charmer Alexis, on ne pouvait donc pas parler d’un exploit ici. Mais là n’était pas la question.

En effet elle avait tenu le livre à l’envers et s’était faite passer soit pour une timbrée, soit pour une idiote. Peut-être un savant mélange des deux. Il fallait absolument qu’elle sauve la situation, et pour ça, quoi de mieux que de draguer la personne face à elle ? C’était un excellent moyen de gagner du temps pour être sûre que la police était bien passée. Après ça elle pourrait tirer sa révérence, et assez peu probablement son coup.
Sans plus attendre elle offrit donc un sourire à la brune et passa une main mal assurée dans ses boucles blondes pour les ramener en arrière, dégageant son visage avenant.
« Désolée, j’ai tendance à me transformer en idiote finie quand je suis en face d’une fille aussi belle que vous. »

Elle posa le livre à sa place et observa les effets de ce qu’elle venait de dire. C’était sans doute un peu trop cheesy mais hé, on ne savait jamais. Et puis un compliment – même sincère - détournait toujours bien l’attention et lui laissait le temps de trouver une excuse à son entrée dans le magasin.
Et elle en trouva une.
« Ceci dit, j’avoue que je suis naturellement un peu nulle avec les livres, je suis plutôt venue pour acheter un bouquin pour l’anniversaire d’une amie. » Alexis changea de jambe d’appui et s’humecta les lèvres, encore sèche d’avoir eu à rouler et courir dans tous les sens. « Malheureusement je doute que le Kamasutra des Grenouilles lui convienne, même si ça pourrait être drôle à coupler avec un cadeau plus sérieux. Un autre livre. »
Est-ce qu’elle avait au moins une amie née dans cette période de l’année ? Sans doute. Elle vérifierait, et au pire elle garderait le livre pour elle-même. Pas qu’elle le lirait – surtout si la charmante vendeuse lui propose un truc qu’elle n’aime pas – mais bon, ça faisait toujours un peu intello d’avoir un livre de chevet et ça pouvait plaire à des filles.

Il n’était pas rare de tomber sur d’étranges personnes quand on gérait ce genre d’établissement et donc il fallait s’adapter pour ne pas abandonner les affaires, mais Tara n’avait jamais pris en sérieux ce genre de problèmes, elle les prenait toujours avec le sourire et réglait les choses avec bonne humeur, voir humour quelques fois mais ce n’était pas sa tasse de thé. Enfin, l’inconnue dévoila son visage que l’irlandaise qualifiait d’angélique, mais à peine les mots sortirent de ses lèvres qu’elle repensa à ce fameux proverbe « L’habit ne fait pas le moine. » Une dragueuse un peu lourde dissimulée sous des airs d’enfant sage. « Désolée je ne suis pas de ce bord, ce genre de diversion ne marche pas avec moi. »

Tara s’appuya contre le rayon et esquissa un petit sourire, attendant qu’elle assimilât l’information. Ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait ce genre d’avance et l’amusement avait pris le pas sur la gêne. La première fois qu’une femme lui avait fait une remarque et avait tenté quelque chose, elle s’était empourprée sous le regard hilare de sa cousine Madison qui avait gentiment chassé la femme avant de s’écraser au sol, morte de rire. Tara avait passé les quelques minutes suivantes à l’insulter copieusement dans sa langue natale. « Elle va avoir quel âge ? » Elle était de retour dans son esprit de gérante et de vendeuse passionnée hors pair. « Tout dépend du type d’humour qu’elle accepte. » ajouta Tara pour ne pas laisser un lourd silence s’installer.

Mais attention, elle n’avait pas oublié la façon dont la jeune femme était entrée dans la boutique, d’une manière si abrupte qu’elle appelait à tous les soupçons. Pourtant Tara ne se permit pas de passer un interrogatoire, elle allait clairement la faire fuir si elle le faisait.

Comment ça elle n’était pas de ce bord ? L’injustice frappait une fois de plus le monde. Alexis fit une moue en tout cas, mais ça ne l’empêcha pas de rebondir sur la suite. Après tout à l’origine elle n’était pas là pour draguer. Ceci dit, elle n’était pas là pour acheter un livre non plus. Dilemme, dilemme. Bon, elle ne devrait pas avoir besoin de beaucoup plus longtemps ceci dit .Pendant ce temps-là, Alexis devait s’inventer une amie imaginaire.
Quoique.
Peut-être qu’elle pourrait simplement donner ses propres goût et voir où ça la menait. Au moins ça lui éviterait de vraiment mentir. Elle cacherait juste l’identité de la personne à qui serait destiné le ‘cadeau’, à savoir elle-même. C’était un bon compromis.
Au moins, elle pouvait répondre facilement aux questions de la brune.

« Hm, he bien elle va sur ses 25 ans. Et bon, elle aime bien ce genre d’humour mais elle ne serait pas vraiment contente de seulement recevoir un truc comme ça. »
C’est vrai, après tout qui voulait vraiment recevoir seulement un cadeau comme ça pour son anniversaire ? Non, s’il n’y avait rien derrière il y avait de quoi faire rager, même si la personne avait le meilleur humour au monde. Alexis joua un peu avec la couverture du livre, pas vraiment habituée à un environnement un peu trop sérieux à son goût. Elle aurait préféré mille fois entrer dans un magasin de sport qu’une librairie, si elle devait être honnête, et ce même si la librairie offrait des cafés.
« Ceci dit je ne sais pas trop ce qu’elle serait du genre à lire, je ne l’ai jamais trop vu avec un bouquin. Je sais juste qu’elle aime les trucs excitants, genre en série, bien sûr, pas en kamasutra. Quoique ça aussi. Probablement. »

Quoi ? Alexis aimait bien varier les plaisirs avec ses conquêtes. Un jour, elle avait eu une gymnaste dans son lit. Elle avait découvert des positions qu’elle ne pensait même pas possible. « Si vous vous deviez offrir un livre à quelqu’un comme ça, vous lui offririez quoi ? »
Au final, ça restait le meilleur moyen de faire parler la jeune femme en face d’elle qui devait probablement la prendre pour une folle maintenant. Tant pis, encore une fois son but premier n’était pas de se faire bien voir par cette fille qui se disait hétéro. Mais en même temps, elle avait vraiment un truc et Alexis aurait bien aimé en savoir un peu plus, à commencer par son prénom par exemple.

Là, elle avait capté le regard de Madison dans sa direction et elle était sûr qu’elle allait l’emmerder des heures entières sur le fait que la blonde était bougrement mignonne et qu’il fallait la croquer avant qu’elle ne filât. Oui, sa cousine était ce genre de personnes à vouloir absolument caser une autre même si cette dernière ne cessait de lui répéter que la gente féminine de l’intéresser pas. Selon Madison, l’irlandaise se voilait la face avec un tel jugement et devait ouvrir les yeux avant qu’il ne fût trop tard, mais tara ne céderait pas à la pression de sa cousine, elle était bien trop rôdée pour ça. Et puis ce n’était pas le sujet de conversation de l’instant présent, elle devait aidée une potentielle cliente assez louche certes mais potentielle tout de même.

Son calepin mental s’était ouvert dans son esprit et son imagination était prête à rédiger chaque idée qui s’alliait avec chaque nouvelle pièce d’informations qu’elle allait pouvoir se procurer. Toujours appuyée contre l’étagère, Tara se tapotait la joue à la façon d’un homme qui tentait d’écrire un message en morse, non ce n’était pas un moyen de faire passer un message codé à sa cousine, cette dernière avait déjà sans doute caché sa personne dans la réserve pour ne pas avoir à travailler. Celle-là j’vous jure. « Je vois. » Les informations étaient évasives voire contradictoires pour certaines ce qui ne faisait que l’égarer sur ses nombreuses pistes. Voilà une mission aiguilleuse pour une mordue de littérature dans son genre. Tara avait plus l’habitude des clients renseignés que ceux venus à l’improviste, très franchement elle doutait de la véracité des propos de la blonde. Venir ainsi dans une boutique sans une idée plus précise ? T-t-t.

« Quoi un Kamasutra ? » Elle arqua un sourcil, peu sûre de comprendre la question. « Je n’en offrirai pas tout simplement. Elle rit doucement pour ne pas effrayer la cliente et se détacha du rayon pour lui faire signe dans ce dédale de bouquins. « Si elle aime les choses excitantes au niveau de l’intrigue, je peux vous proposez du Stephen King si elle aime l’horreur ou le policier. » elle lui indiqua une rangée d’étagères « Ou sinon si votre amie aime la lecture simple avec plusieurs tomes, je peux lui proposer Artémis Fowl. Certes l’auteur est classé dans ceux pour adolescents mais il n’empêche que son écriture est fluide, humoristique, facile à lire et surtout l’univers est parfaitement conçu. » Oui Tara savait argumenter pour sauver un bouquin d’une réputation enfantine. Il n’y avait pas d’âge selon elle pour commencer telle ou telle série d’œuvres.

Sa blague était ridiculement tombée à l’eau. Bon, pas grave, si le rire amenait une moitié de femme dans son lit, autre chose amenait l’autre moitié. Il fallait juste trouver quoi. Ici elle était presque certaine que parler livre serait ce qui pourrait la faire gagner. Pas que ce soit vraiment ce qu’elle cherche au final, puisque son but premier était d’échapper à la police.
Son regard resta fixé sur la brune face à elle toutefois. Etrangement, elle se sentait presque captivée par ce qu’elle disait. Alexis avait toujours aimé pouvoir admirer les passionnés. Quand ils parlaient de quelque chose qu’ils aimaient vraiment, c’était toujours magnifique. La façon dont le regard s’illuminait, donc le visage s’animait, dont les lèvres remontaient pour sourire… c’était la plus belle chose au monde.
Toutefois, peut-être qu’Alexis l’ignorait, mais l’admiration était l’amante de la passion sur ce podium. Et elle admirait Tara en cet instant.

Cette admiration fut interrompue lorsque Tara acheva sa proposition de livre. Si la blonde devait être honnête, elle trouvait les romans policiers particulièrement barbant, et l’horreur l’intéressait seulement quand il s’agissait d’accueillir une fille dans ses bras. Effrayée, la fille, pas effrayante, évidemment.
Et puis Tara avait tellement bien vendu Artémis Fowl…
« Oh, elle n’est pas très policier… elle préfère le point de vu des méchants en général. » Ce qui rendait le livre recommandé encore plus adéquat pour la jeune femme, même si elle l’ignorait. Mais peut-être que Tara lui fera remarquer. « Et puis avec ses difficultés à lire un truc qui se vend en catégorie ado marchera peut-être mieux pour elle… » Parce que plus Alexis y pensait, plus elle se disait que c’était une bonne idée de lire ce bouquin, de découvrir un peu plus d’un monde dont elle ignorait presque tout.

« Vous me montre où je pourrais le trouver s’il vous plaît ? Ca me fera plaisir de passer un peu plus de temps avec vous, » dit-elle avec un clin d’œil avant de rire un peu.
Son regard se perdit sur les rayons toutefois. Elle n’était pas sûre d’arriver à se retrouver au milieu de tous ces lèvres, donc elle serait plus qu’heureuse d’avoir l’assistance de Tara.
« Je peux me permettre de vous demander comment vous vous appelez au fait ? »
Son sourire se fit un peu plus charmeur, mais il reflétait une véritable curiosité.

Tara était effectivement une grande passionnée qui avait appris à lire deux ans avant l’âge recommandé, elle nageait dans le monde littéraire depuis bien trop longtemps pour ne pas être calée sur chaque mouvement, sur chaque auteur. Elle savait trouver l’ouvrage adéquat avec seulement quelques bêtes questions et elle semblait une nouvelle fois avoir touché juste en parlant du fameux Artémis Fowl. Elle termina ainsi son analyse et attendit un retour de la part de la blonde, se passa une main dans les cheveux pour chasser une mèche rebelle, elle pouvait toujours sentir le regard de sa cousine contre sa nuque et dut se retenir de se retourner pour claquer des mâchoires. Elle n’avait jamais la paix avec elle.

« Des méchants ? Le héros est un génie du crime. » ajouta-t-elle dans un clin d’œil, elle pencha la tête sur le côté à la remarque sur les problèmes de lecture de son amie. « Oh ? Si elle a des problèmes au niveau de la lecture, nous organisons des cours tous les vendredis soir pour tout âge. » C’était quelque chose qui tenait à cœur à Tara parce qu’elle avait connu beaucoup de personnes qui fuyaient les livres parce qu’on n’avait jamais pris le temps de les aider à s’améliorer, encore un problème de l’éducation américaine.

Elle se détacha du rayon et hocha doucement la tête, accepta silencieusement de l’accompagner jusqu’à l’ouvrage en question et ne fit aucun commentaire sur la tentative de séduction de la blonde. Alors qu’elle marchait tranquillement entre les rayons, son doigt se tendait dans les airs pour parcourir les petits écriteaux qui donnaient le thème de chaque couloir. Là. Elle s’arrêta et glissa un regard par-dessus son épaule. « Tara. » Il était écrit sur son pull sur une petite étiquette brodée par ses soins mais les gens n’y faisaient souvent pas attention. « Et vous êtes ? » Elle grimpa sur l’échelle qui menait à Artémis Fowl. « Le premier tome vous suffira ? » Sa tête dépassa des barreaux en bois usés pour la regarder.

La brune fit effectivement remarquer à Alexis que le héros était un génie du crime, de quoi intriguer la jeune femme. Ce n’était pas souvent que les livres – surtout jeunesse – prenaient ce genre de perspective. Cela scella encore plus la décision d’Alexis sur le sujet.
La vendeuse appuya sur les difficultés de lecture et proposa des cours. Moui, non, Alexis n’irait probablement pas : elle n’aimait pas vraiment exposer ses difficultés à lire, et à vrai dire dans son cercle proche seul son frère devait être au courant de celles-ci. La plupart du temps les gens se moquaient ou disaient qu’elle n’essayait pas assez de progresser et elle n’avait plus vraiment envie de faire les efforts aujourd’hui. Et puis c’était certainement trop tard, elle avait vingt-quatre ans.
« Si c’est vous qui menez les cours je devrais venir moi-même, » plaisanta toutefois Alexis, même si elle savait pertinemment que ça ne servirait à rien. De toute façon, elle allait récupérer le livre, payer et ça serait fini. Enfin, plus ou moins, elle allait tout de même poser quelques questions supplémentaire avant ça, faire la conversation, et vérifier que la police ne traînait plus dans les parages.

Alexis obtint le nom de la jeune femme et sourit. Tara. C’était joli, simple à retenir, et elle appréciait la façon dont ça roulait dans son esprit. Tara.
« Alexis, » répondit simplement la blonde.
Elle la suivit du regard et resta sage en ne déviant pas sur son postérieur, observant ses cheveux à la place qui produisaient des vagues aux couleurs chaleureuses, un rayon de soleil venant les frapper juste au bon endroit. Elle cru distinguer quelques reflets roux mais ne s’y attarda pas plus, la question de Tara – vraiment un joli prénom – retentissant à ses oreilles.
« Tu as l’air vraiment enthousiaste à leurs sujets, du coup je vais prendre les deux premiers. Et puis je ne voudrais pas que tu sois montée tout là-haut pour rien, Tara. »
La façon dont le prénom sonnait entre les lèvres d’Alexis était la raison pour laquelle elle ne ressentait pas le besoin de la complimenter dessus. Elle le prononçait avec chaleur et déférence. Après ça, il ne restait plus grand-chose à faire. Encore quelques plaisanteries, payer, et récupérer les livres. Après quoi ce serait les adieux. Une bien triste perspective.

Perchée sur son échelle, elle dut se concentrer pour entendre ce que lui disait la blonde, un rire s’échappa d’elle. « Vous êtes bien charmeuse pour une fille qui vient seulement pour un cadeau. » Elle n’était pas lourde comme beaucoup de femmes qui avaient déjà tenté de la séduire auparavant, Los Angeles était clairement la capitale de l’homosexualité à ses yeux. Pour une irlandaise, voir autant de personnes de ce bord alors que son pays peinait à aborder le sujet de l’avortement et le mariage gay. Elle pencha la tête pour la regarder de nouveau dans un sourire chaleureux, heureuse d’avoir une cliente aussi vivante même si elle l’avait soupçonné d’être venue pour se cacher quelques minutes plus tôt. « Bien pour les deux ! » Elle les glissa sous son coude et glissa le long de l’échelle, trop fainéante pour descendre correctement.

Elle fit face à la blonde, ses cheveux quelque peu en pétard suite à la chute contrôlée et elle lui tendit les deux ouvrages de poche, toujours plus pratique à transporter et surtout moins cher. Elle ne lui avait pas posé la question, mais Tara était assez forte dans ce genre d’analyse. « Et voilà pour vous Alexis ! On passe en caisse peut-être ? » Son regard grimpa par-dessus son épaule pour guetter l’arrivée de Maddison. Cette dernière était toujours présente quand il s’agissait de prendre la relève dans l’espoir de pouvoir remplir ses draps d’une nouvelle compagnie. Elle était tellement prise dans son travail qu’elle ne fit tout d’abord pas attention à quel point le prénom de la blonde lui plaisait, il était rare pour une jeune femme, mais elle le portait à merveille.

D’un geste ample de la main, elle lui indiqua le comptoir puis guida la marche, toujours toute sourire. « Je suis toujours contente d’avoir de nouveaux clients, ils deviennent rapidement des habitués. » Après tout, le café était agréable pour toute personne qui cherchait à se cacher du reste du monde pour savourer une bonne lecture ainsi qu’une délicieuse boisson chaude. Souplement, Tara passa par-dessus le comptoir et fit face à Alexis. « Vous souhaitez une boisson avec ça ? pour le premier achat, le chocolat chaud est offert. »

Alexis admira la souplesse et la maitrise de la jeune femme quand elle descendit de l’échelle. On aurait presque dit un chat qui descendait de son arbre. Elle attrapa les livres et sourit à Tara.
« Merci beaucoup, et on peut se tutoyer non ? On doit avoir à peu près le même âge. » Ou en tout cas Tara semblait assez jeune pour qu’Alexis n’ait pas envie de se prendre la tête à la vouvoyer. Même si quand elle y pensait, elle n’était pas supposée revenir ici.
D’un autre côté… si elle ne se faisait pas attraper, rien ne l’en empêchait.
Elle pourrait venir acheter la suite pour l’offrir à son amie imaginaire, ou elle ne savait quoi encore. L’endroit était sympathique, autant que la vendeuse au moins.

Alexis la suivit sagement jusqu’au comptoir et sourit en coin en la voyant passer par-dessus de cette manière. Définitivement, elle aimait beaucoup cet endroit. Vraiment dommage qu’elle n’aimait pas lire. Enfin, s’ils proposaient des chocolats, elle pourrait toujours venir faire semblant de lire et draguer Tara – ou l’autre vendeuse maintenant qu’elle avait l’occasion de la voir de plus près.
La blonde commença à sortir son portefeuilles et deux billets, posant les livres sur le comptoir alors que Tara lui proposait un chocolat gratuit.
« Comment je pourrais dire non à une offre pareille ? Je peux comprendre pourquoi les gens voudraient revenir, l’endroit est vraiment agréable. » Elle lui sourit amicalement et posa les billets sur le comptoir. « Entre la boisson offerte et la trèèèès agréable vendeuse. » elle lui fit un clin d’œil plaisantin avant de reprendre les livres et les ranger dans son sac.
« Du coup, comment tu as deviné que j’étais plutôt chocolat que café ou thé ? »
C’est vrai ça, elle ne lui avait rien dit à ce sujet.

Les doigts de Tara tapaient un rythme inconnu contre le bord du comptoir en bois abîmé en attendant qu’Alexis se décidât à lui répondre, elle n’était en rien impatiente, mais ces derniers temps elle était animée d’une nouvelle énergie qui la rendait aussi vive qu’une pile électrique. Madison ne cessait de dire qu’il s’agissait d’un manque cruel d’affection et d’activité physique, mais Tara était bien trop naïve pour comprendre le véritable sens du message.  Les livres furent posés et elle s’en saisit pour les glisser dans un sac en papier, ayant tout bonnement refusé l’idée d’en prendre en plastique.

Elle rit et hocha la tête, lâchant à son employée de préparer le chocolat du nouvel abonné avant de se tourner une nouvelle fois vers Alexis dans un sourire toujours aussi rayonnant. « J’espère que tu le trouves agr… » commença-t-elle avant de se faire interrompre par un énième compliment de la blonde. « Ce n’est pas en me draguant que tu obtiendras des chocolats gratuits tous les jours » plaisanta-t-elle, glissant le paquet dans sa direction avant de se saisir des billets afin de terminer le paiement.

L’employée posa le gobelet à leurs côtés et Tara la gratifia d’un regard chaleureux. « Comment ? Le type de lecture tout simplement, je sais que ça paraît aux premiers abords mais je me base réellement là-dessus. Une personne qui lit un policier ou un bouquin qui peut se montrer stressant se tournera vers du café. Une personne qui aime les poésies, les romans d’amour ou dans cette tranche sera plus encline à prendre un thé alors qu’une personne qui aime les romans d’aventure souhaitera un chocolat. » Elle haussa les épaules. « Je sais que ça ne marche pas tout le temps. » rit-elle avant de lui tendre le fameux chocolat.

Ah, mince, avec ses bêtises Alexis avait coupé Tara. Ce n’était pas ce qu’elle voulait, mais tant pis, ça arrivait. La blonde fit une moue quand elle lui dit que ce n’était pas en la complimentant qu’elle en aurait d’autres gratuits.
« Mon plan est découvert, » plaisanta-t-elle.
Finalement, une fois le paiement effectué et le gobelet de chocolat posé sur le comptoir, Tara apporta une réponse à sa question. Il était vrai que le type de lecture pouvait être un bon indicateur sur ce que les gens aimaient comme boissons. En tout cas, pour Alexis ça collait.
« Une bonne chose que je rentre dans ces critères alors. » Elle sourit à Tara et prit la boisson entre ses mains. « Merci encore. Je repasserai si les livres lui plaisent. À mon amie. »
Elle avait presque oublié qu’ils n’étaient pas supposés être pour elle. Elle ajusta son sac sur son épaule et se dirigea vers la porte pour sortir, quittant ainsi la boutique. Elle but une gorgée du chocolat et s’arrêta dans son observation de la rue.
Il était bon. Très bon même.
Encore devant la porte, elle la poussa avec son dos en reculant d’un pas, faisant de nouveau sonner la cloche du magasin.
« Super bon le chocolat. » Elle rit un peu puis repartit aussi vite qu’elle était revenue, traversant la rue en remettant sa capuche rapidement.
Elle se dirigea vers la poubelle dans laquelle elle avait jeté son vélo et – jetant des regards autour d’elle pour s’assurer que personne ne voyait rien, elle souleva le couvercle de la bene et sauta un peu pour attraper le guidon, sortant son vélo de là-dedans avec une grimace. Bon. Elle le laverait en arrivant.
Toujours en faisant attention que personne ne la remarque, elle repartit dans la direction dont elle venait à l’origine, prêt à rentrer chez elle sans que personne ne la voit. Sauf peut-être une personne.